1er février 64 : Planifié d’avance, le Pentagone met en place « un programme minutieusement préparé d’opération militaires discrètes contre l’État du N-V » sous le code de plan d’Opération 34-A. Elles visent le N-V et le Laos et ont été mises en œuvre depuis mi-62 par le général Harkins, commandant le M.A.C.V. Il s’agit d’attaques clandestines croissantes capables, selon Johnson, de faire renoncer le N-V et le Pathet Lao à poursuivre leur insurrection. Elles sont programmées par le général Anthis et soumises à l’approbation de McGeorge Bundy et McN. Rusk est informé de leur réalisation.
Selon ses concepteurs, des opérations de guerre psychologique accompagnées de sabotages doivent mettre un maximum de pression avec un minimum de risques. L’affaire du Golfe du Tonkin prouvera tout le contraire… (voir 2 août)
Les services de renseignements américains demeurent sceptiques quant à l’efficacité réelle de ces opérations clandestines. C’est McN qui est responsable de ce plan, Dean Rusk étant simplement tenu au courant de son existence. Ces opérations s’accompagnent également de vols de reconnaissance et de bombardement falsifiés, avec des avions portant des cocardes lao mais qui sont pilotés par des Américains. Rien de tout cela n’est révélé ni à la représentation nationale ni à l’opinion publique américaine.
Outre les bombardements clandestins du Laos et des villages n-v situés à la frontière, les opérations 34-A prévoient également dès février et mars des patrouilles de destroyers américains dans le golfe du Tonkin, les patrouilles De Soto visant à établir une démonstration de force et à recueillir des renseignements sur les défenses côtières n-v (radars, missiles, D.C.A.) en vue d’éventuelles futures opérations aériennes (voir 23 novembre 1963).
4 février 64 : William Bundy (nouveau secrétaire d’État adjoint aux Affaires d’Extrême-Orient) arrive à Saigon. Il soutient le général Khanh qui vient de renverser le gouvernement civil qui avait été mis en place un mois plus tôt. Bundy se soucie des bouddhistes et rencontre leur chef religieux, notamment Tich Tri Quang (Prados, 2011, pp. 207-208).
7 février 64 : Attaque de la base aérienne de Pleiku (Hauts-Plateaux). 8 Américains sont tués et il y a une centaine de blessés. Les explosifs provoquent de gros dégâts. Westmoreland considère que cette attaque « nous a placé devant une sorte de Rubicon. » McGeorge Bundy demande des représailles à Washington contre le Nord (Prados, 2011, p. 208). Avec cette attaque se pose pour la première fois le problème de la défense des bases aérienne par des troupes terrestres.
8 février 64 : Le général Khanh supplante Minh en devenant premier ministre (voir 30 janvier). Il prendra en mars la présidence du conseil de l’A.R.V.N. dans laquelle Minh n’aura plus qu’un poste honorifique. Les soutiens militaires de ce dernier sont assignés à résidence à Dalat (Prados, 2011, p. 215).
9 février 64 : Les généraux arrêtés le 31 janvier sont auditionnés un par un par Khanh (nouveau premier ministre) au Q.G. de la Marine de Da Nang. Ils sont accusés de « neutralisme » (concept gaullien qui n’est pas du goût des Américains, voir 20 mars) et d’avoir fait rapatrier le général Nguyen Van Vy et le commandant Tranh Dinh Lan qui, ayant ramené des fonds, s’opposeraient à Khanh.
Sur la question du neutralisme, Khanh déclare à Don : « Si nous n’avons pas de preuves, nous en fabriquerons. Ce ne sera pas bien difficile ! » Il va même jusqu’à le menacer de mort et lui fait des reproches sur sa « vie privée » et « des questions de femmes, de menus plaisirs »… Khanh l’interroge ensuite sur les circonstances de la mort de Diem et Nhu (qu’il n’a jamais cautionnée) et sur le rôle de « Minh, l’assassin, le cruel, l’atroce assassin » dans cette exécution. Don botte en touche et ne révèle rien sur cette question qu’il prétend ne pas connaître suffisamment. Le soir, Khanh revoit Don, et lui vante son nouveau cabinet. Don constate que Khanh tente de semer la division dans ses conversations particulières entre les généraux arrêtés (Tran Van Don, 1985, pp. 185-189).
13 février 64 : Un mémorandum de Rostow (planification politique du département d’État) adressé à Rusk prétend qu’HCM « a maintenant un complexe industriel à protéger ; ce n’est plus un guérillero qui n’a rien à perdre. » C’est une illusion car dès que les bombardements américains prendront de l’ampleur, le présumé « complexe industriel » saura parfaitement se disperser pour échapper à l’aviation américaine (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 272).
