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par Jean-François Jagielski

Février 1970

Février 70 : Le N-V lance une offensive dans la plaine des Jarres au nord du Laos (voir 12 février) pour soutenir le mouvement communiste du Pathet Lao. Selon Kissinger, les Américains ne souhaitent pas une extension du conflit au Laos mais sont confrontés à un envoi massif de 13 000 N-V qui menacent directement la Thaïlande. Une manière de justifier a posteriori une longue présence américaine (forces spéciales, « conseillers », actions de la C.I.A., bombardement des forces du Pathet Lao par l’aviation américaine basée en Thaïlande, armement des forces anti-communistes) dans ce pays, mais qui a toujours été dissimulée tant à la représentation nationale qu’au peuple américain. C’est ce qu’a révélé l’enquête du sénateur Fullbright le 15 décembre 1969 en exigeant que l’administration Nixon révèle ce qui se tramait depuis longtemps là-bas. Lors des entretiens secrets entre Kissinger et Le Duc Tho, ce dernier a rejeté le principe de neutralité du Laos et du Cambodge, soulignant vouloir ainsi conquérir l’ensemble de l’Indochine (Kissinger 1, 1979, p. 451 et pp. 467-468).

Au Cambodge, Lon Lol convoque à Phnom Penh une assemblée de gouverneurs de provinces pour discuter du comportement des occupants vietnamiens. Les gouverneurs lui dressent un tableau assez sombre de la situation au sujet du comportement tyrannique du VC et des N-V. Lon Lol décide alors de fermer le port de Sihanoukville au ravitaillement et cargaisons communistes comme l’avait  déjà fait Sihanouk en 1969. On évalue alors à 40 000 hommes les troupes d’occupation communistes stationnées au Cambodge. Un nombre en constante évolution à la hausse (Shawcross, 1979, p. 117). Pour autant, Sihanouk, toujours en France,  annonce qu’il va recevoir Pham Van Dong en visite officielle sans toutefois préciser la date de cette rencontre.


3 février 70 : Au Cambodge, le colonel Oum Manorine, secrétaire d'État à la Défense et beau-frère de Sihanouk, est impliqué dans une importante affaire de contrebande. Une affaire qui éclabousse une fois encore le régime vacillant de Sihanouk.


5 février 70 : Au Laos, l’aviation américaine commence l’évacuation de 23 000 habitants de la Plaine des Jarres.


8 février 70 : Reprise des négociations secrètes. Nixon demeure sceptique sur leur portée. Trois rencontres ont lieu entre le 21 février et le 3 avril à Choisy-Le-Roi (au 11 rue Darthé) où se dérouleront pendant un an et demi la majeure partie des entretiens secrets (Kissinger 1, 1979, p. 456). Les N-V qui disposent des lieux ont mis en place un système d’enregistrement des conversations, sans que les Américains le sachent. Après le 25 janvier 1972, date à laquelle Nixon révèlera l’existence de ces entretiens, les réunions auront lieu à Gif-sur-Yvette, dans la maison du peintre Fernand Léger, décédé en 1955, qui était un proche du P.C.F. (Portes, 2016, p. 50).

Kissinger prétend que les S-V ont été régulièrement mis au courant de l’avance des négociations. Évoquant Thieu, il écrit dans ses mémoires : « Il était pleinement tenu informé de mes pourparlers avec Le Duc Tho, approuvait chacune de mes propositions et recevait un résumé de chaque séance par le truchement de Bunker, avec qui il communiquait grâce à un code infantile. Périodiquement Haig se rendait à Saigon pour lui faire un compte-rendu et le mettre au courant. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 089) Les réactions de Thieu lorsqu’il se sentira lâché par les Américains montrent que les choses furent beaucoup moins transparentes que ne le prétend Kissinger a posteriori dans ses mémoires.


