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par Jean-François Jagielski

Janvier 1962

Début 62 : Premières rencontres entre Diem et McN. Selon les mémoires de ce dernier : « Diem, les personnalités qui l’entouraient et les structures politiques qu’il avait construites étaient coupés du peuple vietnamien.  Jamais il n’avait établi de lien fort avec la population. Nous nous étions complètement trompés sur ce point. Comme il n’était guère communicatif et appartenait à un milieu culturel très différent, Diem était une énigme pour moi et, en fait, pour pratiquement tous les Américains qui l’ont rencontré. Je ne le comprenais pas. Il m’apparaissait comme un autocrate soupçonneux, secret, isolé du peuple […] Nous mettions – avec raison - à la décharge de Diem qu’il se trouvait confronté à une tâche extrêmement difficile dans ses efforts pour édifier une nation profondément divisée par ses divergences politiques et religieuses, et cela face à la détermination du Nord-Vietnam d’imposer son pouvoir. Quelles qu’aient pu être ses fautes – et elles ont été nombreuses –, je croyais avec d’autres, que se donner pour perspective de trouver meilleur que Diem était au mieux une entreprise risquée. » (McNamara, 1992, pp. 54-55)

Bernard Fall qui bénéficie de l’un des rares visas accordé à un Français pour se rendre au N-V interviewe le premier ministre Pham Van Dong qu’il ne trouve pas inquiet mais plutôt amusé par l’amplification de l’aide américaine. Dong ironise sur Diem et son impopularité mais aussi sur le fait que l’aide américaine allait le rendre encore plus impopulaire (Halberstam, 1974, p. 219).

Kennedy demande à Hilsman et Forrestal (des proches d’Harriman) de contrôler les militaires qui essaient d’obtenir des décisions sans passer par lui, avec l’aide tacite de McGeorge Bundy (utilisation du napalm demandée par le général Harkins, personnage détesté par Kennedy ; défoliation des cultures et des voies de communication, contraires à la Convention de Genève ; utilisation du Triangle de Fer (au nord-ouest de Saigon) pour larguer les surplus de bombes au retour des missions aériennes). Kennedy n’autorise alors qu’un usage limité de ces moyens. Il commence à comprendre que les gens de Saigon – le général Paul Harkins et l’ambassadeur Nolting – en font plus que ce que demande Washington (Halberstam, 1974, pp. 247-249).


1er janvier 62 : Harkins prend le commandement des forces américaines à Saigon (M.A.A.G). Selon Halberstam, celui-ci ne connaissait rien à la guerre de guérilla et « en fait […] ne connaissait pas grand-chose aux rudiments de la tactique d’infanterie. » Le général doit en grande partie sa nomination au Vietnam au général Taylor (conseiller militaire de Kennedy) qui voulait un homme non-conventionnel à la tête des troupes (Halberstam, 1974, pp. 215-216). Le président ne l’apprécie pas.


3 janvier 62 : Lors d’une réunion à Palm Beach, Kennedy explique au général Harkins (dirigeant du M.A.A.G.) ce qu’il attend de lui : « Je veux que vous aidiez le président Diem à stopper l’avance des communistes et construire son armée. Il y a 800 conseillers présents [chiffres sous-estimés dans la bouche du président, voir 9 janvier] et si vous avez besoin de plus, faites-le savoir. » (cité in Pericone, 2014, p. 61) Harkins a donc un feu vert présidentiel dont il ne se privera pas.


9 janvier 62 : Un résumé de la situation militaire adressé à Kennedy et contenu dans le dossier du Pentagone indique :

que le nombre d’Américains au S-V est passé de 948 à la fin novembre 1961 à 2 646 au 9 janvier et sera de 5 576 vers le 30 juin.

que des escadrilles d’hélicoptères avec des troupes aéroportées sont opérationnelles et entraînent les S-V à ce genre d’opération.

que des dragueurs de mines sont opérationnels dans la région de Danang.

que des vols de surveillances et de reconnaissance sont assurés par des avions venant de Thaïlande ou appartenant à la 7e Flotte.

que 6 avions C-123 équipés de pulvérisateurs à défoliants reçoivent autorisation d’entrer au S-V (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 138).


11 janvier 62 : Dans son message au Congrès sur l’état de l’Union, Kennedy précise en parlant du Sud-Vietnam : « L’agression systématique qui fait maintenant couler le sang dans ce pays n’est pas « une guerre de libération » car le Vietnam est déjà libre. C’est une tentative d’asservissement à laquelle on saura résister. » (cité in  Johnson, 1972, p. 81)

Au Cambodge, inaugurant une école primaire à Chhouk dans la province de Kampot, Sihanouk prononce une allocution ambivalente aux tournures parfois anticommunistes : « […] La prospérité d’un pays et le bonheur d’une nation ne se mesurent pas à leurs bonds en avant en ceci ou cela, mais à la façon harmonieuse dont on a su concilier les besoins et intérêts de l’État avec ceux de l’individu. Le communisme, précisément, rompt cette harmonie dans sa recherche du maximum de profit et de puissance pour l’État au détriment de l’individu qui est exploité dans ses capacités de travail, de production, et frustré de ses droits élémentaires à la liberté, à organiser sa vie comme il l’entend. »

