Février 65 : Une étude du département d’État montre que 37 000 soldats n-v se sont infiltrés au S-V. Ce même département publie un Livre blanc (White papers) pour dénoncer ce fait (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 498).
Début février, visite officielle à Hanoi du nouveau chef du gouvernement russe, Alexis Kossyguine (suite à l’éviction de Khrouchtchev). Elle vise à resserrer les liens entre les deux pays, le Lao Dong penchant plutôt du côté de Pékin où le F.N.L. a une représentation permanente depuis septembre 1964. Un nouvel accord d’assistance et d’échanges économiques est signé. Russes et Chinois ont des points de vue divergents : les premiers sont favorables à la négociation, les seconds opposés (Francini 2, 1988, p. 291).
1er février 65 : McGeorge Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) quitte Washington pour Saigon. Il doit faire un rapport au président sur la situation chaotique à laquelle est confronté Khanh et sur la position que le Sud réserverait à d’éventuels bombardements sur le Nord (Lacouture, 1965, p. 253).
2 février 65 : Selon Halberstam, LBJ annonce que Rusk (secrétaire d’État) et McNaugton (sous-secrétaire à la Défense) vont partir pour Saigon (Halberstam, 1974, p. 499). McGeorge Bundy (secrétaire d’État à la Sécurité nationale) reviendra de Saigon avec un rapport en faveur de l’engagement américain alors que sa précédente position était beaucoup plus mesurée. Ce rapport va influer les hautes sphères décisionnelles et la bureaucratie à Washington (Halberstam, 1974, pp. 501-503). xyxy
4 février 65 : McGeorge Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) et John McNaugton (sous-secrétaire à la Défense) arrivent en mission d’information au Vietnam. L’ambassadeur Taylor et Alexis Johnson (sous-secrétaire d’État) les accueillent. Ils sont venus soutenir les « Jeunes Turcs » proaméricains menés par Thieu et Nguyen Cao Ky (Chaffard, 1969, p. 397). Cette visite va coïncider avec l’attaque par le VC du camp Holloway sur Pleiku (voir 7 février).
6 février 65 : Arrivée à Hanoi du chef du gouvernement soviétique, Alexis Kossyguine accompagné de commandant en chef de l’armée de l’air, tous deux en provenance de Pékin. Cette venue paraît liée aux efforts de Moscou et Paris en faveur d’une nouvelle conférence de Genève. Malgré cette présence, LBJ va donner son feu vert pour une riposte aérienne sur le N-V suite à l’affaire de Pleiku (voir 7 février) (Chaffard, 1969, p. 398). Selon LBJ, les Soviétiques seront mis ultérieurement au courant par voie diplomatique que l’intervention américaine n’a rien à voir avec cette visite (Johnson, 1972, p. 163).
Attaque du Vietcong contre la base américaine de Pleiku, le camp Holloway (Q.G. de la défense des Hauts-Plateaux) dans après-midi. 8 américains sont tués et 60 blessés. 5 appareils sont détruits et une quinzaine d’autres endommagés. Cette attaque entraîne à court terme une réaction américaine. McGeorge Bundy (conseiller à la Sécurité nationale), présent au Vietnam depuis le 4, se rend sur place. La scène des blessés lui fait forte impression. Bundy est dès lors favorable à la riposte, « une véritable conversion » selon Halberstam.
7 février 65 : Suite à l’attaque de Pleiku, LBJ convoque un C.N.S. à 19 h 45. Sont présents McN et son adjoint Cyrius Vance, Wheeler (président des chefs d’état-major interarmes), Bill Bundy (département d’État), Dillion (Trésor) McCormack (président de la chambre des Représentants), le sénateur Mansfield, Carl Rowan (U.S.I.A.), Marshall Carter (C.I.A.). Rusk, souffrant, est absent mais représenté par le sous-secrétaire d’État George Ball.
Selon LBJ, « l’ambiance était tendue, électrique ». Vance qui a été contacté par McGeorge Bundy de Saigon annonce que celui-ci est favorable à une riposte. Westmoreland et Taylor également. On s’interroge sur les éventuelles réactions des N-V, de la Chine et du premier ministre de l’U.R.S.S. Kossyguine, en visite officielle à Hanoi depuis le 6.
