Février 46 : Débarquement de la 3e D.I.C. (général Nyo).
Début février, Leclerc considère que « la pacification de la Cochinchine est entièrement achevée ». C’est une illusion que dénoncera Valluy dans ses écrits : « Sur le vu des lieux occupés sur la carte, on imagine que le pays quadrillé est soumis : l’illusion se renouvellera chaque fois que des succès militaires incontestables et la conquête des objectifs désignés viendront sanctionner des rencontres de quelque âpreté avec l’adversaire. En fait notre présence ne se manifeste que sur les grands axes ; encore sont-ils minés et farcis de « snippers ». » (Valluy 1, 1967, p. 29)
1er février 46 : Dans son discours à l’occasion du Têt, D’Argenlieu déclare : « Nous souhaitons que, sans atermoiement, les Annamites se pussent administrer et gouverner eux-mêmes. D’un mot, nous souhaitons qu’ils deviennent maîtres chez eux, sous réserve toutefois d’un ordre public ménageant, sans distinction de race et de classe, le respect et la sécurité des personnes et des biens. Ajoutons fermement que, pour réaliser cet idéal avec équité, en assurer la stabilité, les pays annamites ont encore besoin pour un temps, et à leur avantage, d’un concours et d’une expérience. La France les leur offre en toute amitié. » (cité in Devillers, 1988, p. 127)
2 février 46 : Visite d’HCM aux blessés français de l’hôpital de Lanessan. Il fait savoir à ses interlocuteurs que les Vietnamiens veulent vivre libres et que si les Français entendent débarquer au Tonkin, il ne pourra s’y opposer mais que, dans ce cas, le sang coulera.
Salan quitte Chunking avec de maigres résultats issus de palabres qui durent depuis janvier : engagement chinois à assurer la sécurité dans les grandes villes, évacuation du Laos mais avec retard, autorisation pour les troupes françaises à rentrer au sud du Laos, accord de principe sur des relèves mais sans aucun calendrier précis. Rien ne se débloquera avant le 28 février. Salan note dans ses mémoires : « Après un séjour d’un mois passé au contact des généraux chinois mon sentiment sur eux n’est pas empreint de beaucoup d’aménité… mis à part ceux qui sont aux côtés de Tchang, les autres ont l’esprit tellement tordu qu’on peut craindre toutes les sottises… » (Salan 1, 1970, pp. 280-281). Les premiers éléments français qui se trouvaient en Chine arrivent à Phong To au Tonkin (Pedroncini, 1992, p. 394).
Le VM émet sa propre monnaie dans les provinces du Centre situées au sud du 16e parallèle où n’opèrent pas les armées étrangères. A partir du 16 novembre, cette monnaie est mise en circulation dans toutes les zones contrôlées par le VM mais ce n’est qu’à partir du 22 mai 1948 que la piastre sera remplacée par cette monnaie nationale dans les zones qu’il contrôle (Giap 1, 2003, p. 222).
3 février 46 : Le général Valluy remet au Comité interministériel pour l’Indochine (voir 26 janvier) une note de D’Argenlieu sur les futures conditions de réinstallation au Tonkin. Le débarquement des troupes françaises aura lieu en mars à Haïphong (voir 6 mars) si les négociations de Chunking aboutissent avec les Chinois et celles d’Hanoi avec les Vietnamiens (De Folin, 1993, p. 137). Ce qui, pour l’instant, est loin d’être gagné…
4 février 46 : Signature d’une ordonnance de D’Argenlieu visant à instituer un Conseil consultatif de Cochinchine (D’Argenlieu, 1985, p. 133). Cédile (commissaire de la République pour le Sud) est chargé de son installation. C’est un Conseil consultatif mixte de 80 membres, sorte d’assemblée constituante provisoire capable de représenter les aspirations de la population cochinchinoise en attendant des élections locales. 12 membres sont désignés par le haut-commissaire : 4 sont français et 8 vietnamiens dont 7 de nationalité française… Deux de ses membres seront rapidement assassinés (voir 12 février). La principale personnalité de ce Comité est Nguyen Van Thinh, grand propriétaire foncier du Sud qui était déjà un interlocuteur privilégié des Français sous Decoux. L’autre personnalité est le général Nguyen Van Xuan, citoyen français, polytechnicien qui manie mal la langue vietnamienne. Le rôle du Comité est d’aider Cédile à préparer une consultation électorale, à élaborer une constitution locale et à donner un avis sur les questions qui lui seraient soumises. Sa réalisation s’avère particulièrement difficile à mettre en place au vu du contexte général : pacification en cours, terreur, règlements de compte entre les différentes factions, émeutes à Saigon (Francini 1, 1988, p. 247 ; De Folin, 1993, p. 115). C’est autour de ce noyau bien peu représentatif de la population cochinchinoise que D’Argenlieu fondera le 1er juillet une bien artificielle République de Cochinchine avec les encouragements de Marius Moutet mais au grand dam des futurs négociateurs de Fontainebleau.
