Début 46 : Le Laos, stabilisé, est divisé en trois zones d’influence, celle du VM et du Lao Issara à l’Est, celle des Français (qui ont réussi à se maintenir malgré de faibles effectifs) et celle des Chinois au Nord.
Dans un entretien accordé à Alain Ruscio, René Lhermite, rédacteur de politique internationale à L’Humanité, lui confie : « En 1945, et même début 1946, nous étions très mal informés. Nous avons appris la révolution d’août par quelques informations fragmentaires de presse. Elles étaient très insuffisantes pour nous permettre de nous faire une opinion précise de ce qui se passait en Indochine. » (cité in Ruscio, 1985, p. 70)
Janvier 46 : De Gaulle, toujours peu au fait des réalités indochinoises, déclare à Paul Mus venu depuis le 28 décembre en France lui remettre une lettre de D’Argenlieu : « Nous rentrons en Indochine parce que nous sommes les plus forts. » (cité in Journoud, 2011, p. 39)
En vue du débarquement français au Tonkin, Leclerc est à la recherche d’une situation la plus stable possible au niveau du gouvernement vietnamien qui connaît de graves difficultés sous la pression des Chinois et des partis qui leur sont inféodés. Ce qu’il redoute le plus c’est que ce gouvernement « prenne la brousse » à l’arrivée des Français tout en appelant le peuple à la résistance armée à outrance. Tout doit être fait pour ne pas en arriver là car une reconquête militaire du Tonkin, même partielle, est jugée par lui pour l’instant impossible. Il est donc indispensable de trouver à Hanoi, le jour du débarquement, un gouvernement vietnamien responsable, « si imparfait soit-il ». D’où la nécessité de négocier avec HCM mais le plus prudemment possible, sans trop s’engager (voir 14 janvier) (Pedroncini, 1992, p. 163).
1er janvier 46 : Entrée en fonction, avant même les élections, d’un « Gouvernement provisoire d’union nationale » vietnamien qui mêle le VM et les nationalistes prochinois (voir 24-25 décembre 1945). Le VM a dû céder sous la pression des Chinois en y intégrant des membres du D.M.H. et du V.N.Q.D.D. (voir 6 janvier) (Pedroncini, 1992, p. 394 ; Turpin, 2005, p. 189, note 90).
Avec le retrait progressif des Britanniques, ce sont les Français qui doivent désormais assurer la charge du maintien de l’ordre au sud du 16e parallèle (Turpin, 2005, p. 156)
1er - 31 janvier 46 : Les Français sont victimes de 145 crimes, délits ou voies de fait, dont 6 assassinats perpétrés ou par les occupants chinois ou par les Vietnamiens. 20 000 personnes d’origine française résident au Tonkin qu’il faut protéger (De Folin, 1993, p. 122 ; détails des victimes in Sainteny, 1967, p. 141).
4 janvier 46 : Un mémorandum chinois demande aux Français la relève de la 93e division chinoise au Laos pour qu’elle puisse se rendre combattre en Mandchourie contre les communistes (Gras, 1979, p. 86). Mais cette demande est isolée. Le processus sera lent et n’aboutira qu’en septembre, les « seigneurs de la guerre » chinois ayant beaucoup de mal à lâcher la « poule aux œufs d’or » indochinoise et son opium.
Au Cambodge, signature du modus vivendi franco-khmer. Il marque la fin du protectorat : Les Français accordent une autonomie administrative, mais avec la présence d’un Commissaire de la République, de conseillers français au niveau ministériel et provincial et un contrôle de la France sur la Défense et les Affaires étrangères. Le Cambodge est toutefois tenu aux obligations des États membres de l’Union Française.
5 janvier 46 : D’Argenlieu apprend la mort accidentelle du prince Vinh San qu’il pressentait (comme De Gaulle) pour se substituer à HCM (voir 28 décembre 1945). Il note : « « Le fait nouveau » s’évanouissait en fumée tel un rêve ! » (D’Argenlieu, 1985, p. 113). Lors d’un dîner à Neuilly, De Gaulle a confié à son beau-fils De Boissieu : « La France n’a pas de chance en ce moment […] Cette mort du prince nous prive d’une carte maîtresse en Indochine. » (Turpin, 2005, p. 194 ; cité in Pedroncini, 1992, p. 335) Désormais, pour De Gaulle comme pour D’Argenlieu, il ne reste qu’une voie étroite et raide, celle d’HCM.
