Début 64 : Au Cambodge, d’importantes manifestations étudiantes soutiennent Sihanouk dans sa lutte contre l’impérialisme américain. L’opposition au régime est à ce moment assez inexistante (Richer, 2009, p. 30).
Janvier 64 : Déplorant les limites qui leur ont été imposées précédemment, les chefs d’état-major interarmes américains interviennent dans un mémorandum pour étendre la guerre : « Les États-Unis doivent être prêts à écarter un grand nombre des restrictions qu’ils s’étaient imposées et qui maintenant limitent nos efforts, et à entreprendre les actions les plus audacieuses qui peuvent présenter de plus grands risques. » (cité in Halberstam, 1974, p. 383).
Une violente campagne de presse vise le premier ministre Tho, l’un des rares civils appartenant au gouvernement de l’après-Diem.
Selon Tra Van Don, « certaines personnalités prestigieuses de la faction des mandarins du parti Daï Viet réclament la formation d’un nouveau gouvernement, dont le premier ministre serait Le Van Kim. » Mais « la faction sudiste » du parti ne le soutient pas et lui barre même la route.
Une cabale se monte contre le gouvernement en place. Les généraux Nguyen Van Thieu, Khiem et Khanh l’accusent de « neutralisme », un concept gaullien de non-alignement du S-V que Tran Van Don reconnaît ne pas renier, y compris publiquement, à condition que le N-V y adhère également. Khanh dénonce cette position auprès des Américains et confie à Lodge qu’il a justement participé au coup d’État pour ne pas en arriver là. Décontenancés, les Américains jouent pourtant la carte de la neutralité en soutenant officiellement Minh (Tran Van Don, 1985, pp. 205-207).
Au Cambodge, manifestations spontanées de jeunes hostiles aux États-Unis. Nationalisation des banques, des assurances et de tout le secteur de l’import-export. Les entreprises étrangères sont indemnisées (Sihanouk, 1979, p. 237).
20 janvier 64 : Au Cambodge, exécution de Preap In (Khmer Serei, neveu de In Tam, gouverneur de la province de Takeo, voir 25 novembre 1963). Le film reproduisant avec beaucoup de détails son exécution, réalisé sur ordre de Sihanouk, est diffusé pendant un mois dans toutes les salles de cinéma et ce, à chaque séance.
1er – 8 janvier 64 : Second congrès du F.N.L. après celui, fondateur, des 19 - 20 décembre 1960. Le nombre de membres du comité central passe de 30 à 64, avec 11 nominations ultérieures. Une source n-v évoque un nombre de 100 membres avec 30 sièges réservés à « des personnalités et organisations qui pourraient adhérer ultérieurement. » (Fall, 1967, pp. 412-413). Huynh Phan Phat, architecte de formation mais aussi résistant chevronné des maquis du Sud depuis la première guerre d’Indochine, prend la tête du secrétariat général et remplace Tran Buu Khiem dont l’épouse a été arrêtée et est détenue. Phat passe pour être favorable à la Chine. Vo Chi Cong, membre du P.P.R., obtient une vice-présidence. Le président Nguyen Huu Tho poursuit une politique d’ouverture amorcée par les 6 propositions émises le 8 novembre 1963.
L’instabilité du pouvoir au sein de la junte militaire s-v condamne d’entrée l’amorce d’un dialogue avec le VC, si tant est qu’elle puisse avoir lieu (Lacouture, 1965, pp. 172-173).
2 janvier 64 : Un rapport de Victor H. Krulak (responsable du groupe interministériel chargé de l' OPLAN 34-A) adressé à Johnson décrit les futures opérations clandestines (34-A) qui auront pour but de provoquer « des démolitions substantielles, des pertes économiques et de harceler l’adversaire. » Le rythme et l’ampleur de ces missions devant s’élever en 3 étapes au cours de 1964 jusqu’à atteindre « des objectifs directement liés à la prospérité économique et industrielle du N-V.» Ni l’opinion publique ni même le Congrès ne connaissent leur existence. Johnson et son administration pratiquent d’entrée une guerre secrète (Halberstam, 1974, p. 426 et 428).