6 février 46 : Ramadier et Moutet (France d’Outre-Mer) se rendent à l’Élysée pour évoquer avec Auriol ce qu’ils nomment un peu rapidement la démission de D’Argenlieu évoquée succinctement par l’amiral dans une lettre adressée à Auriol. Mais la formulation de ce courrier est demeurée vague : si D’Argenlieu n’obtient pas les soutiens attendus « après les attaques dont il est l’objet et les bruits qui circulent sur son remplacement, il ne restera plus […] à l’amiral d’Argenlieu […] qu’à donner sa démission au président de la République ». Auriol évoquant son contenu avec ses interlocuteurs considère : « Ce n’est pas une lettre de démission, dis-je à mes visiteurs, c’est une mise en demeure et une menace […] » (Auriol 1, 6 février 1946, p. 46)
Note du conseiller diplomatique Clarac (basé à Hanoi) à D’Argenlieu. Il a sondé les « personnalités chinoises proches de Lou Han ». Lin Chi Han (chargé par Tchang Kaï Check de suivre la question annamite) l’a assuré que les incidents dont a souffert la colonie française ne se reproduiront plus car des mesures ont été prises. D’Argenlieu observe que les intentions du pouvoir central chinois sont bien meilleures que celles des exécutants. Lou Han est considéré comme un « Yunnanais opulent et cupide ». Quant au pouvoir central chinois, il veut voir disparaître le communiste HCM et son gouvernement (D’Argenlieu, 1985, p. 140).
Pignon précise dans un compte rendu : « La seule question qui se pose, mais capitale, est celle de la sincérité de l’attitude chinoise » et donc celle de Tchang Kaï Check concernant le Tonkin (D’Argenlieu, 1985, p. 140). Les Chinois ont autorisé les Français à revenir au Laos mais non au Tonkin ni en Annam.
Un communiqué de Leclerc annonce que « la pacification de la Cochinchine et du Sud-Annam est achevée. » Du moins, sur les cartes d’état-major… car la « pacification » n’est que temporaire : une fois les faibles effectifs de l’armée française partis, le VM se réinstalle rapidement dans les campagnes.
À la lecture du rapport de Pignon en date du 28 janvier, D’Argenlieu estime qu’il faut aboutir avec les Chinois à un accord diplomatique et, avec le VM, au moins à un accord politique préliminaire. Il rejette toutefois à nouveau l’idée d’un gouvernement formé de « nationalistes annamites sinisants à fond et nous détestant. » Il déclare : « Ma mission est de régler cette affaire entre Annamites et Français. » Et ce d’autant plus que le VM se fait, selon Sainteny et Pignon, de plus en plus conciliant avec les Français (voir 2 février) (Devillers, 1988, p. 129).
