Janvier 54 : Au sud Laos, offensive vietminh en direction du pays thaï. Organisation en « hérisson » de Plei Ku.
Navarre n’ayant reçu aucune réponse du gouvernement sur ses demandes (renforts) et aucune directive gouvernementale sur la conduite des opérations missionne le colonel Féral (directeur adjoint du cabinet de commandant en chef) pour se rendre à Paris sur une période de 8 jours afin d’y rencontrer « des personnalités ministérielles du gouvernement [ainsi] que d’autres personnalités civiles et politiques ». Arrivé sur place, Féral se heurte à une forme d’indifférence voire à « un ennui [pour une guerre] coûteuse et lointaine ». A la fin de son séjour, Féral demande à être reçu par Laniel (président du Conseil). Pour toute réception, il doit se contenter de la remise d’une note laconique tapée à la machine (non signée, sans la moindre entête) qui lui est remise par le directeur de cabinet de Laniel : « Tenir à tout prix Luang Prabang, la capitale religieuse et Vientiane, la capitale politique dont les chutes auraient des répercussions imprévisibles sur l’Union française. » (l’Union française étant sur toutes les lèvres des politiques à Paris). Féral, de retour en Indochine, la remet à Navarre la note qui la lui rend sans un mot (Féral, 1994, pp. 68-69).
1er janvier 54 : Après ses protestations contre le manque de moyens (voir 11 septembre 1953), Navarre commence à sérieusement déchanter de nouveau (voir 31 décembre 1953). Demandant à nouveau des renforts en aviation, il écrit dans une lettre au gouvernement adressée à Marc Jacquet (États associés) : « En cas d’attaque, quelles sont nos chances de succès ? Il y a deux semaines encore, je les estimais à cent pour cent. C’était la bataille acceptée sur le terrain choisi par nous et qui se présentait dans les meilleures conditions contre un ennemi disposant des moyens que nous lui connaissions jusque vers le 15 décembre. Mais, devant les moyens nouveaux que les renseignements très sérieux nous annoncent, je ne puis vous garantir avec certitude le succès. C’est avant tout une bataille d’aviation [...] Si la bataille d’aviation est perdue, c'est-à-dire si l’ennemi réussit à mettre en œuvre ses moyens lourds, je ne puis garantir le succès. Or notre aviation est très faible en face de la tâche énorme qu’elle doit assumer [...] » (cité in Navarre, 1956, p. 208). En effet, avant même le début de la bataille, l’aviation, faute de moyens mais également – ce que semble alors ignorer Navarre (voir Rocolle, 1968, p. 321, note 183) – du fait d’attaques trop dispersées et de faible intensité, éprouve la plus grande peine à entraver les efforts des 75 000 coolies mobilisés pour améliorer et achalander les voies d’approvisionnement du VM vers Dien Bien Phu. Entre novembre 1953 et mai 1954, le nombre d’appareils de bombardement en action ne dépasse pas 5, la moyenne se situant la plupart du temps autour de 2 voire 1 seul (Cadeau, 2019, p. 627, note 15 ; Rocolle, 1968, pp. 318-319).
Le commandant en chef déplore à nouveau (voir 18 octobre 1953) l’absence d’engagement « concernant la capacité du Gouvernement vietnamien à mettre le pays dans la guerre. » (Navarre, 1956, p. 129)
Il observe les nouveaux éléments lui ont été communiqués par ses services de renseignement : présence d’une D.C.A. de 37 mm, probablement de l’artillerie lourde et des engins motorisés autour du camp retranché, un soutien aérien défaillant, nettement en deçà de ce qu’il devrait être (Gras, 1979, p. 530). Navarre précise alors dans sa lettre à Jacquet : « […] mais devant l’arrivée de moyens nouveau que des renseignements nous annoncent depuis deux semaines (D.C.A. de 37 mm, peut-être artillerie lourde et engins motorisés, je ne puis plus – si ces matériels existent réellement en nombre et surtout si l’adversaire réussit à les mettre en action – garantir avec certitude le succès. » (cité in Cadeau, 2019, p. 475) Malgré cette situation plus que préoccupante, aucune réponse gouvernementale ne lui sera donnée. Marc Jacquet se contentera de lui dire au cours d’un voyage ultérieur que sa missive avait été jugée à Paris « très pessimiste »…
Pour autant, Navarre ne change cependant rien au plan Atlante qui doit démarrer le 20 et dégager le Centre-Annam. Ce faisant, il disperse ses forces, là où il aurait fallu les grouper pour gêner la concentration du VM à partir du Delta.