Ball est favorable à une action par bombardement. LBJ soulève le problème des ressortissants américains en cas de riposte n-v. Il déplore que leur évacuation n’ait pas été déjà accomplie et l’ordonne. Un tour de table montre que chacun est favorable à une riposte à l’exception de Mike Mansfield qui craint un conflit avec la Chine et une réconciliation entre Moscou et Pékin.
LBJ le rassure sur les faibles risques de riposte chinoise et confie alors : « Nous avons gardé nos fusils en bandoulière et retenu nos balles pendant longtemps. Je ne peux demander à nos soldats au Vietnam de continuer à se battre avec une main liée derrière le dos. Et quel a été le résultat ? Ils tuent nos hommes pendant leur sommeil. » Le président donne un feu vert aux attaques aériennes (opération Flamming Dart 1) qui ont lieu dans la nuit sur 4 objectifs déjà planifiés, 12 heures après l’attaque sur Pleiku. Elles visent des objectifs militaires entre Dong Hoi et Vinh Linh, villes côtières n-v aux abords du 17e parallèle situées toutes deux au nord de Hué (Francini 2, 1988, p. 291 ; Johnson, 1972, pp. 159-160).
L’opinion publique américaine approuvera cette réaction à 76%. A ce moment, 60 % des sondés approuvent la politique de LBJ au Vietnam. Avant l’attaque de Pleiku, ils n’étaient que 40 %. Ces chiffres deviennent un stimulant à une intervention encore plus puissante. Les médias de la presse écrite – Washington Post, New York Times, New York Herald Tribune – tout comme le Congrès l’approuvent également.
De retour du Vietnam, McGeorge Bundy et son équipe (John McNaughton, adjoint de McN, Leonard Hunger, sous-secrétaire d’État adjoint du général Andrew J. Goodpaster chef d’état-major adjoint, Chester Cooper, membre du C.N.S.) se rendent à la Maison Blanche vers 23 heures.
Bundy a produit un mémorandum de 8 pages complété par une annexe de 5 pages adressée à LBJ dans lesquels il préconise « une politique de représailles systématiques » aux agressions du Vietcong. Selon lui, face à la détérioration actuelle, il faut « concevoir et mettre en pratique une politique de représailles systématiques contre le Nord-Vietnam – politique par laquelle des actions aériennes et maritimes contre le Nord seraient justifiées par, et présentées comme, résultant de la campagne vietcong de violence et de terreur au Sud. » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 450-455).
McGeorge Bundy écrit par ailleurs : « Le prestige international des États-Unis et une large part de notre influence sont directement mis en danger au Vietnam. Il n’y a actuellement aucun moyen de nous décharger du fardeau sur les Vietnamiens, ni de nous retirer […] Nombreux sont ceux qui pensent que nous n’avons pas la volonté, la force, la patience et la détermination de prendre les mesures nécessaires pour redresser la situation […] Dans le meilleur des cas, la bataille du Vietnam sera longue. Il nous semble important que cette réalité soit admise et expliquée à notre peuple et au peuple vietnamien. » (cité in Francini 2, 1988, p. 292) Il préconise une réponse graduelle aux actes d’agression.
L’annexe rédigée par McNaughton insiste sur « d’importantes pertes en avions » inévitables si on attaque le N-V : « Les pertes des États-Unis seraient plus élevées et plus perceptibles à l’opinion américaine que celles subies dans la lutte au Sud-Vietnam même. » (cité in Johnson, 1972, pp. 161-162)
8 février 65 : Nouveau C.N.S. vers 8 h 00 du matin à la Maison Blanche. Sont présents : département d’État, George Ball, Bill Bundy et Leonard Hunger. Rusk, toujours souffrant, est absent ; Défense : McN, Cyrius Vance, McNaughton ; militaires : Wheeler (président des chefs d’état-major interarmes), le général Goodpaster ; C.I.A. : McCone ; U.S.I.A. : David Bell ; A.I.D. : William Gaud ; McGeorge Bundy (secrétaire à la Sécurité nationale). Des membres du Congrès rejoignent le C.N.S. vers 10 h 30 : McCormack (leader des Républicains à la chambre des Représentants), Gerald Ford, les sénateurs Mansfield et Dirken.
