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par Jean-François Jagielski

Février 1954

Février 54 : Le département de la Défense américain annonce qu’il va envoyer 40 chasseurs-bombardiers B-26 et 200 techniciens en Indochine. Deux personnalités ont défendu ce recours à l’aviation : l’amiral Arthur W. Radford et le secrétaire d’État John Foster Dulles. Eisenhower est partagé. Son vice-président Nixon est également favorable à une intervention. Mais la violente réaction du Congrès leur interdit toute action. Les techniciens aéronautiques promis aux Français seront même rapatriés car, durant sa campagne électorale, Eisenhower s’était engagé, contrairement à son prédécesseur (Truman) de consulter le Congrès avant d’impliquer des militaires américains au Vietnam. Ce qu’il n’a pas fait ici (Halberstam, 1974, p. 169).

Le comité de Défense nationale confie à Pleven (ministre de la Défense), accompagné du général Ély (chef d’état-major des Forces armées), une mission d’inspection et d’enquête en Indochine (voir 9 - 25 février). A l’écoute des propos et annonces du commandement sur place, elle ne conclura pas formellement à la nécessité d’une évacuation de Dien Bien Phu, d’ailleurs devenue totalement irréaliste à ce moment.

Selon un sondage de l’I.F.O.P., seul 1 % des Français est favorable à une intervention des Américains en Indochine (Ruscio, 1992, pp. 204-205). Nouvelle preuve du manque d’intérêt de l’opinion sur la question indochinoise.


1er février 54 : 2 bataillons sortis du camp retranché attaquent à plusieurs reprises la hauteur 633 à moins d’un kilomètre au nord de Gabrielle. Ils sont repoussés par une trentaine de soldats vm de la division 312 (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 127).

Poursuite des premiers tirs de harcèlement sur l’est des centres de résistance (voir 31 janvier) (Rocolle, 1968, p. 263).

Une partie de la division 308 partie vers Luang Prabang assiège la base de Muong Khoua (Laos, sud-ouest de Dien Bien Phu) infligeant de sérieuses pertes au 2e bataillon du 2e régiment de la Légion ainsi qu’au 2e bataillon de chasseurs laotien (Rocolle, 1968, p. 258).

La flotte d’avions de transport de troupe, les C-47 (Dakotas), passe de 75 à 100 appareils. Toutefois, selon Navarre, les Français ne disposeront au début de la bataille de Dien Bien Phu que de 90 appareils de ce type et 175 bombardiers. Ils auront donc recours aux services privés des Américains (voir 3 et 13 mars) (Navarre, 1956, p. 230). Toujours selon le même, les renforts en aviation arriveront bien trop tard sur Dien Bien Phu : « La faible efficacité de l’aviation fut une des causes militaires principales de la perte de la bataille. » (Navarre, 1979, p. 284)

Cogny est à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).


2 février 54 : Le général O’Daniel, commandant les forces terrestres  américaines dans le Pacifique (pour quelques semaines encore) et expert du gouvernement de Washington accrédité par le Quai d’Orsay, se rend à Dien Bien Phu en inspection. Selon Pouget, Navarre, qui n’a pas été prévenu de l’accord concernant les accords financiers entre la France et les U.S.A. l’a reçu « comme un puissant collègue et allié, mais lui ménage les informations opérationnelle ».  O’Daniel visite le camp retranché et se déclare « satisfait » par l’organisation de sa défense. Pour autant, toujours selon Pouget, le général américain a jusqu’alors peu compris les « subtilités asiatiques » de cette guerre et veut appliquer les méthodes américaines de la guerre de Corée pour battre le VM en Indochine. Parti de Hanoi, le survol de la région et sa visite à Dien Bien Phu l’ont rendu « moins impulsif ». Il félicite De Castries pour l’organisation du camp retranché (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 127 ; Pouget, 2024, pp. 247-249).

Attaque du VM dans la région de Kontum au Centre-Vietnam sur des postes isolés dont celui de Dak To (au nord-ouest de la ville) qui subit des attaques successives par vagues de submersion. Cet important poste est perdu malgré l’intervention de l’aviation française. L’état-major français envoie dans la région le G.M. 100, une unité d’élite qui a été formée le 15 novembre 1953 (Fall, 2020, p. 227).


