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par Jean-François Jagielski

Janvier 1947

Janvier 47 : Giap reconnaît de réelles difficultés liées au mouvement de reconquête lancé par les Français. Des villes ont été perdues : Hué, Son La. Il note : « De vastes régions stratégiques, avec leur population, tombèrent sous le joug […] de l’ennemi. » Des unités restent isolées, le moral des combattants s’affaiblit, des désertions apparaissent, y compris parmi les cadres (Giap 1, 2003, p. 77).

Au Cambodge, Norodom Sihanouk vient en compagnie de D’Argenlieu dans les territoires qui avaient été occupés par la Thaïlande pour une cérémonie officielle qui acte le retour de ces terres au royaume cambodgien (Cambacérès, 2013, p. 70).


Début janvier 47 : Poursuite du voyage d’inspection de Leclerc et de Moutet. Les Français d’Hanoi leur font des rapports véhéments sur les événements de décembre. Leclerc, avec l’approbation de Valluy, condamne  l’attitude de Morlière.

Progressivement, les Français reprennent militairement pied. Ils contrent mais ne parviennent cependant pas à écraser un VM, toujours aussi insaisissable quand il est en position de faiblesse.

De Gaulle dresse un portrait sans complaisance de l’action passée des différents gouvernements dans le dossier indochinois : « La situation en Indochine est grave, en effet. La raison principale est la lâcheté absurde de ce qu’il est convenu d’appeler notre « gouvernement » (Gouin, Bidault, Moutet, Blum). Il est vraiment trop commode de faire porter au compte de D’Argenlieu les erreurs et abandons qui ont agrandi nos adversaires et affaibli nos partisans. Rappeler D’Argenlieu en ce moment serait une nouvelle sottise  et une nouvelle lâcheté […]  Il faut, au contraire, le soutenir et le renforcer. » (cité in Férier, 1993, pp. 27-28) Pour le Général, la situation ne pourra évoluer que lorsque les choses seront stabilisées militairement, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.


1er janvier 47 : A cette date, les effectifs du C.E.F.E.O. présents en Indochine sont de 63 403 Européens, 31 241 Indochinois et 11 509 supplétifs (voir 18 janvier) (Bodinier, 1989, p. 72). Les forces du VM sont estimées (avec une bonne marge d’incertitude) à 52 000 hommes au Nord et 51 000 au Sud (dont 47 000 soldats réguliers) (Bodinier, 1989, p. 126).

Message radiodiffusé d’HCM au gouvernement français. Après avoir adressé ses vœux « aux Français épris de justice et de liberté qui comprennent et défendent nos aspirations », il émet publiquement le souhait de rencontrer Moutet à Hanoi (voir 23 décembre 1946) (D’Argenlieu, 1985, p. 375 ; cité in Devillers, 1988, p. 318). D’Argenlieu transmettra ce message à Moutet en le commentant négativement et en lui suggérant : « […] je me permets d’insister pour que, si vous maintenez, comme je le présume, votre voyage, aujourd’hui décidé, à Hanoi, le silence soit la seule réponse à cet appel […] » D’Argenlieu va même plus loin en diffusant une dépêche A.F.P. allant dans le même sens (Devillers, 1988, p. 319).

D’Argenlieu transmet à Blum, Le Troquer (Défense) et Moutet (F.O.M.) un rapport suite à son « voyage d’inspection dans la région d’Hanoi-Haïphong » portant sur les événements qui ont suivi l’insurrection du 19 décembre. Il met à son tour en cause le rôle du général Morlière qui a manqué de réactivité (voir 9 décembre) et envisage ultérieurement des sanctions à son égard. Il appelle, « malgré la fatigue qui commence à se faire sentir après dix jours de combats très durs un excellent moral », à la retenue des troupes françaises pour ne pas heurter, par un comportement excessif, « les autochtones ». Il note : « L’impression laissée par Haïphong est, très satisfaisante. Un gros effort a été accompli en peu de temps pour réparer les ruines et revenir à une vie normale. » (Bodinier, 1987, pp. 378-381). D’Argenlieu transmet ensuite à Bidault, Moutet et Juin le compte rendu de ses investigations de visu accomplies depuis son retour : « Le voyage d’inspection de la région d’Hanoi-Haïphong que je viens d’accomplir m’a permis de me convaincre avec plus de certitude encore que l’agression vietnamienne a été non seulement ordonnée mais encore systématiquement et longuement préparée. » (cité in Turpin, 2005, p. 311) Des rapports d’écoute portant sur les messages du VM interceptés vont être régulièrement produits pour étayer à n’en plus finir la thèse française de l’agression vietnamienne.

Télégramme de D’Argenlieu adressé à Bidault et Juin intitulé « Situation politique et militaire en Indochine » (cité in extenso in Bodinier, 1989, pp. 177-179). Il revient, comme dans son rapport, sur l’affaire d’Hanoi et épingle à nouveau sévèrement le rôle de Morlière. Des sanctions sont prévues.


2 janvier 47 : Revenant du Cambodge et du Laos, Moutet est de retour à Hanoi (Chaffard, 1969, p. 87), accompagné entre autres de Messmer (secrétaire général du comité interministériel d’Indochine en sursis, voir 9 janvier). Le ministre n’a pas désiré que D’Argenlieu les accompagne. Ils rencontrent Sainteny « encore couvert de pansements ». Ce dernier les rassure sur la reprise en main de la situation dans la ville. Messmer observe quant à lui « un changement complet de l’état d’esprit des militaires de tous grades et de toutes fonctions. Ils pensent maintenant que l’épreuve de force avec le Vietminh est engagée et qu’il faut la mener jusqu’à l’écrasement de l’adversaire. » (Messmer, 1992, p. 179, avec erreur de chronologie sur la date de venue de Moutet). Moutet découvre de visu, dans une ville où l’on se bat toujours, un spectacle de désolation qui va désormais influencer sa position ferme à l’égard du VM qu’il exprime au moment de quitter la ville : « […] Avant toute négociation, il est aujourd’hui nécessaire d’avoir une décision militaire [...] Rester plus longtemps ne m’aurait rien appris. La préméditation est trop évidente […] » D’Argenlieu est donc arrivé à ses fins pour mettre un terme aux tergiversations du ministre. Non sans avoir recours à ses habituelles manipulations et rétentions d’informations : un paquet contenant des documents (long mémorandum muni d’annexes) et une lettre d’HCM ont été retenus par ses services pour étayer sa thèse (Devillers, 1988, pp. 320-321).

