Dernière modification le il y a un mois
par Jean-François Jagielski

Février 1962

Février 62 : Averell Harriman (ambassadeur itinérant) est désigné par Rusk (secrétaire d’État) pour gérer le conflit au Laos. Il est le chef de la délégation américaine lors des négociations de Genève en cours. Pour parvenir à un résultat, il persuade Washington de couper les fonds financiers de la C.I.A. qui faisaient tenir le général Phoumi Nosavan et son armée (Schlesinger, 1966, p. 406).

Kennedy fait entrer le général du corps des Marines Victor Krulack à l’état-major interarmes en créant un poste de conseiller en matière de guerre subversive dans laquelle le président fonde toujours de nombreux espoirs (Pericone, 2014, p. 19).


3 février 62 : Institution par décret du programme des hameaux stratégiques au Sud-Vietnam (voir 12 janvier). Les Américains le nommeront Sunrise. Sa mise en place est confiée à Nhu qui, selon Halberstam, « essaya d’en faire son fief personnel » (Halberstam, 1974, p. 218).

Sans faire confiance à Nhu, pas plus que Nhu ne faisait confiance aux Américains, ces hameaux sont rapidement vivement critiqués. Prévus au départ pour regrouper les populations rurales en vue d’éviter leur contamination par le Vietcong, ils doivent faire bénéficier ces populations de mesures politiques, sociales et économiques en leur faveur et d’une protection physique. Ils sont initialement prévus pour atteindre le nombre de 16 000, un nombre qui ne sera en réalité jamais atteint. Ils atteindront au mieux le nombre de 8 000.

Dans les faits, ils deviennent du fait de la volonté de Diem un moyen de contrôler la population là où les Américains espéraient et souhaitaient que ce programme puisse fidéliser la population rurale au régime sud-vietnamien. Le concept n’est d’ailleurs pas nouveau, il avait déjà été mis en place par les Français sous le nom de « villages protégés » ou « agrovilles », sans donner le moindre résultat probant (Salan 2, 1971, pp. 216-217).

Sur demande de McNamara, les Américains créeront à partir de 1967 par le biais de la C.I.A., un « système d’évaluation des hameaux », le Hamlet Evaluation System (H.E.S.) pour mesurer leur situation politique, économique et sécuritaire. Ce système bureaucratique et fantaisiste va noter les hameaux selon un code de lettres qui leur attribue une note selon leur degré de fidélité au régime en place (Colby, 1992, pp. 199-200). Mais ce programme va également permettre à l’armée s-v de s’engager le moins possible dans les combats car Diem veut la ménager, vivant dans la crainte permanente d’un coup d’État militaire (Sheehan, 1990, p. 161).

Diem promulgue un décret lançant l’opération Sunrise (voir 22 mars) avec l’appui des U.S.A. Il vise à reconquérir les cœurs et les esprits en apportant aux populations un bien-être matériel. L’opération doit refouler le paupérisme, berceau du communisme, notamment par le biais de ces hameaux stratégiques confiés à Nhu (Pericone, 2014, p. 67). Ce programme se juxtapose à bien d’autres (Delta Plan, Hai Yen 2 ou Sea Swalow 2) formant un enchevêtrement assez utopique en termes de projet de société dont les finalités et la portée demeurent somme toute aussi obscures  que bureaucratiques.


5 février 62 : La presse américaine fait savoir qu’un premier hélicoptère américain a été abattu au Vietnam.

Début des déclarations publiques et mensongères de McN : « Les mesures prises par le gouvernement sud-vietnamien pour faire échec à la très grave crise de subversion et d’agression, d’agression clandestine, contre ce pays, commencent à se révéler efficaces […] L’impact combiné des opérations qu’ont lancées les Sud-Vietnamiens eux-mêmes et de celle qu’ils nous ont demandé d’entreprendre est en voie de conduire, je crois, une amélioration de la situation, mais il est encore beaucoup trop tôt pour prédire l’issue finale. » (McNamara, 1996, p. 58) Les renseignements dont dispose le secrétaire d’État à la Défense disent tout le contraire de ce qu’il déclare ici.


6 février 62 : Le M.A.A.G. présent au Vietnam depuis 1950 devient l’U.S. Military Assistance Command Vietnam (U.S.M.A.C.V.), commandement de l'assistance militaire au Sud-Vietnam qui est dirigé par le général Paul Harkins. Ses effectifs sont d’environ    4 000 hommes. Basé près de l’aéroport de Tan Son Nhut, on le dénomme aussi « le Pentagone Oriental ». La présence de cette nouvelle instance dirigeante est bien le signe tangent de l’engagement militaire américain au Vietnam.