3 février 54 : Les Français sont retranchés sur les pitons qui protègent la piste d’aviation de Muong Saï (Laos, sud-ouest de Dien Bien Phu). Toutefois des canons de 75 vm et des mortiers accompagnant une partie de la division 308 installés à l’est de Muong Thanh sur d’autres hauteurs parviennent à pilonner l’aérodrome principal du camp retranché. Un Morane est détruit et plusieurs autres appareils sont touchés (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 127 ; Pouget, 2024, p. 234).

Des éléments de la division 308 refoulent le 1er bataillon thaï qui retraite vers Dien Bien Phu par la vallée de la Nam Ou. Vers le 8 février, ses éléments avancés dépassent le poste de Muong Ngoï (Laos), évacué par les Français, et atteignent le confluent de la Nam Ou et de l’un de ses affluent, la Nam Bac. Ils sont alors à 90 km de Louang Prabang. Le ravitaillement des troupes vm est transporté sur des sampans par la Nal Ou. Il est attaqué par l’aviation tout comme les colonnes qui progressent de jour par les pistes. Le régiment 148 parvient à mettre le siège autour de la base de Muong Saï (Laos) mais dans la nuit du 20 au 21, ordre lui sera donné de décrocher et de remonter vers Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, pp. 258-259).


5 février 54 : En Annam, le VM fait sauter plusieurs ponts au nord de Kontum interdisant ainsi l’accès à la route n° 4 qui donne accès aux secours. Le commandement français renonce à défendre la ville dont l’évacuation de la garnison et des civils sera accomplie le 7. Le G.M. 100 se regroupe autour de Pleiku pour former un verrou mais subit des attaques visant à le « grignoter » (Fall, 2020, p. 227).


5 – 6 février 54 : A Dien Bien Phu, des troupes franco-thaïes appuyées par des tanks et l’aviation attaquent 2 positions du VM situées sur les collines Doi Chay (Mont Chauve) et Doi Xanh. Elles sont repoussées par des unités de la division 316. Un premier avion français est abattu par la D.C.A. (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 127).


6 février 54 : A Paris, un Comité de Défense nationale est réuni. Il mandate une bien tardive mission Pleven. Le ministre de la Défense entend faire un rapport au gouvernement : la situation étant critique au Laos, Navarre peut être amené à lui  poser sur place « la question de savoir si la défense du Laos restait toujours un des objectifs de la politique gouvernementale ». Se pose une autre question : en cas d’évacuation de Luang Prabang, faut-il se replier ou demeurer aux côtés du roi ? Laniel et les membres du Comité optent pour un repli.

Le maréchal Juin (conseiller permanent du gouvernement) fait le point sur une situation militaire qu’il déclare « difficile ». Après les récents succès français, le VM a produit des attaques périphériques qui ont dispersé et disloqué la masse de manœuvre française. Faut-il tenir devant Luang Prabang ? Juin estime que « le sort du corps expéditionnaire devait actuellement passer avant celui du Laos. » Ce qu’approuvent pour la première fois et clairement Laniel et le comité. Mais ce dernier estime aussi que Pleven demeure libre de juger sur place.

Laniel pose alors à Juin la question de l’évacuation de Dien Bien Phu. Juin l’estime (à tort) encore possible mais craint qu’une « psychose des hérissons » ne paralyse l’armée. Le président du Conseil pose ensuite une question sur l’opportunité de l’opération Atlante (voir 20 janvier) pour laquelle il a des doutes (Laniel, 1957, pp. 74-77).

Côté VM, une directive précise : « Il faut isoler Dien Bien Phu, contraindre l’ennemi à dégarnir son camp retranché et à renforcer ses troupes à Luang Prabang. » L’envoi récent de la division 308 vers la ville avait déjà tenté cette diversion. Mais, n’aboutissant pas, la division 308 retournera vers Dien Bien Phu dès le 23 car sa ligne d’approvisionnement est alors entravée par la présence du camp retranché (Cadeau, 2019, p. 478).

