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par Jean-François Jagielski

Février 1947

Février 47 : Le général Nyo (commandant les forces françaises en Cochinchine et Sud-Annam) découpe la Cochinchine en trois zones de pacification. Il dispose de 40 % des effectifs du corps expéditionnaire, soit 38 000 hommes, 6 000 de la garde cochinchinoise et 10 000 partisans. Le VM n’aligne lui que 18 000 hommes car le gros de ses effectifs se trouve pour l’heure au Tonkin. Au Sud, les Français sont dispersés et chargés de multiples tâches : protéger les axes routiers, occuper les tours de défense, pratiquer la « chasse à l’ennemi », protéger les populations (terrorisme) et les centres économiques (plantation d’hévéas). Au final, cette supériorité numérique française n’est qu’un leurre car elle est toujours sur la défensive et a, de plus, toujours un coup de retard quand le VM se manifeste (Gras, 1979, pp. 178-179).

Le VM impulse la tactique de guérilla avec le slogan « battre l’ennemi partout où il se trouve » dans tout le Vietnam et mène des actions en ce sens : destruction de tronçons de routes, barrages sur les fleuves et les routes, destruction de ponts, attaques de bases logistiques, sabotage des outils de production pour le riz ou le caoutchouc. Une technique efficace qui vise à user de l’adversaire (Giap 1, 2003, p. 66).

Le commandement français commence à réfléchir dès février à une opération de vaste envergure qui doit conduire à la décapitation du VM par l’arrestation de ses dirigeants. Bollaert (haut-commissaire) la voudrait voir accomplie au plus tôt mais la saison des pluies et la lente mobilisation des Français obligent à penser la chose pour l’automne, la future opération Léa. Valluy et surtout Salan (qui a pris la succession de Morlière à la tête des T.F.I.N.) commence à élaborer des plans qui vont mûrir tout l’été pour conquérir le « réduit principal » situé dans le triangle Chiem Hoa-Thaï Nguyen-Bac Kan (voir 26 juillet) (Cadeau, 2019, pp. 215-216).


Première semaine de février 47 : Messmer est reçu pas Auriol qui lui demande de rencontrer Leclerc : « Je souhaite que vous le voyiez parce qu’il hésite dans la réponse qu’il doit donner au gouvernement et je voudrais que vous lui donniez votre avis. » A notre connaissance, le président de la République ne fait pas état de cette rencontre dans son journal. Une rencontre entre le général et le secrétaire du Cominindo aura cependant lieu. Messmer lui déconseillera de repartir : « Mon Général, faites attention. Mon expérience du secrétariat général [gaulliste…] du Comité interministériel pour l’Indochine, où j’ai vu passer tout le courrier et où j’ai assisté à toutes les réunions gouvernementales sur le sujet, m’a montré qu’il n’y avait pas de politique indochinoise du gouvernement […] Si vous posez vos exigences et même si vous recevez des réponses qui pourront vous paraître satisfaisantes, je puis vous assurer que dans l’état actuel du gouvernement vous n’aurez aucun soutien. Vous supporterez la responsabilité d’un échec qui me paraît inéluctable. » Selon Messmer, « le général Leclerc ne m’a répondu ni oui ni non mais j’ai eu l’impression que ce que je lui disais correspondait à son sentiment profond. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 328)


1er février 47 : Suite à une demande de Le Van Hoach (voir 8 janvier), D’Argenlieu réunit le conseil fédéral et fait entériner un projet d’ordonnance fédérale n° 32-5 accordant plus de pouvoirs réglementaires au Gouvernement provisoire de la République de Cochinchine. L’amiral qui entend à son habitude faire cavalier seul n’en informera le G.R.P.F. qu’après avoir proposé le texte (Turpin, 2005, p. 314).

Sans avoir consulté le nouveau gouvernement comme le lui avait demandé Moutet, D’Argenlieu promulgue une ordonnance fédérale qui élargit les pouvoirs du Gouvernement autonome de Cochinchine dirigé par Le Van Hoach. La Cochinchine est désormais « un État libre dans le cadre de la Fédération indochinoise et de l’Union française. » Moutet est furieux. Les rumeurs de remplacement du haut-commissaire s’amplifient. Une campagne de presse contre l’amiral se déclenche (Devillers, 1988, pp. 344-345).