MCN fait le point sur les attaques aériennes programmées la veille (opération Flamming Dart 1) : 3 des 4 objectifs ont été manqués. On décide de ne pas renouveler les attaques pour ne pas donner l’impression à Hanoi et Moscou (présence de Kossyguine à Hanoi) d’une offensive généralisée. Seuls les avions s-v retourneront sur leur objectif. On diffuse un premier communiqué affirmant que « comme le gouvernement américain l’a souvent affirmé, nous ne souhaitons pas une escalade de la guerre. Il dépend des agresseurs nord-vietnamiens que nous puissions ou non conserver cette ligne de conduite. » Un second communiqué annonce l’évacuation des ressortissants américains au S-V. Les Américains entendent donc apporter une réplique graduée (Johnson, 1972, pp. 160-161).
Les participants ont lu le rapport Bundy qui est approuvé de manière générale. Cependant, selon LBJ, « il y eut des divergences quant au rythme de ces représailles. Certains de mes conseillers considéraient favorablement un programme intensif d’attaques. D’autres envisageaient plutôt une approche plus progressive. » Johnson donne l’ordre d’accomplir de nouveaux raids de représailles contre le N-V sous le nom Rolling Thunder (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 335 ; Johnson, 1972, pp. 163-164).
9 février 65 : Les Américains renforcent la défense antiaérienne autour de la base aérienne de Danang en y faisant installer des missiles sol-air Hawk. Une réaction particulièrement rapide qui prouve, là encore, que les plans étaient préétablis depuis longtemps (Chaffard, 1969, p. 397).
Moscou annonce vouloir prendre sans attendre des mesures « pour assurer la sécurité et renforcer la défense de la R.D.V.N. » (voir 10 février) (Marangé, 2012, p. 325).
10 février 65 : Après Pleiku (voir 7 février), le F.N.L. attaque le cantonnement américain de Qui Nhon. Selon LBJ, il y aurait 23 morts américains et 7 vietnamiens. 21 soldats américains ont été blessés.
Le président convoque un troisième C.N.S., sans participer au début de la réunion. Les participants sont les mêmes qu’à celui du 8. S’y ajoutent le vice-président Humphrey. Wheeler (président des chefs d’état-major interarmes) et les militaires sont ce jour-là représentés par l’amiral D. L. McDonald.
McN décrit l’attaque et déclare que le département de la Défense, les chefs d’état-major, l’ambassadeur Taylor réclament tous une riposte immédiate. A l’arrivée du président, Mc George Bundy fait une synthèse de ce qui a été dit : tous sont d’accord pour une riposte mais il existe des divergences quant à l’opportunité de sa date car Kossyguine se trouve alors en Corée du Nord et doit ensuite faire escale à Pékin. Humphrey, George Ball et Llewelling Thompson se demandent s’il ne faut pas attendre avant de riposter. Ce n’est pas l’avis de Bundy, McN et des militaires qui estiment que les États-Unis n’ont pas à se mettre à l’heure de Moscou. Au final, LBJ tranche et préconise une attaque pour le lendemain (opération Flamming Dart 2).
Initiation d’un mouvement diplomatique impulsé par De Gaulle en faveur d’une nouvelle conférence à Genève en vue de régler le conflit indochinois. L’idée sera reprise par Kossyguine à son retour d’Asie, de concert avec la Grande Bretagne. U Thant (secrétaire général de l’O.N.U.) s’y joint le 23. Cette initiative diplomatique gène les Américains en vue du prochain lancement de Rolling Thunder. Ils y feront obstruction (Francini 2, 1988, pp. 294-295).
Kossyguine a signé à Hanoi avec le premier ministre Pham Van Dong un pacte de défense déclarant que la R.D.V.N. est « un poste avancé du camp socialiste en Asie du Sud-Est » qui joue un rôle important « dans la lutte contre l’impérialisme américain ». Ce pacte marque un net réchauffement dans les relations soviético-vietnamiennes. Désormais l’U.R.S.S. apporte un large soutien aux demandes d’aides vietnamiennes (Marangé, 2012, p. 325).