8 février 46 : Première rencontre Salan-HCM à la demande du président du G.R.A. HCM est d’abord conciliant : « Je suis un fidèle ami de la France. C’était la fête du Têt et j’étais heureux, à cette occasion, de manifester ma sympathie pour votre pays [...] Du reste, croyez-moi, la majorité des Indochinois n’est pas antifrançaise. » (cité in Devillers, 1988, p. 130). Salan lui propose que les Français ramènent « ici l’ordre et le calme » mais essuie un refus : « Je ne puis faire cela sans être traître à mon pays. » On échange sur la puissance de l’armée française. HCM développe un argument qu’il reprendra souvent. Les Vietnamiens ont le temps pour eux : « Vous disposez de troupes nombreuses et bien armées, nous avons peu de gens en armes. Un Français tuera dix Annamites, dix Annamites tueront un Français, nous sommes nombreux… » HCM fait cependant une importante concession et se dit prêt à mettre de côté « le terme « indépendance ». Il précise toutefois : « Nous ne voulons pas vivre en esclaves. Peu importe le terme « indépendance », ce qui importe c’est le contenu. Nous voulons vivre libres. » Ce serait à l’occasion de cette rencontre qu’HCM prononce pour la première fois les mots « self-government » en échange d’un maintien dans l’Union française et le Fédération indochinoise (Cadeau, 2019, p. 172). Il estime que la déclaration du 24 mars 1945 « est largement dépassée ». Seule l’annonce d’un prochain débarquement français au Tonkin qu’il découvre à demi-mots dans les propos de Salan l’émeut (Salan 1, 1970, p. 290). HCM déclare qu’il ne pourra pas arrêter le débarquement mais que le Vietnam résistera et qu’alors le « sang coulera ». Et d’ajouter : « On nous parle d’une France nouvelle. Que cette France montre son renouveau […] Peu importe le terme « indépendance », je n’y tiens pas. Ce qui importe, c’est le contenu. Nous voulons vivre libres […], être maîtres chez nous […] La France est le pays de la liberté. Qu’elle nous laisse donc cette liberté ! » (cité in Pedroncini, 1992, pp. 164-165 ; compte-rendu de l’entretien in Bodinier, 1987, pp. 201-204)
D’Argenlieu, sur le rapport que lui a fait Salan le 8 de son entrevue avec HCM, donne pouvoir à Sainteny de poursuivre les négociations (Pedroncini, 1992, p. 394).
Le général Valluy, devant le Comité interministériel d’Indochine, indique les limites d’une solution purement militaire qui « se heurterait à la fois aux Chinois et aux Annamites ». Il faut aussi une solution politique car même si les Chinois n’interviennent pas aux côtés des Vietnamiens, il est à craindre « une longue et dure guérilla ». Il conclut : « Nous avons en Extrême-Orient une magnifique et fugitive opportunité. Ne la laissons pas s’évanouir. » (Ruscio, 1992, p. 59)
9 février 46 : De retour de Chine, Salan met au courant Pignon et Sainteny du résultat de ses négociations. Il leur demande de leur côté de presser celles avec HCM (Devillers, 1988, p. 131).
Leclerc dispose de 41 500 hommes du C.E.F.E.O., 6 000 sont en transfert et 13 000 attendent toujours leur départ (Turpin, 2005, p. 123).
10 février 46 : Salan reçoit Caput (secrétaire de la section S.F.I.O. au Tonkin) qui a vu HCM la veille. Ce dernier est très préoccupé par l’annonce du prochain débarquement français (voir 8 février) et veut éviter tout affrontement avec « les troupes de la France nouvelle ». Caput estime légitimes les aspirations que défend HCM. Il demande à Salan d’intervenir auprès de D’Argenlieu puisqu’il part pour Saigon ce jour même (Devillers, 1988, p. 131).
À l’occasion de la commémoration de la révolte de Yen Bay, le V.N.Q.D.D. organise une grande manifestation qui obtient un vaste succès. Un coup de force est éminent. HCM plie encore une fois tactiquement en vue d’un possible accord avec les nationalistes prévu pour le 24 février.
Le général Nyo prend ses fonctions au poste de commandant des forces françaises en Cochinchine et Sud-Annam (Bodinier, 1987, pp. 126-127).