2 février 47 : De Gaulle, interrogé par Claude Mauriac sur l’opportunité de devenir président de la toute jeune IVe République à la place d’Auriol s’écrie : « Vous auriez donc voulu que je sois à la place d’Auriol ? Que je signe le rappel de D’Argenlieu, car j’y aurais été obligé ? Vous auriez voulu que je couvre de mon nom ce système instable ? Que je me compromette avec lui ? » (cité in Turpin, 2005, p. 319, note 72)


3 février 47 : Le général américain Marshall déclare au sujet de l’Indochine de « ne pas faire un pas qui puisse faciliter le triomphe du communisme. » (Toinet, 1998, p. 245)

Morlière (commandant des T.F.I.N.) se rend à Saigon pour remettre ses fonctions à son vieil ennemi le colonel Dèbes (Devillers, 1988, p. 326).


4 février 47 : Aboutissement, après 18 jours de combat, d’une vaste opération française pour dégager Hué qui a subi un siège de 46 jours depuis le 19 décembre 1946. L’aviation intervient. Le 8, le VM, faute de renforts, annonce la dislocation de son emprise autour de la ville (Gras, 1979, p. 166-167 ; Giap 1, 2003, p. 62).

Télégramme de D’Argenlieu à Auriol. L’amiral se plaint de n’avoir reçu « une réponse nette et ferme sur ce qui doit être présentement la condition de base de notre politique, à savoir : affirmation par le Gouvernement qu’il ne traitera plus avec le Gouvernement Ho Chi Minh. » L’amiral constate que son « nom est jeté en pâture » à l’opinion publique », que son « rappel est continuellement évoqué en haut lieu ». Faute d’assurance, il pense donner démission (D’Argenlieu, 1985, pp. 390-391). Cette missive adressée au président de la République parviendra à Paris le 6.

Dans un mémorandum, D’Argenlieu revient à la charge contre la suppression du Cominindo qu’il a déjà qualifiée de « dogmatique » (voir 9 et 21 janvier) : « Cette mesure se trouve en outre en contradiction avec les positions idéologiques prises à l’égard de l’Indochine par les membres les plus distingués de ce Gouvernement, puisqu’elle rend à faire dépendre l’Indochine exclusivement d’un Département dont les soucis les plus ordinaires concernent des territoires de statut colonial alors que parallèlement les théories soutenues par le Président même du Gouvernement et par les leaders du Parti au pouvoir tendent à la plus large indépendance concevable au sein de l’Union française des États qui composent l’Indochine. » (cité in Turpin, 2005, p. 318) Il en appelle à l’application stricto sensu de la déclaration du 24 mars 1945. Moutet vient donc de gagner une manche puisque désormais le haut-commissaire dépend de sa seule autorité.


5 février 47 : Ramadier répond (enfin…) à D’Argenlieu sur le contenu de son long mémorandum de 14 janvier qui avait été adressé à son prédécesseur, Léon Blum, et transmis par lui et l’amiral au nouveau président du Conseil. Il désavoue « la suggestion de rétablissement de Bao Daï ». Selon lui, « une tentative de restauration » de l’ex-empereur durcirait la position des éléments les plus extrémistes du VM mais éloignerait également « les progressistes qui supportent mal la dictature du Vietminh ». Il invite donc D’Argenlieu à venir exprimer son point de vue à Paris « dans le délai le plus bref ». Celui-ci, contraint et forcé, est obligé d’accepter cette proposition. Il partira le 20 (D’Argenlieu, 1985, pp. 391-392).

Dans un télégramme, Ramadier reproche d’autre part au haut-commissaire d’apprendre « par une dépêche de presse qu’une ordonnance fédérale aurait proclamé la Cochinchine  état libre dans le cadre de la Fédération indochinoise et de l’Union française. M’étonne qu’une telle décision ait pu être prise sans accord Gouvernement, vous prie m’adresser d’urgence rapport. » (cité in Turpin, 2005, p. 317) En conseil des ministres est à nouveau évoquée le rappel de D’Argenlieu qui doit venir s’expliquer sous peu à Paris (Turpin, 2005, p. 318).

Départ de Morlière (ex-commandant des T.F.I.N.) pour Paris où il doit être entendu sur son rôle dans les événements de décembre 1946 (Devillers, 1988, p. 326).