La gestion des troupes d’Extrême-Orient qui jusqu’alors était confiée au Secrétariat d’État au relations avec les États associés revient désormais au ministère de la Défense nationale. C’est ce qui explique l’annonce de la future visite du général Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre, voir 17 – 28 janvier) (Rocolle, 1968, p. 334).
Cogny est à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).
Occupation du dernier point d’appui, Gabrielle, par le 5e bataillon du 7e R.T.A. (Pouget, 2024, p. 215).
3 janvier 54 : Navarre et Cogny sont à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).
4 janvier 54 : Navarre confie à Cogny le contenu grave de la lettre qu’il a adressée au gouvernement le 1er. Le commandant des T.F.I.N. ne partage pas ce pessimisme, à tel point que, si l’on en croit Navarre, celui-ci regrette presque de l’avoir envoyée (Navarre, 1979, p. 337).
5 janvier 54 : Giap se rend à Khuoi Tat, un poste de commandement provisoire situé à une quinzaine de kilomètres de Dien Bien Phu (description in Rocolle, 1968, p. 248). Il est accompagné du conseiller chinois Wei Guoqing. Sont déjà sur place 2 autres conseillers, Mia Gia Sinh et Hoang Van Thai. HCM est présent. Ce dernier confie à Giap : « Il faut vaincre. Ne livrez combat que si vous êtes sûr de vaincre. » Des propos qui expliqueront le futur revirement du général pour engager rapidement la bataille (voir 26 janvier) alors qu’il n’est pas sûr de pouvoir vaincre (Goscha, 2000, pp. 22-23 ; Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 86). A ce moment précis, les divisions 312 et 351 sont encore en route pour rejoindre le futur champ de bataille. Giap prend la décision de mettre en route le régiment 57 de la division 304 à marche forcée. Il arrivera devant Dien Bien Phu le 23 mais avec des hommes particulièrement fatigués (Rocolle, 1968, p. 248).
Concernant le projet d’opération Xénophon sur l’éventuelle nécessité de devoir évacuer Dien Bien Phu au cas où les choses tourneraient mal (voir 31 décembre 1953), Cogny écrit à Navarre : « […] je considère l’entreprise comme soumise à des aléas énormes, équivalant à une quasi-impossibilité. J’estime de mon devoir d’appeler votre attention sur le désastre qui doit normalement en résulter […] » Le commandant des F.T.V.N. rappelle ensuite « l’intention de conservation à tout prix de la base de Dien Bien Phu » voulue par le commandant en chef. Il ajoute : « Dans le but de ne pas briser le moral d’aucun des exécutants, et conformément à vos ordres, le colonel De Castries et ses subordonnés n’ont pas eu connaissance des études Ariane et Xénophon. » (Rocolle, 1968, p. 265, note 24).
5 – 9 janvier 54 : Au Laos, l’offensive du VM se porte sur la base de Seno qui sera toutefois dégagée. Un axe de communication, la R.C. 13, est rouvert. La ville de Thatkek est réoccupée par les Français. Les forces du VM se sont dispersées dans la jungle du Moyen-Laos et créent un climat d’insécurité permanent sur les communications françaises (Navarre, 1956, p. 173).
6 janvier 54 : Le commissaire général Dejean effectue une inspection de la région en compagnie de Navarre. Il s’est rendu à Dien Bien Phu et a écrit ensuite à Marc Jacquet (États associés) : « Notre commandement considère que la bataille, si elle est livrée par l’ennemi, sera très dure mais présente pour nous de sérieuses chances de succès. Jusqu’ici, l’armée du général Giap ne s’est jamais trouvée en face d’une mission aussi redoutable que celle d’attaquer Dien Bien Phu. » (cité in Laniel, 1957, p. 42)
Déclaration de Laniel devant la Chambre des députés. Les buts recherchés par la France en Indochine sont l’indépendance des États associés et la défense du monde libre sur le front du Sud-Est asiatique. Le gouvernement français souhaite négocier mais, du côté d’Ho Chi Minh, aucun signe concret ne laisse apparaître une telle disposition (Chauvel, 1973, p. 38).
8 janvier 54 : Réunion du C.N.S. américain portant sur la situation au Tonkin. Analyse d’une série d’options dont une intervention des forces terrestres dans une annexe à présenter au C.N.S. mais dont Eisenhower demandera la destruction. Il veut ainsi empêcher une intervention unilatérale des États-Unis à laquelle il n’est pas favorable. Le C.N.S. n’envisage une intervention américaine qu’au cas où la Chine entrerait directement dans le conflit comme ce fut le cas en Corée.
