Dernière modification le il y a un mois
par Jean-François Jagielski

Janvier 1955

Janvier 55 : Des 6 000 nationaux français qui demeuraient à Hanoi en juillet 1954, il n’en reste plus que 114. Preuve que le maintien d’une présence française au N-V est un échec presque total. Conscient de ce fait (voir 21 octobre 1954), Sainteny s’adressera au futur nouveau président du Conseil, Edgar Faure en ces termes : « C’est au moment où vous prenez la responsabilité du pouvoir [en février] que je me tourne vers vous pour savoir ce que nous devons faire de tout cela. Les positions que je suis parvenu à maintenir ou à rétablir doivent-elles être exploitées ou abandonnées ? »  (cité in Cadeau, 2019, p. 540). Il est de plus en plus perplexe quant au sens de la mission que la France lui a confiée sans, pas plus qu’avant  d’ailleurs, lui donner une vision claire de ce que l’on attend de lui.

Dans la première quinzaine de janvier paraît dans le journal France-Soir une série d’articles de Lucien Bodard (correspondant du journal en Indochine) sur le déroulement de la bataille de Dien Bien Phu. Les estimant être « un tissu d’inexactitudes et si venimeux », Navarre décide de « réagir ». Il demande à être reçu par le ministre de la Défense nationale Jacques Temple suivi d’une lettre redemandant la constitution d’une commission d’enquête qui restera une nouvelle fois sans réponse (Navarre, 1979, p. 403).


1er janvier 55 : L’instruction et l’organisation de l’A.N.V. est officiellement confiée au chef du M.A.A.G., le général O'Daniel, sous l'autorité « supérieure » mais en réalité de plus en plus symbolique, du commandant en chef des forces de l'Union française, le général Ély, qui conserve en théorie la direction stratégique du C.E.F.E.O. et de l’A.N.V. pour combattre le VM (Cournil, Journoud, 2011, p. 74).


2 janvier 55 : Venu de France où il était en exil, arrivée à Saigon de l’ancien président du Conseil Tran Van Huu (voir 3 mars 1951). Il est soutenu par la bourgeoisie et surtout par les ligues antidiémistes (voir mars 1955) qui voient en lui un potentiel remplaçant de Diem. Les Américains n’en veulent pas et le contrent. Durant la période de lutte contre les sectes, il est menacé par la visite de manifestants diémistes qui lui sont hostiles et l’accusent d’être un « suppôt du colonialisme ». Menacé par le gouvernement en place, il devra retourner en France (Truong Vinh Le, 1989, p. 29 ; Chaffard, 1969, p. 189). C’est par ce genre de pratiques que le régime diémiste entend se débarrasser de toute opposition au S-V.


13 janvier 55 : Stigmatisant l’attitude d’abandon et de compromission des gouvernements de la IVe République, le président du conseil national du R.P.F., René Capitant, dénonce dans un article prémonitoire publié dans L’Observateur le rôle de la France et des U.S.A. Ceux-ci vont avaliser le non-respect par Diem des accords de Genève lorsqu’il annoncera officiellement, le 9 août, son refus de procéder aux élections qui auraient dû avoir lieu le 20 juillet 1956 en vue de la réunification du Vietnam. Selon Capitant, « dans ce cas, le Nord aura une position morale d’une puissance extrême : il prendra acte de la violation de la convention et en rendra la France responsable puisqu’elle en est la seule signataire. » (cité in Journoud, 2011, pp. 68-69)


Mi-janvier 55 : Un article de Lucien Bodard (proche de Cogny) publié dans France Soir décide le général Navarre à présenter sa version des faits dans la défaite de Dien Bien Phu (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 242).


20 janvier 55 : L’hebdomadaire Jours de France publie un article intitulé « Le Général Navarre parle… » Cette publication provoque la colère du gouvernement Mendès France. Navarre prévoit également de faire valoir d’ici peu son point de vue dans Le Figaro (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 242 ; Navarre, 1979, p. 403).