5 - 6 janvier 46 : Salan se rend à Kunming où se trouvent les forces françaises basées en Chine et constitue le centre où sont regroupés et hébergés tous les ressortissants français évacués d’Indochine. Il est accueilli par Jacques Meyrier, ambassadeur de France en Chine nationaliste à Chungking. Salan prévoit son départ pour la capitale chinoise le 7, jour où il doit rencontrer Tchang Kaï Check. Il rencontre les troupes françaises et évoque avec elles leur retour au Tonkin (en pays thaï, plus favorable aux Français) sous l’appellation d’opération Béarn. Ce retour est délicat car il risque de se heurter à une double opposition, celle du VM et du V.N.Q.D.D. Il s’agit d’éviter « toute réaction désagréable des populations », d’obtenir « l’appui des chefs autochtones » et de « permettre le ravitaillement des colonnes » en bénéficiant de leur appui. Sainteny est « en plein accord » avec ce projet (Salan 1, 1970, p. 258-259).
6 janvier 46 : Les élections ont lieu dans les territoires contrôlés par le G.R.A. et confirment largement la victoire du VM. Elles ont été repoussées à deux reprises, les 8 septembre et 23 décembre 1945, sous la pression des Chinois et des partis vietnamiens qui les soutenaient. Mais certaines localités ont voté dès le 23 décembre 1945. Le Vietminh revendique une victoire avec des pourcentages éblouissants : HCM, réélu président, a obtenu à Hanoï 98,4 % des voix, Giap 97 % à Nghe. Bao Daï est élu député du Vietminh avec 90 % des voix de la circonscription de Thanh Hoa, preuve vivante que le Vietminh a su présenter « des personnalités neutres, insoupçonnables, rassurantes et dignes ». Ainsi en est-il également pour l’évêque Le Huu Tu qui devient conseiller du gouvernement (Giap 1, 2003, p. 23).
Mais ces élections ont été aussi doublement truquées. Seuls, ou pratiquement seuls figuraient sur les listes des candidats du seul Vietminh. Quant aux candidats prochinois, ils ont été cooptés arbitrairement d’office, obtenant comme prévu par les accords du 22 décembre 1945 70 sièges. HCM est donc contraint d’accepter des nationalistes soutenus par les Chinois dans son gouvernement. Il s’efforce toutefois d’en réduire la portée en gardant l’essentiel du pouvoir par le biais des ministères clés (voir 23 décembre 1945). Selon Giap, un cinquième des sièges ont été attribués aux représentants des partis prochinois « sans passer par les élections parce qu’ils avaient très peu de chances d’être élus au suffrage universel. » (Giap 1, 2003, p. 23). Tout avait été organisé par le VM pour qu’ils soient d’illustres inconnus… Sur 329 sièges, 250 reviennent de fait au VM. Peu dupes de la manœuvre, les nationalistes prochinois maintiennent en janvier la pression de la rue, accusant les « vainqueurs » des élections de manipulation électorale. Quant aux députés « élus », ils ne seront convoqués que 6 semaines après les résultats… Le VM tient officiellement le Nord mais sa position demeure délicate : le pays est exsangue, sa maîtrise politique est imparfaite et il n’a pas les moyens matériels de s’engager dans une guerre à l’issue incertaine. Il doit donc composer avec les uns et les autres, ce qu’a parfaitement compris HCM.
Les violences à Hanoï se poursuivent contre les Français : 145 crimes et délits (dont 6 assassinats), 12 tentatives d’empoisonnement et des dizaines d’agressions perpétrées par les Vietnamiens ou les Chinois. Les 30 000 Français regroupés depuis le 9 mars 1945 à Hanoï (pour les deux tiers) ou dans les grandes villes du Nord ont le sentiment d’être abandonnés. 4 500 militaires français sont toujours retenus prisonniers dans la citadelle de la capitale du Tonkin. Sainteny dont les services sont entassés dans une villa de fonction y est plus surveillée que protégé par les troupes vietminh. Seul espoir pour lui, un retour rapide des troupes françaises (Francini 1, 1988, pp. 272-276).