11 février 46 : Rencontre Leclerc-Salan-D’Argenlieu. Leclerc informe l’amiral des résultats des discussions de Salan à Chunking et de sa rencontre avec HCM du 8. Selon Salan, « l’amiral pense qu’avec le gouvernement central chinois nous devons user de diplomatie, mais qu’avec Hô Chi Minh nous avons à lui faire admettre que la France doit revenir au Tonkin. » D’Argenlieu semble toujours aussi insensible au fait que l’immense majorité de la population vietnamienne soutienne les thèses du président vietnamien. Salan note : « Je suis déçu de trouver l’amiral dans de pareilles dispositions d’esprit, il ne veut pas comprendre « le danger vietminh », et ceci malgré nos conversations précédentes. » (Salan 1, 1970, pp. 291-292). C’est à nouveau un dialogue de sourds entre D’Argenlieu et ses subordonnés…
12 février 46 : A la veille de son départ pour Paris, D’Argenlieu laisse à Leclerc un avant-projet de texte sous forme de mémorandum élaborant un plan d’entente entre la République française et le « gouvernement d’Hanoi ». Cette dernière expression a son importance car, pour l’amiral comme pour le gouvernement français, son autorité ne s’exerce qu’au nord du 16e parallèle et absolument pas sur la Cochinchine (De Folin, 1993, p. 138). D’Argenlieu y qualifie HCM de « personnalité politique qualifiée et solide auprès de la masse des annamites et des dissidents du Viet-Minh. » Il précise : « Sans le facteur chinois, nulle place à l’hésitation, c’est avec elle qu’il faudrait traiter en vue d’aboutir à un agrément. » (cité in Turpin, 2005, p. 196)
D’Argenlieu remet à Sainteny un mémorandum politique lui fixant précisément les limites et les termes avec lesquels il peut négocier et conclure avec HCM (Devillers, 1988, pp. 132-134). Mais ce mémorandum est suivi d’un autre, « secret ». Dans le second apparaît le fait que la France ne reconnaît pas « au Gouvernement d’Hanoï des titres pour parler de l’Indochine entière », un principe qui inspirera la seconde conférence de Dalat (voir 1er août) voulue par l’amiral. D’autre part, ce texte substitue pour la première fois au mot tabou « indépendance » celui de « self-government » (D’Argenlieu, 1985, pp. 146-147).
Un arrêté de D’Argenlieu a désigné les 12 membres du Conseil consultatif de Cochinchine (voir 4 février) : 4 Français et 8 Vietnamiens (dont Nguyen Van Trinh et Tran Van Phat) mais 7 d’entre eux ont la nationalité française… Première séance de ce Conseil sous la présidence de Cédile (commissaire de la République pour le Sud) et en présence de l’amiral (D’Argenlieu, 1985, p. 145).
13 février 46 : D’Argenlieu quitte Saigon jusqu’au 28 et se rend à Paris pour prendre contact avec le nouveau gouvernement et y rencontrer Marius Moutet. L’intérim est laissé à Leclerc mais D’Argenlieu entend poursuivre les négociations tant avec les Chinois qu’avec le G.R.A. depuis la capitale française. Dans les faits, Leclerc qui semble pressé d’en finir avec sa mission indochinoise, entend profiter de l’absence de l’amiral pour faire avancer les choses à sa manière. Or, selon Salan, D’Argenlieu veut quant à lui faire intervenir la diplomatie française plutôt que la voix de la négociation directe avec HCM (Salan 1, 1970, p. 292). Un avant-projet de texte d’accord entre HCM et la France s’élabore dans lequel le mot « indépendance » demeure tabou côté français (voir 14 février) (De Folin, 1993, p. 138). Pour négocier, D’Argenlieu s’est entouré de nombreux conseillers dont les opinions sont divergentes, allant d’un relatif libéralisme (Cédile) jusqu’à un profond conservatisme (Torel, un survivant de l’administration Decoux). On parle alors autour de l’amiral d’un « gouvernement des administrateurs » (Francini 1, 1988, p. 253).
14 février 46 : Leclerc, débarrassé de la présence de l’amiral et assurant son intérim, adresse à Juin (chef d’état-major) un télégramme qui sera remis à D’Argenlieu à Paris le 18 : « […] Derniers renseignements Hanoi confirment Annamites de plus en plus prêts soit céder si reçoivent satisfaction mot indépendance soit rejeter dans guerre de type résistance française qui peut durer plusieurs années, empêcher toute réalisation politique et administrative de valeur et diminuer le prestige de la force française. J’estime que la conjoncture actuelle est la plus favorable pour faire une déclaration en ce sens […] Les Annamites acceptent sous le mot indépendance ce que nous proposons sous le mot autonomie. Cette indépendance serait à accorder à terme au sein de l’Union française et concernerait non seulement Annam, Tonkin mais Cochinchine, Laos, Cambodge. J’estime que si le nom est prononcé la plus grande partie du problème est résolue, les Annamites auront sauvé la face sans que notre prestige et notre influence en soient diminués […] Conclusion, j’estime que c’est maintenant, avant le débarquement au Tonkin, je répète avant le débarquement, le moment opportun pour déclaration gouvernementale précise et renfermant le mot indépendance. » (cité in Bodinier, 1987, pp. 208-209) Or, c’est le mot que D’Argenlieu ne veut entendre. De plus, selon lui, la traduction des mots « indépendance » et « autonomie » employés ici par Leclerc pose problème : ils se traduisent du français au vietnamien par un seul et même mot qui a le même sens dans la langue vietnamienne : doc lap (Devillers, 1988, p. 134). La rupture, déjà bien entamée, se consomme encore plus entre l’amiral et le général (voir 24 mars). Elle aboutira à la relève de Leclerc que D’Argenlieu avait d’ailleurs anticipé en la demandant sans même en avoir informé le principal intéressé. C’est au cours d’une rencontre avec le général Juin à Calcutta (voir 14 avril) que Leclerc apprendra que D’Argenlieu a demandé, sans l’obtenir, son départ (De Folin, 1993, pp. 138-139).