Visite de De Chevigné (sous-secrétaire d’État à la Défense) à Dien Bien Phu. Il assiste à une tentative par 2 bataillons de parachutistes du lieutenant-colonel Langlais (1er B.E.P. et 8e Choc) pour aller déloger un canon de 75 japonais repéré près de la cote 781 à l’est du camp retranché qui n’a pu être détruit par les tirs de contre-batterie. Bénéficiant d’un appui aérien et du soutien de l’artillerie, l’attaque se solde cependant par un échec qui a lieu en partie sous les yeux du sous-secrétaire d’État qui repartira le lendemain vers 17 h 00. L’attaque durera 36 heures mais se heurtera à une paroi verticale tenue par le VM qui arrose les assaillants de grenades. Au final, Langlais renonce à poursuivre (Rocolle, 1968, p. 269 ; Pouget, 2024, pp. 249-250).


7 février 54 : Giap organise une réunion de cadres supérieurs pour justifier son revirement du 25 janvier. Il estime alors « qu’une attaque rapide était aventureuse ». Selon lui, la multiplication des offensives de diversion lancées sur d’autres théâtres d’opération ne peut que de disperser les réserves de Navarre. Le corps de bataille de siège doit avoir une indéniable « suprématie en effectifs et puissance de feu ». La mise en place de mesures de sûreté doit réduire considérablement les effets de l’artillerie et de l’aviation. Le mois de février et les 10 premiers jours de mars doivent être consacrés à construire « une offensive de longue haleine, menée selon un principe non moins capital : n’attaquer que si l’on est sûr de vaincre. » (Rocolle, 1968, p. 256 et p. 263, note 20) Nombre de pièces d’artillerie (105 mm) qui avaient pourtant été hissées à grand peine à leurs emplacements de tir sont momentanément retirées.

Départ de la mission Pleven d’Orly.

Cogny est à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).


9 février 54 : Le général Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre) en mission d’inspection en Indochine rencontre brièvement Pleven (ministre de la Défense) à Saigon. Les 2 hommes prévoient de se revoir le lendemain (Rocolle, 1968, p. 334).


9 - 27 février 54 : Suite au Comité de défense du 6, le gouvernement français envoie une mission Pleven en Indochine. Le ministre de la Défense est accompagné des généraux Ély (chef d’état-major des Forces armées), Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre) et Fay (chef d’état-major de l’Armée de l’Air). Sont également présent Marc Jacquet, secrétaire d’État aux États associés et De Chevigné, secrétaire d’État au Forces armées. Ils se rendent sur tous les fronts : Cochinchine, opération Atlante (Centre-Annam, voir 20 janvier), Luang Prabang, Dien Bien Phu. Selon Navarre, l’impression de la mission est bonne car, selon elle, le moral des troupes est bon, notamment à Dien Bien Phu (Navarre, 1956, p. 181). Toujours selon le même, « jamais […] aucun chef militaire n’a pris, sous quelques forme que ce soit, position contre la manœuvre de Dien Bien Phu. Celle-ci a même été formellement approuvée par un rapport du général Ély […] » Seul le général Fay émet des réserves quant à la praticabilité de la piste d’atterrissage lors de la saison des pluies (Navarre, 1956, p. 197 et p. 199, note 1). Or celle-ci vient d’être améliorée et drainée.

Les membres de la mission rencontrent ensuite Bao Daï à 2 reprises, à Ban Me Thuot et à Dalat. Selon Ély, « les questions sérieuses furent abordées dans les conversations en aparté. » Mais il n’en dit pas plus sur leur contenu dans ses mémoires (Ély, 1964, p. 50). Selon Navarre, c’est seulement lors de la cette visite que le commandant en chef est mis au courant par Pleven de la tenue du projet de la conférence de Genève (Navarre, 1956, p. 296).

Au cours de cette visite, Navarre se plaint à nouveau du manque d’engagement du gouvernement vietnamien à soutenir l’effort de guerre français. Rétrospectivement, dans ses mémoires, il constate qu’il faudra attendre avril pour que le gouvernement français adresse « une lettre assez ferme, qui incita [le gouvernement vietnamien] à décréter théoriquement certaines mesures d’ordre général, destinées à engager enfin le pays  dans la voie de l’effort. » Mais, toujours selon le même, « aucune exécution ne suivit ces décisions de principe, et il était beaucoup trop tard. » (Navarre, 1956, p. 129)