Pour mieux aller dans le sens  du ministre de la F.O.M., D’Argenlieu donne une interview à France Soir : « Il est désormais impossible que nous traitions avec Ho Chi Minh. Nous trouverons dans ce pays d’autres personnalités avec qui nous pourrons traiter, qui seront sans doute nationalistes aussi, mais ceux-là [le VM] se sont disqualifiés. » Ses membres « sont tombés au-dessous de la honte. » (cité in Cadeau, 2019, p. 211 ; Devillers, 1988, p. 320) Cette déclaration publique est peu appréciée du gouvernement Blum qui estime être le seul à décider avec qui la France est en droit de traiter.

D’Argenlieu envoie un télégramme à Valluy : « Les considérations actuelles d’effectifs et de moyens et les but prochains à poursuivre au Tonkin, à savoir la destruction du gros des forces régulières du Viêt-minh, nous interdisent toute dispersion des efforts – stop - à cet égard, les dispositions politiques et économiques qui militeraient en faveur du maintien d’une garnison à Nam Dinh sont à mes yeux secondaires – stop – […] en conséquence vous évacuerez Nam Dinh dans les plus courts délais en procédant au préalable si vous le jugez nécessaire à un renforcement temporaire de la garnison – stop. » (Cadeau, 2019, p. 203) Le maintien ou non d’une garnison à Nam Dinh, ville de la zone des Évêchés assiégée par le VM, va être un nouveau sujet de discorde entre Morlière (commandant des T.F.I.N.), Valluy et D’Argenlieu (voir 5 – 7 janvier).


2 – 4 janvier 47 : Leclerc fait de nombreux déplacements en avion : Langson, Haïphong (où il rend visite à son fils blessé le 19 décembre), Tourane. À Langson, il procède à « l’analyse de la situation militaire et du moral des cadres et de la troupe ». Deux de ses officiers rencontrent les « civils et services administratifs » pour faire « le point des relations entre le gouvernement vietnamien et le Commissariat de la République en décembre » (journal de son aide de camp cité in Pedroncini, 1992, p. 300). Suite à cette visite d’inspection, Leclerc en est venu au constat suivant : « J’ai la preuve absolue de la préméditation vietnamienne dans l’attaque qui a été préparée de longue main […] ma position maintenant est nette : l’attaque du 19 décembre, sa nature, sa préméditation et ses développements nous contraignent à une action militaire. Lorsque l’armée aura rétabli l’ordre, il sera possible d’examiner à nouveau les problèmes politiques. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 302) Il reprend ici les récents propos de Moutet.


3 janvier 47 : Lors de son séjour à Hanoi, Moutet écrit à HCM en faisant d’importantes propositions. D’Argenlieu, habile spécialiste de la rétention d’informations lorsqu’elles ne vont pas en son sens, s’arrange pour retarder la transmission de ce courrier. Il prétextera l’avoir confiée au consul chinois à Hanoi qui ne l’aurait remise à un officier de liaison que le 11 (Turpin, 2005, p. 316).

Leclerc repart de Hanoi en vue de rencontrer Moutet.


4 janvier 47 : Moutet et Leclerc se retrouvent (enfin…) à Nha Trang où le ministre évoque avec lui plus les problèmes de politique intérieure français (les difficultés rencontrées avec les communistes) que la situation au Vietnam. En écho au message d’HCM du 1er, le ministre de la France d’Outre-mer lui adresse une fin de non-recevoir en déclarant à nouveau aux journalistes au sujet des événements du 19 décembre 1946 : « […] la préméditation est trop évidemment démontrée. » Dans la même déclaration, il précise : « La France ne peut faire autre chose pour le moment que protéger ses nationaux et ses amis, rétablir avant tout l’ordre. Après, lorsque son armée aura obtenu ce résultat, il sera possible d’examiner à nouveau les problèmes d’ordre politique. » A la question d’un journaliste de l’A.F.P. sur d’éventuelles négociations, il répond : « Avant toute négociation, il est nécessaire aujourd’hui d’avoir une décision militaire. » Il déclare cependant à un représentant du journal Paris-Saigon : « Le gouvernement français ne s’est jamais refusé à aucune ouverture ni à aucun examen. » (D’Argenlieu, 1985, p. 376 ; Messmer, 1992, p. 179). Là où Leclerc donne priorité au politique pour régler la situation militaire (voir 25 décembre 1946, 5 janvier), le ministre de la France d’Outre-mer, suivant en cela  la pensée de Blum (voir  29 décembre 1946), pense et déclare exactement l’inverse…

Pignon (commissaire aux affaires politiques de D’Argenlieu) propose dans une longue note d’orientation n° 9 d’organiser un « contre-feu » nationaliste pour contrer le VM. C’est l’amorce de la future « solution Bao Daï » : s’appuyer sur la société traditionnelle pour contrer l’idéologie communiste. Il ajoute : « Notre attitude à l’égard des Annamites doit être très large et très compréhensive […] Pour l’instant l’essentiel consiste à surveiller nos actes et nos paroles, à affirmer la continuité de notre politique et prouver notre bienveillance à l’égard des Vietnamiens en toute occasion [...] » (note citée partiellement in Devillers, 1988, p. 331-334 et Devillers, 2010, pp. 176-177). D’Argenlieu donnera suite à cette proposition dans une note adressée au gouvernement (voir 14 janvier) (Gras, 1979, pp. 169-170).