12 février 70 : Les N-V et le Pathet Lao lancent une offensive conjointe contre la plaine des Jarres dans la région de Xien Khouang, provinces de Saravane et Attropeu au Laos. Phouma Souvana demande l’intervention des B-52. Les réactions au sein du Congrès (McCarthy, F. Church, M. Mansfield) et des médias (New York Times, Washington Post) ne se font pas attendre, accusant le gouvernement d’une nouvelle escalade dans le conflit. Les uns comme les autres ne veulent pas tant obtenir des informations que voir la politique de l’administration confirmée publiquement. Ce qu’aucun des départements ne veut faire, pas plus que Kissinger d’ailleurs car ce serait reconnaître publiquement que les N-V et les Américains violent conjointement et sciemment les accords de Genève de 1962.


16 février 70 : Importante avancée des troupes n-v dans la plaine des Jarres au Laos.


Nuit 17 - 18 février 70 : Intervention de trois B-52 contre la piste HCM. Sa révélation déclenche aux U.S.A. une réaction de l’opinion publique, de la presse et de certains sénateurs contre cette extension du conflit au Laos. Le gouvernement américain se voit obligé, sous la pression de certains de ces derniers, de confirmer publiquement cette attaque (Kissinger 1, 1979, pp. 469-470).


18 février 70 : Retour au Cambodge de Lon Nol, suite à sa convalescence à Hawaï. Le général rentre physiquement et mentalement fortement diminué.


21 février 70 : Au Laos, la Plaine des Jarres tombe aux mains des communistes n-v et du Pathet Lao.

Première rencontre secrète entre Kissinger et les dirigeants n-v à Choisy-Le-Roi d’une durée de 5 heures. Ce processus de négociations secrètes et purement bilatérales s’était amorcé le 4 août 1969, sous l’administration Johnson. Le Duc Tho (membre du Bureau politique et conseiller spécial de la délégation à la conférence de Paris) devient rapidement le dirigeant majeur de ces négociations secrètes, même si Xuan Thuy (ancien ministre des Affaires étrangères et ancien président de l’Assemblée nationale) qui avait initié ce processus discret est en théorie hiérarchiquement supérieur au premier.

Le Duc Tho est donc présent ce jour-là mais les N-V sont rétifs du fait du maintien des bombardements sur le Cambodge et le Laos. Kissinger considère cependant cette première rencontre comme « la plus importante » depuis le début du mandat de Nixon (Nixon, 1978, pp. 321-322). Ces rencontres secrètes (« clandestines » selon les mots de Kissinger) entre le secrétaire à la Sécurité nationale, Xuan Thuy et Le Duc Tho à Choisy-Le-Roi (ou parfois ailleurs en France) dureront 4 ans et demi (Kissinger 1, 1979, pp. 458-462). Kissinger essaiera de les limiter dans le temps mais se heurtera en permanence aux refus des N-V qui savent, comme HCM l’avait déjà dit à plusieurs reprises du temps des Français, que le temps jouait en leur faveur (Nixon, 1978, p. 323).

L’habile stratégie adoptée par les N-V se résume la plupart du temps à trois mots : « négocier et combattre » (danh va dam), en même temps. Côté n-v, les avancées ou reculades au niveau des négociations seront toujours strictement liées au contexte militaire selon qu’il leur est favorable ou défavorable. Un jeu de dupes pour les Américains qui ne pourront pourtant s’y soustraire durablement (Truong Nhu Tang, 1985, p. 208).

Dans un premier temps Kissinger est accueilli par Xuan Thuy puis par Le Duc Tho lui-même, membre du bureau politique du Lao Dong qui a rang de Conseiller spécial de la délégation n-v à la conférence de Paris. Xuan Thuy aborde la question d’un retrait unilatéral des Américains à une date limite, sans agression des troupes n-v au moment où s’effectuerait ce retrait. Il est d’entrée direct : la lutte pour la conquête du S-V se poursuivra jusqu’à la chute du gouvernement de Saigon. Il qualifie le retrait de 100 000 Américains de « retrait par petits morceaux ». Il accuse les U.S.A. d’intensifier la guerre, se gardant bien de prendre en compte la diminution récente de 25 % des bombardements par B-52.