16 février 46 : Salan informe Lou Han que le débarquement français aura lieu début mars (Devillers, 1988, p. 138).
Rencontre Sainteny-HCM. Sainteny, dans une proposition écrite, lui présente l’intégration du Vietnam dans la Fédération indochinoise et l’Union française. HCM n’y est pas opposé. Comme l’avait affirmé le président vietnamien à Salan le 8, le mot « indépendance » qui demeure tabou pour D’Argenlieu n’apparaît pas dans l’ébauche de ce texte. Deuxième concession d’importance, HCM ne s’oppose désormais plus au fait que la Cochinchine puisse décider elle-même de son sort. Mais il va jouer subtilement sur les mots, en remplaçant dans le texte de l’avant-projet d’accord l’ancienne formulation française le « gouvernement français reconnaît au gouvernement d’Hanoi le principe d’un self-government » (voir 12 février) par un le « gouvernement français reconnaît au Vietnam le principe d’un self-government ». Or la formulation « le Vietnam » met sur un pied d’égalité les trois Ky, dont la Cochinchine, colonie que les Français ne veulent absolument pas perdre. Cette subtilité géographique pleine de ruse n’est pas immédiatement perçue par les Français. Sainteny estime cependant que les choses sont suffisamment avancées pour les présenter à Leclerc (qui assure l’intérim de D’Argenlieu) (voir 18 février) (Francini 1, 1988, p. 286 ; De Folin, 1993, p. 139). Le soir, à 21 heures, Sainteny rend compte de cet entretien à Salan (Salan1, 1970, p. 294). Cette négociation va entraîner de nombreux remous : au sein du Tong Bo (comité exécutif du VM), de la part du V.N.Q.D.D. qui s’en prend à « un gouvernement de traîtres » pour mieux réclamer la proclamation d’un gouvernement d’union qui serait dirigé par Bao Daï (Devillers, 1988, p. 143).
17 février 46 : D’Argenlieu arrive à Paris avec un retard dû à une panne survenue en Lybie. Il est accueilli par le gouverneur De Langlade (secrétaire général du Comité interministériel d’Indochine), le directeur de l’Asie au ministère de la F.O.M., Philippe Baudet, l’amiral Barjot (sous-chef d’état-major à la Défense nationale), La Laurentie (direction politique au ministère de la F.O.M.), l’amiral Ortoli (cabinet du ministre de la Défense), Labrouquère et Messmer (membres du cabinet de Marius Moutet), Paul Mus. Il y vient pour défendre son projet de fédération indochinoise après le départ de De Gaulle.
Leclerc adresse un télégramme à D’Argenlieu et au comité interministériel de l’Indochine (Cominindo) : « Sainteny arrive d’Hanoi et fait exposé ci-après. Il a vu le 16 Ho Chi Minh avec lequel il a eu un long et décisif entretien à la suite duquel Ho Chi Minh se déclare d’accord pour traiter suivant principales conventions suivantes : Primo : Gouvernement français reconnaît à Vietnam principe self-government […] » Le texte du télégramme énumère ensuite les conditions françaises : maintien dans l’Union française, maintien des relations économiques et culturelles entre la France et le Vietnam, renoncement au mot « indépendance » pour celui de « self-government » proposé par Sainteny et accepté par HCM, intégration du Vietnam dans la Fédération, la Cochinchine qui « décidera elle-même [de] sa position future ». HCM demande une réponse gouvernementale rapide car il craint d’être débordé « soit par opposition intérieure soit par action chinoise. » Leclerc va dans le même sens en demandant une « proposition secrète du gouvernement français » immédiate car il estime l’occasion trop belle puisque les Vietnamien renoncent enfin au mot « indépendance » (Bodinier, 1987, pp. 209-211).