HCM accorde une interview au journaliste français P.M. Dessinges, envoyé spécial du quotidien parisien Résistance mais surtout membre de l’état-major de Leclerc. Il y déclare : « Nous n’avons aucune haine contre la France et le peuple français. Nous les admirons beaucoup et nous ne désirons pas rompre les liens qui unissent si fort nos peuples. Nous demandons que la France fasse le premier pas sincère et concret. Nous le souhaitons d’autant plus, quand nous voyons d’autres nations chercher à s’immiscer dans des affaires qui nous regardent en propre. Il ne faut pas que nos deux peuples laissent à ces pays l’occasion de nous faire la morale. Nous voulons, nous devons nous arranger entre nous. Mais sachez-le bien, nous sommes décidés à lutter jusqu’au bout si la lutte nous est imposée. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 161)
7 janvier 46 : Au Cambodge, après s’être débarrassé de Son Ngoc Tranh (premier ministre nationaliste mis en place par les Japonais, voir 15 octobre 1945), ce dernier est remplacé par le prince Monireth, ancien officier du 5e R.I.C. et oncle de Sihanouk. Il signe avec la France un modus vivendi qui, par un système rendant exutoire tous les actes royaux par un « vu pour attache », rappelle le système du protectorat. Après un intermède assuré par le lieutenant-colonel Huard, le général Alessandri, devenu fin octobre 1945 commissaire de la République à Phnom Penh, sera également nommé conseiller du roi (De Folin, 1993, p. 129). Par ce texte provisoire, le gouvernement khmer récupère des compétences dans les domaines secondaires de la santé, de l’agriculture, de l’enseignement et des beaux-arts. Dans les faits, au grand dam de Sihanouk (voir 28 septembre 1945), cette situation qui n’aurait dû être que transitoire va s’éterniser du fait de la mauvaise volonté des Français quant aux aspirations d’indépendance du pays. Selon Burchett, « les discussions sur les traités étaient constamment ajournées. » (Burchett, 1970, p. 23) Le jeune roi Sihanouk et le peuple cambodgien vivront donc de plus en plus mal cet état de dépendance institué par un modus vivendi qui leur est imposé.
Salan se présente à l’aérodrome de Kunming pour se rendre à Chunking (voir 5-6 janvier) mais y est bloqué pour une question de ravitaillement en essence liée à la corruption ambiante. Il doit finalement prendre un avion américain. Arrivé à Chunking, il se rend directement à l’ambassade de France (Salan 1, 1970, pp. 260-261).
8 janvier 46 : Salan arrive à Chungking et y demeurera jusqu’au 2 février. Il a compulsé des documents émanant d’Alessandri et D’Argenlieu, produits en août, septembre et octobre 1945. Ils portent sur les négociations avec les Chinois en vue d’un éventuel retour des Français en Indochine. Les militaires chinois, contrairement à leurs diplomates (voir 17 avril 1945), n’y sont pas favorables (voir 3 novembre 1945) et préconisent un maintien de leur occupation pour des raisons purement mercantiles (mise en coupe réglée du pays et surtout récolte de l’opium).
Cependant, un mémorandum du 4 janvier émanant du 2e Bureau de l’armée chinoise « ouvre la porte du Laos » avec le retrait annoncé de la 93e division chinoise prévu pour le 31 janvier, date à laquelle les Français se substitueraient aux Chinois. Salan rencontre l’ambassadeur de France en Chine Meyrier qui lui prédit « des moments pénibles et désagréables » mais précise que « nous devons aboutir ». Il rencontre ensuite le général Tseng Kai Min de la commission militaire chinoise pour discuter du calendrier de retrait et de ses modalités, ainsi que du réarmement des troupes françaises à Hanoi. Sur ces deux points, il n’obtient aucune réponse claire (Salan 1, 1970, pp. 261-263). Les Chinois sont exigeants. C’est ce qu’observe le colonel Crépin qui accompagne Salan à Chunking : « Je pus m’apercevoir très vite qu’aucun accord d’état-major pour le retour des troupes au Tonkin ne pourrait être conclu tant que le traité d’amitié franco-chinois ne serait pas signé [voir 28 février] et que celui-ci ne le serait que si nous consentions des sacrifices financiers importants et l’abandon à la Chine du chemin de fer du Yunnan situé sur son territoire. » Meyrier et son premier secrétaire d’ambassade Daridan sont en charge de cet épineux dossier que le Quai d’Orsay laisse traîner (Pedroncini, 1992, p. 168).
9 janvier 46 : Assassinat du directeur de la Banque d’Indochine à Hanoi (Baylin). Il aurait refusé d’échanger les billets de 500 piastres émis par les Chinois et aurait refusé de donner 11 millions de piastres au VM comme il l’avait fait antérieurement (Salan 1, 1970, p. 265). Selon Devillers, les assassins se révèleront être en fait des « commerçants frustrés » (Devillers, 1988, p. 120).
Des émeutes violentes à l’égard des Français menées par des Vietnamiens et des Chinois se poursuivent jusqu’au 12 (Gras, 1979, pp. 86-87).