Il ajoute également : « Je n’ai pas l’intention de vous inciter à repousser le communisme […] Le communisme a ses inconvénients, il a aussi ses avantages, c’est à notre peuple de peser les uns et les autres. Il décidera de la voie à suivre. Et je l’approuverai toujours. Mais je ne saurai approuver le clan Prachéachon, et surtout je ne saurais lui permettre de faire du Cambodge, notre Patrie, un second Laos ou un second Vietnam, tant que notre peuple ne me dira de le laisser faire. » (cité in Tong, 1972, p. 90-91)


12 janvier 62 : Roger Hilsman (directeur du Bureau du renseignement et de la recherche du Département d'État) présente le plan intitulé A strategic concept for South-Vietnam adressé à Taylor (conseiller militaire présidentiel), dans lequel il déclare que la guerre était avant tout une lutte politique : « Le concept stratégique d'une opération de contre-insurrection efficace au Sud-Vietnam s'exprime dans les principes suivants : Premier principe. Le problème posé par le Viet Cong est un problème politique et non militaire – ou, plus exactement, c'est un problème d'action civique. L'objectif est de couper les Viet Cong de leurs sources de ravitaillement et de recrues. Étant donné que les approvisionnements et les recrues viennent du Sud-Vietnam, cela signifie couper l'accès des Viet Cong aux villages et à la population. » On y présente également le concept des « hameaux stratégiques » à un Kennedy enthousiaste. Le général McGarr (ancien commandant du M.A.A.G., prédécesseur de Harkins), moins enthousiaste, s’y rallie bon an mal an en proposant de l’essayer dans « une zone test ». Ses réticences viennent essentiellement du fait que le très impopulaire Nhu (frère de Diem) est aux commandes du projet (Tenenbaum, 2010, p. 130).


13 janvier 62 : Les chefs d’état-major interarmes remettent à McN un mémorandum favorable à un engagement américain pour sauver le S-V du communisme. Ils mesurent les conséquences de la perte de l’Indochine à l’aune de la traditionnelle théorie des dominos : pertes de bases aériennes, navales et terrestres, perte de Singapour et la Malaisie, menaces sur l’Australie et le Japon. Ce serait également un moyen efficace d’empêcher la perte du Sud et renforcer le moral des troupes sud-vietnamiennes. Ils renouvellent donc leur demande d’envoi de forces terrestres combattantes pour « permettre aux forces vietnamiennes de passer d’une défense avancée ou statique à une contre-attaque massive contre l’insurrection communiste. » (McNamara, 1992, p. 53 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 183-185 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 137-139).

Première sortie d’avions américains participant à un raid en soutien aux troupes s-v. Jusqu’à la fin du mois, les Américains vont participer à 251 sorties (Pericone, 2014, p. 60).


15 janvier 62 : Officialisation au S-V du Parti populaire révolutionnaire (P.P.R.) (voir  18 - 20 décembre 1961). Il représente l’aile gauche du F.N.L. Ce parti, contrairement au Front dont il se réclame, ne cherche pas à dissimuler son obédience marxiste. Cette création permet aux N-V de mieux contrôler l’activité du F.N.L. voire de le noyauter (Lacouture, 1965, pp. 73-75).


18 janvier 62 : L’agence soviétique Tass commente la création du P.P.R. Nolting réagit à cette annonce et y voit la preuve que le F.N.L. est directement téléguidé par Hanoi (Lacouture, 1965, p. 74).

Une directive de Kennedy crée un groupe spécial de contre-insurrection dirigé par le général Maxwell Taylor (conseiller militaire présidentiel). Le frère du président, Robert Kennedy est associé à sa création (Wainstock, Miller, 2019, p. 174).


19 janvier 62 : Au Laos, malgré la signature d’un cessez-le-feu en mai 1961, les combats se poursuivent entre les forces de Phoumi Nosavan (proaméricain) et celles conjuguées du Pathet Lao et de Kong Le. Troisième tentative laborieuse depuis le début des négociations de Genève pour constituer un gouvernement de coalition. Selon Burchett, Phoumi Nosavan le dénonce 48 heures à peine après sa création (Burchett, 1970, p. 162).


21 janvier 62 : Premier raid aérien américain sur un village au Cambodge. Des civils sont tués. Pour éviter les réactions diplomatiques, les hauts fonctionnaires du département d’État demandent d’établir des restrictions concernant ces raids aériens en limitant les bombardements à de simples opérations d’appui de troupes au sol (Pericone, 2014, p. 64). Mais cette demande demeurera un vœu pieu.


27 janvier 62 : McN transmet le mémorandum des chefs d’état-major du 13 à Kennedy en n’y souscrivant pas et en précisant dans une lettre d’accompagnement : « Je ne me sens pas disposé à endosser l’expérience avec notre présent programme au Sud-Vietnam. » (McNamara, 1992, p. 54 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 183). C’est le début des tensions entre le pouvoir politique et les militaires au Vietnam.

​28 janvier 62 : Dans une émission de Radio Hanoi apparaît pour la première fois l’expression « Parti populaire révolutionnaire » suite à la rencontre qui a eu lieu du 18 au 20 décembre 1961 entre Nord et Sud-Vietnamiens. Ce parti est en fait une tentative de noyautage du F.N.L. par les N-V (Knöbl, 1967, p. 123).

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