Au sein du Joint Chief of staff (état-major interarmes) dirigé par l’amiral Radford, on juge la situation inquiétante et on étudie jusqu’où les États-Unis peuvent contribuer pour éviter une défaite à Dien Bien Phu.
Eisenhower s’oppose toutefois à une intervention directe de l’aviation mais demeure favorable à l’envoi d’une assistance technique en faveur de l’aviation française. Le Président sait que le Congrès est opposé à une intervention unilatérale que, par ailleurs, ni lui ni l’opinion publique américaine ne souhaitent.
Il crée un « Comité spécial » dirigé par le général Bedell Smith (sous-secrétaire d’État) qui est chargé d’observer l’évolution de la situation. Une éventuelle intervention aéronavale demeure toutefois à l’étude (De Folin, 1993, pp. 247-248).
11 janvier 54 : Buu Loc (ex-ambassadeur en France, bon connaisseur des milieux politiques français, cousin de Bao Daï) est nommé au poste de cinquième président du Conseil qu’il occupera jusqu’au 16 juin 1954. Par la suite, ce poste ne sera plus occupé jusqu’au 26 octobre 1955, c’est à dire avant l’arrivée de Diem à cette fonction.
Un courrier de Cogny à Navarre signale 9 désertions au sein du 301e B.V.N. qui défend Isabelle. Cette unité avait été repliée de Laïchau. Navarre prescrira immédiatement son retrait. Elle n’est pas envoyée dans le Delta (cher à Cogny…) mais à Muong Saï, au moment même où la localité semble également menacée (Rocolle, 1968, p. 330, note 205).
Navarre reçoit les correspondants de presse à Saigon. La perte de Takkek (voir 26 et 27 décembre 1953) provoque toujours des remous dans l’opinion publique française. Bien que détestant ce genre d’exercice, Navarre parvient à désamorcer la polémique sans trop en dire sur ce qu’il entendait faire par la suite à Dien Bien Phu ou contre le Lien-Khu V (future opération Atlante) (Pouget, 2024, pp. 203-204).
12 janvier 54 : Le plan d’attaque de Dien Bien Phu est prévu pour le 20 janvier à 17 h 00. L’état-major vietminh et les conseillers chinois valident le plan « attaquer rapidement afin de gagner rapidement », en 2 jours et 3 nuits si possible. Mais celui-ci pourra être revu ultérieurement si nécessaire. Or c’est ce qui va se produire (voir 26 janvier) : les Français ont considérablement renforcé leurs effectifs dans le camp retranché et les Vietnamiens rencontrent des problèmes de logistique (transport de l’artillerie et de la D.C.A. en terrain accidenté). De plus, les troupes de Giap ne se sont jamais battues en plein jour dans une bataille de submersion à la chinoise (Goscha, 2000, p. 23).
Déclaration De Buu Loc (futur président du Conseil vietnamien) : « La première mission du gouvernement est de négocier avec la France l’indépendance totale du Vietnam, qui doit posséder tous les attributs reconnus par le droit international à un État souverain moderne. Le gouvernement accepte l’aide généreuse de la France dans le cadre d’une association basée sur l’égalité et destinée à garantir mais non à limiter l’indépendance des deux pays. » (cité in Chauvel, 1973, p. 36)
13 janvier 54 : Déclaration de Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) au Figaro : « Le Commandement français est sûr d’infliger une sévère défaite au Vietminh. Nous nous attendons à des combats durs et longs. Nous gagnerons. » (cité in Ruscio, 1985, p. 206) Un optimisme largement partagé tant par les hommes politiques que par la presse à cette époque.
14 janvier 54 : Giap convoque une réunion de ses cadres dans la grotte de Tham Phua. Sont présents les cadres supérieurs et secondaires des divisions, les commandants d’unités et leurs commissaires politiques, certains chefs de régiments et de bataillons. Il fixe la mission de chaque unité engagée en utilisant un plan relief du site de Dien Bien Phu qui, pour des raisons stratégiques, doit être attaqué sans que la date du 25 janvier soit pour le moment fermement établie (Rocolle, 1968, p. 247-248, note 142). Deux options s’affrontent : l’attaque rapide (en 2 jours 3 nuits, soutenue par les conseillers chinois) ou une attaque par étapes, de plus beaucoup longue haleine. Giap tranche dans un premier temps pour la première solution et fixe initialement le début de l’attaque au 25. Il estime alors disposer de troupes fraîches et considère que les fortifications françaises ne seront pas achevées à cette date. Malgré les gros effectifs concentrés autour du camp français, le VM ne connaît pas de difficultés majeures de ravitaillement (Gras, 1979, p. 534). Giap se ravisera totalement dès le 24.