Signature à Chunking d’un accord entre Français et Chinois permettant le retour au Tonkin des unités militaires rescapées du coup de force japonais du 9 mars 1945 (Pedroncini, 1992, p. 394).
10 janvier 46 : Première séance de l’Assemblée générale de l’O.N.U.
10 - 12 janvier 46 : Émeutes de la faim à Hanoi suite à la récolte catastrophique provoquée par des inondations dues à des ruptures de digues. Elles sont menées par des Chinois et des Vietnamiens. Cette disette durera tout janvier et février et s’étendra jusqu’à la prochaine récolte. Selon Salan, « […] des enfants meurent de faim et les familles les déposent sur les trottoirs. » Sainteny « fait des efforts pour amener du riz de Cochinchine et y réussit en partie. » (Salan 1, 1970, p. 286) La police chinoise ne semble ni capable ni surtout désireuse de réprimer les mouvements. Les protestations de Saigon n’y feront rien et se heurteront toujours à un refus de réarmer les troupes françaises de la citadelle d’Hanoi. Selon Sainteny, ce sont des agents de la police municipale qui protègent les Français, « invitant la foule à se disperser et à laisser les Français en paix. » (cité in Devillers, 1988, p. 120).
12 janvier 46 : Pignon observe que le ton de la presse vietnamienne est beaucoup moins agressif à l’égard de la France. Le journal du VM Cuu Quoc distingue « les bons Français de France » des « mauvais Français de Cochinchine » (Devillers, 1988, p. 123).
13 janvier 46 : Le gouvernement provisoire vietnamien entreprend des opérations dans l’arrière-pays du delta du Tonkin. Les coups de main, assassinats et bagarres sanglantes reprennent à Hanoï, Vietri, Phu To, Vinh Yen entre le VM et les nationalistes prochinois. Les Chinois protègent ces derniers mais le VM parviendra à reprendre progressivement le contrôle de l’ordre. Toutefois l’action gouvernementale est contestée. Du fait de problèmes financiers liés aux récents cadeaux fiscaux, 751 fonctionnaires ont dû être licenciés. La présence des Chinois est toujours synonyme d’un ramassage de butin de guerre et les populations sont sans cesse arbitrairement ponctionnées sans que le gouvernement puisse réagir contre ces multiples exactions (Fall, 1960, p. 48).
14 janvier 46 : Leclerc qui recherche d’un compromis prudent avec le VM en vue du retour des Français au Tonkin, écrit à D’Argenlieu. Il évoque la possibilité « sinon de négociations, au moins de contacts personnels » avec HCM et « des personnages évolués du Vietminh, en général de culture française. » Comme Ho « ne représente plus le Vietminh seul, mais l’ensemble des partis du gouvernement d’union […] des conversations avec lui sont plus normales que par le passé […]. L’intérêt de telles conversations serait d’abord de prévenir à notre arrivée d’une guerre sainte. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 163)
Fait plus rare, il écrit également directement à De Gaulle en précisant qu’en vue du prochain débarquement, « il s’avère chaque jour d’avantage que le fond du problème est chinois. » Il envisage les deux possibilités : « sans l’accord des Chinois » et « avec l’accord des Chinois ». La deuxième éventualité ayant naturellement sa préférence. Mais la situation demeure forcément complexe et le temps presse. Pour influencer les Américains, il demande la médiation de Juin « et de ses relations personnelles avec le général Marshall. » Selon lui, « la présence du général Juin permettrait de coordonner l’action militaire et l’action politique […] » (Bodinier, 1987, pp. 200-201)
15 janvier 46 : Valluy quitte Saigon pour Paris. Il est chargé par D’Argenlieu et Leclerc d’aller souligner l’urgence de trouver un accord avec la Chine et le gouvernement vietnamien. Mais le commandant de la 9e D.I.C. arrive au plus mauvais moment puisque De Gaulle est en train de quitter le pouvoir. Il va donc lui falloir initier un nouveau gouvernement aux complexités de la situation indochinoise et surtout obtenir une décision car le temps presse (Pedroncini, 1992, pp. 163-164)
Leclerc avertit le gouvernement français de la gravité de la situation au Tonkin du fait de la complicité des Chinois et de leur mauvaise volonté à laisser revenir les Français. Il demande une intervention diplomatique auprès des autorités chinoises (Salan 1, 1970, pp. 268-269).