18 février 46 : À peine arrivé à Paris, D’Argenlieu prend connaissance de deux télégrammes importants venus d’Indochine. Ils sont contradictoires.
Celui de Leclerc d’abord, en date du jeudi 14, remis à Juin ce jour même à 14 heures comporte le mot « indépendance », un mot que D’Argenlieu ne veut entendre et qui montre que la différence d’appréciation sur la situation en Indochine ne fait que s’amplifier entre Leclerc et l’amiral particulièrement furieux à la lecture du message du général : « Ma surprise est plus grande encore que celle de Juin. Voyons, j’ai quitté Saigon le 13 au matin, j’ai eu la veille plusieurs entretiens, seul à seul, avec Leclerc. Il sait que jusqu’à la fin, j’ai écarté l’usage du mot indépendance et nettement expliqué pourquoi, dans le mémorandum envoyé à Sainteny le même mercredi 13. Aucune objection de sa part. » (cité in D’Argenlieu, 1985, p. 155)
Le second message est de Sainteny qui a eu un « décisif entretien » le 16 avec HCM. Ce dernier renonce « définitivement » au mot « indépendance » pour la formule : le « gouvernement français reconnaît au Vietnam [le] principe d’un self-government […] » (voir 13 février) (D’Argenlieu, 1985, p. 156-157). Tout en approuvant ce second message, D’Argenlieu demeure cependant perplexe et même sceptique face à ces avancées spectaculaires. Il a raison car HCM a fait preuve de subtilité sémantique en substituant le mot « Vietnam » à la première formulation pressentie « au gouvernement d’Hanoi » (voir 16 février). Un piège que personne n’a vu venir côté français. D’Argenlieu acceptera l’accord en l’état et ne reconnaitra que maladroitement sa bévue en écrivant en juillet dans le numéro 22 de la Revue indochinoise : « Vous savez qu’en traitant avec le gouvernement de Hanoi nous avons usé par courtoisie du nom qu’il s’était unilatéralement donné et qu’il portait au moment où s’échangèrent les signatures. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 213) Selon De Folin, Sainteny et Pignon ont accepté cette formulation ambiguë ou par négligence ou parce qu’ils y ont été contraints pour faire aboutir la négociation (De Folin, 1993, pp. 139-140). Quant à la notion de « self-government », elle est issue de la terminologie adoptée par les Américains et les Britanniques qui ont respectivement et récemment « lâché » les Philippines et la Birmanie (Salan 1, 1970, pp. 196-197).
Lettre de Leclerc à Salan : « 1° Date de l’affaire [le débarquement à Haïphong] – J’estime qu’il ne faut pas reculer et pas plus qu’avant, lier cette date à un accord chinois complet et en bonne et due forme, sinon nous pouvons attendre jusqu’au mois de juin et laisser échapper l’occasion. » (Salan 1, 1970, p. 296).
D’Argenlieu est reçu « assez brièvement » par le président du Conseil Gouin qui lui déclare que « ne connaissant rien au problème indochinois, [il] en délègue la présidence à Moutet ». Au final, il se contente de poser pour une photo avec l’amiral (D’Argenlieu, 1985, p. 154).
19 février 46 : Le conseil des ministres se déclare partisan de l’accord tel qu’annoncé par Sainteny (Turpin, 2005, p. 199).