D’Argenlieu va dans le même sens. Le compte rendu du conseil fédéral du jour mentionne une intervention de l’amiral en faveur de ce qu’on nommera par la suite la « solution Bao Daï » : « Le Haut-Commissaire conclut en disant  qu’une formule monarchique quoiqu’elle n’aille pas dans le sens du monde, serait des plus heureuses. » (cité in Turpin, 2005, p. 313)

Selon L’Humanité du 4, HCM lance un appel à Leclerc : « Une paix équitable peut encore être obtenue. » (cité in Ruscio, 1985, p. 148). Mais le général ne l’entend désormais plus de cette oreille.


5 janvier 47 : Leclerc repart de Nha Trang sur Saigon. Selon un télégramme adressé au gouvernement, il constate une amélioration de la situation militaire mais demeure plus que dubitatif quant à une solution politique : « Difficulté du problème sera remporter succès marqué et de durer pour trouver solution politique. En effet Vietminh s’efforce réaliser par terrorisme union nationale tous Annamites contre nous. Parade politique à cette manœuvre peut être longue. » Il envisage déjà de futures sanctions à l’égard de Morlière : « Corps expéditionnaire donne satisfaction, sauf quelques responsabilités individuelles de commandement, en particulier à Hanoi. » (cité in Bodinier, 1987, p. 382). Il estime sa mission d’information accomplie et pense quitter Saigon le 9.

Une délégation américaine, britannique et chinoise composée de consuls tente de s’occuper du sort des otages civils français enlevés le 19 décembre 1946 à Hanoi. Hoang Minh Giam (Affaires étrangères) et Hoang Huu Nam (secrétaire d’État à l’Intérieur) la reçoivent à Hadong. La mission se solde par une simple remise de lettres de quelques otages. Aucune missive officielle n’est remise, à l’exception d’un mémorandum daté du 31 décembre sur les provocations et manquements français. Les courriers d’HCM à Moutet (en date du 3) et de Hoang Minh Giam à Fonde ne leur parviendront que le 11. Ils n’aboutiront ni l’un ni l’autre à rien (Fonde, 1971, pp. 334-335).


5 – 6 janvier 47 : Les renforts promis par Paris se concrétisent : 5 Dakota larguent à minuit une vague de parachutistes du colonel La Bollardière sur Nam Dinh toujours assiégée. Le largage est aléatoire et le VM étant là pour « accueillir » les parachutistes. Le deuxième largage est encore plus catastrophique si bien qu’on renonce à une troisième vague. L’opération Dédale est poursuivie au matin par un débarquement venu du Fleuve Rouge. L’opération est là encore très périlleuse : les embarcations sont prises sous le feu de l’artillerie vietminh. Elles doivent rebrousser chemin vers Haïphong (Fonde, 1971, pp. 332-333).


5 - 7 janvier 47 : Durs combats autour de Nam Dinh (sud-est d’Hanoi, zone des Évêchés) contre des troupes parachutistes françaises d’élite que le VM affronte pour la première fois après leur largage le 4 au matin (opération Dédale). Les Français sont mis en difficultés et la jonction avec les assiégés est difficile. Le VM tirera des leçons de ce combat inédit et envisage de fixer à l’avenir des pals de bambous sur les zones potentielles d’atterrissage des parachutistes (Giap 1, 2003, p. 63). Le maintien de Nam Dinh sous autorité française ne fait pas l’unanimité au sein du commandement (voir 2 janvier). Un vif débat se déroule entre D’Argenlieu et Morlière à ce sujet. Celui-ci souhaite un maintien de la garnison, là où le haut-commissaire pense le contraire. Appuyé par le gouvernement, Morlière obtiendra gain de cause. En attendant, la garnison de Nam Dinh est renforcée. Les blessés et les civils sont évacués non sans difficultés par voie fluviale le 6. La ville demeurera assiégée durant 2 mois (Cadeau, 2019, pp. 202-204).


6 janvier 47 : Nouvelles déclarations de Moutet devant la presse unioniste saïgonnaise. Elles reprennent la thèse de la préméditation et rejette les ouvertures d’HCM. Seul bémol, Moutet déclare ne pas croire « qu’Ho Chi Minh ait eu une part déterminante dans les événements et qu’il a peut-être été débordé. » (Devillers, 1988, p. 322)


7 janvier 47 : La liaison est rétablie entre Haïphong et Hanoi (R.C. 5). Il ne reste plus qu’à établir la liaison avec le bataillon Langlais parti de Hanoi. Il faudra attendre le 11 pour que la R.C. 5 soit totalement dégagée (Cadeau, 2019, p. 201).

Le Département d'État américain refuse de transmettre au Secrétaire général de l'O.N.U. un mémorandum du mouvement Issarak réclamant l'indépendance des trois pays d'Indochine.

Moutet reçoit le général Morlière qui a su que Leclerc demandait des sanctions à son égard mais que sa fonction actuelle (envoyé du gouvernement) ne lui permet pas d’appliquer. Pour sa défense, Morlière affirme (à juste titre) avoir respecté les directives gouvernementales mais qu’il a dû se plier aux « ordres impérieux » de Valluy secondé par Dèbes. Moutet lui demande de lui faire parvenir à Paris un rapport détaillé (Devillers, 1988, p. 323).

Le général Nyo prend le commandement des T.F.I.S. et ce, jusqu’au 6 juillet (Bodinier, 1989, p. 26).