Navarre sait désormais que le VM n’attaquera pas le Delta dans l’immédiat. Il écrit au maréchal Juin (conseiller militaire du gouvernement) : « Et c’est pour moi un grand soulagement, car on ne savait pas très bien ce qui pouvait sorti d’une bagarre menée par 5 divisions régulières (avec appui de mortiers de 120, de bazookas de 90 et de canons de 75) conjuguant leurs efforts avec ceux de 75 à 80 000 combattants de toute nature normalement infiltrés dans nos lignes. » (cité in Pouget, 2024, pp. 163-164). Même si à cette date, il est encore possible d’évacuer Dien Bien Phu, le commandant en chef renonce à livrer la capitale laotienne Luang Prabang et à s’engager dans des combats risqués durant 5 à 6 mois dans le Delta.
Après avoir obtenu un feu vert présidentiel, Dulles envoie provisoirement 200 techniciens de l’aviation américaine au Vietnam pour assurer la maintenance des avions de chasse français (voir février 1954).
Mise en place du gouvernement Buu Loc qui ne satisfait personne : ni les nationalistes ni les sectes. Dans cette nouvelle formation, seuls deux ministres appartiennent au Daï Viet (Gras, 1979, p. 540).
15 janvier 54 : La route d’approvisionnement du champ de bataille ouverte depuis le 6 décembre 1953 (annonce de la mobilisation générale) atteint la plaine de Dien Bien Phu. 70 000 coolies et 35 000 combattants ont été ravitaillés par l’aide chinoise dans toute la Haute Région (Rocolle, 1968, p. 240, note 123). Giap dispose à cette date de 30 bataillons réguliers, de 24 canons de 105 mm, de 24 canons de 75 de montagne, de mortiers lourds, de D.C.A. et d’unités de génie (Pouget, 2024, p. 163).
Cogny est à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).
Mi-janvier 54 : Alors que jusqu’alors la chose avait été gardée secrète au niveau des exécutants, Navarre demande à Cogny « de faire étudier discrètement par De Castries la possibilité d’une évacuation de Dien Bien Phu, pour le cas où la situation deviendrait trop critique. » Cogny lui répondra le 21 (Navarre, 1979, p. 337).
16 janvier 54 : Le VM a pris du retard dans l’acheminement des grosses pièces d’artillerie qui doivent emprunter des chemins sinueux en forêt particulièrement pentus. Ce qui avait été prévu en 3 nuits n’a pas été réalisé au bout de 7 et les pièces ne sont pas toutes arrivées à destination. L’ouverture du feu demeure pour l’instant toujours prévue le 25 à 17 heures (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 86).
La France demande aux États-Unis des avions mais également 400 spécialistes en aéronautique militaire dont elle manque cruellement pour l’entretien du matériel américain (Gras, 1979, p. 541).
17 – 28 janvier 54 : Visite au Tonkin du général Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre). Depuis le 1er janvier, la gestion des troupes d’Extrême-Orient est assurée par le ministère de la Défense nationale. Le général Blanc n’est pas, de longue date, favorable au maintien des troupes françaises au Tonkin. Il rencontrera Pleven à Saigon le 10 février pour lui dire tout le mal qu’il pense de la base aéroterrestre de Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 334).
Nuit du 16 au 17 janvier 54 : Le P.C. de campagne de Giap déménage de la grotte de Tham Phua au village de Na Tau à 22 km de distance de Dien Bien Phu. Les officiers d’état-major se répartissent le contrôle des préparatifs de l’attaque et prennent en compte les retards accumulés au fil des jours et surtout des nuits : plus de la moitié de l’artillerie qui devait être en place le 18 ne le sera pas du fait des importantes difficultés d’acheminement des pièces lourdes (qu’il faut parfois démonter puis remonter une fois qu’elles sont arrivées sur place). Giap discute de la situation avec le conseiller chinois Wei et décide de reporter l’attaque du camp retranché de 5 jours, soit pour le 25 janvier (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 108).
17 janvier 54 : Entrée en fonction du président de la République René Coty en remplacement de Vincent Auriol. Laniel reste aux affaires (voir 30 janvier).
18 janvier 54 : Giap projette de différer l’attaque générale telle qu’elle avait été pensée initialement lors de la réunion du 14. Plusieurs raisons motivent ce choix : les stocks de munitions sont jugés insuffisants ; il faut mieux protéger l’artillerie ; les Français ont renforcé le dispositif de défense du camp retranché ; il faut encore renforcer la D.C.A. dont on attend de nouvelles pièces. Le commandant en chef se contente donc d’isoler encore plus le camp retranché en nettoyant la vallée de la Nam Hou avec la division 308 qui a quitté Dien Bien Phu pour prendre la direction de Luang Prabang d’où il craint de voir arriver des colonnes ennemies capables de contre-attaquer son dispositif.