R. Lhermite écrit dans L’Humanité : « Si nous devons continuer cette guerre, nous nous exposons à une campagne terrible, meurtrière, dont on peut présumer qu’elle ne viendra pas à bout de la résistance héroïque d’un peuple. » (cité in Ruscio, 1985, pp. 162-163)


6 février 47 : Réception à Paris de la lettre de D’Argenlieu du 4 adressée à Vincent Auriol. Ramadier et Moutet se rendent à l’Élysée pour l’informer de la potentielle démission de l’amiral. Le président de la République estime, à juste titre d’ailleurs, que ce qu’il a reçu « n’est pas une lettre de démission, c’est une mise en demeure et une menace. » Pour autant, Auriol rappelle que Blum et Ramadier ont informé l’amiral de leur désaccord avec ce texte. Dans son Journal, Auriol indique : « Dans ces conditions, le Gouvernement prend acte de sa lettre et de l’offre de démission qu’elle contient, à défaut des assurances qu’on ne peut pas lui donner […] Il faut rédiger une lettre dans ce sens qu’on soumettra à Bidault [Affaires étrangères] pour m’en envoyer le texte définitif. » (Auriol 1, pp. 46-47) Messmer (secrétaire général du Commindo) transmettra la décision à l’intéressé.

HCM lance un appel à une action de terre brûlée. Les habitations de type européen sont systématiquement détruites à la pioche dans les secteurs occupés par le VM par les habitants : Phu Ly, Thaï Binh, Hung Yen, Vietri, Kien An, Hoa Binh (Gras, 1979, p. 182). L’objectif de ces démolitions est de ne pas autoriser les Français à réoccuper les lieux (Giap 1, 2003, p. 115).


7 février 47 : Ramadier reçoit de nouveau Leclerc à Matignon. Il renouvelle son offre du 27 janvier. Selon Leclerc, deux options s’imposent : ou une reconquête militaire, entreprise longue et périlleuse nécessitant 350 000 hommes et donc le recours au contingent ; ou, solution qui a sa préférence, la négociation avec toutes les tendances de l’opinion au Vietnam, VM compris. Il lui faut 100 000 hommes, tous européens. Ramadier lui répond qu’il ne peut s’engager sans avoir consulté le Parlement. Ce délai ne convient guère à Leclerc qui ira consulter De Gaulle. Ce dernier le découragera de s’engager dans cette voie périlleuse (voir 8 février) (Chaffard, 1969, pp. 91-93).

D’Argenlieu produit un « mémorandum d’ordre politique et militaire ». « Le facteur prépondérant de la pacification est d’abord politique. » Le gouvernement français doit s’interdire de renouer avec le VM. Son gouvernement qui entretient le terrorisme et la guérilla en Cochinchine doit être rapidement frappé à la tête par une action militaire au Tonkin (Bodinier, 1989, pp. 231-234).


8 février 47 : Leclerc rencontre De Gaulle à Colombey. Les relations entre les deux hommes se sont progressivement dégradées lors de la création du R.P.F., Leclerc comprenant mal que De Gaulle se soit lancé dans la politique et soit devenu un simple chef de parti. Sa visite a pour but d’être conseillé sur son réengagement ou non dans les affaires indochinoises. Or De Gaulle qui n’a de retour sur elles que par le bais de D’Argenlieu le prend de haut : « Vous ne connaissez rien à la politique […] On veut se servir de vous […] On fera de vous un instrument de capitulation. » L’entretien se passe mal et les deux hommes se sépareront fâchés. Leclerc, dans le « Film de la crise du remplacement de l’Amiral » donne un compte-rendu de cet entretien très tendu : « […] Aussitôt dans son bureau, celui-ci commence à m’engueuler avec sa vigueur habituelle sans me laisser exposer, déclarant que l’on a voulu la peau de l’Amiral, qu’ils ont eu l’Amiral, que j’ai eu tort d’accepter et (ce qui est plus grave) qu’il sait que j’accepte pour aller tout lâcher. Je réagis et crie plus fort. La discussion atteint un diapason jamais encore atteint. Je lui déclare qu’il ne connaît la question qu’à travers l’Amiral, qu’il n’a jamais entendu parler que lui. Je lui demande en particulier ce qui arrivera s’il revient trop tard, une fois l’Indochine perdue […] » La discussion orageuse se poursuit sur « les conditions minimum à exiger » sur lesquelles il y a accord. De Gaulle annonce ses exigences : « Son point de vue est déjà fixé et sa doctrine pour l’Indochine reste absolue : nécessité d’une fédération, aucune concession en Cochinchine, déclarant que ce sont ses propres instructions à l’Amiral. Je lui réponds impoliment que c’est faux et c’est moi-même qui ai attiré son attention sur la Cochinchine. » Puis « le ton se calme, on en arrive à une discussion plus raisonnable. Il me sort à peu près les mêmes arguments que Pleven. Je lui demande : « Oui ou non, faut-il refuser ? » Il me dit : « Non, mais il faut poser des conditions. » […] Enfin, sa dernière conclusion avant mon départ sera : « Je crois que cette discussion a été fort utile. » » (cité in Pedroncini, 1992, pp. 307-308)