Au Laos, les troupes demeurées malgré les engagements n-v pris à Genève en 1962 sont estimées entre 40 000 et 50 000 hommes en 1964. Des opérations clandestines de bombardement sur le Laos sont prévues : des groupes de chasseurs-bombardiers T-28 à hélice portant des cocardes laotiennes sont en fait des avions appartenant à l’Air America, compagnie privée qui dépend directement de la C.I.A. Selon Johnson et son administration, elles doivent préfigurer ce qui se passera au N-V si celui-ci continue ses menées au S-V (voir 23 novembre 63).
8 janvier 64 : Lors d’un conseil des ministres secret, le ministre français des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, évoque « une nouvelle phase de la politique française en Asie » liée à la future reconnaissance officielle par la France de la Chine communiste. Même s’il ne faut pas en attendre d’importantes retombées économiques immédiates, De Gaulle conclut le conseil en disant : « Ce qui est sûr, c’est qu’un jour ou l’autre, la Chine sera une grande réalité politique, économique et même militaire. La France doit en tenir compte. » (Journoud, 2011, pp. 143-144).
10 janvier 64 : Le Saigon Post (journal vietnamien de langue anglaise) dénonce les abus des chefs de districts, chargés de la protection des habitants et nommés par le gouvernement sud-vietnamien. Ils terrorisent ceux qu’ils sont censés protéger et, de cette manière, font le jeu du Vietcong (Halberstam, 1966, p. 182).
13 janvier 64 : Malgré les positions prochinoises adoptées lors du 9e plénum du Lao Dong en décembre 1963, une délégation russe est accueillie à Hanoi. Elle est conduite par Iouri Andropov qui dirige le département des relations avec les partis communistes étrangers. Elle est accueillie par HCM moins écouté et qui fait figure à cette époque de modéré. On aplanit des deux côtés les dissensions en insistant sur l’unité du « camp socialiste » (Marangé, 2012, p. 314).
17 janvier 64 : Opération héliportée de vaste ampleur sur l’île de Thanh Phu (dans le Ben Tre, au sud de Mytho) par les forces s-v épaulées par les Américains. Font partie de l’expédition militaire : 50 hélicoptères, 3 000 soldats, 26 chars M-113, 26 unités navales appuyées par l’aviation. Le VC (bataillon 303) laisse se poser les 4 premières vagues puis riposte en abattant ou endommageant les hélicoptères. L’engagement dure deux jours et les troupes s-v commandées par le général Le Van Kim subissent de lourdes pertes (estimées à 600 morts et blessés par le VC). Les troupes du VC parviennent au final à se disperser. Selon le correspondant de l’Associated Press, ce fut « un des jours les plus sombres de la guerre pour ce qui est des opérations héliportées américaines. » (Burchett, 1965, pp. 296-297).
18 janvier 64 : Publication par l’A.F.P. d’un long éditorial sur la politique asiatique de la France présentant ses vues pour le Vietnam : annonce prochaine de la reconnaissance de la Chine, préconisation d’un cessez-le-feu, du principe de non-ingérence étrangère et d’une réunification graduelle.
Selon Journoud, depuis la non-reconnaissance officielle par la France du nouveau gouvernement s-v (voir 6 novembre 1963), « la France devint rapidement le bouc émissaire des difficultés et des échecs politico-militaires du nouveau régime, seulement parce qu’elle se faisait l’avocate d’une solution négociée. » Agitateurs autour des établissements scolaires français, campagnes de presse, intimidation en tout genre à l’égard des résidents français sont devenus monnaie courante (Journoud, 2011, pp. 137-138).
Un rapport s-v transmis au directeur de la police de la province de Hau Giang (au sud de Can Tho) et intercepté par le S.D.E.C.E. (services secrets français) montre que la population locale, après s’être réjouie du coup d’État pour lequel elle espérait une amélioration de son niveau de vie, a rapidement déchanté et souhaite à court terme la neutralisation du S-V. Les manifestations saïgonaises organisées par les étudiants contre la politique neutraliste de De Gaulle ont soulevé de vives critiques au sein d’une population rurale qui désire la paix et la réunification. Le rapport conclut qu’« il s’agit là de la population de Hau Giang en particulier, et de celle du peuple vietnamien en général. » (cité in Journoud, 2011, p. 140). Selon Journoud, toutes les classes de la société s-v éprouvent à peu près un même sentiment : lassitude à l’égard d’une guerre qui dure depuis plus de 20 ans, désir de paix dont la neutralité est sans doute la clé. Les thèses du F.N.L. ont donc le vent en poupe et l’anti-américanisme comme moteur de la poursuite de la guerre de beaux jours devant lui.
