Juillet 44 : Malgré la faible occupation japonaise en Indochine, deux bataillons sont transférés pour rejoindre le front de Birmanie. Pour combler ce vide, on improvise une brigade mixte indépendante constituée de troupes qui ne sont pas parties pour la Birmanie ou de rescapés de vaisseaux naufragés sur la mer de Chine (Pedroncini, 1992, p. 39).
5 - 22 juillet 44 : Le commandant De Langlade et le capitaine Milon (émissaires du général Blaizot, chef des F.E.F.E.O., délégué de la France combattante dépendant du S.E.A.C. de Mountbatten) ainsi qu’un télégraphiste, Marmont, en provenance de Kunming, sont parachutés au Tonkin dans le secteur de Langson. C’est l’opération Belief II qui rompt pour la première fois l’isolement de l’Indochine. Depuis 1943, De Langlade est à la tête de la French Indo-China Country Section (F.I.C.S.), la branche française de la Force 136 elle-même rattachée au Special Operations Executive (S.O.E.), basé à Ceylan et spécialisé dans les opérations clandestines à haut risque en Indochine (Zeller, 2021, p. 53). Ils doivent rejoindre général Mordant pour servir la cause de la France libre mais ce dernier a tenté de bloquer cette opération qui vise à établir un premier rapprochement avec Decoux. Ils ont pour mission de rencontrer l’amiral et de le rallier à la cause gaulliste. Selon De Langlade, « le message confié pour la mission de juillet ne mettait pas l’amiral à l’écart de la Résistance. Il voulait même, lui, De Gaulle, garder un contact avec lui. Il précisait que le passé était oublié. Bref, De Gaulle donnait à l’amiral la possibilité d’établir un lien avec la Résistance. » (cité in De Folin, 1993, p. 36) L’attitude de Mordant est plus que réservée sur ce point (voir avril 44 et 23 août 44). Mais De Langlade et Milon passent outre (Franchini 1, 1988, p. 177).
6 - 11 juillet 44 : Voyage de De Gaulle aux États-Unis. A cette occasion, il y rencontre Roosevelt. Ce dernier accepte – du moins en paroles - de ne pas s’opposer au retour de la France en Indochine après la victoire alliée. Lors de la reconnaissance par les Américains du gouvernement provisoire français qui aura lieu le 23 octobre, la volonté du président américain de mettre l’Indochine sous tutelle internationale disparaitra totalement (Wainstock, Miller, 2019, p. 57). Faisant une concession, De Gaulle déclare à cette occasion : « La France est certaine qu’elle retrouvera intact tout ce qu’elle retrouvera, tout ce qui lui appartient, mais la France est certaine qu’après cette guerre et toutes les expériences humaines qui ont été faites, la forme de l’organisation française dans le monde et spécialement en Indochine ne sera pas la même qu’avant le drame que nous avons traversé. » (cité in Turpin, 2005, p. 74)
9 juillet 44 : Suite au différend entre Decoux et Mordant (voir 24 mars), ce dernier déclare au capitaine Milon venu le rencontrer à Hanoi : « Celui-là, je lui ferai mettre une bombe un jour dans sa voiture. » (cité in Zeller, 2021, p. 57) Pour autant, selon une habitude de façade rôdée, Decoux fera remettre la Légion d’honneur au général et insistera pour le décorer lui-même au moment de son départ (voir 23 juillet)…
10 juillet 44 : Toujours en voyage aux États-Unis, De Gaulle donne une conférence de presse où il fait l’éloge d’une forme de fédéralisme dans l’Empire, avec des degrés divers : « Peut-être, Mesdames, Messieurs, avez-vous lu des nouvelles sur une conférence que nous avons tenue à Brazzaville cet hiver et dans laquelle nous avons étudié les formes que pourrait prendre, après cette guerre, cette organisation française mondiale. Je crois que chaque territoire dans lequel flotte le drapeau français doit être représenté à l’intérieur d’un système de forme fédérale dans lequel la Métropole sera une partie et où les intérêts de chacun pourront se faire entendre. L’Empire français, comme vous le savez, comprend plusieurs territoires dont l’évolution est très variée ; certains territoires sont parvenus à un degré d’évolution, d’autres encore sont très bas. La politique de la France est, et sera d’élever tous ces territoires le plus haut possible pour que chacun ait la possibilité d’administrer ses intérêts et d’être représenté à l’intérieur d’un système d’ordre fédéral. Telle est la politique de la France et en particulier pour l’Indochine. » (cité in Turpin, 2005, p. 76) Sachant que dans la pensée gaullienne, l’Indochine constitue un ensemble plus « évolué » que l’Afrique noire et doit donc bénéficier d’une plus grande autonomie.
14 juillet 44 : Lors d’un déjeuner entre l’ambassadeur de France Viénot avec lord Halifax et Anthony Eden, ce dernier confirme « la solidarité franco-anglaise en Extrême-Orient » et précise que « le gouvernement britannique est opposé à toute modification territoriale dans la région. » (De Folin, 1993, p. 74)
18 juillet 44 : Les Français sont toujours assez ignorants de la véritable nature du VM (voir 29 avril). Le général Pesckoff transmet un rapport à René Pleven (ministre des Relations extérieures du gouvernement provisoire). Il comporte cette fois un long développement consacré au P.C.I. Pour autant, ce rapport n’indique pas que ce parti est à l’origine de la fondation du VM. Ce dernier est faussement présenté comme « un groupement nationaliste, constitué à l’instigation du Prince Cuong De par les émigrés Vu Hai Thu et Hoang Nam Hung en janvier 1936 à Canton ». Le VM est confondu avec le VN Phuc Quoc Hoi, une organisation nippophile fondée par Cuong De, lui-même réfugié au Japon.
Un autre rapport sans doute expédié avec le premier est plus précis mais non dépourvu d’approximations sur la véritable nature du VM : « La ligue pour l’indépendance de l’Annam (V.N.D.L.D.M.H.) a été constituée lors de du congrès communiste tenu en mai 1941 à Tsing Ti (Kouang Si) sous la présidence de l’agitateur bien connu Nguyen Ai Quoc. Elle groupe des Annamites, sans distinction de religion, qui désirent lutter contre les « impérialistes » français et japonais, et obtenir l’émancipation de l’Annam. Elle est constituée par un petit noyau de vieux émigrés communistes auxquels se sont ralliés, de gré ou de force, des rebelles de Lang Son et du Bac Son qui se sont réfugiés en Chine lors de la pacification de la zone frontière tonkinoise au début de 1941 ; les effectifs pouvaient être évalués à un millier de membres en fin de 1942. La ligue édite un journal de propagande, le Viet-minh (abréviation du nom annamite de la Ligue) […] Cette Ligue a bénéficié dans un premier temps, de la protection des autorités chinoises. Cependant, celles-ci, depuis octobre 1942, n’accorde plus cette protection et la Ligue ne compte plus dans ses rangs que quelques centaines de militants. » (cité in Ruscio, 1985, p. 56)
23 juillet 44 : Le général Mordant, atteint par la limite d’âge, aurait dû céder son poste de chef de la résistance en Indochine au général Aymé (Zeller, 2021, p. 55). Aymé cède la Division du Tonkin au général Sabbatier. Mais, à la grande surprise de De Langlade, Aymé, par peur de se battre, refuse d’occuper le poste de Mordant. C’est donc ce dernier qui va être nommé sous peu « délégué général du Comité d’action pour la libération de l’Indochine » (voir 10 septembre), un nouvel organe gouvernemental chargé de préparer la « libération » de la péninsule (Isoart, 1982, p. 32).