Leclerc demeure perplexe, n’ayant pas obtenu de Ramadier ce qu’il demandait :                    ni les 115 000 hommes supplémentaires sur deux ans ni des objectifs clairs du gouvernement sur la politique à mener en Indochine. Ramadier en vient même à proposer de créer des commissions parlementaires pour examiner les demandes du général… (Chaffard, 1969, pp. 93-94)

Lors d’un conseil de gouvernement fédéral, D’Argenlieu continue à jouer les provocateurs. Il déclare qu’à Paris, il se montrera intransigeant sur deux points : aucune reprise des relations avec l’équipe d’HCM ;  il ne saurait accepter d’être en Indochine le seul représentant du ministre de la F.O.M. (Turpin, 2005, p. 318, note 64).


9 février 47 : Dans son Journal du Septennat, Vincent Auriol résume le contenu d’une entrevue avec Leclerc dans laquelle les deux interlocuteurs reviennent sur la situation en Indochine. Le général a quitté ses fonctions de commandant en chef en Indochine depuis le 19 juillet 1946. Celui-ci lui déclare : « La solution est avant tout politique ; je suis mal préparé à la solution des problèmes politiques et je crains de ne pas toujours être d’accord avec le gouvernement et la majorité des parlementaires. Pour faire prévaloir cette politique, il faut des moyens de forces considérables qu’on ne me donnera pas. Il ne faut pas être discuté et je serai discuté. »  (cité in Toinet, 1998, p. 83 ; Auriol 1, 9 février 1947, pp. 51-52) Auriol a beau le rassurer du soutien du gouvernement, Leclerc n’y croit pas, notamment du fait de la permanente instabilité gouvernementale propice à tous les revirements possibles. Pour autant, à la fin de l’entretien, Auriol « le croi[t] décidé. » Il se trompe.

Selon Toinet, Leclerc remet au président de la République une lettre sur les conditions à exiger par un haut-commissaire pour rétablir la situation : pleins pouvoirs civils et militaires ; nominations de nouveaux hauts-fonctionnaires ; déclaration du gouvernement sur les buts de la France en Indochine ; actions diplomatiques avec la Chine et le Siam ; action contre le terrorisme ; effort militaire de 100 000 hommes avec recours aux réservistes, un pas que les gouvernements successifs refuseront toujours de franchir (Toinet, 1998, p. 84). Cette lettre aboutit à une nouvelle entrevue entre les deux hommes le 10. Or Auriol dans son Journal n’évoque à aucun moment la remise d’une lettre…


Entre le 9 et le 11 février 47 : Leclerc se rend une seconde fois secrètement à Colombey pour y rencontrer De Gaulle. L’entretien est à nouveau orageux. Le Général déclare à Leclerc : « Je suis convaincu que le gouvernement vous propose d’aller remplacer D’Argenlieu en Indochine. Méfiez-vous. Ne vous laissez pas faire. Ne rééditez pas le précédent du limogeage de Lyautey par Pétain. Cette mauvaise action l’a suivi toute sa vie et a nui à son prestige. Entre deux compagnons de la Libération, cette attitude ne saurait être convenable, à moins qu’elle soit bien expliquée. » Selon De Boissieu qui assiste à l’entretien, De Gaulle « n’a pas émis un veto » lorsque Leclerc lui a demandé conseil. Le Général a ajouté : « Non ; simplement je vous conseille de prendre des garanties et des garanties formelles, sinon c’est sur vous que tomberont toutes les responsabilités. » Toujours selon De Boissieu, dans la voiture de retour, Leclerc lui confie : « Sur les grands sujets, voyez-vous Boissieu, le Général a toujours raison. Demain, je verrai Ramadier et je refuserai de remplacer l’Amiral en Indochine car ils ne me donneront pas les moyens que je demande. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 337 ; Turpin, 2005, pp. 324-325)