L’amiral Mountbatten propose d’abandonner toute responsabilité britannique en Indochine. Son gouvernement approuve. Le Foreign Office est plus réticent, pour ne pas froisser Washington. Les Américains craignent que la France ne réclame un rôle égal à celui du Royaume-Uni, de l’U.R.S.S., de la Chine et des U.S.A. après la capitulation du Japon. Ils sont clairement opposés depuis juillet et décembre 1943 à un retour des Français en Indochine (Pedroncini, 1992, p. 53).
Arrivée de Max André en Indochine. Il est l’un des dirigeants du M.R.P. et un ancien directeur de la Banque franco-chinoise avant la SGM. Il rencontrera HCM à deux reprises, les 16 et 21 janvier et dirigera par la suite la première conférence de Dalat (voir 19 avril – 11 mai) (Devillers, 1988, p. 123).
Mi-janvier 46 : Dans une note adressée à D’Argenlieu, Sainteny observe que les relations franco-annamites dépendent de la bonne volonté des Chinois et ne peut être réalisée que « par leur intermédiaire ». Selon lui, « la Chine est prête à être le courtier d’un accord dans lequel elle serait largement bénéficiaire. » Pour éviter cela, il faudrait une puissante intervention armée que la France ne peut pour l’instant mener et qui entraînerait une alliance entre la Chine et le VM. Seule l’option diplomatique est donc envisageable pour autoriser un retour de la France au Tonkin. Cette solution donnerait en plus des atouts économiques aux Français car « le Tonkin est et restera l’indispensable lien de la Chine du Sud-Ouest avec le monde. » (Devillers, 1988, pp. 121-123)
16 janvier 46 : Salan rencontre le général chinois Koung et évoque la libération des Français de la caserne Rivière à Haïphong. Sur le retour des Français au Tonkin, le général chinois donne « pour le moment » une réponse négative la justifiant par de pseudo-raisons de sécurité. Ces propos sont confirmés par différentes notes reçues par Salan. La politique chinoise demeure bienveillante à l’égard des seuls nationalistes vietnamiens prochinois. Selon Salan, les Français se font gruger, sans doute moins par Tchang Kaï Check lui-même, que par ses subordonnés sur lesquels il n’a qu’une emprise modérée (Salan 1, 1970, pp. 270-271 et p. 276). Toutefois un accord est signé, les troupes françaises toujours basées en Chine et commandées par le lieutenant-colonel Quichilini pourront se rendre au Tonkin via le Laos, sans toutefois pouvoir y stationner (voir 22 janvier) (Gras, 1979, p. 87).
Max André (M.R.P., voir 15 janvier) est chargé par Michelet (Armées) et Bidault (Affaires étrangères) de rencontrer HCM. Il avait vécu en Indochine avant la SGM. Il rapportera à D’Argenlieu les exigences de son interlocuteur : « un gouvernement vietnamien maître chez lui, et pareillement une administration, une économie, un système financier, une armée, une diplomatie enfin indépendantes. » (Devillers, 1988, p. 124)
17 janvier 46 : Salan et l’ambassadeur Meyrier sont reçus par Tchang Kaï Check lors d’une cérémonie très solennelle. Meyrier lui remet alors ses lettres de créance.
19 janvier 46 : Longue conversation entre Salan, l’ambassadeur Meyrier et Daridan (son conseiller) : il faut gagner du temps et ne pas laisser entendre clairement aux Chinois que les Français entendent revenir rapidement au Tonkin. Salan a un espoir : le départ des Japonais laisse la place aux communistes indochinois, ce que les nationalistes prochinois ne pourront tolérer longtemps (Salan 1, 1970, p. 275). Salan n’hésite pas durant son séjour à utiliser l’argument anticommuniste qui risque cependant de demeurer sans grand résultat (Salan 1, 1970, p. 277). Manière de s’opposer au retour des Français, il observe que les Américains demeurent les soutiens actifs des Chinois et qu’ils ont même récemment largué des armes au VM.
20 janvier 46 : Démission de De Gaulle. Ce dernier, en quittant ses fonctions, ne précise pas sa pensée quant au futur statut de l’Indochine et ne la communique pas à D’Argenlieu comme l’ont montré ses récents silences, au moment où il abandonnait les affaires. La mort récente du prince Vinh San semble l’avoir totalement désorienté (voir 5 janvier). Selon Jacques Foccart, un de ses proches, « il s’est dit que le pays ne le laisserait pas partir, qu’il reviendrait rapidement. Autrement dit, en partant, il a cru – il n’a jamais dit – qu’on le rappellerait rapidement. » (cité in Turpin, 2005, p. 190, note 94) De Gaulle entame, en fait, ce que l’on nommera sa longue « traversée du désert ».
