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par Jean-François Jagielski

Février 1971

Février 71 : 200 000 manifestants américains convergent à Washington pour bloquer les accès aux bâtiments gouvernementaux (Nixon, 1978, p. 360). Au cours de l’offensive du printemps 1971 qui durera 18 jours, des marches particulièrement spectaculaires se succéderont quotidiennement (Debouzy, 2003, p. 28).

Au Cambodge, arrivée des premiers « Khmers-Hanoi » à Kratié (voir novembre 1970). Ils seront répartis dans tout le pays par le P.C.K.


1er février 71 : La presse est mise au courant des mouvements de troupes avec l’assentiment du département de la Défense et du W.A.S.G. en vue de l’opération Lam Son 719. On espère ainsi limiter les habituelles fuites. Selon Kissinger, dès le 3 février certains journaux                « exprimèrent leurs inquiétudes au sujet de l’opération projetée. » L’affaire s’ébruite dans la presse au bénéfice des N-V (Kissinger 2, 1979, p. 1 054). L’A.F.P., citant des sources américaines, parle alors d’« invasion » du Laos et de « veillée d’armes » à Washington (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 293).


2 février 71 : Kissinger rédige un rapport de 5 pages qu’il adresse à Helms (C.I.A.), Laird (Défense) et Rogers (secrétaire d’État), en pesant le pour et le contre au sujet de l’opération envisagée. Il demande leur avis mais n’obtiendra aucune réponse vu que ceux-ci ont déjà exprimé leurs réserves lors du dernier C.N.S. (Kissinger 2, 1979, p. 1 054).

Le secrétaire à la Sécurité nationale revoit Nixon le soir même à la Maison Blanche et lui demande de « réexaminer toute l’opération encore une fois malgré ses avantages militaires indubitables. » L’effet de surprise n’est déjà plus d’actualité du fait des récentes révélations dans la presse. Quant au gouvernement, il est plus que divisé sur l’opportunité de cette nouvelle offensive au Cambodge-Laos (Kissinger 2, 1979, p. 1 055).


3 février 71 : Nixon revoit Kissinger et lui confirme que sa décision est prise. Il revoit le sénateur Stennis qui le conforte en ce sens. Kissinger revoit les membres du W.S.A.G. A 18 heures, une décision est définitivement actée (Kissinger 2, 1979, p. 1 055).

Nouvelles fuites (voir 1er février) concernant l’opération en cours : le journaliste Southerland de la chaîne télévisée américaine U.P.I. en fait une analyse et explique qu’elle doit avoir lieu avant la saison des pluies (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 293).


6 février 71 : Thieu confie à Nguyen Phu Duc (Affaires étrangères) qu’il n’est pas favorable au projet de l’opération Lam Son 719 car elle va dégarnir temporairement le territoire national. C’est une idée que Nixon a en tête depuis décembre 1970 et qui lui a été communiquée par Haig (conseiller militaire de Kissinger) lors de son dernier séjour à Saigon (voir 8 décembre 1970).

Thieu accepte finalement du bout des lèvres tout en pensant aussi que cette opération peut servir de test au programme de vietnamisation en cours. Il est chargé d’en informer Lon Lol au Cambodge et Souvanna Phouma au Laos. Ce dernier se contentera d’émettre une protestation de pure forme (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 291-293).


8 février - 25 mars 71 : Lancement de l’opération Lam Son 719 consistant en une incursion au Laos en direction de Tchepone accomplie par les troupes d’élite de l’armée    s-v (16 000 hommes), 2 000 avions et 600 hélicoptères. Les Américains n’assurent qu’un simple appui logistique avec un simple appui aérien pour respecter l’amendement Church-Cooper du 30 juin 1970.

Selon Nixon, l’attaque vise à bloquer l’apport en matériel par la piste HCM entreprise depuis le démarrage de l’opération au Cambodge et qui s’était soldée par la fermeture du port de Sihanoukville (Nixon, 1978, p. 361). Selon Kissinger, elle a plusieurs autres objectifs : pousser Hanoi à « engager ses réserves stratégiques » ; « détruire l’infrastructure des communistes cambodgiens en cours de développement » ; « écraser les forces des Khmers rouges en cours d’organisation » ; soutenir le gouvernement vacillant de Lon Lol ; protéger le S-V des incessantes infiltrations.