A son retour à Paris, la mission remet au gouvernement des conclusions assez pessimistes : on ne pourra obtenir une décision par les armes ni rompre l’équilibre de façon significative. Au mieux, peut-on créer une situation favorable pour négocier avec le VM. La personnalité et les choix de Navarre ne sont toutefois contestés par aucun des membres de la commission. Ély (chef d’état-major des Forces armées), estime alors que « Dien Bien Phu était une position extrêmement forte qui, pour être attaquée, exigerait de gros moyens, avec, au surplus, de grandes chances d’échec pour l’assaillant. » Il est, comme on pouvait s’y attendre, beaucoup plus circonspect dans ses mémoires : « Dien Bien Phu demeurait cependant pour tous une préoccupation, notamment en raison  de la sensibilité des liaisons aériennes. Le général Fay exprima à nouveau sur ce point son inquiétude, mais il savait que l’évacuation de la place était impossible. » Un autre membre de la commission, le général Blanc « souhaitait que la solution politique du problème fût recherchée dès 1954 en nous dégageant du « guêpier » tonkinois  pour reporter nos efforts sur le Laos […] » (Gras, 1979, pp. 541-542 ; Ély, 1964, pp. 41-58).

En conclusion d’un rapport sur l’opération Xénophon touchant à l’éventuel abandon du camp retranché, Cogny écrit à Navarre : « Après avoir souligné les aléas considérables de l’entreprise réalisée équivalant à sa quasi-impossibilité, j’ai insisté respectueusement auprès de vous pour que soit maintenue l’intention de conserver Dien Bien Phu à tout prix. » (cité in Pouget, 2024, p. 229).


10 février 54 : Le général Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre) en fin de mission d’inspection rencontre le ministre de la Défense Pleven à Saigon. Sont présents à cet entretien De Chevigné (secrétaire d’État aux Forces armées), les généraux Ély (chef d’état-major des Forces armées) et Fay (chef d’état-major de l’Armée de l’Air). Le général Blanc évoque dans ses notes le cas du camp retranché de Dien Bien Phu sur lequel il a plus que des doutes : « […] Il faut reconstituer des réserves. C’est urgent, il n’y en a plus. Pour cela, il faut puiser dans Dien Bien Phu. A partir du 15 avril, Dien Bien Phu est un marécage (déboisement, terre rouge, effondrement des tranchées et abris, il ne restera rien des ouvrages de fortification de campagne, et De Castries nagera dans son PC dans 40 centimètres d’eau ; il n’y aura plus de pistes). Si on ne s’y prend pas tout de suite, nous allons perdre         6 000 tonnes de matériel […] Le 15 avril, il sera trop tard. » Il estime que le « camp retranché est remarquablement organisé et ravitaillé, mais d’une façon précaire, eu égard aux conditions météo et du potentiel aérien. Il n’existe, d’autre part, aucune possibilité de sortie, toute la cuvette étant sous l’étreinte très rapprochée et continue de l’ennemi, et sous le feu de ses armes. » Il conclut : « Prétendre détruire le corps de bataille ennemi est un leurre. La preuve nous en est donnée à Dien Bien Phu, où nous avons cru attirer dans un combat de rencontre et de destruction trois des meilleures divisions vietminh. Pratiquement, l’ennemi a fixé une partie importante de nos troupes et c’est lui qui nous manœuvre. » (cité in Rocolle, 1968, pp. 335-336) Malgré cet exposé des plus clairs, Pleven ne prend aucune décision alors que tout semble encore possible : la division 308 est à 90 km de Luang Prabang, la division 312 n’est pas encore en marche. Il est vrai que le général Blanc sera aussi beaucoup moins clair dans ses écrits ultérieurs quant aux chances de réussite du camp retranché (voir 20 mars).

Cogny transmet à Navarre une idée de De Castries qui obligerait le VM à passer à l’attaque : il faudrait ramener provisoirement dans le Delta 2 ou 3 bataillons pour donner l’impression au VM que l’on affaiblit la garnison de Dien Bien Phu. Selon ses dires, Navarre élude cette proposition car il ne désire pas se voir produire une attaque dans le Delta. Il entend concentrer tous ses efforts dans le seul camp retranché (Navarre, 1979, p. 337).

Eisenhower déclare lors d’une conférence de presse « qu’il ne pouvait concevoir une plus grande tragédie pour les États-Unis que de se trouver impliqués dans une guerre ouverte en Indochine. » Il fera cependant longtemps croire aux Français à une hypothétique intervention des U.S.A. dans le cadre d’une encore plus hypothétique coalition franco-anglo-américaine.