10 février 47 : Nouvelle entrevue Ramadier-Leclerc. Ramadier se fait toujours des illusions sur la possibilité d’un succès militaire rapide. Leclerc lui rappelle qu’il n’y aura qu’une amélioration lente et continue. Il défend à nouveau la thèse de la primauté de la négociation politique sur le militaire. Leclerc dit à son interlocuteur qu’il ne peut donner de réponse ferme avant d’avoir vu D’Argenlieu. Ramadier sait alors qu’il doit  aller chercher ailleurs (Pedroncini, 1992, p. 308). En sortant de cet entretien, Leclerc rencontre Juin et son ami le député René Pleven qui lui dit : « Si vous allez là-bas, qui vous soutiendra ? Personne. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 307)

Un deuxième rapport de la plume de Morlière est remis au gouvernement suite à la mise en cause du rôle de l’ex-commandant des T.I.F.N. par Leclerc dans l’affaire de Hanoi fin 1946. Il remet toujours en cause le rôle de Valluy et Dèbes dans les événements de Haïphong et Hanoi, s’efforçant de démontrer avec justesse que l’action de l’auteur du rapport a toujours été conforme à la politique voulue par le gouvernement Blum. Il déplore la situation tant en Cochinchine qu’au Tonkin et stipule, comme l’a d’ailleurs dit, redit et écrit Leclerc, qu’« il n’y aura pas de solution purement militaire » tant que la population indochinoise soutiendra le VM : « Nous nous battons, non pas contre le seul Vietminh, mais contre la grande majorité, sinon la totalité, de la population. » (cité in De Folin, 1993, p. 190) Selon Devillers, ayant de solides ennemis en Indochine, on reproche surtout au général d’avoir fait échouer par sa modération la tentative de coup d’État contre HCM voulue par Valluy et soutenue par D’Argenlieu, Dèbes et même Sainteny (Devillers, 1988, pp. 326-327).

Rapport du général Valluy constituant un plan d’action militaire. Il n’est absolument pas en phase avec la position du futur haut-commissaire Bollaert qui veut quant à lui négocier. Or Valluy a une position tout à fait différente : il veut abattre militairement le VM avant toute négociation. Il propose de « rechercher un isolement du front vietminh, suivi de sa désintégration. » Il faut, en premier lieu, « détacher la foule annamite de sa tête agissante […] en démontrant à l’évidence notre supériorité matérielle comme notre volonté de vaincre ». Cela démontrerait aux masses annamites passives et versatiles que cette guerre ne sert à rien. Il faut jouer la carte de la lassitude. Mais cela suppose des moyens : « une ligne de conduite ferme » prouvant qu’on ne veut pas abandonner l’Indochine, rompre avec le gouvernement vietminh dans sa forme actuelle, faire des réformes administratives et sociales. Il faut de plus un effectif de minimum 115 000 hommes pour « attaquer en force et à bref délai partout ». Priorité doit être donnée à la pacification du Sud puis, après, on s’occupera du Tonkin. On peut négocier, mais uniquement en position de force. Or le gouvernement continue d’appliquer la politique des « petits paquets » au niveau des renforts, faute d’effectifs et parce qu’en autre, il doit faire face à une rébellion à Madagascar (Gras, 1979, pp. 176-177).


11 février 47 : D’Argenlieu écrit à De Gaulle de Saigon : « Comme vous ne l’ignorez pas, l’on en vient à donner plus d’actualité à la question de mon remplacement qu’au problème politique essentiel. Mais cela permet de poursuivre une campagne de calomnie et de dénigrement contre l’amiral D’Argenlieu […] Le gouvernement se montre incapable de défendre son représentant ou (reste) indifférent au mal que cette manière de faire cause à nos intérêts en Indochine. » (cité in Turpin, 2005, p. 326)


12 février 47 : Leclerc renonce définitivement à prendre la succession de D’Argenlieu (Auriol 1, 12 février 1947, p. 57).