22 janvier 64 : Un mémorandum du général Taylor (président du Comité des Chefs d’état-major) avertit McN que s’il est d’accord avec la mise en place d’opérations clandestines, il n’en pense pas moins que l’efficacité de celles-ci sera limitée et ne pourra être efficiente avant 2 ans. Il déplore que l’initiative des combats vienne toujours du Vietcong, les Américains et S-V jouant le simple rôle de simples « pompiers » : « Nous n’agissons pas, nous nous contentons de réagir, du fait même des limites que nous nous sommes volontairement imposées ». Il préconise « un programme plus offensif », avec « un certain nombre d’opérations [menées] à l’extérieur sur le Sud-Vietnam » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 303-307 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 183-188). xyxy
Le Conseil des notables (organe consultatif du gouvernement s-v) sollicite du Conseil militaire révolutionnaire (C.M.R.) et du gouvernement civil la rupture des relations diplomatiques avec la France. Sa motion ne sera toutefois pas suivie (Journoud, 2011, p. 138). Le S-V refusera par la suite l’agrément d’un nouvel ambassadeur de France à Saigon, Roger du Gardier, qui avait été conseillé diplomatique du haut-commissaire en Indochine entre 1948 et 1951, en remplacement de Roger Lalouette. Il est discrédité pour avoir soutenu Diem et s’être trop impliqué au moment du putsch (Journoud, 2011, p. 138).
24 janvier 64 : Une délégation du Lao Dong dirigée par Le Duan (accompagné de Le Duc Tho et Hoang Van Hoan) part pour Moscou sur invitation du comité central du parti communiste soviétique. Elle fait escale à Pékin où Le Duan rencontre Mao et lui explique espérer maintenir un statu quo avec les Russes. Ce que lui déconseille vivement Mao qui est entendu. Le jour de son arrivée à Moscou, le 31, Le Duan prononce un discours très critique à l’égard des dirigeants soviétiques. Il rencontre Khrouchtchev qui lui annonce une baisse de l’assistance à la R.D.V.N. (Marangé, 2012, pp. 314-315).
27 janvier 64 : McGeorge Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) remet une courte note à LBJ (mémo dit de « la croisée des chemins ») et demande une réunion entre lui, McN (également signataire de la note) et le président. Les 2 signataires pensent que la politique en cours « ne peut conduire qu’à une défaite désastreuse. » Pour forcer les communistes à un changement de politique, il faut « déployer toutes nos ressources tout en empruntant la voie de la négociation. » LBJ ne sait trop que faire. Il restreint les frappes aériennes, rappelle certains non-combattants mais ordonne en même temps une nouvelle patrouille De Soto (voir 1er février) (Prados, 2011, p. 207).
Le général William Westmoreland, arrivé au Vietnam en 1963, est désigné pour succéder à Paul Harkins, à la tête du Military Assistance Command Vietnam (M.A.C.V.) Il occupera le poste le 20 juin (Spencer, Tucker, 2000, p. 484).
Par un bref communiqué, la France et la R.P.C. (en rupture avec l’U.R.S.S.) annoncent qu’elles vont établir dans les 3 mois des relations diplomatiques mutuelles avec échange d’ambassadeurs. Au préalable, Rusk avait confié à Lodge : « Nous pensons que la guerre peut être gagnée et considérons l’approche française comme une avenue de désastres susceptible de mener au contrôle communiste de tout le Vietnam et de l’Asie du Sud-Est. » (cité in Journoud, 2011, p. 144) De Gaulle voit là, au contraire, un moyen de se mettre d’accord avec les Chinois pour convaincre les Américains de travailler à la réunification d’un Vietnam neutre. Mais ne s’illusionne-t-il pas ? Car, pour Jornoud, « la Chine jusqu’auboutiste de 1964 [qui] n’était plus celle, habile et temporisatrice, de 1954 » (Journoud, 2011, p. 146). Autres illusions gaulliennes : quel poids peut vraiment peser la France au cœur même de la guerre froide ? Et ce peuple n-v, qui se bat depuis plus de 20 ans dans la foi du communisme, a-t-il vraiment l’intention de devenir neutre ?