11 février 65 : Nouvelle réplique américaine avec l’opération Flamming Dart 2 malgré les réserves de George Ball, de Llewelling Thompson et du vice-président Humphrey qui auraient préféré que Kossyguine ait quitté la Corée du Nord avant son déclenchement. Cette opération est qualifiée de « réponse globale à des actes d’agression permanents » (Francini 2, 1988, p. 291). Les résultats des 2 attaques sont décevants : sur 491 édifices attaqués, seul 47 ont été détruits et 22 endommagés. McN s’en plaint au commandant des chefs d’état-major, le général Wheeler (Francini 2, 1988, p. 295).
12 février 65 : Khanh quitte le gouvernement (Journoud, 2011, p. 191).
13 février 65 : Johnson donne le signal de l’opération Rolling Thunder (« roulement de tonnerre »), vaste programme de bombardement du N-V qui se poursuivra jusqu’au 31 mai 1968, après l’offensive du Têt (Baulon, 2009, p. 435). Par ces bombardements, la Maison Blanche espère mobiliser les différentes factions au S-V afin d’obtenir une stabilité du régime. L’autre objectif est de démoraliser les dirigeants d’Hanoi et de les contraindre à ordonner un arrêt de l’insurrection dans le Sud. Ce sera un échec qui impliquera aussi l’envoi de troupes terrestres pour protéger les bases aériennes.
Selon Baulon, « si l’opération Rolling Thunder épargna Hanoi, Haiphong et la frontière chinoise, elle déversa une quantité croissante de bombes sur le Nord, espérant infléchir sa volonté, lui signifier son incapacité à gagner la guerre en continuant à déstabiliser le Sud. » (Baulon, 2009, p. 440 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 455-456). Mais LBJ impose d’entrée des limites géographiques restrictives qui diminueront l’efficacité de l’opération : Haïphong, nœud central de l’approvisionnement et Hanoi seront épargnés jusqu’en juin 1966.
LBJ informe l’ambassadeur Taylor de sa décision. Il évoque avec lui « des actions aériennes raisonnables et limitées » menées conjointement avec le S-V contre le Nord au-dessous du 19e parallèle. Il charge à l’ambassadeur d’aller présenter cette décision au gouvernement s-v qui l’accueille avec « un profond enthousiasme » (Johnson, 1972, p. 165).
A Détroit, une Quaker de 82 ans, Alice Herz s’immole par le feu. Son geste passera presqu’inaperçu (Portes, 2008, p. 144).
10 février 65 : Une note diplomatique cambodgienne remise à l'ambassade de France demande au gouvernement sud-vietnamien la restitution des territoires annexés à la Cochinchine.
14 février – 9 mars 65 : Au Cambodge, Sihanouk réunit pour la première fois à Phnom Penh une quarantaine de mouvements progressistes et neutralistes de la péninsule indochinoise en vue de créer une Union des Peuples indochinois. Une représentation du F.N.L., neutraliste, a été invitée mais également des représentants de la R.D.V.N.
Chaffard note : « Bien que les mouvements les plus hostiles au communisme en soient exclus, cette rencontre n’a manqué ni de relief ni de contestation. Toutes les nuances du neutralisme indochinois s’y sont confrontées aux aspérités du communisme vietnamien. » La question d’une éventuelle conférence internationale sur l’Indochine (voulue par De Gaulle et les Soviétiques) est au cœur des débats. Avant les bombardements américains, son principe faisait quasi-consensus.
Mais depuis le 24 février, tout a changé avec l’arrivée de Hanoi de Hoang Quoc Viet, membre du bureau politique du Dao Long et nouveau dirigeant (après Hoang Minh Giam) du Front de la Patrie. Des dissensions vont rapidement apparaître entre neutralistes et communistes : les communistes remettent en cause la présence du « Mouvement neutraliste du Vietnam » de Le Doan Kim et exigent son expulsion de la conférence. Le texte de compromis de Sihanouk, qui devait être débattu en séance plénière, ne dénonce pas suffisamment selon les communistes « l’impérialisme américain ».
