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par Jean-François Jagielski

Février 1955

Février 55 : Selon l’ambassade américaine à Saigon, 625 000 personnes ont été déplacées du Nord vers le Sud dont de nombreux militaires de l’armée s-v (Prados, 2011, pp. 101-102).

Au niveau de l’Armée nationale vietnamienne (A.V.N.), les Français sont et vont être rapidement relégués à des fonctions subalternes, éliminés et remplacés par les Américains qui opèrent dans le cadre d'une nouvelle Mission mixte d'instruction : la T.R.I.M. (Training Relations and Instruction Mission) ou, côté français, « Mission franco-américaine pour l’instruction et l’organisation de l’armée vietnamienne » en vue de conseiller et assister l'état-major vietnamien à tous les échelons. Elle est constituée d’un état-major mixte d’une soixantaine d’officiers qui sont chargés de conseiller l’armée s-v et instruire la troupe. Elle est placée (en théorie…) sous l’autorité du commandant en chef français, le général Ély. Ce dernier, lucide, observe en parlant du général O’Daniel : « Il avait en quelque sorte deux « chapeaux », conception difficile à faire admettre par les Américains. » (Cournil, Journoud, 2011, pp. 74-75 ; Ély, 1964, p. 273)

Diem poursuit l’intégration des sectes dans l’A.N.V. (voir 1er août 1954). Un régiment, le 59e, est constitué et leur est entièrement réservé (Toinet, 1998, pp. 214-215).

Au Laos, Dulles rend visite au nouveau chef du gouvernement pro-américain, Katay Don Sasorith. Celui-ci lance rapidement des attaques de grande envergure contre l’un des bastions du Pathet Lao tels qu’ils avaient été fixés à Genève (provinces de Sam Neua et de Phong Saly). Les Américains commencent également à envoyer au Laos des « conseillers » militaires et de l’argent.

Au Cambodge, installation en territoire thaïlandais d'une base militaire des Khmers Serei, groupe d'extrême-droite commandé par Son Ngoc Thanh et soutenu par la Thaïlande et les États-Unis. Sa garnison est constituée d’environ 2 000 soldats.


1er février 55 : Examen au Sénat américain du traité de l’O.T.A.S.E. qui est adopté par 82 voix contre une (Johnson, 1972, p. 68).


5 février 55 : Le gouvernement de Pierre Mendès France est renversé par 319 voix contre 273 par la coalition hétérogène de ses adversaires : des colonialistes, communistes et partisans de la Communauté européenne de défense (C.E.D.). Le M.R.P. lui reproche, quant à lui, d'avoir saboté celle-ci.  (Devillers, 2010, p. 354). Ce gouvernement sera remplacé par celui d’Edgar Faure le 23.


7 février 55 : Évacuation par les Français de la presqu’île de Camau (extrême Sud) qui passe sous l’autorité s-v après le départ du VM (Ély, 1964, p. 261).

Au Cambodge, référendum sur la « mission royale » (voir 5 juin 1952). Sihanouk avait promis à son peuple de se faire juger par lui au terme de sa mission pour le retour de l’indépendance complète. La question est : « La mission royale a-t-elle été accomplie à la satisfaction de Notre peuple ? » C’est un plébiscite. Il  obtient 925 812 « oui » contre 1 834 « non » (soit 99,80 % de « oui). L’opposition ayant été muselée et le scrutin interdit aux militaires, aux religieux et aux femmes. Selon Tong, derrière ces chiffres mirobolants et truqués se dissimule une adhésion passive, surtout de la part des jeunes (Tong, 1972, p. 57). Fort de ce résultat falsifié, Sihanouk envisage alors de se lancer dans la lutte politique en fondant son propre parti, le Sangkum (voir 2 mars) (Cambacérès, 2013, p. 105).


10 février 55 : Ély perd définitivement le commandement des forces de l’Union française à la demande de Diem (voir 21 janvier). Une convention de transfert de compétences est signée entre le général Le Van Ty (nouveau chef d’état-major de l’armée s-v) et le général Agostini (représentant le général Ély, haut-commissaire de France) (Rignac, 2018, p. 124).


12 février 55 : Diem fait savoir lors d’une conférence de presse que c’est désormais le général O’Daniel du M.A.A.G. qui a la charge de l’instruction des troupes s-v. Un autodafé des insignes militaires français est organisé dans la cour du ministère de l’Intérieur devant un parterre de spectateurs américains (voir 22 avril) (Chaffard, 1969, p. 188). Ce geste symbolique mais maladroit divisera l’armée s-v dont une partie a été formée par les Français. Cette maladresse va entretenir dans l’avenir des rancœurs tenaces d’une partie non négligeable de la future A.R.V.N. à l’égard de Diem.


19 février 55 : Au Cambodge, présentation par Sihanouk d'un vaste plan de réformes institutionnelles rejeté par le parti démocrate. Sont également présents ce jour des membres du corps diplomatiques, de la C.I.C., des ministres et des conseillers de la couronne. Un discours de 3 heures évoque la nécessité de transformer le régime des partis (en en éliminant certains…). Les membres indien et polonais de la C.I.C. n’apprécient guère la teneur de ce discours qui menace le Prachéachon procommuniste. Un projet de réforme constitutionnelle heurte également de nombreux Cambodgiens : des candidats à la députation n’ont plus le droit de se réclamer d’un parti autre que le Sangkum. Les ministres apprennent qu’ils ne sont plus responsables que devant le roi. Sihanouk conforte alors sa réputation d’autocrate (Tong, 1972, pp. 74-75).