Un groupement français se dérobe à l’ouest de la capitale laotienne à Muong Saï et bloque la division 308 qui a désormais de plus en plus de mal à se ravitailler. Cette division d’élite du VM s’arrête à Nam Bac à mi-chemin entre Dien Bien Phu et Luang Prabang. Elle reviendra finalement reprendre sa place autour de Dien Bien Phu le 23 février (Gras, 1979, pp. 534-535).
Réunion d’Eisenhower avec ses proches conseillers : les frères Dulles, l’amiral C. Davis, W.B. Smith et R. Kyes (département de la Défense) et C.D. Jackson (conseiller personnel d’Eisenhower). Un comité et un groupe de travail est constitué pour suivre l’évolution de la situation au Tonkin.
20 janvier 54 : Tout en maintenant un choix défensif à Dien Bien Phu, lancement de la première phase de l’opération offensive Atlante sur les Hauts Plateaux d’Annam, au sud de Tourane (Da Nang). Elle se produit dans un premier temps sur une vaste zone côtière occupée depuis 1945 par le VM. Navarre y attache une grande importance tant sur le plan stratégique (liquider la région problématique du LK 5) que politique car y sont impliquées des unités vietnamiennes (sous le commandement d’un Bao Daï qui ne cesse de se récuser) et il a été prévu une remise immédiate du territoire aux autorités vietnamiennes, dès leur reconquête (Ély, 1964, pp. 44-45 ; Grinchenko, 2008, pp. 35-65). L’opération vise à repousser les forces vietminh du sud vers le nord. Les forces engagées sont importantes : 25 bataillons franco-vietnamiens, 3 groupes d’artillerie, 2 escadrons blindés et 4 compagnies de génie, en tout pas moins de 45 000 hommes. Navarre justifiera ultérieurement cet engagement en prétextant avec une certaine mauvaise foi que l’essentiel de ces troupes ne pouvait être envoyées au Tonkin faute de moyens de transport, y compris les parachutistes... On occupe d’abord la province de Phu Yen (au nord de Na Trang). Selon une méthode rôdée, le VM s’esquive dès après le débarquement d’un commando de marine (Gras, 1979, pp. 532-533).
Le VM termine en 2 mois l’aménagement de la voie de ravitaillement entre Tuan Giao (50 km au nord-est de Dien Bien Phu) et Dien Bien Phu (soit 80 km) par un recours massif à la main d’œuvre fournie par la récente mobilisation générale (voir 6 décembre 1953) et ce, malgré les interventions aériennes françaises dont l’efficacité demeure par ailleurs très faible pour contrer la réalisation de cette artère vitale pour le VM.
Début de la mise en place des obusiers de 105 mm vers leurs emplacements de tir. Cette tâche initialement prévue sur 3 nuits ne sera achevée qu’au bout de 7 (Rocolle, 1968, pp. 250-251).
21 janvier 54 : Dans une réponse adressée au courrier de Navarre de la mi-janvier, Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) réaffirme : « Je me permets d’insister respectueusement auprès de vous pour que soit maintenue à tout prix l’intention de conservation à tout prix de la base de Dien Bien Phu. » (cité in Navarre, 1956, p. 240) Depuis fin décembre, il ne peut d’ailleurs en être autrement. Les plans d’évacuation de la base aéroterrestre prévus par Navarre ne peuvent plus désormais être appliqués. Les relations entre Navarre et Cogny se tendent, ce dernier n’obtenant pas les renforts nécessaires aux opérations du Nord, notamment pour la défense du Delta auquel le commandant des F.T.V.N. reste très attaché (Féral, 1994, p. 69).
22 janvier 54 : Cogny est à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).
22 – 30 janvier 54 : Venue à Dien Bien Phu de 3 officiers américains en mission de conseil contre la D.C.A. (Rocolle, 1968, p. 291, note 97).
23 – 25 janvier 54 : Un rapport de De Castries indique : « Le resserrement du dispositif viet-minh se fait tout à coup sensible, avec de nombreux contacts de patrouilles au cours des nuits du 21 au 23, des contacts rapprochés au cours des journées du 24 au 25 et le harcèlement de nos sonnettes au cours de la nuit du 25 au 26. » (cité in Pouget, 2024, p. 222).