La position officielle des N-V est la suivante : il n’est plus question de parler de conférence tant que les États-Unis n’auront pas quitté le S-V. Et, de toute manière, les S-V ne respecteront pas plus les accords qui pourraient ressortir de cette conférence qu’ils ne l’ont fait à Genève en 1954 pour le Vietnam ou 1962 pour le Laos. Zhou Enlaï enverra un message abondant en ce sens : les Américains « doivent retirer leurs forces militaires d’Indochine, en totalité, immédiatement, et inconditionnellement. » Les efforts de modération de Sihanouk lors de cette réunion sont d’ailleurs vains car l’heure est franchement à l’escalade : depuis le 13, les U.S.A. ont lancé l’opération Rolling Thunder (Chaffard, 1969, pp. 405-410 ; Lacouture, 1965, pp. 232-236).
15 février 65 : Le vice-président Hubert Humphrey conseille à Johnson de rendre publiques les opérations en cours afin d’obtenir un soutien de l’opinion : « Si nous menons une escalade par frustration et même si nous évitons la guerre avec la Chine, nous nous enliserons dans les combats au Vietnam au cours des prochains mois et une forte opposition s’élèvera […] qui viendra des démocrates de gauche, des indépendants et des syndicats avant de devenir un mouvement de masse dans le pays. » (cité in Portes, 2007, p. 204) Pour LBJ, Humphrey est désormais passé dans le camp des « colombes », tout comme les sénateurs démocrates Fullbright et Mansfield.
16 février 65 : Kossyguine, après avoir signé un pacte de défense avec les N-V (voir 10 février), fait une escale à Pékin. Il propose aux Chinois et d’organiser une conférence internationale sur le Vietnam et d’ouvrir au-dessus de la Chine un corridor aérien pour acheminer l’aide soviétique. Ses deux propositions essuient un net refus. La seconde sera revue le 30 mars (Marangé, 2012, p. 325)
LBJ rencontre Eisenhower et a un long entretien avec lui suivi d’un dîner. L’ancien président républicain n’est pas favorable à un large déploiement de troupes américaines au S-V mais estime qu’il est impossible d’abandonner l’Indochine. Il assure LBJ de son soutien (Johnson, 1972, pp. 165-167).
17 février 65 : Réunion préparatoire à la future première « conférence des peuples indochinois » initiée par Sihanouk (voir 1er février – 9 mars). Les communistes vietnamiens entendent y faire inviter un maximum de mouvements crypto-communistes et en exclure les autres. Ces tensions vont retarder le début de la conférence. Zhou Enlaï souligne le jour-même le but de la conférence : « […] obtenir le retrait immédiat et inconditionnel de toute l’Indochine des forces armées américaines et de neutraliser le Sud-Vietnam et le Laos […] » (Tong, 1972, pp. 131-132)
17 – 23 février 65 : Peu après la conférence de Phnom Penh (voir 14 février – 11 mars), le ministre des Affaires étrangères français Couve de Murville se rend à Washington. Il y rencontre Rusk et LBJ. Couve veut toujours croire que les profonces divergences peuvent être surmontées au cours une négociation multilatérale. Il confie à ses interlocuteurs que les Chinois sont surtout préoccupés par leur développement intérieur et que les N-V, inquiets des risques d’escalade, semblaient disposés à négocier sur les bases de l’accord de Genève de 1954. C’est ce que lui avait confirmé l’ambassadeur de la R.P.C. le 13. Mais tout dégénère rapidement en un dialogue de sourds.