Note de l’amiral D’Argenlieu à Marius Moutet (F.O.M.) localisant HCM dans des grottes proches de Hadong. Ce dernier refuse de donner l’ordre à l’armée d’intervenir. Il aurait alors déclaré que le gouvernement français n’agit pas à la manière des brigands ou des gangsters (Devillers, 1969, p. 25, note 10). Côté français, c’est donc à nouveau l’heure d’une ouverture ambiguë mais aussi celle des habituelles demi-mesures.

Giap rejoint HCM à Vien Noi (au sud d’Hanoi) pour faire un point sur la situation militaire. Il lui conseille de quitter la région pour Son Tay à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de la capitale du Tonkin pour s’éloigner à Co Tiet (nord-ouest d’Hanoi) où il résidera quelque temps (Giap 1, 2003, p. 82).

Le haut commandement du VM crée un bureau chargé de la milice populaire rurale et des forces d’autodéfense urbaines (les Tu Ve). Le ministère de la Défense produit une circulaire en vue de leur organisation : tous les citoyens en 18 et 45 ans ont le devoir d’y adhérer. Par la suite, la milice populaire et les forces d’autodéfense seront mises en place au niveau de la province, du district, du village, toutes dirigées par des membres du Parti. À l’été 1947, ces forces représenteront, selon Giap, un million d’individus (Giap 1, 2003, pp. 95-96).


12 - 13 février 47 : Les Français sont obligés de recourir à de violents raids aériens durant la bataille d’Hanoi toujours en cours depuis le 19 décembre 1946 (Giap 1, 2003, p. 56).


13 février 47 : Leclerc adresse un courrier de renonciation définitif à Ramadier : « Vous m’avez offert formellement la fonction de haut-commissaire de la France en Indochine. J’ai eu l’honneur de vous exposer, par ma lettre du 10 février et verbalement au cours des audiences que vous avez voulu bien m’accorder, les raisons qui me faisaient décliner cette offre. Vous connaisses les conditions que je posais à une acceptation éventuelle. Si je les tiens pour raisonnables, elles exigent, dans le domaine militaire, un effort que la France ne pourra peut-être pas consentir, en particulier en 1948. Dans ces conditions, j’ai l’honneur de vous confirmer que je ne puis accepter la mission que vous m’avez proposée. Je le fais avec un profond regret, ayant mesuré l’énergie avec laquelle vous luttez contre les difficultés actuelles du pays. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 308)

Lettre de Sainteny à D’Argenlieu : « En matière coloniale, l’illustre principe « Frapper la tête et ménager les masses » reste plus que jamais valable. » (cité in Turpin, 2005, p. 318, note 65)


14 - 16 février 47 : Giap réunit les commissaires politiques des zones de guerre et des régiments qui y sont impliqués. « Il s’agissait de la première conférence nationale sur le travail politique dans notre armée. » 8 axes sont définis : soutenir le moral des troupes, augmenter leur combativité, promouvoir l’esprit d’autonomie dans le combat aux moments critiques, améliorer l’instruction et l’entraînement, appliquer la stratégie du moment (une guérilla hyper mobile), améliorer la discipline, intensifier la cohésion des troupes, relier les liens avec la population, mener une propagande efficace « auprès du peuple et dans le camp de l’ennemi. » Le rôle des commissaires politiques est redéfini. Il vise au « renforcement au sein de l’armée de notre système d’organes politiques. » L’Armée et le Parti ne doivent plus faire qu’un, « depuis l’échelon central jusqu’à la cellule. » (Giap 1, 2003, pp. 80-81)


15 février 47 : Le commandement militaire de Cochinchine est supprimé. Le général Dumigny devient l’adjoint du général Nyo, commandant les T.F.I.S. (Bodinier, 1989, p. 26).

Ramadier écrit à son ministre de la Guerre (Coste-Floret). Il faut que « quelles que soient les décisions prises ou à prendre d’ordre politique, le rétablissement de la présence en Indochine exige que l’effort militaire consenti par la métropole soit au moins maintenu pendant les années 1947 et 1948 ». Il faut donc envoyer des renforts : 40 000 hommes à partir d’avril et au moins 50 000 en 1948. Or les disponibilités en militaires de carrière sont à cette époque épuisées. Et le gouvernement est plus que réticent à envoyer des Nord-Africains ou des troupes noires qui sont mal perçues en Indochine. Il faut donc faire appel aux engagés ou rengagés à qui il a fallu consentir des avantages financiers substantiels (Bodinier, 1989, p. 74).