21 janvier 55 : Navarre reçoit une lettre de Jacques Chevallier (secrétaire d’État à la Défense) avec lequel l’ancien commandant en chef est brouillé depuis son retour d’Indochine. Cette lettre lui enjoint de faire connaître d’urgence les raisons qui l’ont poussé à enfreindre son devoir de réserve « sans son autorisation ». Il reçoit la visite d’un émissaire de la présidence du Conseil qui lui fait part de l’interdiction de publier l’interview prévue avec Le Figaro. Un coup de téléphone lui fait savoir que Mendès France entendait le voir dès le lendemain  (Navarre, 1979, p. 403).

Diem remet à Collins une lettre dans laquelle il demande à ce que les U.S.A. assument désormais entièrement l’instruction de l’armée vietnamienne. Le commandement du général Ély au nom de l’Union française doit donc cesser, ce qui sera un fait accompli le 10 février (Chaffard, 1969, p. 187).


22 janvier 55 : Navarre est reçu par Mendès France. Le président du Conseil lui reproche son interview à Jour de France (voir 20 janvier) mais sans aller jusqu’aux sanctions que réclame Jacques Chevallier (secrétaire d’État à la Défense). Il lui interdit d’aller plus loin dans les révélations à la presse (article prévu dans Le Figaro). Navarre lui répond qu’il a agi par « carence » du gouvernement qui lui refuse la création d’une commission d’enquête et ne le défend pas. Mendès feint de n’avoir pas été mis au courant de cette demande mais concède finalement la tenue de ladite commission. Elle sera présidée par le général Catroux. L’ancien commandant en chef lui remet une note comportant les questions que cette commission d’enquête devra aborder (Navarre, 1979, pp. 404-405).

Ély rend compte à Paris du long entretien qu’il a eu avec Desai, le président indien de la C.I.C. Celui-ci convient avec le général français d’un durcissement de l’attitude du gouvernement de Hanoi sous l’influence conjuguée de la Chine et de l’U.R.S.S. Ces deux pays déplorent (à juste titre…) que les clauses politiques de l’article 14 de la convention de Genève soient ouvertement bafouées par le gouvernement de Diem qui ne les a pas reconnues ni signées et demeure plus que jamais complètement aligné sur la position américaine. La France, elle-même alignée sur cette position, n’y peut rien. Desai estime pourtant nécessaire qu’une haute personnalité française prenne nettement position sur les intentions du gouvernement français à faire respecter ce qu’il a signé à Genève au sujet de la tenue du référendum de juillet 1956 en vue d’une réunification du Vietnam. Ce que la France se gardera bien de faire, ayant, pour se débarrasser du bourbier indochinois, passé la main aux Américains depuis le 18 décembre 1954 (Devillers, 1988, pp. 372-373).


23 janvier 55 : La présidence du Conseil fait paraître dans la presse un communiqué indiquant que Navarre a demandé depuis son retour d’Indochine la création d’une commission d’enquête qui avait été dans un premier temps refusée. Ce premier refus a été motivé par le souci du gouvernement « d’être complètement informé » et « d’être en possession des rapports demandés » à l’ex-commandant en chef et à ses subordonnés (ce qui, en réalité, n’avait jamais été fait…). La demande de Navarre, faite à la veille de le rendre public, n’est finalement pas retenue dans ce communiqué… (Navarre, 1979, p. 405)


25 janvier 55 : Au Cambodge, démission de Penn Nouth et mise en place d’un gouvernement Leng Ngeth qui demeurera en place jusqu’au 3 octobre (Jennar, 1995, p. 149). Le parti démocrate, pourtant majoritaire, n’est pas représenté dans ce nouveau gouvernement. En fait, la tâche principale de ce cabinet est d’organiser le futur référendum de la « croisade royale pour l’indépendance ». (Tong, 1972, pp. 73-74).


30 janvier 55 : Maurice Couve de Murville, ambassadeur de France à Washington, qualifie le S-V de co-protectorat franco-américain (Journoud, 2011, p. 72). Le mot « protectorat » étant décidément toujours d’actualité dans la diplomatie française…

💬 Commentaires

Chargement en cours...