Harkins commence à falsifier dès sa création les rapports du M.A.C.V. en les teintant d’optimisme (Sheehan, 1990, pp. 161-162). Il devient rapidement la bête noire des journalistes hostiles à Diem : Neil Sheehan et David Halberstam correspondants à Saigon de l’United Press International au Vietnam, Homer Bigart du  New York Times, François Sully de  Newsweek, Malcolm Browne et Peter Arnett de l'Associated Press.

Les rapports falsifiés d’Harkins seront également contestés par les militaires de terrain : le colonel Wilbur Wilson (IIIe corps couvrant la région s’étendant au nord et à l’ouest de Saigon), le colonel Daniel Dan Porter (IVe Corps, couvrant le reste du delta du Mékong), le lieutenant-colonel John Paul Vann (VIIe division, couvrant la région nord du Delta) et le lieutenant-colonel Fred Ladd (21e division, occupant le secteur sud du Delta).

Leurs rapports sont hiérarchiquement bloqués mais certains d’entre eux utiliseront, dès la mi-juillet, les journalistes présents au Vietnam et se rendant sur le terrain pour faire passer leurs messages : Sheenhan et Halberstam, en autres. Ce dernier écrit : « Il ne fallut pas longtemps pour qu’une version de la guerre et du régime [celui de Diem] infiniment plus pessimiste ne commençât à apparaître dans la presse américaine. » Le rôle des journalistes sera contesté par Harkins, leur reprochant une bonne dose de sensiblerie. Mais certains, dans un premier temps, furent sensibles au discours officiel et lénifiant de la M.A.C.V. : Joseph Aslop et Marguerite Higgins du Time et du New York Herald Tribune (Halberstam, 1974, p. 238 et pp. 241-242 ; Halberstam, 1966, pp. 186-187).


7 février 62 : Débarquement à Saigon de deux compagnies de support aérien portant à 4 000 le nombre de soldats américains présents au S-V.


11 février 62 : Un rapport adressé à Kennedy par Forrestal (membre du C.N.S., conseiller du conseiller à la Sécurité nationale McGeorge Bundy) indique que le président doit s’attendre « à une guerre longue et coûteuse ». Ce rapport indique que « personne ne sait combien des 20 000 Vietcongs tués l’année dernière étaient d’innocents ou du moins de récupérables villageois ni si le programme des hameaux stratégiques procure suffisamment d’avantages au gouvernement pour contrebalancer les sacrifices qu’il réclame ou si la masse silencieuse réagit aux entraves imposées au népotisme dictatorial de Diem. » Le même document stipule que le recrutement du Vietcong est si important au S-V que la guerre peut se prolonger, sans même le secours des infiltrations venant du Nord qui sont pourtant grandissantes (Les Dossiers du Pentagone, 1971, p. 140).


12 février 62 : Diem crée un Comité interministériel en charge des hameaux stratégiques. Nhu, jugé « architecte et force motrice » du projet, y joue un rôle déterminant.


14 février 62 : Le Comité national du Parti républicain a demandé depuis le début du mois des comptes à l’administration Kennedy sur l’engagement américain au Vietnam. Lors d’une conférence de presse, le président est obligé de reconnaître que « notre assistance a augmenté en réponse aux requêtes du gouvernement de Saigon. » Il concède aussi que les « conseillers » ont le droit d’utiliser leurs armes s’ils sont attaqués mais, jouant sur les mots « soldats » et « conseillers », s’empresse d’ajouter : « Nous n’avons pas envoyé de troupes de combat, au sens général de ce mot. » (Pericone, 2014, p. 60)


16 février – 3 mars 62 : Congrès des maquisards du Front (F.N.L.).

Récemment libéré, Nguyen Huu Tho fait son autocritique avant d’être admis au poste de responsabilité suprême. Il est désormais élu président du F.N.L. Il fait l’historique de son passé et précise : « J’ai pu penser un moment que j’avais tout de même contribué, dans une certaine mesure, à la lutte de notre peuple. Je m’aperçois à présent que quelles que soient mes propres épreuves, elles pèsent encore bien peu à côté de tant de douleurs et de deuils endurés par nos compatriotes sous le régime de Ngo Dinh Diem. Cela m’incite à multiplier d’avantage mes efforts. » Revenant sur son passé, il regrette ses compromissions « sous le régime colonialiste » français qui ménageait les intellectuels. Ce n’est qu’en 1947, alors qu’il a été fait prisonnier par le VM, qu’il a ouvert les yeux. On l’a même arrêté comme agent communiste alors qu’il ne l’était pas. L’arrivée au pouvoir de Diem et la mise en place de sa dictature l’ont incité à se révolter.