Le 19 février, LBJ déclare : « Je ne consentirai pas à un nouveau Munich. Nous partirions demain si quelqu’un pouvait me donner des garanties effectives que l’indépendance du Sud-Vietnam allait être respectée […] Mais, comme ce n’est pas le cas, nous ne consentirons pas, comme en Corée, à ce que s’établisse de l’autre côté un sanctuaire privilégié […] Nous ne chercherons pas l’escalade, mais nous y aurons recours si on nous y oblige et, s’il le faut, nous ferons ce que les plus qualifiés de nos militaires nous demandent de faire […] » LBJ déplore le manque d’appuis alliés et évoque leur « remord de ne pas nous avoir aidés lorsqu’il le fallait. » (cité in Journoud, 2011, pp. 197-199)
18 février 65 : Dans un discours, le sénateur Wayne Morse, qui fait partie des 2 seuls sénateurs à n’avoir pas voté la résolution du Tonkin, dénonce la politique vietnamienne de Johnson, accusant le président de conduire les États-Unis à une guerre anticonstitutionnelle. Cette intervention marque le début d’une modeste opposition politique au conflit du côté du Sénat.
20 février 65 : Nouvelle tentative de coup d’État par le colonel Pham Ngoc Thao (qui se révèlera sans doute être un agent de renseignements d’Hanoi) contre le général Khanh. L’auteur de cette tentative est un catholique, ancien officier vietminh rallié, soutenu par les prodiémistes venus du Nord et par une partie des Américains excédés par les revendications des Bouddhistes. Ancien ambassadeur du S-V à Washington, il avait su échapper en décembre 1964 à une arrestation voulue par Khanh. Il prononce un discours à la radio qui le discrédite d’entrée auprès des prodiémistes (Truong Vinh Le, 1989, p. 128). Il tentera de récidiver en mai mais se heurtera à un nouvel échec. A Saigon règne un désordre total qui enraye les premiers effets de l’opération Rolling Thunder 1.
Après la fuite et la démission de Khanh, Nguyen Van Thieu, nommé par un Directoire militaire de 10 membres, devient chef de l’État avec Nguyen Cao Ky comme chef du gouvernement. Il sera confirmé à ce poste aux élections présidentielles de 1967 (Toinet, 1998, p. 212).
22 février 65 : Westmoreland réclame l’envoi de 2 bataillons de Marines pour assurer la sécurité de la base de Da Nang (suite aux attaques précédentes de Pleiku et de Qui Nhon) (Halberstam, 1974, p. 510).
L’ambassadeur Taylor est favorable à une intervention aérienne mais non à l’apport de forces terrestres. Il câble à Rusk : « Une fois qu’on aura fait une entorse à cette politique, il sera difficile de ne pas aller plus loin. Si Da Nang [base aérienne] a besoin d’une meilleure protection, il en va de même de Bien Hoa, de Tran Son Nut, de Nha Trang… » De plus, selon l’ambassadeur, cet apport de troupes américaines au sol entraînera un amoindrissement de l’investissement des S-V dans le conflit (Halberstam, 1974, p. 513).
23 février 65 : L’ambassadeur soviétique en France, Sergueï Vinogradov, propose une action commune avec la France pour rétablir la paix par le biais d’une conférence internationale. Au grand dam de Washington, De Gaulle accepte le principe mais rejette une demande russe concernant la cessation des activités américaines sur le territoire de la R.D.V. Au même moment, HCM a fait savoir au délégué général français à Hanoi, Jacques Buzon, qu’il acceptait une initiative de paix. Même Le Duan demeure un défenseur de la neutralité du Sud comme étape transitoire, tout en demeurant suspicieux au sujet d’une éventuelle médiation française (Journoud, 2011, p. 200).
24 février 65 : Selon Jalabert (citant Jean-François Sirenelli), un premier manifeste est publié dans le journal Le Monde à l’initiative du Mouvement pour la paix, proche du P.C.F. (Nous n’avons pas retrouvé trace ce manifeste dans les archives en ligne du journal). Il est signé par Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, François Perroux, Pierre Cot et Claude Autant-Lara. Il dénonce l’intervention américaine au Vietnam et ses signataires demandent la tenue d’une conférence internationale pour la paix (Jalabert, 1997, p. 70).
25 février 65 : Départ du général Nguyen Khanh qui devient, comme Duong Van Minh (voir 12 novembre 1964), « ambassadeur itinérant du S-V » sans affectation (Toinet, 1998, p. 213). Une manière élégante pour la junte militaire de s’en débarrasser. De fait, il ne remettra plus jamais un pied au Vietnam.