23 – 27 janvier 54 : Réunion du comité militaire du Lao Dong. On y décide de porter tous les efforts sur le Laos et le Centre et le Sud-Vietnam. Le Delta est définitivement délaissé car considéré comme « une partie dure à éviter » tandis que les autres régions sont considérées des « parties molles » où les actions offensives peuvent être plus rentables (Rocolle, 1968, p. 191).
Nuits du 24 au 25 et du 25 au 26 janvier 54 : Mise en place des unités vm face aux centres de résistance du Nord (Béatrice, Gabrielle et Anne-Marie). Pas d’attaque mais on teste les postes d’écoute des différents centres de résistance.
25 janvier 54 : Giap décide de différer l’assaut sur le camp retranché de Dien Bien Phu qui, jusqu’alors, répondait à la directive « Attaque éclair, victoire rapide » et avait initialement été fixé ce jour à 17 h 00 (voir 26 janvier). Le commandant en chef du VM constate alors : « Des insuffisances dans les préparatifs se sont fait jour également de notre côté. » Elles concernent l’approvisionnement du champ de bataille, notamment le manque d’obus pour alimenter l’artillerie estimés insuffisants, y compris pour mener une attaque courte mais intense.
Le commandement français avait été mis au courant de ce revirement par la capture d’un capitaine de la division 312. Selon Bui Tin (officier, responsable du centre de formation de la division 304), « cette décision faillit entraîner une mutinerie. Du général le plus gradé au soldat de base, tout le monde protesta […] Même les généraux Hoang Van Thai, Le Liem et Dang Kim Giang, responsables du front du Comité militaire du Parti – dont Giap était le secrétaire – étaient opposés à la décision de ce dernier. Mais celui-ci souligna qu’en tant que commandant en chef à qui Ho Chi Minh avait donné le pouvoir, il avait autorité pour interrompre l’opération. Aucune discussion ne serait admise. Il n’y avait qu’à lui obéir et il s’expliquerait par la suite. » (Bui Tin, 1999, pp. 41-42)
Giap a modifié ses plans du 14 et se dirige désormais vers une bataille plus longue selon le principe fondamental de la guerre révolutionnaire : « N’attaquer que lorsque l’on a la certitude de la victoire, sinon s’abstenir ». Il s’en justifiera le 7 février. Pour le VM, la bataille devient avant tout un grave problème de logistique auquel il a déjà été récemment confronté au Laos : soutenir une armée de 100 000 hommes dont 80 000 d’entre eux sont fortement éloignés de leurs bases de ravitaillement avec une seule voie pour alimenter tout le Nord-Ouest (camions et coolies fournis par les Chinois). 2 centres de logistique sont alors établis : Tuan Giao (une trentaine de km au nord-est de Dien Bien Phu) et Cho Chu (près de Thaï Nguyen).
Giap réalise une opération de diversion avec la division 308 qui se dirige vers Luang Prabang. Mais elle s’arrête à mi-chemin et se contente de tâter les défenses de Luang Prabang et Muong Sai avec des détachements légers. L’unité subit des attaques aériennes et connaît des difficultés de ravitaillement car ses arrières sont coupés par la base de Dien Bien Phu. La division 308 rejoindra à nouveau le camp retranché à partir du 23 février (Navarre, 1965, p. 171).
Création en cours du centre de résistance Huguette (à l’ouest) (Rocolle, 1968, p. 239, note 121).
Selon Pouget, rencontre dans l’après-midi entre Cogny et Marc Jacquet. Cogny émet des réserves sur les chances de réussite de la base de Dien Bien Phu, à tel point que Jacquet lui aurait demandé comment les troupes du Tonkin encaisseraient un échec du camp retranché (Pouget, 2024, p. 229).
25 janvier - 18 février 54 : Conférence quadripartite de Berlin, à l’issue de laquelle les Quatre Grands décident de tenir en avril, à Genève, une conférence sur les problèmes internationaux (Allemagne) et la résolution des conflits coréens et indochinois (Cesari, 2008, p. 8). Se sont retrouvés à Berlin 4 ministres des Affaires étrangères. Celui des États-Unis (John Foster Dulles), de Grande-Bretagne (Anthony Eden), de France (Georges Bidault) et, fait important, de l'Union soviétique (Vyacheslav Molotov). Ils conviennent de convoquer une conférence internationale plus large à Genève pour discuter d'un règlement pour la guerre de Corée mais aussi à celle d'Indochine. La France, invitée lors de la conférence des Bermudes (voir 7 décembre 1953), sort satisfaite de cette décision obtenue à Berlin par son représentant, Georges Bidault.