Haig (conseiller militaire de Kissinger) et des membres du C.N.S. ont été envoyés au Vietnam. Bunker (ambassadeur à Saigon), Abrams (commandant du M.A.C.V.) et plus modérément Thieu soutiennent cette idée d’offensive, voulant aller même plus loin en coupant la piste HCM au niveau de la D.M.Z. (voir 8 décembre 1970).

Les objectifs militaires définis par les Américains et les S-V sont au départ très ambitieux, du moins « sur le papier » : pousser par le Cambodge vers la frontière laotienne, prendre l’aéroport de Tchepone en faisant une jonction entre les troupes terrestres et aéroportées, couper la ligne d’approvisionnement des N-V (R.C. 9 qui relie le Centre-Vietnam à la frontière laotienne jusqu’à la Thaïlande), le tout en « quatre ou cinq jours. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 044-1 046). C’est encore et toujours une opération de type search and destroy, mais à grande échelle, qui vise les dépôts d’armements et d’approvisionnement des N-V. Un appui aérien est prévu  grâce aux porte-avions américains basés dans le Golfe du Tonkin.

L’opération menée par les S-V tourne rapidement au fiasco militaire car ces soldats ne sont pas habitués aux grands déploiements de troupes, qui plus est, sans conseillers américains sur place. L’aviation s-v est inopérante : « Personne n’avait vérifié si les contrôleurs aériens vietnamiens pouvaient remplacer les Américains ; nous découvrîmes plus tard que beaucoup de Vietnamiens ne parlaient pas l’Anglais. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 056-1 057). Les N-V, qui ont été mis au courant par les multiples fuites (voir 1er  et 3 février), ont massé 30 000 hommes à la frontière laotienne et 40 000 le long de la piste HCM. Ils attendent.

Nixon qualifie l’opération dans ses mémoires de « succès » et de « victoire militaire », mais également de « défaite psychologique » (Nixon, 1978, p. 360-361). Thieu n’y était guère favorable au départ car il savait que cette opération impliquerait de lourdes pertes et qu’il ne restait que 235 000 Américains pour défendre tout le S-V (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 291).

L’offensive est lancée en nets sous-effectifs. Là où avaient été prévus 60 000 hommes, il n’y en a que la moitié, faute de troupes expérimentées capables de mener un tel combat. Elles se heurtent à 36 000 N-V.

Le premier objectif, la prise de Tchepone, ne se trouve qu’à une trentaine de kilomètres de la frontière vietnamo-laotienne. Pour autant, Thieu va ordonner à ses généraux de stopper l’offensive si les pertes atteignent 3 000 hommes (voir 12 février). Les troupes s-v s’avancent de 12 à 18 km en territoire ennemi puis se terrent. L’armée sud-vietnamienne s’arrête donc à mi-chemin de la progression initialement prévue.

Tchepone est détruit par les bombardements américains sans que pour autant les S-V parviennent à l’atteindre et surtout s’y maintenir. Cette offensive est le dernier gros effort des Américains pour trouver une solution militaire au conflit. C’est un coup de dé qui se solde par un nouvel échec. L’offensive démontre la faible tenue des troupes s-v « vietnamisées » lorsqu’elles ne sont que peu épaulées au niveau terrestre par l’armée américaine.

Sans l’appui aérien américain, le maigre résultat aurait été encore pire que ce qu’il a été. 13 600 N-V ont été tués mais les pertes s-v sont également très importantes, 16 000 hors de combat selon les chiffres donnés par N-V. Les Américains comptent quant à eux 268 tués. Enfin, cette opération est jugée de manière très sévère par l’opinion internationale, notamment par le président de la République française Georges Pompidou et U Thant, le secrétaire général de l’O.N.U.


8 - 22 février 71 : Les S-V annoncent à 6 reprises à Kissinger et aux Américains la reprise du mouvement de leurs troupes, mais en fait rien ne se passe (Kissinger 2, 1979, p. 1057).


9 février 71 : Au vu de ce nouvel échec militaire, 38 membres de la chambre des Représentants déposent un projet de loi visant non seulement à interdire aux troupes américaines de participer à l’action mais aussi d’apporter leur soutien à toute opération militaire au Laos. Selon les mots de Kissinger, on passe alors du « doute » à la « confusion » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 055-1 056).