Formation du gouvernement Félix Gouin (issu des élections du 21 octobre 1945 qui mettent en place le tripartisme). Le chef du gouvernement est socialiste. Le gouvernement est quant à lui tripartite : 6 ministres du Mouvement républicain populaire (M.R.P.), 8 communistes, 9 membres de la S.F.I.O.
Gouvernement : Armées : Edmond Michelet ; Affaires étrangères : Georges Bidault (M.R.P.) ; Colonies : Marius Moutet (S.F.I.O.).
C’est donc Marius Moutet (ancien ministre des Colonies du Front populaire) qui prend la tête du ministère de la France d’Outre-mer (Francini 1, 1988, p. 284). Privé du soutien de De Gaulle, D’Argenlieu aura toujours le plus grand mal à avoir confiance en Moutet. Selon Raymond, « les négociations opéraient donc dans un flou politique et sémantique, qui allait laisser la place à bien des équivoques. » (Raymond, 2013, p. 70)
D’Argenlieu reçoit un vague télégramme de De Gaulle lui recommandant « de poursuivre sa mission » mais aucune réponse aux propositions précises que celui-ci lui a adressées fin décembre 1945. D’Argenlieu se trouve de plus en plus désemparé face au silence gaullien (De Folin, 1993, pp. 136-137).
21 janvier 46 : Max André (M.R.P., voir 15 et 16 janvier) rencontre une seconde fois HCM. Ce dernier « insiste pour obtenir une déclaration solennelle de la France, favorable bien sûr à l’indépendance du Vietnam. Sans cela toute négociation le déconsidèrerait aux yeux des de la masse annamite […] » (Devillers, 1988, p. 124).
22 janvier 46 : Départ des premières troupes françaises stationnées en Chine pour l’Indochine (vers le Laos et la région de Dien Bien Phu). Leclerc suit la manœuvre (Salan 1, 1970, pp. 278-279). L’accueil au Laos est chaleureux, mais elles doivent à nouveau se heurter sur place aux Chinois qui leur barrent la route (Gras, 1979, p. 87).
24 janvier 46 : Selon Devillers, un rapport de Pignon observe que le G.R.A. « a amorcé depuis fin décembre une évolution nettement favorable aux Français. Cette évolution pourrait être interprétée comme une manifestation du désir de renouer des pourparlers interrompus […] » Il observe que la propagande du VM une subtile « classification […] entre colonialistes et impérialistes d’une part et résidents français d’autre part. C’est contre les premiers que le Vietnam doit poursuivre la lutte à outrance […] » (Devillers, 1988, pp. 115-116).
Télégramme de Tchang Kaï Check autorisant les troupes françaises stationnées au Yunnan à entrer au Laos (Salan 1, 1970, p. 282). Les Français ne pourront pas pour autant regagner le Tonkin, y compris le pays thaï. Cette opération doit théoriquement être terminée le 31 mais, dans les faits, ne le sera pas (voir 29 janvier) (Cadeau, 2019, p. 164).
Le président de l’Assemblée nationale, le socialiste Félix Gouin, est élu « président du Gouvernement provisoire de la République ». Il présentera un gouvernement tripartite à partir du 28 (Devillers, 1988, p. 124).
Dans une lettre, Leclerc demande à Salan de quitter la Chine et regagner Hanoi pour donner une nouvelle impulsion aux conversations avec HCM qui sont au point mort (Devillers, 1988, p. 126).
25 janvier 46 : Opération Gaur menée par deux colonnes motorisées parties de Bien Hoa et de Ban Me Thuot. Elle vise à occuper le Sud-Annam et libérer Nha Trang (atteint le 30) au moyen de 2 colonnes motorisées (colonnes Massu et Guffet). Libération de Dalat. Les routes sont relativement rapidement libérées mais leurs environs sont rapidement réoccupés par le VM qui demeure la plupart du temps insaisissable, sauf quand il se manifeste ici et là, ponctuellement. On « boucle » puis on « ratisse », souvent en vain… Leclerc n’est pas dupe, parlant lui-même pour évoquer ces opérations de « tours de prestidigitateur » (Cadeau, 2019, pp. 157-158).