Pour autant, d’entrée, les Américains ne sont pas vraiment favorables à la tenue d’une conférence genevoise. Dulles n’exclut pas pour l’instant une éventuelle action militaire combinée avec les Français et les Britanniques en Indochine. Une position qui a pourtant été rejetée par ces 2 nations qui veulent éviter toute action pouvant compromettre la tenue de la conférence genevoise. Dès la conférence de Berlin, Dulles, craignant trop de concessions françaises en vue de sortir du conflit, est opposé à ce que la question du rétablissement de la paix en Indochine soit abordée à Genève. Les U.S.A. sont donc favorables à une poursuite de la lutte anticommuniste mais sans y être impliqués directement autrement que financièrement. Selon Navarre, ni lui ne le commissaire général Dejean n’ont été mis directement au courant du projet de la conférence de Genève décidé à Berlin (Navarre, 1956, p. 182). Le commandant en chef n’apprendra cette information cruciale que lors de la visite de la venue de la mission Pleven (voir 9 - 25 février).
Selon Pouget, au moment où a lieu la conférence de Berlin, Jacquet (États associés), De Chevigné (secrétaire d’État à la Défense) et Pleven (ministre de la Défense) sont présents en Indochine. Ils sont donc forcément au courant de ce qui s’y décide. Navarre confiera en mars 1954 à son aide de camp que ni lui ni le commissaire général Dejean n’ont été informés de ce qui se disait à Berlin au moment de la conférence. Selon Navarre, Pleven restera tout aussi évasif lors de leur rencontre à Dalat le 21 février (Pouget, 2024, pp. 245-246).
25 janvier – 13 mars 54 : Le VM éprouve des difficultés de ravitaillement dont témoigne un officier de la division 312 : « […] Durant tout ce temps notre ravitaillement fut très malaisé. Le front était à cinq ou six cents kilomètres des arrières, cinq à six cents kilomètres d’une route très accidentée, à travers la jungle. Nous manquions de viande et de légumes. Rien que du riz gluant que nous ne savions pas faire cuire. Pas même de tabac. Le nombre des malades augmentait […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 324) Seul l’approvisionnement massif en provenance de la Chine permettra de remédier à la situation.
26 janvier 54 : En provenance de Vientiane, arrivée à Hanoi de Marc Jacquet (relations avec les États associés), du général Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre) et de Dejean (commissaire général). Tous dînent autour du ministre à midi avec Cogny à la résidence de France avant un départ pour Dien Bien Phu. Selon Pouget, le ministre demande à Cogny si l’attaque du VM aura lieu cette nuit. Cogny lui répond d’une voix ferme qu’il l’espère (Pouget, 2024, p. 223). Pouget va être, pour le cinquième fois, du voyage vers Dien Bien Phu avec des officiels. Il laisse entendre que le camp retranché est depuis quelque temps le lieu à voir par excellence. Il dresse la liste des 16 personnages civils et militaires (Pouget, 2024, p. 227, note 7) qui y ont séjourné mais rappelle qu’il y également eu des « officieux » qu’il évalue à une cinquantaine de personnes.
Navarre et Cogny se rendent donc à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47). Ils accompagnent le très bref passage du général Blanc. Marc Jacquet et Dejean sont présents (Rocolle, 1968, p. 334). Le général Blanc n’a aucune confiance dans l’idée d’un camp retranché et le dira d’ailleurs nettement à Pleven le 10 février. Selon Pouget, à bord de l’avion en phase de descente, Navarre demande à Blanc ce qu’il pense du camp retranché. Faisant une moue dubitative, sa réponse est pour le moins laconique : « Mais c’est Verdun, voyons ! » (Pouget, 2024, p. 224).
Giap affine sa stratégie et la modifie encore. Deux options s’offraient à lui pour prendre le camp retranché de Dien Bien Phu : l’assaut par vagues de submersion (rapide mais très coûteuse en vies humaines) ou l’attaque secteur par secteur, plus laborieuse mais aussi plus sûre. Il renonce à la première solution, contrariant en cela les conseillers chinois adeptes de cette méthode depuis la guerre de Corée (Ruscio, 1992, p. 195). Il s’agit maintenant d’« attaquer sûrement afin d’avancer sûrement » en attendant l’arrivée et l’installation de la totalité de l’artillerie et des batteries de D.C.A. C’est ce que HCM a demandé à Giap le 5. Au final, les conseillers chinois se rangent à cet avis de prudence (Goscha, 2000, p. 23).