16 février 47 : Après avoir effectué de nombreux déplacements, HCM préside une séance gouvernementale à Sai Son (district de Quoc Oai). La séance est longue : suivi des affaires militaires en cours sur le front de Hanoi, passage de la nation à l’état de guerre (organes de direction, déplacement des dépôts vers des zones sûres, approvisionnement des populations du Viet Bac du fait de leur déplacement) (Giap 1, 2003, pp. 75-76).


17 février 47 : Repli des dernières unités vietminh, les Tu Ve, engagés dans la bataille d’Hanoi déclenchée le 19 décembre 1946 (Giap 1, 2003, p. 57). Certains d’entre eux rejoignent l’armée régulière au Nord dans le Viet Bac où, selon Ngo Van Chieu, « ils vont former le noyau d’une nouvelle division, une division d’élite. » (Ngo Van Chieu, 1955, p. 111)

L’attitude du général Morlière est jugée sévèrement après l’affaire d’Haïphong (voir 21-22 novembre 1946) et d’Hanoi, où, selon D’Argenlieu et Valluy, le général « s’est laissé aller à sa disposition coutumière de pousser l’attitude conciliatrice à l’extrême ». Après Leclerc, l’amiral l’évince donc également de son commandement en adressant un télégramme à la présidence du Conseil : « […] c’est un fait que Morlière n’a pas à son actif la confiance des troupes ni celle de la population civile. En conclusion, j’estime préférable que le général Morlière ne revienne pas à Hanoi à son poste de commandement, mais j’estime qu’il serait peu équitable de porter sur l’ensemble de son action un jugement sévère, encore moins une manière de condamnation. » (D’Argenlieu, 1985, p. 374) Ce qu’oublie de préciser l’amiral, c’est que Morlière, dans sa modération, a respecté sinon à Haïphong du moins lors de la bataille d’Hanoi les consignes gouvernementales qu’il avait reçues.

Juin, pressenti pour remplacer l’amiral, décline l’offre dans un courrier adressé à Ramadier à cette date. Il estime que D’Argenlieu ne doit pas quitter son poste « avant que ne soit achevée la phase militaire [et] l’action de fermeté qui doit se poursuivre […] » Il ajoute, pour justifier son refus : « J’ai tout à apprendre de l’Indochine » (D’Argenlieu, 1985, pp. 399-400).


20 février 47 : Départ de D’Argenlieu pour Paris sur demande de Ramadier. Valluy assure l’intérim.

HCM continue ses déplacements pour s’assurer de l’accueil des réfugiés du Viet Bac. Il participe à un meeting à Rung Thong (district de Dong Son). Il veut que la province de Thanh Hoa devienne « une province exemplaire » dans la résistance à l’occupant : « Sur la plan économique pour promouvoir la production […] il faut mobiliser les forces, les biens et les ressources du peuple au service du peuple. Que celui qui est pauvre soit suffisamment nourri, que celui qui est suffisamment nourri s’enrichisse ; que celui qui est riche le soit plus encore. Il faut que tout le monde sache lire, que tout le monde soit solidaire et chérisse sa patrie. » (cité in Giap 1, 2003, p. 76).

Valluy, commandant en chef en Indochine, est élevé au grade de général de corps d’armée sur proposition du ministre de la Guerre M.R.P. Coste-Floret (Devillers, 1988, p. 327, note).


22 février 47 : Dans un lettre adressée à Juin, Valluy lui fait savoir que si D’Argenlieu n’est pas reconduit à ses fonctions de haut-commissaire, lui ne restera pas à son poste. Il en informe également le général De Lattre (D’Argenlieu, 1985, p. 400).

Valluy produit une note de service sur la « Création des commissions de contrôle de l’information » qui aboutiront en 1950 au « bureau de contrôle de l’information militaire ». La note vise à surveiller les différentes informations militaires produites dans les journaux locaux, les journaux français, annamites ou chinois, les bulletins de l’agence Radio Saigon. Les présidents de ces commissions ont un pouvoir de censure. Ils contrôlent désormais les informations militaires envoyées par voie télégraphique par les différents correspondants de presse séjournant en Indochine. Selon Béatrice Rodier-Cormier, « avec ces instances, s’instaure un régime de censure ouverte. » (Couteau-Bégarie, 2005, p. 781)


23 février 47 : Création au Tonkin de la demi-brigade de marche parachutiste (1er et 3e bataillons du 1er R.C.P. et 1er bataillon de choc). Ses hommes participeront à l’opération Léa en octobre (Cadeau, 2019, p. 235).