26 janvier 46 : Réunion du Comité interministériel pour l’Indochine (Cominindo) à Paris (voir 3 février) sous la direction provisoire de De Langlade (qui avait demandé à De Gaulle de quitter cette fonction le 15 avril). Les futurs ministres n’y participent pas et ne sont représentés que par des « délégués ». Valluy représente D’Argenlieu. On y évoque deux questions principales : la relève des troupes chinoises et le projet de débarquement au Tonkin prévu pour fin-février. Valluy expose l’urgence de ce débarquement au vu de la situation des civils au Tonkin et l’approche de la mousson (future opération Bentre). Le débarquement doit toutefois avoir l’aval des Chinois et le général Juin doit être envoyé à Chunking car il entretient de bonnes relations avec le général américain Marshall qui y est. On prévoit de dédommager les Chinois en leur cédant le secteur du chemin de fer du Yunnan (D’Argenlieu, 1985, p. 138). On doit également obtenir l’aval des Vietnamiens. Cependant, du fait du récent départ de De Gaulle des affaires, rien ne peut être engagé sans l’aval d’un nouveau gouvernement. Pour la future opération Bentre, Valluy estime : « Il ne faut pas nous dissimuler que cette opération est difficile. Nous sommes dans la nécessité de l’entamer et de la conduire très vite. » Il précise qu’elle doit être présentée comme « une action militaire pure » pour ne heurter politiquement ni les Chinois ni les Vietnamiens. Elle doit donc être « obligatoirement couverte » par l’aval de ces deux parties afin que l’opération n’apparaisse pas comme « un coup de tonnerre ». Ce qui est sûr, c’est que « le temps presse », même si les Français sont en plein changement de gouvernement avec l’arrivée prochaine d’une nouvelle équipe (Devillers, 1988, pp. 125-126).
Rencontre entre Pignon, Clarac (conseiller diplomatique de D’Argenlieu) et le général Chao Pei Chang (chef de l’administration militaire) qui présente les vues du gouvernement central chinois. Les Chinois ne veulent pas d’un gouvernement communiste au Vietnam. Pensant que les Français seront plus efficaces que leurs nationalistes prochinois pour liquider le VM, le général propose de mettre en place un gouvernement dirigé par le V.N.Q.D.D. qui devra conclure un modus vivendi avec les Français. Pignon rend compte à D’Argenlieu qui, fidèle à la pensée gaulliste, refusera le 6 février : le contentieux entre la France et le VM doit être réglé sans intermédiaires, il faut « conclure une convention au moins préliminaire avec le gouvernement d’Hanoi ». (Pedroncini, 1992, p. 164)
Le futur ministre de la France d’Outre-Mer (et non plus des Colonies), le socialiste Marius Moutet, assure D’Argenlieu de sa confiance (Devillers, 1988, p. 124).
28 janvier 46 : Le socialiste Félix Gouin devient « président du Gouvernement provisoire de la République » (jusqu’au 24 juin 1946). La S.F.I.O. occupe une position charnière et refuse de gouverner seule avec le P.C.F. De Gaulle s’est arrangé pour que les postes-clés ne tombent pas dans les mains des communistes (Armées, Affaires étrangères, Intérieur). C’est donc la constitution d’un gouvernement tripartite (et hétéroclite) : S.F.I.O., M.R.P., P.C.
Gouvernement : Armées : Edmond Michelet (M.R.P.) Affaires étrangères : Georges Bidault (M.R.P.) ; le ministère des Colonies devient le ministère de la France d’Outre-mer : Marius Moutet, socialiste qui succède à Jacques Soustelle, en est le premier titulaire et le demeurera jusqu’en 1947 (Bodin, 2004, p. 124).
Évacuation de l’Indochine par les Britanniques au sud du 16e parallèle. Le général Gracey quitte le sud du Vietnam après avoir désarmé 54 000 Japonais. Durant son séjour, sa 20e division indienne a déploré 40 tués et 110 blessés (Pedroncini, 1992, p. 394).
En Cochinchine, les Français conçoivent des opérations de ratissage rendues difficiles par la configuration du terrain (présence d’eau et de marais dans le Delta) : le rebelle y est dans son élément et bénéficie de la complicité d’une importante partie des habitants. Les paysans du jour deviennent les combattants de la nuit. Les Français construisent des fortins et arment des partisans. L’ordre ancien se remet progressivement en place mais dans une atmosphère de guérilla.
Un rapport de Pignon résumant ses entretiens avec les Chinois précise : « A l’heure actuelle, 28 janvier, il semble que le Gouvernement chinois […] nous propose […] la constitution d’un gouvernement acceptable par eux et par nous, c’est-à-dire sinon anticommuniste, du moins sans communistes. Ce gouvernement devra aux yeux des Chinois présenter des garanties suffisantes de libéralisme. Ils lui imposeraient alors de traiter avec nous et faciliterait la relève de leurs troupes par les nôtres. » Le futur gouvernement sera donc prochinois, ce qui n’est pas pour déplaire aux Français qui sont cependant mis devant un fait accompli. Ils savent aussi que leur futur projet de débarquement dépend de son approbation ou non par les Chinois (Devillers, 1988, p. 128).