HCM déclare : « Nous voulons comme toujours collaborer avec la France dans la paix et la confiance […] Nous attendons du gouvernement et du peuple français un geste de paix. » (cité in Ruscio, 1985, pp. 146-147)

Les communistes français ont saisi la manœuvre qui est en train de s’esquisser, à savoir la recherche de nouveaux partenaires plus dociles aux Français que le gouvernement d’HCM. Pierre Courtade écrit dans L’Humanité : « Il devient de plus en plus clair que le plan de certains milieux français, dans l’affaire du Vietnam, est de susciter la formation d’un « gouvernement » vietnamien orienté « plus à droite ». Le président Ho Chi Minh éliminé, on reprendrait les négociations avec une nouvelle « équipe » plus docile. Les opérations militaires actuelles sont conçues comme un moyen d’entraîner la décomposition politique du Vietminh […] et de préparer la venue au pouvoir d’éléments choisis par le haut-commissariat. » (cité in Ruscio, 1985, p. 161). Et L’Humanité de dénoncer la manœuvre.


8 janvier 47 : Décrié par le gouvernement Blum pour ses tergiversations et son inefficacité, un décret transforme le « Comité Indochine » en une « Commission Indochine » rattachée directement au ministère de la F.O.M. (Bodinier, 1989, p. 15).

Moutet quitte l’Indochine. Son séjour indochinois a sans doute été écourté par des préoccupations électoralistes. Battu aux élections de novembre 1946 à la députation, il espère conquérir l’électorat français de Pondichéry en Inde. L’idée initiale de prise de contact avec HCM s’avère être au final un échec (Devillers, 1988, p. 323).

Renversement d’alliance progressif au sein des sectes (à l’exception des Binh Xuyen) qui, jusque-là, combattaient aux côtés du VM. Le 2e Bureau français, sous le commandement du général Boyer De Latour (selon Bodard, 1997, p. 82-86), est à l’origine de ces retournements. Signature d’un traité d’accord par le dirigeant caodaïste Pham Cong Tac avec le lieutenant- colonel Fray, représentant du général Nyo, commandant les forces françaises en Cochinchine et Sud-Annam (accord reproduit in extenso in Bodinier, 1989, pp. 459-462). L’État français commence alors à armer et entretenir des troupes caodaïstes en les rétribuant. Composées de  1 970 soldats répartis en douze brigades volantes et loties en seize postes, les Forces armées caodaïstes (F.A.C.D.) rejettent le Vietminh hors de leur fief, la province de Tay Ninh, et arracheront 340 armes des mains de l’ennemi en deux ans (Louaas, 2015, pp. 83-84).

D’Argenlieu rencontre le nouveau président du Gouvernement provisoire de la République de Cochinchine, Le Van Hoach. Ce dernier demande plus de pouvoirs réglementaires. Il sera entendu (voir 1er février) (Turpin, 2005, p. 314). C’est un proche des Caodaïstes nouvellement « retournés » qui bénéficie de leur soutien.

Premier rapport de Leclerc rédigé sur place suite à son inspection au Vietnam. Il s’agit d’une sorte d’aide-mémoire qui lui servira dans ses entretiens à son retour en métropole. Le second rapport, accompagné d’annexes militaires, sera remis au président du Conseil le 13 (Turpin, 2005, p. 320, note 80).


9 janvier 47 : Leclerc quitte définitivement Saigon pour Paris où il arrivera le 12. Dans la voiture qui l’emmène à Tan Son Nhut, il confie à son aide de camp : « Il y a trop de gens ici qui imaginent  que c’est en remplissant un fossé de cadavres qu’on va rétablir un pont entre le Vietnam et la France. » (cité in Devillers, 1988, p. 324) Au commandant Fonde, il a réitéré avec son habituelle sécheresse, peu avant son embarquement,  ses propos de juillet : « Vous n’avez plus rien à faire ici […] où vous n’avez pas que des amis. Il vous faut rentrer. Le plus tôt possible… hein… » (Fonde, 1971, p. 331). Il transmet son rapport au gouvernement : « Devant une telle situation, la solution complexe, et probablement longue à venir, ne pourra être que politique : en 1947 la France ne jugulera plus par les armes un groupement de 24 millions d’habitants qui prend corps, et dans lequel existe une idée xénophobe et peut-être nationale. Néanmoins, plus l’effort militaire accompagnant notre politique sera puissant, plus cette solution sera possible et rapide. Tout le problème est là. » (cité in Cadeau, 2019, pp. 210-211)

Un décret paru au J.O. préconise la dissolution du Comité interministériel de l’Indochine (voir 21 janvier) (D’Argenlieu, 1985, p. 388). C’est un vœu de longue date de Moutet qui n’avait pu l’obtenir de Bidault et qu’il obtient de Blum. Le ministre de la F.O.M. justifiera cette suppression dans un télégramme (voir 21 janvier) (Turpin, 2005, pp. 317-318).

Dans une note d’orientation, Léon Pignon, conseiller politique de D’Argenlieu et initiateur de la « solution Bao Daï » (voir 30 décembre 1946), écrit : « Un point paraît certain : l’impossibilité de reprendre la négociation avec le gouvernement Ho Chi Minh. Nous savons maintenant que ce gouvernement n’a jamais servi qu’un objectif : assurer l’indépendance du Vietnam en empêchant par tous les moyens toute réinstallation de la France, tant que cette indépendance n’aurait pas été définitivement et complètement reconnue. Notre objectif est clairement déterminé : transporter sur le plan intérieur annamite la querelle que nous avons avec le parti Vietminh et nous engager nous-mêmes, le moins possible, dans des campagnes et des représailles qui doivent être le fait des adversaires autochtones de ce parti. » (cité in Devillers, 2010, p. 465)

Suite à son entrevue avec Morlière (voir 7 janvier) accompagnée d’une demande de ce dernier, Moutet reçoit un premier rapport écrit du général Nyo, commandant des T.I.F.N. Morlière est mis en cause par Leclerc, D’Argenlieu et Valluy qui ont tous demandé son départ. Or, le rapport de Nyo établit les lourdes responsivités de Valluy et Dèbes dans les événements d’Haïphong et Hanoi (Devillers, 1988, p. 326). Mais il n’aura que peu d’impact auprès du ministre de la F.O.M.