11 février 54 : La situation devient critique autour de la base aéroterrestre de Muong Saï (voir 3 février) où l’attaque générale d’une partie de la division 308 est imminente. Son commandant, Vaudrey, qui ne dispose que des débris de 5 bataillons thaïs demande de l’aide à Saigon (Pouget, 2024, p. 235).

Poursuite des opérations de diversion dans la région de Pleiku. Nouvelle attaque sur un poste, celui de Dak Doa dont la garnison subit des assauts depuis 7 jours et 7 nuits. Là encore, avec le soutien de l’aviation, le poste tient sous les coups répétés du VM. La garnison parvient à être ravitaillée et relevée par des éléments du G.M. 100 avant l’attaque du 17 (Fall, 2020, p. 227).


11 – 12 février 54 : A Dien Bien Phu, opérations françaises sur les collines de l’est du camp retranché qui subit déjà une intense pression (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 127).


12 février 54 : Navarre répond à la demande d’aide de Muong Saï. Il prescrit au général Gilles de dépêcher sur place de toute urgence un bataillon de parachutistes. Gilles désigne le 1er B.P.C. (dont la compagnie du capitaine Pouget) qui est à Seno. Navarre se rend en toute discrétion et sans manifester sa présence à Seno pour voir embarquer le bataillon de son aide de camp (Pouget, 2024, p. 235).


12 février – 18 mai 54 : Poursuite des opérations de diversion de Giap : 59 postes sont attaqués et pris dans le Delta selon la déposition du général Cogny en date du 16 juin 1955 devant la commission d’enquête qui fait suite à la défaite de Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 130).

Selon une lettre adressée par le lieutenant-colonel Gaucher (commandant le G.M. 9) à son épouse, le moral dans le camp retranché de Dien Bien Phu est mauvais : « […] Cela va très mal, un peu partout nous menons une série d’opérations qui nous coûtent assez cher. Je ne parle pas des tirs d’artillerie, qui sont au fond une petite chose. Nous attendons Pleven. Que vient-il faire ici ? Probablement des tas de choses. Il faut reconnaître que la formule Navarre n’a pas plus réussi que le reste. Nous sommes dans une impasse. Le Viet mène la bataille et nous ne faisons que parer les coups. De toute façon, nous ne menons pas une vie drôle ici et la lassitude commence à gagner tout le monde […] » (cité in Rocolle, 1968, pp. 327-328)


13 février 54 : Le 1er B.P.C. est largué vers 15 h 00 à Muong Saï pour renforcer la garnison. Il rejoint la base, s’enterre et se fortifie jusqu’au 21. Une lourde menace pèsera sur le camp retranché jusqu’à cette date (Pouget, 2024, p. 240).

L’optimisme de l’état-major français est partagé par une partie de la presse française. Robert Guillain, correspondant du journal Le Monde écrit de Dien Bien Phu : « « Faire descendre le Viet dans la cuvette ! » Voilà le rêve du colonel de Castries, commandant en chef à Dien Bien Phu et de tout l’état-major. S’il descend, il est à nous. Le choc peut être dur mais nous l’arrêterons. Et enfin nous aurons ce que nous a toujours manqué : un objectif ; un objectif concentré que nous pourrons « matraquer ». » (cité in Navarre, 1956, p. 241, note 1 et Navarre, 1979, p. 338 ; citation douteuse non retrouvée dans l’article en ligne de Robert Guillain à cette date qui évoque uniquement la situation à Luang Prabang) De Castries réitèrera la même forme  d’optimisme le 15 mars.


14 – 15 – 16 février 54 : Série de reportages du journaliste Robert Guillain pour le journal Le Monde à Dien Bien Phu : « Week-end à Dien Bien Phu » (14) ; « La bataille de Dien Bien Phu n’était pas au rendez-vous » (15) ; « Bataille de Dien Bien Phu : le cercle de la haine » (16) (Le Monde des 14, 15 et 16 février 1954). Il y décrit l’organisation du camp mais aussi les difficultés insurmontables que rencontrent les Français dès qu’ils essaient d’en sortir.