30 janvier 64 : Premier coup d’État depuis la chute de Diem. Prise du pouvoir par le général Nguyen Van Khanh (opération « Purge »). Il demeurera en place jusqu’au 20 février 1965. Selon l’ancien président de l’assemblée nationale s-v, « pas un seul coup de feu n’a été tiré. C’était une véritable révolution de Palais. » (Truong Vinh Le, 1989, p. 125). C’est en fait le début d’une longue série de coups d’État à venir au S-V suite la mort de Diem… (Sheehan, 1990, pp. 449-450)
Selon McN, les États-Unis « n’avai[ent] ni encouragé ni aidé ce putsch. » (McNamara, 1996, pp. 117-118) mais l’ont avalisé par le soutien inconditionnel d’Harkins (commandant le M.A.C.V. et ancien soutien de Diem) au projet. Même s’il n’a été que tardivement mis dans la confidence, le rôle de l’ambassadeur Lodge demeure ambigu. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a rien fait pour contrarier ce qui se tramait et prévenir les généraux menacés.
Le seul civil voulu par les Américains de l’ancien gouvernement, le premier ministre Nguyen Ngoc Tho, est arrêté. Accusés d’être favorables au neutralisme gaullien, les généraux ayant participé au putsch contre Diem Tran Van Don (Défense), le Van Kim, Ton That Dinh (Intérieur), Mai Huu Xuan et Nguyen Van Vi (rentré depuis peu de Paris après la chute de Diem) sont également arrêtés et mis en résidence surveillée à Dalat par des hommes de la Garde nationale diligentés par Duong Van Minh, désormais président du nouveau Conseil militaire révolutionnaire.
Mais Don apprend que ce sont les généraux Nguyen Khanh et Khiem (voir ci-dessous) qui sont en fait à l’origine de ce coup d’État. Khanh n’a pas été impliqué directement dans la chute de Diem et est soutenu par les Américains. Quant au nouveau ministre de l’Intérieur, le général Le Van Kim, il n’aurait même pas été mis au courant de ces arrestations. Les ex-putschistes sont emmenés à Saigon puis vers My Khe, localité proche de Da Nang, dans la résidence de l’homme d’affaires Nguyen Van Buu (Tran Van Don, 1985, pp. 178-180 ; archives déclassifiées de la C.I.A., 30 janvier 1964, TDSDB-3/659,315).
Nguyen Khanh devient très temporairement le nouvel homme fort du régime dont le but est d’instaurer une dictature militaire. Il a bénéficié de la passivité du général Tran Thien Kiem, commandant la 3e Région militaire, qui a refusé de soutenir Duong Van Minh et a obtenu l’appui d’Harkins (commandant le M.A.C.V.). Une nouvelle junte de généraux proaméricains prend les rênes du pouvoir : Tran Thiem Kiem, Le Van Kim (Intérieur), Do Cao Tri, Nguyen Huu Co, Le Van Nghiem, Pham Xua Chieu, Tran Van Minh, Nguyen Van Thieu (futur président du S-V), Lam Van Phat, Duong Van Duc (Truong Vinh Le, 1989, p. 125).
Selon une note du S.D.E.C.E. du 10 mars 1964, le commandant Nhung, l’exécuteur de Diem et Nhu, aurait été assassiné ce jour, sans doute sur ordre de Khanh parce qu’il aurait révélé des informations sur les agissements de ce dernier sous le régime diémiste (Journoud, 2011, p. 468, note 47).
31 janvier 64 : Tran Van Don et les généraux arrêtés sont informés qu’un Conseil révolutionnaire des forces armées est constitué sous la présidence de Khanh (Tran Van Don, 1985, p. 183). Ils sont transférés et isolés à Tien Xa dans une base de station radar américaine en construction proche Da Nang où ils demeureront trois semaines (Tran Van Don, 1985, p. 184). Ils ignorent les raisons de leur arrestation. On les accusera ultérieurement, en février, « de promouvoir une politique « neutraliste » » (Tran Van Don, 1985, p. 185). Ce concept avait été promu par De Gaulle (voir 29 août 1963) et ces généraux sont tous de formation française. Ils n’inspirent donc pas confiance aux Américains.
Dans une conférence de presse, De Gaulle rappelle qu’il n’y a aucune solution politique en Indochine en dehors de l’influence chinoise et que la neutralisation de la péninsule ne pouvait se faire sans l'accord de la Chine (De Quirielle, 1992, p. 36).