11 janvier 47 : La R.C. 5 est totalement dégagée entre Hanoi et Haïphong (Cadeau, 2019, p. 202).

Moutet est désormais convaincu que le coup de force du 19 décembre 1946 est un acte offensif du VM, même si HCM poursuit sa campagne de communication à l’égard des Français, à son égard ou envers certains médias (De Folin, 1993, p. 189). Dans L’Humanité des 6 et 7 janvier, Moutet avait répété ce qu’il avait dit ailleurs : « Avant toute négociation, il est aujourd’hui nécessaire d’avoir une décision militaire. » (cité in Ruscio, 1992, p. 89)    


12 janvier 47 : Leclerc et Moutet arrivent à Paris (Devillers, 1988, p. 323). Le soir, Leclerc est reçu par Léon Blum. Le général estime qu’il faut changer de haut-commissaire et propose un civil, son ami le député Pleven (Turpin, 2005, pp. 321-322).

Lors de cette entrevue, il est sollicité par le président du Conseil pour reprendre le poste de haut-commissaire et de commandant en chef. Mais il sait que lui et Blum n’analysent pas la situation de la même manière quant à la primauté du politique sur le militaire. Après avoir consulté Juin et De Gaulle qui lui ont déconseillé d’accepter, il décline l’offre, pensant qu’il faut un civil à ce poste (Gras, 1979, p. 167-168). Ramadier (futur président du Conseil, voir 22 janvier) ou d’autres lui feront la même proposition les 27 janvier, 7 et 10 février. Après avoir hésité, en tentant de négocier l’obtention d’un corps expéditionnaire atteignant les 115 000 hommes, sa réponse demeurera toutefois négative car il sait aussi que ces moyens militaires ne lui seront pas octroyés (Gras, 1979, pp. 168-169).

Dans son rapport écrit sur la situation en Indochine achevé le 8 janvier et adressé à Blum, Le Troquer (Défense) et Juin, Leclerc constate qu’« il ne s’agit plus de s’opposer par la force à des masses qui désirent évolution et nouveauté […] La solution complexe et probablement longue à venir  ne pourra être que politique : en 1947, la France ne jugulera plus par les armes un groupement de 24 millions d’habitants qui prend corps et dans lequel existe l’idée xénophobe et peut-être nationale […] L’anticommunisme sera un levier sans appui aussi longtemps que le problème national n’aura pas été résolu. » Reprenant sa proposition de mars 1946, il préconise l’envoi d’une division supplémentaire qui porterait les effectifs français à 115 000 hommes (dont 25 000 Indochinois) afin de pouvoir négocier en force. Au Tonkin, il recommande « une forte action au cours de l’hiver 1947-48 ». Mais le problème politique demeure entier. Dans le même document, il estime qu’une solution pourrait « consister à opposer au nationalisme vietminh un ou plusieurs autres nationalismes » ajoutant « où et quand se fera l’accord ? La difficulté du problème saute aux yeux. » (rapport cité in extenso in Bodinier, 1987, pp. 382-391)


13 janvier 47 : Leclerc fait parvenir à Blum le rapport finalisé de sa récente visite au Vietnam comportant des annexes militaires. Il établit un constat sans complaisance de la situation politico-militaire. Dans cette version, il ne change rien aux observations qu’il a pu faire avant son départ en juillet. Toute solution purement militaire est vouée à l’échec : « En 1947, la France ne jugulera pas par les armes un groupement de 24 millions d’habitants qui prend corps, et dans lequel il existe une idée xénophobe et peut-être nationale. » (cité in Turpin, 2005, p. 320) Toute solution politique suppose un rétablissement militaire et donc les moyens en hommes et matériel pour y parvenir. La situation au Sud lui paraît catastrophique : « En Cochinchine, au mois d’avril 1946, 82 % des villages étaient ralliés à la France ; cette proportion est tombée à 10 %. » (Ibid.) La politique de D’Argenlieu est sévèrement épinglée : « Une première phase politique commencée il y a dix mois, se termine par un échec. Il faut à présent durer assez militairement, pour permettre le développement d’une deuxième phase constructive et susceptible de mener au terme de l’entreprise politico-militaire. La durée de cette deuxième phase dépendra de nos réussites ou de nos erreurs et fautes dans ce domaine comme de celles du gouvernement vietminh. Il n’est donc pas possible d’établir un pronostic dans le temps. Mieux vaut estimer que la période qui commence sera longue. » (cité in Turpin, 2005, p. 321) Le VM a su canaliser les forces nationalistes, il convient dès lors d’opposer « un ou plusieurs autres nationalismes ». Des concessions sont indispensables et « il faut se prémunir contre la solution de paresse et de sclérose intellectuelle qui conduit à mettre en place un système d’administration périmé, et à méconnaître l’évolution des autochtones. » (Ibid.) Un renouvellement de personnel s’impose donc. Leclerc n’exclut pas une reprise des contacts avec HCM s’il vient à composition. Blum est prêt à entendre ce genre de propositions mais sait aussi qu’il va partir.

Un convoi routier parvient à assurer pour la première fois une liaison Hanoi-Haïphong depuis le 19 décembre 1946.