15 février 54 : Ayant fait revenir des renforts à Dien Bien Phu venus entre autres de Luang Prabang, le camp retranché a été sérieusement renforcé et est capable d’opposer une résistance sérieuse aux futurs assauts de la première vague du VM. Selon Rocolle (qui a appartenu à l’état-major de Navarre en tant que chef du 3e bureau à Saïgon), c’est l’annonce de la future conférence de Genève pour le 26 avril qui motiverait Giap, hésitant car devant pour la première fois à devoir attaquer durablement, de nuit comme de jour. Ce dernier entend toutefois voir son pays aborder la négociation en position de force grâce à une victoire militaire (Rocolle, 1968, pp. 260-261). Il lui faut également agir avant l’arrivée de la saison des pluies qui compliquera assurément la tâche de l’assaillant.


15 – 16 février 54 : Une nouvelle tentative voulue par Cogny pour sortir du camp retranché se solde par un échec (voir 21 – 22 février) (Rocolle, 1968, p. 269).


Nuit du 17 au 18 février 54 : Le poste de Dak Doa (Centre Vietnam, proche de Kontum) est toujours attaqué par le régiment 803 qui le pilonne. Les réserves d’essence du groupe électrogène flambent : le glacis du poste ne peut plus être éclairé. Le poste tombe à 4 h 25 et aucun secours ne lui est apporté sur ordre du commandement. Le G.M. 100 venu en renfort y a perdu 3 officiers et 80 hommes. Après la chute du poste, le VM s’évanouit (Fall, 2020, pp. 232-233).


18 février 54 : L’Angleterre, la France, les États-Unis et l’Union soviétique annoncent la tenue en mai d’une conférence internationale sur la Corée et l’Indochine, la future conférence de Genève. Navarre affirme n’avoir pas été informé de son existence. Ce dont on peut douter à la lecture du témoignage d’une conversation qu’il a eue avec son aide de camp après l’abandon de Muon Saï par des éléments de la division 308 (Pouget, 2024, pp. 242-243). Le commandant en chef lui attribuera – non sans quelques raisons valables – une lourde responsabilité dans l’échec de Dien Bien Phu : elle aurait accéléré l’aide chinoise (ce qui n’est pas faux mais n’explique pas tout). Elle va surtout inciter le VM à vouloir remporter une victoire pour négocier en position de force. Navarre reproche également à cette annonce d’avoir fait fortement augmenter la proportion (cependant habituelle…) d’insoumis et de déserteurs dans l’armée vietnamienne (Navarre, 1956, p. 140).

Navarre et Cogny sont ce jour à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).


19 février 54 : Après leur visite du camp retranché, Pleven (Défense) et le général Ély (chef d’état-major des Forces armées), Marc Jacquet (États associés), le général Blanc (chef d’état-major de l’armée de Terre), le général Bodet (adjoint interarmes de Navarre) et le général Fay (chef d’état-major de l’Armée de l’Air) font part de leurs impressions à Navarre. Selon ce dernier : « Ils avaient été très frappé par le moral élevé de la garnison. Ils souhaitent tous l’attaque, me dit Ély, mais vous la souhaitez-vous ? » Je répondis : « Non. Je ne la souhaite pas. Tout ce que je souhaite pour cette année, c’est un coup nul. » (Navarre, 1979, p. 339 ; Pouget, 2024, p. 250) En fait, suite à cette visite, le général Fay aura un entretien particulier et sans doute franc avec Navarre, son ancien camarade de promotion à l’École de guerre. Cet entretien dont on ne connaît pas la date exacte a eu lieu avant le retour de Fay en France le 26 février. Le chef d’état-major de l’armée de l’air n’a sans doute pas manqué de mettre en garde le commandant en chef sur les difficultés auxquelles l’aviation sera confrontée à Dien Bien Phu avec le retour de la mousson (Rocolle, 1968, pp. 336-337).


20 février 54 : Selon Navarre, à cette date, « toutes dispositions étaient prises par le commandement ennemi pour porter la guerre à son paroxysme : offensives sur tous les fronts à partir de mi-mars, avec effort principal sur Dien Bien Phu ; acceptation de pertes considérables et mesures draconiennes pour y faire face ; dispositions en vue d’une prolongation de la lutte, si nécessaire au-delà de la saison des pluies ; demande à la Chine d’intensification massive de son aide. Tout cela – c’était écrit en toutes lettres dans les ordres – « pour faire pression sur la conférence » » (Navarre, 1979, p. 385).

Au Cambodge, reddition des chefs issaraks.