24 février 47 : Retardé par un léger incident, D’Argenlieu arrive à Paris suite à la convocation de Ramadier du 5. Une violente campagne de presse contre l’amiral y sévit depuis quelque temps et ce dernier se sait sur la sellette (D’Argenlieu, 1985, p. 395). Une lettre de De Gaulle l’attend dès sa descente d’avion à Orly. Le général lui demande de rester à son poste et de venir le consulter avant de se prononcer sur une éventuelle démission : « Si le « gouvernement » veut vous ôter votre poste, il est essentiel pour la suite qu’il en prenne la pleine responsabilité […] » D’Argenlieu entend toujours demeurer car il estime n'avoir pas terminé la mission confiée par le Général (D’Argenlieu, 1985, pp. 398-399 ; Turpin, 2005, p. 326).


25 février 47 : Une troisième conférence de Dalat est décommandée par le gouvernement. Elle aurait dû déterminer le statut définitif des États associés autres que le Vietnam dans la Fédération.

Première entrevue Ramadier-D’Argenlieu. Le président du Conseil lui reproche principalement la promulgation, sans son accord, d’une ordonnance autorisant l’élargissement des pouvoirs accordés au Dr Hoach et à son gouvernement provisoire de Cochinchine. Ainsi que d’autres broutilles… (D’Argenlieu, 1985, pp. 400-401).


26 février 47 : Entretien D’Argenlieu-Moutet. D’Argenlieu affirme qu’il n’est pas démissionnaire (même s’il y a songé). A la question de confiance de l’amiral au ministre, Moutet répond par une boutade en lui retournant la question. Le travail de l’amiral a été bien fait mais le gouvernement n’a pas été tenu suffisamment au courant de ses agissements. D’Argenlieu objecte en répliquant : « […] on m’a empêché d’agir parce que j’avais questionné avant. Exemple : la troisième conférence de Dalat. » D’Argenlieu observe : « Ce qui trouble cet homme, c’est le mécontentement de son parti, parce qu’il a dit la vérité à Saigon, après son inspection. » (D’Argenlieu, 1985, p. 402).

A midi, D’Argenlieu a un entretien avec Bidault (Affaires étrangères) qui lui reproche peu de choses. L’amiral réaffirme qu’il n’est pas démissionnaire. Il constate toutefois qu’il n’a plus le soutien du M.R.P. (Turpin, 2005, p. 326).

Il aura ensuite un autre entretien avec Bidault.

Troisième entretien, cette fois, avec De Gaulle à Colombey dans l’après-midi. Le Général insiste sur le fait que c’est le gouvernement qui doit être le responsable de sa potentielle démission. 4 ministres ont été informés du fait que l’amiral n’est pas démissionnaire. Le Général lui confie qu’il a persuadé Leclerc de ne pas prendre sa succession (D’Argenlieu, 1985, p. 402).


27 février 47 : D’Argenlieu adresse un courrier à Ramadier. Il lui rappelle qu’il n’est pas démissionnaire, prend acte du fait « que l’actuel gouvernement n’est pas disposé à lui accorder l’unanime confiance à cette grande affaire de la pacification de l’Indochine [...] » Il sait qu’il ne sera pas reconduit et demande à retourner en Indochine « quelques semaines encore pour y achever sa tâche », ce qui permettra de faciliter celle de son successeur (D’Argenlieu, 1985, pp. 402-403). Ramadier  se voit dans l’obligation de rappeler Valluy pour qu’il ne poursuive pas durant l’intérim la politique de l’amiral (Turpin, 2005, p. 327).

D’Argenlieu a un entretien avec son successeur pressenti, Émile Bollaert, qu’il juge être avant tout « un fonctionnaire [qui] s’appuie toujours à la décision, au jugement de ses supérieurs […] Il est président du groupe parlementaire du M.R.P. et conseiller de la République. Le favori d’Herriot. Décent, déférent, pas grande classe, semble-t-il. » (D’Argenlieu, 1985, p. 403).

Au Cambodge, le général De Jonquière est remplacé par le colonel Albinet qui prend le commandement des troupes françaises (Bodinier, 1989, p. 26).

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