12 février 71 : Thieu donne à nouveau l’ordre à ses commandants militaires de n’avancer à l’ouest qu’avec précaution et de stopper l’offensive dès que le nombre de pertes aura atteint les 3 000 hommes. Les Américains ne seront mis au courant de cette décision que le 18 (Kissinger 2, 1979, p. 1057-1058).


13 février 71 : Le général Lon Lol qui a pris le pouvoir au Cambodge a eu une attaque d’hémiplégie 4 jours plus tôt. Il se rend à Hawaï pour y être soigné par les Américains. Sirith Matak prend l’intérim au poste de premier ministre.


16 février 71 : Kissinger demande à l’amiral Moorer (président de l'état-major interarmées) d’intervenir auprès d’Abrams pour faire un point sur la situation de l’offensive en cours. Le commandant de la M.A.C.V. lui répond avec l’habituel optimisme de mise dans l’armée américaine : « Je crois, en toute confiance, que la tâche fixée sera exécutée. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 057)

Nixon fait mettre en place dans le Bureau ovale et d’autres pièces de la Maison Blanche, y compris dans la résidence de Camp David, un système d’enregistrement des conversations sans en avertir ses interlocuteurs. Ce système restera en place jusqu’au 16 juillet 1973 et ne sera débranché que sur l’ordre de son futur chef de cabinet, Alexander Haig, après la divulgation du scandale du Watergate. 3 700 heures d’enregistrement seront ainsi conservées. Le chef de cabinet du moment, Haldeman, est seul à avoir été mis au courant de cette installation clandestine.


18 février 71 : Au Cambodge, dissolution du Sangkum.


20 février 71 : Kissinger rappelle à Bunker (ambassadeur à Saigon) les objectifs de l’opération en cours : non pas occuper le terrain mais rendre la piste HCM impraticable. Bunker et Abrams (commandant le M.A.C.V.) rencontrent Thieu et son chef d’état-major, le général Cao Van Vien, qui les rassurent.

Kissinger se dit cependant « suffisamment inquiet pour demander à Haig [conseiller militaire de Kissinger] de se rendre au Vietnam où il jugerait sur place. » Laird (Défense) et l’amiral Moorer (président de l'état-major interarmées) voient dans ce voyage un acte de défiance à leur égard et n’y sont pas favorables (Kissinger 2, 1979, p. 1 058). Plus que jamais les promesses s-v n’ont aucun sens : la piste HCM n’a pas été atteinte et les S-V ont, sur ordre de Thieu, stoppé leur offensive.


22 février 71 : Les attaques des parlementaires démocrates américains à l’égard de l’administration se poursuivent. Le Comité politique du parti au Congrès exige un retrait de « toutes » les forces américaines, y compris dans le domaine aérien, avant le 31 décembre 1972 (Kissinger 2, 1979, p. 1 066).


23 février 71 : L’amiral Moorer (président de l'état-major interarmées) étant absent de Washington puisque s’étant rendu au S-V, Kissinger demande à Westmoreland (chef d’état-major interarmées par intérim qui avait avalisé l’opération en tant que membre du W.S.A.G.) de lui donner un avis : « […] son diagnostic [est] sombre. » Il estime, comme Laird, Rogers et Helms l’avaient fait avant, que l’opération a été engagée par les S-V en sous-effectif et aurait dû être montée autrement.

Les commentaires de l’ancien commandant du M.A.C.V. paraissent « sensés » à l’amiral Moorer arrivé sur place. Toutefois, Laird et l’amiral, ne voulant pas froisser Abrams (commandant du M.A.C.V.), défendent ce que Kissinger nomme pudiquement « le principe sacro-saint de l’autonomie du chef d’opération sur le terrain. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 059)


25 février 71 : Cette fois, ce sont 18 sénateurs qui signent une proposition de loi visant à interdire toute intervention américaine sur le territoire du N-V sans l’accord préalable du Congrès (Kissinger 2, 1979, p. 1 066).


26 février 71 : Le Washington Post, jusque-là modéré dans sa critique de la guerre, réagit à une déclaration de Nixon affirmant qu’« aussi longtemps que le Vietnam du Nord retient prisonnier un seul Américain, nous conserverons des forces au Vietnam du Sud. » Pour le journal, on est loin de la sortie de guerre annoncée par le président depuis son élection (Kissinger 2, 1979, p. 1 065). C’est alors le début d’une campagne de presse contre les contradictions de l’administration Nixon qui aboutira bientôt à celle provoquée par la publication des Pentagon’s Papers.

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