21 février 54 : A Muong Saï, les défenseurs de la base se rendent compte que les éléments de la division 308  qui les assiégeaient se sont volatilisés durant la nuit. Giap a éprouvé de nombreuses difficultés pour les ravitailler. Après l’annonce de la conférence de Genève, il a décidé de concentrer toutes ses forces sur Dien Bien Phu et a donc ordonné un rapide repli de toutes ses divisions d’élite vers cet objectif devenu prioritaire (Pouget, 2024, p. 242-243).

Selon Pouget a lieu une rencontre à Dalat entre Navarre et Pleven (Défense). Navarre évoque la conférence de Berlin (voir 25 janvier - 18 février) et les perspectives qu’elle induit pour celles de Genève. Le ministre de la Défense ne lui semble pas beaucoup préoccupé par ce qui y a été décidé. Selon les propos rapportés par Navarre, son interlocuteur lui aurait dit en substance en évoquant la future conférence de Genève : « Nous sommes obligés d’accepter cette réunion. L’opinion publique en France ne comprendrait pas que nous nous dérobions et quelques membres du gouvernement en sont partisans. En fait, le président du Conseil [Laniel] est persuadé qu’il n’en sortira rien. Il faut y aller quand même, ne serait-ce pour démontrer que le Vietminh n’est pas disposé à traiter dans les conditions actuelles. » (cité in Pouget, 2024, p. 246) En fait, pour le gouvernement, c’est aussi et surtout une porte d’issue pour sortir au mieux du guêpier indochinois et de son impasse.


21 – 22 février 54 : Seconde tentative pour sortir du camp retranché qui se solde par un second échec après celui des 15 et 16 février (Rocolle, 1968, p. 269). Cogny renoncera désormais définitivement à toute nouvelle tentative.


22 février 54 : Après le retour de la division 308 de la région de Luang Prabang et 4 jours après l’annonce de la tenue de la conférence de Genève, Giap réunit le haut commandement pour préparer la seconde vague d’assaut sur Dien Bien Phu. Il réitère la consigne : « Attaque sûre, progression à pas sûrs » et donne ses directives (Rocolle, 1968, p. 260, note 11). Il réitère un langage de fermeté pour conduire les combats de la deuxième vague d’assaut qu’il prévoit durables : « […] Si la campagne se prolonge et que viennent les pluies, la construction des ouvrages sera difficile, nos troupes souffriront de l’humidité. Mais nous sommes sur les pentes, et il nous suffira de creuser plus en profondeur dans la montagne, d’évacuer l’eau par des rigoles de drainage, tandis que l’ennemi dans la plaine basse verra ses ouvrages immergés et détruits sans rémission. C’est pourquoi celui qui aura à redouter la pluie, ce sera l’adversaire et pas nous […]  Nous aurons à subir des pertes au cours du combat. La victoire s’achète au prix du sang, comme toutes les conquêtes révolutionnaires se payent avec des sacrifices […] » (cité in Rocolle, 1968, pp. 263-264).


23 février 54 : Suite à la réaction française et à d’importants problèmes logistiques, la division 308 qui avait été temporairement engagée vers Luang Prabang pour une opération de diversion repart pour reprendre sa place autour de Dien Bien Phu (voir 18 janvier).

Navarre produit une directive qui prévoit autour d’Hanoi la présence d’une réserve de 5 bataillons de parachutistes. 2 d’entre eux ont été prélevés des Plateaux Montagnards du Centre Vietnam  (Navarre, 1979, p. 329).


24 février 54 : Le retour d’une partie de la division 308 est confirmé. Les Français estiment que la division qui vient d’être recomplétée pourra entrer rapidement en action.

Dans un message adressé à Navarre, Cogny pense que l’attaque du VM sur Dien Bien Phu peut se produire à partir du 5 mars. Il demande une réserve de 3 bataillons supplémentaires présents à Hanoi. « Ces effectifs permettraient en outre une exploitation éventuelle à courte portée d’un succès à Dien Bien Phu ». (Navarre, 1979, p. 337 ; Rocolle, 1968, p. 270, note 37 et p. 332, note 213).

Le secrétaire d’État américain Dulles déclare à nouveau que les événements d’Indochine revêtent un intérêt vital pour les U.S.A. (voir 4 avril) (Marangé, 2012, p. 208).