20 février 55 : Tandis que les Forces terrestres françaises du Sud-Vietnam cessent d'exister, le commandement militaire territorial français du Sud-Vietnam est transféré au commandant vietnamien de la 1ère Région militaire, le général Tran Van Minh (Cournil, Journoud, 2011, p. 73).


21 février 55 : Un courrier du commandement français revient sur la question des prisonniers non restitués considérés comme des disparus. Certains d’entre eux s’avèrent être des déserteurs ralliés ou non au VM qui sont restés ou ont rejoint leurs pays de l’Europe de l’Est via la Chine et/ou l’U.R.S.S. Parmi les 1 254 légionnaires prisonniers non restitués, plusieurs centaines ont quitté le Vietnam au moment du cessez le feu. Le nombre de légionnaires ayant déserté est évalué à environ 2 000.

A en croire certains témoignages et des investigations du S.D.E.C., certains prisonniers, non déserteurs, n’auraient pas été rendus et seraient toujours contraints à des travaux forcés au N-V. Ceux-ci, s’ils ont existé, appartiendraient à des unités de commandos chargés des actions de renseignements et de sabotages voire des cadres du Groupement de commandos mixtes aéroportés (G.M.C.A. du colonel Trinquier) considérés par le VM comme des criminels de guerre auquel on n’a pas accordé le statut de prisonniers de guerre (Cadeau, 2019, pp. 528-530). Sur ce point particulier des disparus, les Français semblent beaucoup moins attentifs à ces questions que ne le seront les Américains avec leurs missing in action à la fin de la seconde guerre du Vietnam.


22 février 55 : Un pacte est signé par les chefs de toutes les fractions des sectes. Elles rejettent l’offre d’union proposée par l’autorité gouvernementale et constitue donc pour Diem un véritable défi politique au régime. C’est l’amorce de la guerre que Diem va mener contre les sectes.

A la fin du mois de mars, l’ambiance explosive dans la capitale sudiste dégénère, ce qui se traduit par de violents incidents causant plusieurs dizaines de tués. Les Français tentent de temporiser et ce, malgré la politique antifrançaise de Diem qui les accuse (non sans raison…) de soutenir les sectes qu’il a pourtant récemment intégrées dans sa propre armée… (Cadeau, 2010, p. 10).

Diem doit alors faire face :

-         aux Binh Xuyen dirigés par Bay Vien (alias général Le Van Vien).

-         aux Caodaïstes : Pham Cong Tac (le pape caodaïste), Nguyen Thanh Phuong et Trinh Minh The, chef d’une milice dissidente (et ancien allié, voir 10 septembre 1954).

-         aux Hoa-Hao : Tran Van Soai, Lam Thanh Nguyen et le Quang Vinh (Ba Cut).

Il essaie d’abord de les acheter grâce aux crédits que lui fournit le colonel Lansdale, l’ambassadeur Health et son Nhu. La corruption au sein du régime diémiste s’installe progressivement et permet l’intégration à l’armée nationale des milices ralliées mais aussi le paiement de leurs soldes. Lansdale (C.I.A.) organise en parallèle une violente campagne à la fois antifrançaise et antisectes.

Diem s’en prend d’abord à Bay Vien qu’il n’a pas pu acheter. Il fait fermer à Cholon le casino Le Grand Monde (qui reversait une partie de ses fonds à Bao Daï et en corrompait ses appuis). Ce lieu de débauche heurte le catholique puritain Diem. Une nouvelle police est créée à Saigon, contrôlée par les Binh Xuyen. Le chef de la Sûreté nationale n’est autre que Lai Van Sang, un lieutenant de Bay Vien (Rignac, 2018, pp. 125-126).


23 février 55 : Le gouvernement d’Edgar Faure prend la succession de celui de Mendès France au moment où les forces de l’Union française n’ont plus aucun rôle au S-V. Il doit en priorité régler les problèmes marocain et algérien. Le nouveau président du Conseil ne se désolidarise pas de la politique pro-américaine de son prédécesseur (Chaffard, 1969, p. 188). Avec ce gouvernement, Koenig (qui avait soutenu la demande de commission d’enquête de Navarre) reprend le portefeuille de la Défense. Ce qui jouera en faveur de l’ex-commandant en chef dans ses demandes de requêtes.


27 février 55 : Au Cambodge, malgré un référendum qui lui est favorable, Sihanouk abdique. Redevenu un citoyen ordinaire, il va créer un parti, le Sangkum Reastr Niyum (voir 22 mars). A la veille d’élections, un parti concurrent, le  Pracheachon, façade d’un comité de guérilléros communistes, dénonce le rapprochement entre Sihanouk et les Américains. La campagne sera caractérisée par des actions violentes du Sangkum à l’égard de ses adversaires de gauche ou démocrates. Le parti de Sihanouk remportera des élections (truquées…) avec   83 % des voix. Sihanouk va réunir un congrès du Sangkum qui lui remettra le pouvoir de modifier la constitution car il bénéficie alors d’un réel soutien populaire (Richer, 2009, p. 29).


​28 février 55 : Foster Dulles, secrétaire d'Etat américain, est en visite à Phnom Penh pour obtenir l'adhésion du Cambodge à l'O.T.A.S.E. Sihanouk, prônant le non-alignement, refuse.

Le premier express « Hanoi-Pékin-Moscou-Berlin » quitte la gare d’Hanoi. Il est le fruit d’une importante collaboration entre la Chine et la R.D.V.N. avec la réparation de 713 ponts et ouvrages d’art sur les 386 km de chemin de fer Hanoi-Yunnan (Fall, 1960, p. 122).

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