Khanh, aussi désinvolte que cynique, déclarera à Tran Van Don : « J’ai eu mon compte d’intrigues ici, je crois que le temps est venu pour moi d’aller faire un peu sensation sur la scène politique mondiale, juste pour le plaisir. » Pour autant, son départ ne ramène pas la stabilité politique : selon Tra Van Dong, « notre malheureux pays souffrit des atermoiements de ces dirigeants indécis [les « jeunes Turcs »] jusqu’à juin. » (Tran Van Don, 1985, pp. 214-215).
L’opération Rolling Thunder peut enfin être déclenchée mais avec un retard dû à l’instabilité politique qui a régné jusqu’alors (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 420).
Dans un mémorandum transmis à LBJ par l'intermédiaire de son assistant Bill Moyers, George Ball (sous-secrétaire d’État) fournit une analyse précise de la situation au Sud-Vietnam et de l'enjeu américain dans ce pays, ainsi qu'une description étonnamment prémonitoire du désastre que toute escalade de l'implication américaine va entraîner.
Rusk réaffirme dans une conférence de presse que la Chine soutient fermement Hanoi. Or la réalité a été et est toujours plus complexe et ambigüe que cette affirmation du secrétaire d’État entre les vieilles ennemies qu’ont été et que sont toujours la Chine et le Vietnam (voir 22 juillet 1954) (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 107).
26 février 65 : Washington approuve l’envoi de 2 bataillons de Marines à Da Nang. Cette décision montre que désormais Westmoreland a pris le dessus sur les préconisations de l’ambassadeur Taylor (voir 22 février) et qu’il est désormais l’homme fort de l’armée américaine (Halberstam, 1974, p. 514).
27 février 65 : Le département d’État américain publie un « Livre blanc sur l’agression nord-vietnamienne ». C’est un document de pure propagande principalement rédigé par William Jorden qui travaille pour Walt Rostow au Conseil de planification politique du département d’État. Il passe totalement sous silence les raisons de la situation insurrectionnelle dans la zone Sud : ancienne dictature diémiste, chasse aux opposants au régime, mépris des accords de Genève. Son argumentation repose sur l’existence depuis 1954 d’un « bureau central » et de la résolution du IIIe Congrès du Lao Dong de septembre 1960 qui recommandait la création d’un vaste Front de lutte politique pour la zone méridionale. Sa thèse repose sur l’invasion du Sud-Vietnam par le Nord.
La plupart des estimations qui y figurent sur les infiltrations sont « gonflées » et contredites par les propres études du Pentagone ou les déclarations de membres de l’administration ou de l’armée américaine : il est question de plus de 7 000 infiltrés dans ce Livre blanc là où d’autres études de l’armée américaine (Wheeler) ou les propos même de McN n’en voient que 400 à 1 400 hommes. Les chiffres annoncés par le Livre blanc sont également contredits par des témoignages de combattants n-v « retournés » qui montrent que la rapidité des infiltrations ne peut être réalisée au rythme annoncé dans l’ouvrage.
Selon Chester Cooper (haut-fonctionnaire et membre du C.N.S.), cette publication « créa une vaguelette de soutien […] et un raz-de-marée d’opposition » (citée in Prados, 2015, p. 226), notamment due à une publication de ses données fantaisistes qui seront reprises in extenso à la une du New York Times du 28.
A cette époque, d’avril à août, ce sont pas moins de 60 000 soldats américains qui mettent le pied au S-V (Chaffard, 1969, pp. 399-401).
28 février 65 : LBJ rend publique le déclenchement de l’opération Rolling Thunder. Relativisant a postériori l’efficacité de cette opération, un diplomate américain du département d’État confiera début 1969 à un homologue français : « Avant de revenir à Washington, j’ai relu le compte rendu que vous nous donniez en février 1965. Vous aviez raison. Nous l’avons compris trop tard. En 1965, nous pensions que trois semaines de bombardement mettraient le Nord-Vietnam à genoux. » (cité in Chaffard, 1969, pp. 402-403)
Fin février – début mars 65 : Le secrétaire d’État Dean Rusk entreprend ce que les Pentagon Papers nomment « le marathon publicitaire », à savoir « éclairer la position américaine sur les négociations » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 416).