Dernière modification le il y a 3 semaines
par Jean-François Jagielski

Janvier 1965

Début 65 : Un rapport issu d’une commission sénatoriale d’enquête dirigée en 1966 et publié le 24 janvier 1966 par Mike Mansfield (chef de la majorité démocrate) précise : « Un effondrement total de l’autorité gouvernementale de Saigon nous paraissait imminent dans les premiers mois de 1965. » (cité in Chaffard, 1969, p. 391)


Janvier 65 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine envers le conflit au Vietnam : pour 50 %, contre 28 %, sans opinion 22% (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60).


Début janvier 65 : L’ambassadeur américain à Saigon, Taylor, fait parvenir à LBJ un rapport pessimiste sur la situation au S-V. Il note dans sa conclusion : « Nous sommes actuellement engagés dans un processus de défaite et nous devons prendre le risque d’un changement […] Ne pas entreprendre d’action positive maintenant, c’est accepter la défaite dans un futur relativement proche. » LBJ précise dans ses mémoires : « C’était aussi l’opinion des conseillers militaires, tant au Vietnam qu’à Washington. La dure réalité de mes conseillers civils à des conclusions identiques, en dépit de leurs réticences. » (Johnson, 1972, p. 157)


3 janvier 65 : Rusk (secrétaire d’État), invité lors d’une émission de télévision « sur une année de politique étrangère » ne dit mot des projets d’offensive aérienne contre le N-V. Selon lui, avec l’aide des U.S.A., les S-V pourront triompher de l’insurrection du Vietminh (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 365).


4 janvier 65 : Le F.N.L. donne une conférence de presse sur le bilan de la bataille de Binh Gia devant un parterre de journalistes ralliés à sa cause. On annonce (avec exagération) 2 000 s-v et 28 Américains hors-combat, 37 véhicules détruits, 24 hélicoptères abattus et 13 endommagés (Toinet, 1998, p. 279).


6 janvier 65 : McGeorge Bundy (secrétaire d’État à la Sécurité nationale) produit un mémorandum adressé à Rusk (secrétaire d’État). Il est le fruit de réflexions communes partagées avec Roger Forrestal (conseiller de McGeorge Bundy, supérieur de De Langlade pour le Vietnam) et l’ex-ambassadeur du Laos, Unger, qui vient d’être muté à Washington. Bundy pense que le moral est mauvais à Saigon car on y pense que les U.S.A. « ne sont pas préparés à intervenir plus énergiquement si même ils ne songent pas à s’en aller. »

Ce sentiment est partagé dans toute l’Asie, y compris en Thaïlande. De nouvelles actions du Vietcong sont à envisager et, face à elles, il n’est pas exclu que le gouvernement s-v entame des négociations avec le F.N.L. ou Hanoi, dans le dos des Américains. Le Laos et le Cambodge deviendraient alors intenables. L’option d’une intervention américaine plus forte risque d’être désapprouvée par d’autres nations comme l’Inde ou le Japon. Il n’est pas sûr qu’un engagement plus ferme puisse améliorer la situation politique du S-V mais c’est un pari qu’il faut risquer. Ne serait-ce que pour rassurer « notre seconde ligne de défense, […] la Thaïlande. »

Suivent des prescriptions : mener des représailles contre le N-V ; les accompagner de troupes terrestres dans les parties septentrionales du S-V, ce qui constituerait « un signal d’alerte pour Hanoi. » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 368). C’est un appel presque désespéré à l’escalade, faute de mieux…


9 janvier 65 : Sous la pression de l’ambassadeur Taylor, les généraux s-v acceptent le retour à la loi civile… avant l’élaboration un nouveau coup d’État de Khanh (voir 27 janvier) (Prados, 2011, p. 221).

Mao accorde une interview au journaliste Edgar Snow qui sera publiée dans Life et The New Republic : « La guerre avec la Chine ne pourrait survenir que si les troupes américaines pénètrent en Chine. » (cité in Nguyen Phu Duc, 1996, p. 107). Les Chinois cherchent à éviter un conflit direct avec les États-Unis. Ils se montrent systématiquement opposés à l’idée que le VM lance des offensives de grandes ampleurs qui pourraient avoir des conséquences sur leur propre engagement dans le conflit, mais à moindre frais. Au Sud, ils plaident et plaideront longtemps pour le maintien d’une guerre de guérilla de longue durée.


10 janvier 65 : Au Cambodge, une note diplomatique remise à l'ambassade de France demande au gouvernement sud-vietnamien la restitution des territoires annexés à la Cochinchine.


12 janvier 65 : L’assemblée nationale de la République sud-coréenne donne son accord pour un déploiement d’un contingent de troupes au Vietnam (Prados, 2015, p. 260).


14 janvier 65 : La perte de 2 jets américains au-dessus du Laos donne pour la première fois une vaste publicité aux opérations aériennes de la Yankee Team, dévoilant leur existence depuis le 19 mai 1964. Ce qui complique la tâche de LBJ qui doit faire face à une très petite minorité de sénateurs opposés à la guerre (voir 19 janvier) (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 365).


19 janvier 65 : Le sénateur Wayne Morse (qui a été l’un des deux sénateurs à ne pas voter la résolution du Tonkin) déclare que les raids exécutés par la Yankee Team depuis le 19 mai 1964 violent les accords de Genève de 1962 sur le Laos, trahissent la confiance de la nation en substituant à la Loi celle de la jungle de la toute puissance militaire. Il prédit de ce fait, à juste titre, une guerre à venir généralisée (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 365).