Leclerc envoie le lieutenant-colonel Mirambeau consulter De Gaulle. Celui-ci lui confie une lettre de réponse : « Rappeler D’Argenlieu en ce moment serait une nouvelle sottise et une nouvelle lâcheté. Quel que soit son remplaçant, et même si c’est Leclerc, le monde entier  conclura que nous nous désavouons nous-mêmes [...] il faut, au contraire, le soutenir et le renforcer. Plus tard, quand les renforts seront arrivés et mis en place, quand il s’agira sur la base de cette situation nouvelle et bien établie de faire une nouvelle politique, alors le problème se posera tout autrement, spécialement pour le général Leclerc. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 306 ; Turpin, 2005, p. 322)


14 janvier 47 : D’Argenlieu envoie à Blum (sur le départ) un long mémorandum intitulé « Tournant politique en Indochine » (voir 21 janvier). Il y exprime son refus de traiter avec HCM (« traiter avec ce gouvernement serait une capitulation reconnue comme telle par tous les Indochinois »). Il préconise « d’abattre la force armée du parti vietminh et, si possible, de la détruire ». Il est conscient que « le plus important et le plus difficile consistera à proposer et promouvoir une solution politique » et précise « qu’il n’est pas possible, en 1947, de rétablir le régime colonial de 1939 ». Il demeure attaché à l’Union française qui est « un principe intangible » et initie ce qu’on va appeler par la suite la « solution Bao Daï », chère à son conseiller politique, Léon Pignon (voir 30 décembre 1946, 4 janvier et 22 juillet 1947). Le vice-amiral préconise à son tour « l’institution d’une monarchie constitutionnelle » capable de promouvoir « l’instauration d’une démocratie véritable ». Il précise, « la solution à la réunion des trois Ky est laissée à la décision des populations intéressées, qu’il est du devoir de la France de veiller à ce qu’elles puissent s’exprimer librement ». (D’Argenlieu, 1985, pp. 381-385 ; Devillers, 1988, pp. 334-337 ; Devillers, 2010, p. 178) L’amiral mesure-t-il combien le climat a changé et combien l’absence durable de « solution politique » a rendu la situation française à ce jour précaire, au vu de ce qui se passe au Tonkin et ailleurs ? Rien n’est moins sûr. D’Argenlieu envoie (sans en avertir le gouvernement) un émissaire à Hong Kong pour rencontrer Bao Daï qui, d’entrée, se récusera. Blum qui vit les dernières heures du Gouvernement provisoire de la République s’engage à transmettre le document que lui a remis l’amiral à son successeur.

Après avoir consulté De Gaulle la veille, Leclerc écrit à Blum pour lui signifier son refus définitif : « Je ne suis nullement l’homme qualifié pour prendre les fonctions de haut-commissaire […] Rappeler D’Argenlieu ce serait reconnaître nos erreurs aux yeux de l’adversaire et de l’étranger. Si, un jour, vous changez de haut-commissaire, celui-ci devra être un homme très solidement appuyé par les partis politiques français, ce qui n’est pas mon cas. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 306)

D’Argenlieu rend compte à De Gaulle dans une lettre. Il se félicite que Moutet et HCM n’aient pris aucun contact et que le gouvernement français ait rompu avec celui du Vietnam. Il a espoir d’un rétablissement de la situation car les forces françaises « devront pourchasser le gouvernement et l’éliminer. » La situation actuelle « ouvre une opportunité d’action exceptionnelle pour continuer et achever dignement sa mission en notre Indochine. » L’amiral avertit De Gaulle que si le gouvernement reprend contact avec HCM, il quittera ses fonctions (Devillers, 1988, p. 324 ; citée in extenso in D’Argenlieu, 1985, pp. 386-387). D’Argenlieu annonce, non sans une bonne dose d’illusion plus ou moins feinte, la « solution Bao Daï » en gestation, faute de mieux (voir 4 janvier) : « Nous sommes amenés à juger que la restauration monarchique est peut-être la solution la meilleure. La monarchie a pour elle la force de la légitimité. Elle ne sera pas suspectée d’être une création artificielle des Français colonialistes. » (cité in Turpin, 2005, p. 313)

Messmer, secrétaire du Cominindo en voie de dissolution et jusqu’alors assez modéré, reprend à son tour dans une note adressée à Moutet ce qui est désormais devenu le credo français de « l’agression vietnamienne » du 19 décembre 1946 : «  La vérité est que pour les Vietnamiens un accord ne signifie rien et n’est appliqué que dans la mesure où il leur est favorable. Bien plus, il se développe chez eux un esprit d’hostilité et de haine à notre égard ; le but avoué de leur Gouvernement  est de nous éliminer complètement. Les récentes affaires de Haïphong, de Langson et surtout de Hanoi ont été évidement préméditées. Le Vietminh a voulu la guerre dans l’esprit d’obtenir sur nous une victoire militaire. Si quelques éléments restaient partisans de la temporisation, ils n’ont pas moins cédé aux extrémistes qu’ils avaient accepté auprès d’eux (Tu Ve, Armée vietnamienne). Nous ferons donc la guerre qui nous a été imposée. Nous éliminerons les éléments systématiquement anti-français qui ont provoqué cette guerre. »  (cité in Turpin, 2005, p. 311)


14 - 17 janvier 47 : Au moyen d’un blocus, les Français parviennent enfin à reprendre le quartier sino-vietnamien du nord d’Hanoi où se sont concentrés les Tu Ve.


15 janvier 47 : Rédaction d’une « note circulaire » de D’Argenlieu qui reprend en partie son développement de la veille mais entend surtout préciser « la terminologie qui a joué un très grand rôle dans la crise politique indochinoise ». Pour l’auteur de cette note, « le gouvernement d’Hanoi » n’a aucune légitimité démocratique et donc « […] nous constaterons qu’il n’existe plus de Gouvernement de la République du Vietnam, mais seulement un organisme terroriste auquel nous rendons son vrai nom [...] » Il ajoute : « la résurrection du vieux terme « Vietnam » a constitué une trouvaille géniale. Ce terme […] a symbolisé immédiatement toutes les aspirations du Vietminh à la souveraineté sur l’ensemble des pays annamites […] » Or, « […] Le terme Vietnam doit être proscrit dans tous les documents officiels et, si possible, dans la presse et les conversations […] » Il faut donc employer « […] les termes anciens, légitimes et non équivoques de Tonkin, Annam et Cochinchine […] » (Devillers, 1988, pp. 334-337) En un mot, ceux que les colons français leur avait donné au moment de la conquête de la péninsule…


16 janvier 47 : Élection du socialiste Vincent Auriol au poste de président de la République par 482 voix sur 883 (dont celles des socialistes et des communistes). Blum lui remet la démission de son gouvernement. Auriol, lui-même ancien membre de la S.F.I.O., appelle le socialiste Ramadier à former une nouvelle équipe gouvernementale.