A partir de cette date, et suites à diverses opérations de diversion qui ont eu lieu au Laos et dans le Delta, le camp retranché redevient une priorité de l’aviation en vue de son approvisionnement, notamment en obus de tous calibres. Lors de la première attaque du 13 mars, le camp retranché bénéficiera en effet d’une dotation maximale (Rocolle, 1968, p. 285).

Dans un document dénommé « Directives générales  concernant le commandement  et l’emploi des forces aériennes », le général Fay (chef d’état-major de l’Armée de l’Air) écrit : « […] Le bombardement sera placé sous une direction unique pour permettre les actions massives et éviter l’éparpillement actuel des moyens […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 317, note 172) Un appel en faveur d’une correction qui s’avère bien tardive (voir 10 avril)…


25 février 54 : Directive de Navarre répondant au courrier de Cogny de la veille. Considérant que « nous sommes manifestement à un tournant de la campagne 1953-54 », il renforce les moyens de son subordonné : les réserves aéroportées à Hanoi passent de 3 à 5 bataillons, leur éventuel appui est focalisé entièrement sur Dien Bien Phu. Selon le commandant en chef, « les points forts [bases aéroterrestres] devant lesquels l’offensive VM est actuellement stoppée, marquent la limite extrême de la distension consentie. Toute nouvelle tentative pour nous en chasser doit se heurter à la détermination absolue de les défendre. Si l’ennemi décroche, il faudra le poursuivre […] » Navarre affirme alors : « Je suis décidé à livrer la bataille de Dien Bien Phu et à la gagner. » Il n’exclut toujours pas que le VM abandonne la partie après un premier assaut infructueux. Cogny est chargé dès le lendemain d’étudier un scénario au cas où la chose se produirait (Navarre, 1956, p. 181 ; Rocolle, 1968, pp. 270-271, note 39).


27 février 54 : Retour en France de la mission Pleven qui remet un rapport écrit au gouvernement. Ce rapport écrit de la main du ministre de la Défense n’est pas daté (voir 9 – 27 février) (Rocolle, 1968, pp. 36-38). Concernant Dien Bien Phu, le ministre de la Défense écrit : « […] Dien Bien Phu est une position extrêmement forte qui, pour être attaquée, exigerait de très gros moyens avec, au surplus, de gros risques d’échecs pour l’assaillant ; elle pose cependant un problème qu’étudie actuellement le commandant en chef : celui des servitudes en saison des pluies. » (cité in Rocolle, 1968, pp. 338-339) Cette dernière phrase étant le seul élément que Pleven retient des importantes critiques qui avaient été faites par les généraux Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre) et Fay (chef d’état-major de l’Armée de l’Air) (voir 10 et 19 février).

En cas de renoncement du VM à prendre Dien Bien Phu avec repli sur le Delta, Cogny préconise d’occuper temporairement soit Yen Bay, soit Thaï Nguyen ou Langson. Langson lui paraît être la solution le plus « économique » (Rocolle, 1968, pp. 271-272, note 42 et p. 332, note 213). Or, à ce moment précis, le VM n’a nullement l’intention de lâcher Dien Bien Phu.

La publication d’un rapport officiel dans le magazine L’Express provoque de fortes réactions en France. Il est signé de Marc Jacquet, secrétaire d’État aux États associés. Ce dernier met en cause publiquement la piètre tenue de l’armée de Bao Daï : « Il serait illusoire, voire dangereux, de continuer à penser que le Corps expéditionnaire puisse être remplacé, et l’équilibre militaire assuré, par une armée vietnamienne. Celle-ci pourra seulement constituer un appoint – et souvent aléatoire – au potentiel militaire fourni par la France et éventuellement toute autre nation extérieure au Vietnam. » Navarre ne contredit pas ce jugement. Selon lui, les soldats de Bao Daï seront « incapables de faire quoi que ce soit de sérieux avant plusieurs années. » (cité in Ruscio, 1992, p. 206)


28 février 54 : Cogny est à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47).

​Fin février 54 : Après un mois de combats, la division 308 a anéanti 20 compagnies adverses. La ligne de défense de la rivière Nam You, couloir stratégique reliant Dien Bien Phu au Haut-Laos est rompue. La 308 reprend le chemin du camp retranché qui est complètement cerné de toutes parts (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 128).

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