Toutefois, celui qui se considère comme un patriote-bourgeois, fait à nouveau l’éloge de ses convictions neutralistes : « De nos jours, le monde est divisé en deux camps, occidental et oriental. Nous ne voulons appartenir à aucun d’entre eux. » Il suffit « d’appliquer une politique de neutralité active [qui] nous empêchera d’être entraînés dans un conflit entre les deux blocs et enlèvera aux Américains tout prétexte pour intervenir dans nos affaires intérieures. »

Tho est reconduit le 3 par acclamation comme président du F.N.L. Il est épaulé par 5 vice-présidents dont l’un est membre du Parti populaire révolutionnaire (P.P.R.) d’obédience marxiste, nouvellement créé le 15 janvier. Un Comité central de 55 personnes est élu, la moitié de ses membres appartiennent à la mouvance communiste mais 22 places sont réservées à des ralliements ultérieurs. Le Comité central de l’armée populaire de libération est quant à lui dominé par les communistes.

Mais le programme du F.N.L. demeure modéré et ce, avec l’accord d’Hanoi : il faut « établir un gouvernement d’union nationale et de large démocratie ; instaurer l’indépendance nationale et les libertés démocratiques ; améliorer les conditions de vie du peuple ; pratiquer une politique étrangère de neutralité ; réunifier le pays par des voies pacifiques ». Contrairement au congrès de décembre 1960, la question de la réunification des deux zones n’est pas mentionnée dans les comptes rendus (Chaffard, 1969, pp. 249-259 ; Fall, 1967, p. 412 ; Lacouture, 1965, pp. 75-76).


18 février 62 : Envoyé par son frère au Vietnam, Robert Kennedy (Attorney General, ministre de la Justice) fait une déclaration aux journalistes à Saigon. Le New York Times du 19 février rapporte ses propos : « Nous allons gagner au Vietnam. Nous y resterons jusqu’à ce que nous ayons gagné […] La lutte du Vietnam pour préserver son indépendance face à l’agression communiste est importante, elle concerne tous les pays libres [...] Il s’agit d’une nouvelle forme de guerre mais il s’agit d’une guerre au sens propre du mot. Il ne s’agit pas d’une guerre où sont engagées des divisions entières, mais plutôt où l’on utilise la terreur, l’assassinat, l’embuscade et l’infiltration […] Le peuple américain assistera le Vietnam en cette période de troubles, jusqu’à ce que le peuple vietnamien ait les moyens de développer son pays, dans la paix, la dignité et la liberté. » (cité in Johnson, 1972, p. 81).


Vers le 20 février 62 : McN est entendu devant le Congrès. Nouvelle série de contre-vérités. Il se garde bien d’évoquer l’engagement des avions et des hélicoptères américains dans les récentes missions de combat (voir 11 décembre 1961 ; 13 janvier ; 7 février). Il affirme, même s’il n’en pense pas un mot, que la coopération avec le régime de Diem est efficace et que le président s-v est en train d’élargir sa base politique (Pericone, 2014, pp. 60-61).


27 février 62 (le 22, selon Tran Van Don, 1985, p. 108) : Deux pilotes s-v attaquent à la bombe le palais de l’Indépendance (ancien siège du Gouvernement général) où réside Diem qui occupera par la suite le palais Gialong (ancienne résidence des gouverneurs de Cochinchine). C’est une deuxième tentative de coup d’État après celui, avorté, des 11 et 12 novembre 1960.

Potentiellement, il vise également le couple Nhu. Aucun des membres du clan n’est touché mais le palais présidentiel est endommagé. Une des bombes n’aurait pas fonctionné. Les commanditaires ne seront jamais retrouvés. Un des pilotes, Nguyen Van Cu, se réfugie au Cambodge. Le second, Pham Phu Phoc, atteint par un tir de D.C.A. est obligé d’atterrir en catastrophe sur la Rivière de Saigon et est arrêté. Une partie de l’armée s-v n’apprécie donc pas Diem, ce qui prouve aux Américains que ce dernier ne contrôle pas toute son armée. Pour ménager une partie de celle-ci, le pilote capturé sera épargné par le président. (Rignac, 2018, pp. 195-196 ; Truong Vinh Le, 1989, pp. 67-68).

Selon Tran Van Don, dès cette époque, les différents services d’espionnage américains « nous présentaient des agents pour connaître nos intentions quant à l’éventualité d’un coup d’État contre Diem. Nous observâmes une prudente réserve à l’égard des Américains. Nous ne faisions pas confiance aux services d’espionnage américains, qui avaient de multiples branches opérationnelles qui se concurrençaient, se jalousaient et connaissaient des dissensions internes. En outre, nous étions convaincus qu’un coup d’État contre Diem devait rester une affaire strictement vietnamienne. » Sur ce point précis, la position des futurs conjurés demeura la même jusqu’à la chute de Diem et Nhu en novembre 1963 (Tran Van Don, 1985, pp. 108-109).

💬 Commentaires

Chargement en cours...