Au cours d’un conseil des ministres, Moutet demande le remplacement de D’Argenlieu « par un homme politique ou un très grand fonctionnaire. » (Turpin, 2005, p. 319, note 66)


17 janvier 47 : Vincent Auriol charge le socialiste Paul Ramadier de constituer son nouveau gouvernement (Devillers, 1988, p. 343).

Audition de Moutet devant la commission de la Défense nationale (Bodinier, 1989, pp. 183-186).


18 janvier 47 : Lettre d’HCM à Vincent Auriol. D’Argenlieu s’arrangera, une nouvelle fois, pour que ce courrier soit transmis le plus tard possible au président de la République (Turpin, 2005, p. 316).

Le général Valluy demande à Juin à ce que l’effectif des troupes en Indochine soit porté à 115 000 hommes afin de pouvoir accomplir à bien « la mission dont [il] est chargé. » Cette demande de renforts ne sera pas honorée dans l’immédiat (voir 1er avril) (Bodinier, 1989, p. 72).

Publication de la « note circulaire » de D’Argenlieu : c’est une note de recadrage qui entend éclaircir les terminologies pour désigner l’ennemi et ses aspirations territoriales. Le haut-commissaire estime « qu’il n’existe plus de gouvernement de la république démocratique du Vietnam mais seulement un organisme terroriste auquel nous rendons son vrai nom, celui de    « Parti Vietminh ». » Revenant sur l’astuce qu’avait employée HCM au moment de la négociation des accords du 6 mars 1946 (voir 16 février 1946), il écrit : « La résurrection du vieux terme « Vietnam » a constitué une trouvaille géniale. Ce terme, en effet, a symbolisé immédiatement toutes les aspirations du Vietminh à la souveraineté sur l’ensemble des partis annamites et a fini même par concrétiser ses droits vers l’opinion française et étrangère insuffisamment informée. Le gouvernement de Hanoi a joué très habilement et avec un succès indéniable de l’équivoque qu’il avait créée. » Désormais, « le moment est venu de dissiper l’équivoque. Le terme « Vietnam » doit être prescrit dans tous les documents officiels. » Le haut-commissaire entend restaurer le vieux découpage colonialiste : « En conséquence, ce sont les termes anciens légitimes et non équivoques de Tonkin, d’Annam et de Cochinchine qu’il conviendra d’employer à nouveau. » (Bodinier, 1989, pp. 223-224)


21 janvier 47 : Dans son discours d’investiture à l’assemblée nationale, le socialiste Ramadier déclare : « Cette guerre, on nous l’a imposée, nous ne l’avons pas voulue, nous ne la voulons pas. Nous avons tout fait, concédé tout ce qui était raisonnable. Nous savons qu’elle ne résoudra rien. Nous y mettrons fin dès que l’ordre et la sécurité seront assurés. Sans doute, un prochain jour, la France trouvera en face d’elle des représentants du peuple annamite avec lesquels elle pourra parler le langage de la raison. Elle ne craindra pas alors de voir se réaliser, si tel est l’avis de la population, l’union des trois pays annamites, pas plus qu’elle ne refusera d’admettre l’indépendance du Vietnam dans le cadre de l’Union française et de la Fédération indochinoise. » (Devillers, 1988, p. 344). Le nouveau président du Conseil est investi à l’unanimité des 549 votants.

D’Argenlieu adresse à Ramadier (après l’avoir fait à Blum, voir 14 et 23 janvier) son mémorandum intitulé « Tournant politique en Indochine » (D’Argenlieu, 1985, p. 381, note 2).

Moutet critique et met à nouveau en cause l’existence du Comité interministériel de l’Indochine en voie de dissolution (voir 9 janvier) dans un message. Premier reproche : « L’expérience a prouvé que ce système qui tendait à faire participer à la discussion et à la décision le président du Conseil et tous les ministres intéressés a en fait abouti à une dispersion des responsabilités nuisible à une saine gestion administrative. » Second reproche : « un problème simplement technique » devient rapidement dans cette institution « un véritable problème politique ». D’Argenlieu qui est l’un des destinataires de ce message voit dans cette critique  du Cominindo une dérive « dogmatique » du ministère de la France d’Outre-Mer. Il s’insurge contre le fait que le ministre puisse écrire et se plaindre d’avoir été, selon ses propres mots, « dépossédé de ses attributions normales et des moyens d’action dont il doit disposer. » (D’Argenlieu, 1985, pp. 387-388). L’amiral annotera donc le message du ministre de la F.O.M. de la manière suivante : « Je m’inscris absolument en faux  contre cette assertion. Elle est directement et rigoureusement dogmatique. » (cité in Turpin, 2005, pp. 317-318, note 61) Il reviendra sur le sujet par la suite (voir 4 février).


22 janvier 47 : Paul Ramadier (S.F.I.O.) devient président du Conseil (jusqu’au 22 octobre 1947, reconduit). Il forme son gouvernement. Vice-président : Maurice Thorez (communiste, jusqu’au 4 mai pour cause de rupture) puis Pierre-Henri Teitgen (M.R.P).

Gouvernement Ramadier 1 : Défense nationale : François Billoux (P.C.F.) mais ses fonctions sont vidées de toute substance par l’existence de trois départements : la Guerre, la Marine, l’Air ; Affaires étrangères : Georges Bidault (M.R.P.) ; France d’Outre-mer : reconduction de Marius Moutet (S.F.I.O.) (Bodin, 2004, p 124). Ce gouvernement comprend 4 autres communistes : Maurice Thorez (vice-président), Charles Tillon (ministre de la Reconstruction), Ambroise Crozat (ministre du Travail et de la Sécurité sociale), Georges Marrrane (ministre de la Santé publique).