23 janvier 65 : John McCone (directeur de la C.I.A.) a un entretien avec LBJ sur la situation politique catastrophique au S-V. Il entrevoit une crise majeure du fait des tensions entre Khanh, les généraux putschistes et les Bouddhistes. Il craint l’imminence d’un nouveau coup d’État. Face au désarroi du président, le directeur de la C.I.A. préconise d’effectuer des bombardements progressifs sur des objectifs ciblés au N-V partant du 17e parallèle et progressant vers le Nord (Johnson, 1972, p. 158).


27 janvier 65 : Nouveau coup d’État au S-V. Le général Nguyen Khanh, commandant des forces armées renverse le cabinet civil du premier ministre Tran Van Huong soutenu par les Américains. En novembre 1964, l’ambassadeur Taylor a eu « une sérieuse algarade » avec Khanh lors d’un dîner à Saigon chez Wesmoreland (voir novembre et 20 décembre 1964). Pour complaire aux Américains avec lesquels Khanh est en disgrâce depuis la fin 1964, c’est un civil, le Dr Phan Huy Quat, qui est chargé de former le nouveau gouvernement. Suu demeure un chef de l’État bien théorique. (Tran Van Don, 1985, p. 210) Nguyen Van Thieu devient vice-président du Conseil.

A peine en place, le nouveau gouvernement doit faire face à un groupe de jeunes généraux surnommés « jeunes Turcs » conduits par le vice-maréchal de l’Air Nguyen Cao Ky qui vise la prise de pouvoir. S’ensuit une vacance au niveau de l’équipe dirigeante à Saigon où règne un chaos politique auquel doit faire face l’ambassadeur américain Taylor et, plus généralement, l’ensemble de la politique américaine au S-V (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 419). Or LBJ veut – ou plutôt voudrait - un gouvernement « stable et efficace à Saigon » avant d’agir contre le N-V par des bombardements sur le Laos et mettre en place des actions maritimes. Les Américains sont de plus en plus excédés par ces trublions militaires qui n’en font qu’à leur tête (Halberstam, 1974, pp. 492-493).

Un mémorandum remis à LBJ, rédigé par McN (secrétaire d’État à la Défense) et McGeorge Bundy (secrétaire d’État à la Sécurité nationale), vient conclure au ralliement de la nécessité d’une escalade : le secrétaire à la Défense et le conseiller à la Sécurité nationale y recommandent l’utilisation de la force américaine qu’ils jugent trop longtemps contenue pour éviter une défaite désastreuse au Sud et obliger ainsi le Nord à négocier. Ils préconisent donc d’ « utiliser notre force militaire en Extrême-Orient et obliger les communistes à modifier leur politique ». Ils poursuivent : « Chacun de nous comprend la gravité d’une telle décision […] nous reconnaissons l’un et l’autre que la responsabilité ultime ne nous appartient pas. Nous avons l’un et l’autre approuvé votre décision de rester mesuré […] Mais nous sommes convaincu que rien de tout cela n’est suffisant et que le temps des choix plus radicaux est arrivé. »

Pour autant, les auteurs de ce texte savent et écrivent que l’équipe des conseillers présidentiels demeure divisée : « Ce que [Rusk] affirme, c’est que les conséquences, soit de l’escalade, soit du retrait, sont à tel point désastreuses que nous devons simplement trouver une autre base pour élaborer notre politique actuelle. Ce serait parfait si c’était possible. Bob [McN] et moi pensons que cela ne l’est pas. » Face à ce dilemme, LBJ tergiverse et cherche une troisième voie qui n’existe pas. Il envoie Bundy et une équipe à Saigon (Baulon, 2009, p. 434 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 368 ; Johnson, 1972, pp. 157-158).


28 janvier 65 : Tentative de coup d’État confuse contre le ministère civil de Phan Khac Sun et l’ambassadeur Taylor (Toinet, 1998, p. 212).

Selon Tran Van Don, Khanh qui sent le vent tourner, a adressé une lettre au vice-président du F.N.L., Huyn Tan Phat, dont il avait fait au préalable libérer l’épouse. Il lui a proposé sa collaboration. Constatant que Khanh est en train de tourner le dos à Taylor, Phat lui répond et le félicite pour « son esprit indomptable face à la répression impérialiste et colonialiste » (Tra Van Don, 1985, p. 213). Lors d’une conférence organisée à Paris le 26 janvier 1975 dans le cadre d’une « Journée pour le Sud-Vietnam », Khanh révèlera publiquement avoir en effet eu des contacts avec le F.N.L. et évoquera l’existence de cette lettre. Mais il avouera n’avoir pu aller au bout de son projet du fait des pressions américaines qui l’ont poussé à un départ précipité (Journoud, 2011, pp. 191-192).


Fin janvier 65 : Dans une ambiance particulièrement propice à l’escalade, Westmoreland demande et obtient l’autorisation d’intervention de chasseurs américains et d’hélicoptères contre le VC pour soutenir les troupes au sol lorsque celle-ci sont en difficulté. Il utilisera cette opportunité pour la première fois lors de l’opération Flamming Dart 1 qui se produit en représailles aux attaques de Pleiku (camp Holloway, voir 6 - 7 février) et Qui Nhon (voir 6 février) (Johnson, 1972, p. 156).

💬 Commentaires

Chargement en cours...