Giap arrête donc définitivement sa décision de différer l’attaque du camp retranché (voir 25 janvier). Il évoque dans ses mémoires « la décision la plus difficile » de sa vie de commandant car elle heurte son état-major et plus généralement son armée (voir 25 janvier). Deux motivations expliquent cette prise de décision : le degré d’impréparation de son plan d’attaque mais sans doute également l’issue des discussions internationales qui vont inévitablement avoir lieu à Berlin sur le sort de la Corée et de l’Indochine (voir 25 janvier – 18 février) (Cadeau, 2019, pp. 475-476). Les ordres de Giap sont donnés à toutes les unités. Ils ne sont pas discutables : « La détermination d’anéantir Tran Dinh reste inchangée. Mais la tactique d’attaque a changé. Camarades, je vous ordonne de retirer vos pièces vers le lieu de regroupement à 17 h aujourd’hui, en vue d’une préparation nouvelle. Exécutez strictement l’ordre ! Ne pas expliquer ! » (cité in Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 115).
Quelques heures après avoir pris cette décision, Giap ordonne à la division 308 de se mettre immédiatement en route en direction de Luang Prabang (Laos) en vue d’accomplir une diversion visant à désorienter les Français et leur faire croire que la division 308 est repartie vers le Delta (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 121). Mais faute de renseignements sur les forces ennemies au Laos et de soutien logistique adéquat, l’affaire tournera court.
Marc Jacquet (États-associés), Maurice Dejean (commissaire général), Navarre et Cogny se rendent à Dien Bien Phu. Ils sont tous dans l’expectative : soit l’attaque du VM va être déclenchée dans le nuit du 26 au 27, soit l’adversaire n’osera pas attaquer (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 87).
Selon Pouget, à Hanoi, « une seule question tourmente les patrons et les états-majors. Pourquoi Giap a-t-il renoncé à attaquer ? » Nombre de spéculations fusent alors que tous les indices pesaient en faveur d’une attaque pour le 25 (Pouget, 2024, p. 230). La patiente et prudente stratégie de Giap semble toujours leur échapper…
27 janvier 54 : Du fait de son récent revirement quant à la date de l’attaque du camp retranché, 2 nouvelles opérations de diversion de Giap (voir 20 décembre 1953) sont programmées. Il envoie une partie de la division 308 marcher sur Pleiku (Centre-Annam) (Gras, 1979, p. 534). Pour encore mieux brouiller les pistes, il ordonne en même temps à une autre partie de la division 308 de quitter les abords de Dien Bien Phu et de marcher sur Luang Prabang (voir 6 février) (Cadeau, 2019, p. 478).
28 janvier 54 : L’offensive des forces du L.K. 5 (30 000 hommes, 12 bataillons réguliers et 5 à 6 bataillons régionaux de très bonne qualité) est déclenchée et affecte en Annam le nord des Plateaux montagnards (carte in Tertrais, 2004, p. 29). Les Français sont contraints d’évacuer Kontum (qui tombe ce jour) et se replient sur Ankhe et Pleiku qui sont défendus par leurs garnisons. Cette situation préoccupante est donc contrariée par le déclenchement anticipé de l’opération Atlante (voir 20 janvier), voulue par Navarre et qui mobilise à elle seule 5 G.M. Les troupes mobilisées dans le cadre de ce qui devait être la seconde phase de cette opération se trouvent donc mobilisées pour faire face l’attaque du VM (Navarre, 1956, pp. 174-177).
30 janvier 54 : La première décision prise par le comité américain constitué pour étudier la situation en Indochine (voir 18 janvier) est l’envoi de 200 techniciens aéronautiques et de 22 bombardiers B-26 (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 59-62). L’aviation française est toujours en sous-effectif et dépend de cette aide qui ne sera toutefois que temporaire (voir février). Contre l’avis des Américains, le gouvernement français avait antérieurement refusé de former un personnel aéronautique qui lui fait maintenant défaut.
31 janvier 54 : Le P.C. de Giap est transféré de Muong Phang dans une forêt vierge au pied du massif Phu Muong Mea (est de Muong Thanh). Il y demeurera jusqu’à la fin de la bataille (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 87 ; carte, ibid., p. VI).
Les centres de résistance situés à l’est du camp retranché reçoivent les premiers tirs de harcèlement (calibre 75 sans recul et mortiers) (Rocolle, 1968, p. 263).
Fin janvier 54 : Dien Bien Phu est totalement encerclé par le Vietminh qui y concentre la totalité de son corps de bataille. À la différence de Na San, il suffit au VM de prendre un des points d’appui : ou « Gabrielle » (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 315-316) et « Anne-Marie » au nord (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 315-316), ou « Béatrice » à l’est (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 319-320). Chacun de ces points d’appui ayant pour but de protéger la piste d’atterrissage qu’il faut neutraliser d’entrée pour asphyxier le camp retranché.