Premier gouvernement de la IVe République : le président du Conseil Paul Ramadier est socialiste ; le ministre de la Guerre Paul Coste-Floret est M.R.P. ; le ministre de la France d’Outre-mer, Marius Moutet, est socialiste ; le ministre des Affaires Étrangères, Georges Bidault, est M.R.P. pour une mission de 6 mois qui sera reconduite deux fois. C’est à nouveau une formation gouvernementale très hétérogène. Contrairement à Blum, Ramadier n’est quant à lui pas favorable à l’instauration d’une solution monarchique au Vietnam : « Nous ne pouvons apparaître comme les restaurateurs de la dynastie royale. » (cité in De Folin, 1993, p. 192)


23 janvier 47 : Au sujet du mémorandum de D’Argenlieu (voir 14 et 21 janvier) transmis au nouveau gouvernement français, Moutet répond à D’Argenlieu : « Ne suis pas d’accord. Ne rien décider avant que nouveau gouvernement ait donné directives » (D’Argenlieu, 1985, p. 387). Celles-ci tarderont à venir.

Pierre Messmer (secrétaire général du Comité interministériel de l’Indochine en voie de dissolution) annonce à D’Argenlieu qu’il n’a pas repris ses fonctions au sein du Cominindo remis en question par le nouveau gouvernement (voir 21 janvier). Par solidarité gaulliste, il annonce à D’Argenlieu que sa convocation à Paris n’est « plus un bruit sans fondement […] mais bien […] un dessein réfléchi » (voir 16 janvier)  (D’Argenlieu, 1985, pp. 388-389 ; Messmer, 1992, p. 180). L’amiral sait désormais que ses jours sont comptés.


24 janvier 47 : Nguyen Binh crée une force d’assaut pour traquer les caodaïstes profrançais (voir 8 janvier). Il en est de même au sud-ouest de la Cochinchine avec les Hoa Hao. Binh les soupçonne d’entretenir des relations avec le 2e Bureau. Ces affrontements se transforment en une guerre civile vietnamienne au Sud (Goscha, 2002, p. 50).


26 janvier 47 : Ho Chi Minh déclare à la radio que le peuple du Vietnam désire la paix, une collaboration amicale avec la France, son indépendance et son unité territoriale au sein de l’Union française. Il espère qu’il sera plus entendu par le nouveau gouvernement français de gauche même si, jusque-là, tout dans son attitude contredit le sens de cette déclaration…

Yves Dechézelles, secrétaire-adjoint à la S.F.I.O., écrit dans Le Populaire que la seule solution est de « négocier avec le seul gouvernement représentatif du Vietnam » (Ruscio, 1985, p. 153).


27 janvier 47 : Ramadier reçoit Leclerc à Matignon. Il lui propose à nouveau l’offre de Blum, à savoir de cumuler les fonctions de haut-commissaire et de commandant en chef et ce, dans l’immédiat. Leclerc, qui avait refusé l’offre de Blum, demande un nouveau temps de réflexion (voir 7 février). Dans un document d’archive intitulé « Film de la crise de remplacement de l’Amiral », Leclerc confie : « […] Je suis moi-même déchiré entre les sentiments contradictoires. D’une part, je suis convaincu que je serais le moins mauvais pour résoudre le problème, d’autre part, j’ai l’impression que je ne disposerais pas des moyens nécessaires. Pour tranquilliser ma conscience, je fais revenir Bonnafé le lendemain et le charge de dire à Ramadier que, s’il désirait que j’aille là-bas, peut-être serais-je amené à accepter, après étude des conditions préalables nécessaires. Je dis moi-même les choses à Moutet pour voir sa réaction. Celui-ci a l’air nullement emballé. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 306) Miné par le doute, Leclerc va à nouveau consulter (voir début février, 3 et 8 février).


28 janvier 47 : D’Argenlieu adresse un courrier à différents hommes politiques (voir destinataires in D’Argenlieu, 1985, p. 389, note 1) dans lequel il évoque son mémorandum du 14 où il préconisait de ne plus traiter avec le gouvernement vietnamien actuel et dans lequel il promouvait une amorce de la « solution Bao Daï ». Il les informe que l’ancien président du Conseil, Blum, ne partageait pas son point de vue. Avec le changement de gouvernement, il insiste « sur l’urgente nécessité » d’obtenir des directives quant à l’attitude à adopter à l’égard du gouvernement d’HCM (D’Argenlieu, 1985, pp. 389-390).


29 janvier 47 : Lettre d’HCM au gouvernement français. Son auteur précise les exigences du VM : « 1) Indépendance et unité nationale dans le cadre de l’Union française. 2) Collaboration fraternelle avec la France sur les bases de l’égalité et du respect des accords librement consentis. » Il condamne la violation des accords par les Français. D’Argenlieu laisse une nouvelle fois traîner sa transmission aux autorités françaises (Turpin, 2005, p. 316, note 49).


30 janvier 47 : Lettre de Messmer à D’Argenlieu. Les « rumeurs » sur l’éviction de l’amiral sont « l’écho d’une décision gouvernementale qui n’est pas passée dans les faits mais qui est réfléchie et qui sera certainement prochaine. » (Turpin, 2005, p. 319)

R. Lhermite écrit dans L’Humanité : « Le seul règlement militaire de l’actuel conflit est-il possible ? Sincèrement, nous ne le pensons pas. Songeons aux effectifs qu’il faudrait envoyer en Indochine ; songeons à la résistance que peut offrir, pendant de longs mois, de longues années, un peuple de vingt millions d’habitants. » (cité in Ruscio, 1985, p. 162)

​31 janvier 47 : Morlière (commandant des T.F.I.N.) apprend qu’il va être convoqué à Paris pour y être entendu (Devillers, 1988, p. 326).

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