Le Duc Tho est aussi clair : le Vietnam a pour destin de reconquérir non seulement le S-V mais d’affirmer sa domination sur toute l’Indochine et au-delà, sur toute l’Asie du Sud-Est. Les U.S.A. doivent se retirer progressivement, le gouvernement s-v et Thieu doivent l »un et l’autre disparaître. Toute autre concession lui semble inconcevable, sauf nécessité absolue. La question des prisonniers de guerre n’est pas abordée lors de ce premier entretien (Kissinger 1, 1979, pp. 460-463).

Ce procédé singulier, « clandestin », permet à Kissinger d’échapper à la bureaucratie de Washington qu’il exècre. Il lui permet aussi de court-circuiter par la même occasion le secrétaire d’État, William Rogers, et celui à la Défense, Melvin Laird, mis tous deux sur la touche depuis bien longtemps. Ce dernier ne sera véritablement jamais mis au courant de la teneur de ces discussions, si ce n’est qu’un an après leur amorce. Thieu sait qu’il est mis d’entrée sur la touche mais demeure strictement dépendant de l’armée américaine et donc de ses dirigeants politiques. Côté n-v, ce procédé leur permet également d’être totalement indépendants par rapport à leurs ennemis du S-V.

Trois réunions ont lieu entre février et avril, sans le moindre résultat. Connaissant la pression de l’opinion publique américaine contre la guerre, Le Duc Tho joue la montre en exigeant un armistice avec remplacement du gouvernement du S-V par un autre, de coalition, et comprenant donc des représentants du G.R.P. Position intenable pour les Américains pressés par les manifestations estudiantines qui fleurissent sur nombre de campus. C’est là le principal et durable point de blocage. La question de la  participation du Vietcong  aux hypothétiques projets de réalisation d’un pouvoir de transition achoppera durant deux ans. Elle réédite à sa manière les erreurs de la conférence de Genève de 1954, notamment celle du projet avorté d’élections au niveau des deux Vietnam prévu, mais jamais réalisé, en juillet 1956 (Karnov, 1983, pp. 382-384).


22 février 70 : Sihanouk annonce qu’à son retour de France, en mars, il fera escale, avant de rentrer au Cambodge, en U.R.S.S. et en Chine afin d’obtenir leur aide en vue de se débarrasser de la présence n-v (Kissinger 1, 1979, p. 477). Malgré la tension antivietnamienne dans son pays et les graves troubles qui s’en suivront, il ne changera rien à son programme de visites.


27 février 70 : Un C.N.S. se réunit pour définir une politique au Laos avec un  projet de déclaration de la Maison Blanche. Kissinger lui donne la forme d’une nouvelle proposition faite aux deux co-présidents de la conférence de Genève et des accords de 1962 pour le Laos, la Grande Bretagne et l’U.R.S.S., afin de définir de nouvelles garanties en faveur de la neutralité laotienne. Mais ceux-ci, connaissant l’implication américaine au Laos, refusent. Les Américains espèrent prouver leur bonne foi en prétextant qu’aucun de leurs soldats n’y est mort. Or il y en a eu quelques-uns (6 civils et un capitaine depuis le début de 1969), ce que devra reconnaître la Maison Blanche le 6 mars. La presse et le Congrès voient là un nouvel engagement réel des U.S.A. dans ce qui aurait dû demeurer en théorie un sanctuaire de neutralité selon les accords de 1962 (Kissinger 1, 1979, pp. 472-473).

Laird (secrétaire à la Défense) déplore dans un courrier adressé à Nixon « les ressources de plus en plus limitées » de son budget qui ne l’autorise plus à allouer des crédits pour des opérations d’envergure prévues en 1970 et 1971 (Kissinger 1, 1979, p. 493).

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