Sous la pression des diplomates américains qui veulent plus ou moins calmer le jeu avec la France, Khanh déclare : « Je souhaite que les relations avec la France redeviennent rapidement amicales ; cela dépend de la France. Je suis un jeune soldat [36 ans] et j’ai le plus grand respect pour le Général De Gaulle qui est un vieux soldat. » Mais cette accalmie ne sera que temporaire (Journoud, 2011, p. 164).
Mi-février 64 : Le département d’État évoque la question « sur l’opportunité pour le président de demander au Congrès une résolution permettant de tirer une ligne aux frontières du S-V » (question du tracé des frontières khméro-vietnamiennes et khméro-thaïlandaises, voir 6 mars).
17 février 64 : David Nes, l’adjoint de Lodge, produit un mémorandum pessimiste qu’il adresse à l'ambassadeur et à Washington. Il ne voit pas beaucoup de perspectives d'amélioration au S-V. Il ne peut donc que préconiser une escalade de l'effort militaire américain.
19 février 64 : Sihanouk propose une conférence quadripartite (Cambodge, Laos, Thaïlande, Vietnam) en vue d'un projet d’accord sur la neutralité du Cambodge et le tracé de ses frontières. Au vu de ses très mauvaises relations avec les U.S.A., il y renoncera le 16 mars.
20 février 64 : Johnson donne l’ordre de hâter la mise en place des opérations 34-A. A cette époque, l’administration américaine constate la détérioration continue de la situation des gouvernements proaméricains au Laos et au S-V. Il ne s’agit donc pas d’une attaque directe des N-V mais d’une progression prudente dans l’escalade, le syndrome de la guerre de Corée demeurant bien présent dans l’esprit de LBJ. Par son aspect secret, cette escalade peut aussi être dissimulée tant au Congrès qu’à l’opinion publique américaine.
Le journal du parti Lao Dong, Nhan Dan, constate et déplore la corruption et la croissance du marché noir au N-V. Aveu à demi-mot que la collectivisation est totalement inadaptée à la mentalité du paysan n-v. On évoque même une crise économique (Toinet, 1998, p. 227).
21 février 64 : Parmi les généraux mis en résidence surveillée suite au dernier coup d’État, Tran Van Dong est retransféré seul à Dalat dans l’ancienne résidence de Diem (Tran Van Don, 1985, p. 192).
25 février 64 : La Maison Blanche annonce officiellement la démission de Roger Hilsman (secrétaire d'État adjoint pour les affaires d'Extrême-Orient). En fait, Rusk et LBJ s’en sont débarrassés car Hilsman est favorable à une guerre de contre-guérilla au Sud mais opposé au projet d’extension de la guerre avec bombardement du N-V qui, quoiqu’en dise LBJ (voir 2 mars), sont déjà à l’ordre du jour. Il est remplacé par William Bundy qui occupera le poste jusqu’en 1969. Le poste est important car il permet d’être en contact avec les secrétaires et sous-secrétaire d’État mais aussi avec les échelons inférieurs et les experts qui, à 90 %, ont tous des contacts avec lui (Halberstam, 1974, p. 410).
28 février 64 : 4 attentats terroristes sont perpétrés à Saigon.
Fin février 64 : Le journaliste australien pro-vietminh Wilfried Burchett a un entretien avec Nguyen Huu Tho, président du F.N.L. Ce dernier considère que les 2 coups d’État, celui contre Diem et celui de Khanh du 30 janvier « ont été des présents du ciel ». Tho observe un affaiblissement de l’État s-v tant du point de vue militaire que politique et administratif. Les troupes spéciales qui soutenaient le régime diémiste ont été dissoutes. « Les soldats, les officiers, les fonctionnaires sont totalement désorientés ; ils n’ont plus confiance en leurs chefs et ne savent en qui il convient d’être loyal. » Quant à « […] l’appareil coercitif que Diem avait mis des années à édifier avec tant de soin, [il] s’est effondré à la base. Les principaux responsables de la sécurité et de la police secrète dont dépendaient fondamentalement la sûreté du régime et la répression du mouvement révolutionnaire ont été écartés. » Les partis politiques soutenant le régime « ont été dissous, éliminés… » Il ajoute : « En tout état de cause, le régime Khanh, venu au pouvoir grâce à l’ingérence des États-Unis dans les affaires du Sud-Vietnam, s’est disqualifié d’emblée. Il est complètement isolé, dans le pays et à l’étranger. » (Burchett, 1965, p. 298)