29 janvier 46 : Suite aux accords franco-chinois, un premier détachement, le bataillon Lepage, franchit la frontière vietnamo-chinoise en suivant l’itinéraire Phong To-Laichau. Il doit atteindre Dien Bien Phu le 18 février et par la suite progresser vers Luang Prabang qui doit être sa zone de stationnement. Deux autres bataillons doivent suivre par le Laos et s’installer au Tonkin sur le plateau de Tran Hinh (au nord de Xieng Khouang) et dans la région située à l’ouest de Dien Bien Phu. Ces troupes auraient dû théoriquement relever la 93e division chinoise au 31 mais les choses vont traîner sous des prétextes fallacieux (pour garantir la récolte de l’opium du printemps), ce que révèlera un rapport français en date du 12 février. Les Chinois laisseront traîner les choses jusqu’en mai (Bodinier, 1987, p. 207 ; Cadeau, 2019, p. 164-165).
Suite au modus vivendi signé le 7 avec le Cambodge, D’Argenlieu exulte de sa prouesse dans un télégramme adressé au Comité d’action pour l’Indochine : « D’ores et déjà on peut tirer de ce modus vivendi provisoire [mais voué à durer…] que la France est fermement décidée à tenir ses promesses. C’est bien au Cambodge autonome qui naît au sein de la grande famille française, Cambodge qui, servant d’exemple aux voisins de la fédération, tiendra désormais une place bien à lui dans une vie politique et économique pacifique, Cambodge qui n’aura désormais rien à envier à des pays comme la Birmanie et les Philippines dont le statut n’est pas encore réglé. » (cité in Turpin, 2005, p. 159) La France fait donc mieux que les Britanniques et les Américains… Reste à convaincre les Vietnamiens que la solution cambodgienne leur convient, ce qui est loin d’être acquis…
Nouvelle rencontre à Hanoi entre Pignon, Clarac et les généraux chinois Tchao Pei Tchang et Lin Chi Han, ce dernier étant le délégué de Tchang Kaï Check chargé de suivre les affaires annamites. Selon le rapport de Pignon, les Chinois font savoir qu’ils souhaitent « la constitution d’un gouvernement acceptable par eux et par nous, c'est-à-dire, sinon anticommuniste, du moins sans communistes [...] Il serait sans doute imprudent de hâter à la désagrégation du Viet-Minh avec qui nous ne devons pas perdre contact. » Il est alors question d’« un tiers parti acceptable aux Chinois et acceptable au Viet-Minh, sur qui nous pourrons avoir quelque action. » (cité in Turpin, 2005, p. 195) Pas un mot n’est prononcé sur le rôle futur de la France au Tonkin… En riposte, D’Argenlieu refuse que les Chinois s’immiscent dans les relations entre la France et le VM. Il est hors de question d’éliminer HCM au profit d’un membre du V.N.Q.D.D.
29 - 30 janvier 46 : D’Argenlieu se rend à Phnom Penh pour bien marquer et célébrer la signature du modus vivendi (voir 7 janvier).
30 janvier 46 : la ville de Nha Trang est atteinte par le groupement Massu dans le cadre de l’opération Gaur (voir 20 – 25 janvier). Il a fallu 6 jours pour parcourir les 215 km de trajet après le franchissement de « 466 mètres de coupure ». La seconde colonne (colonne Guffet) mettra encore quelques jours pour rejoindre (Cadeau, 2019, pp. 158-159).
Mise en place en Indochine d’une commission d’épuration dirigée par l’inspecteur général des Colonies Cazaux. Des comités d’enquête étudient les cas et les transmettent ou non à des commissions d’épuration territoriales nommées par les différents commissaires de la République. Peu de cas sont retenus. S’ils le sont, D’Argenlieu les examine et les transmet à la commission interministérielle dirigée par Cazaux. Leur existence est cependant mal perçue par les Français d’Indochine qui, eux, avaient subi l’occupation japonaise et voyaient arriver d’un mauvais œil ces « Français 1945 » (Turpin, 2005, pp. 130-131).
Fin janvier 46 : 28 000 militaires venus de France ont été débarqués en Indochine (Pedroncini, 1992, p. 394).