D’Argenlieu rencontre De Gaulle à Marly-le-Roi. Le Général a alors quitté ses fonctions depuis le 26 janvier. Ce dernier est toujours demeuré silencieux sur les négociations entre HCM et Sainteny (voir 10 octobre, fin octobre et fin décembre 1945). Il confie à D’Argenlieu qu’il aurait préféré que la France « eût attendu d’être solidement installée au Tonkin avant de conclure quoi que ce soit avec le Gouvernement d’Hanoi » mais continue à valider son action depuis son départ des affaires (D’Argenlieu, 1985, pp. 158-159). Le premier point est l’une des explications probables de son long silence au moment des négociations HCM-Sainteny, à la veille de son départ des affaires en janvier (De Folin, 1993, p. 137). Par la suite, le gouvernement Gouin reprochera à Leclerc et Salan d’avoir été impliqués dans l’accord annexe du 6 mars, un accord que De Gaulle jugeait lui aussi visiblement trop précoce mais sans jamais le dire tout à fait clairement ni à Sainteny ni à D’Argenlieu au moment où il aurait fallu le faire.
Suite aux accords Sainteny-HCM du 16 février, les nationalistes prochinois contre-attaquent et organisent une manifestation pour réclamer la remise du pouvoir à Bao Daï (Devillers, 1988, p. 143). Conscient de cette pression, HCM est à nouveau prêt à lâcher du lest (voir 23 et 24 février).
20 février 46 : Réunion du Comité interministériel pour l’Indochine en présence de D’Argenlieu qui la considère comme « la raison d’être de [son] premier voyage à Paris » (D’Argenlieu, 1985, p. 154). Les ministres concernés – et non des seconds couteaux comme lors du précédent Comité - sont cette fois présents. Au sujet des négociations Sainteny-HCM en cours (voir 16 février), l’accord du Comité puis du gouvernement Gouin est transmis à Leclerc qui assure l’intérim de l’amiral : depuis la veille, la France est disposée à consentir et reconnaître un « self-government » pour le « Vietnam » en contrepartie de son maintien dans l’Union française et dans la Fédération indochinoise. Les négociations pourront démarrer de suite mais il demeure deux points d’achoppement : la représentation diplomatique du Vietnam à l’étranger que les Français ne veulent pas lâcher (D’Argenlieu, 1985, p. 160) et le fait de considérer le Vietnam comme une seule entité territoriale et politique, ce qui revient à mettre de côté le statut de la Cochinchine que les Français considèrent toujours comme leur colonie à part entière (D’Argenlieu, 1985, pp. 161-166 ; Francini 1, 1988, p. 286 ; De Folin, 1993, p. 139).
Le Comité interministériel donne également son accord pour l’exécution de l’opération Bentre qui prévoit le débarquement français au Tonkin alors que les négociations avec les Chinois en vue de leur relève ou avec le gouvernement vietnamien sont loin d’être abouties (Pedroncini, 1992, p. 394). Sainteny est toujours chargé de négocier avec les uns et les autres. Au soir, D’Argenlieu envoie un message à Leclerc : « Tous contacts pris ici et informations reçues de Chungking et Hanoi créent climat favorable. Accord sur programme H [opération Bentre]. Je dis H. Pouvez passer à exécution. Amiral D’Argenlieu. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 190) Leclerc recevra ce message le 22 (Devillers, 1988, p. 142).
Parallèlement, D’Argenlieu répond à HCM par le biais de Sainteny et valide le texte que son subordonné lui a télégraphié le 18. Mais il précise deux points sur lesquels il demeurera intransigeant : la France représentera le Vietnam à l’étranger et elle ne considère nullement comme un fait acquis la prétention de Hanoi de parler au nom de la Cochinchine (Turpin, 2005, p. 199). C’est donc sur une base peu explicite et bien ambigüe que s’amorce la convention préliminaire du 6 mars.
21 février 46 : L’ordre général n° 9 pour l’opération Bentre est finalisé (extraits in Pedroncini, 1992, pp. 371-376).
Décret gouvernemental n° 45.273 instituant officiellement le Comité interministériel pour l’Indochine (Comindo) déjà en place et opérant (Ruscio, 1985, p. 122, note 113).
D’Argenlieu transmet à Sainteny un télégramme rédigé la veille. Il prend acte des décisions du 16 et demande à ce qu’HCM les transmettent par écrit afin de rendre la chose publique. D’Argenlieu revient cependant sur des points qui lui paraissent importants et qui n’ont pas été clairement évoqués le 16 : l’intégration du Vietnam dans la Fédération indochinoise « implique, en particulier, que la France représentera à l’étranger le Vietnam et sera chargée sur le territoire de celui-ci de la protection des intérêts français et étrangers. » ; la France ne reconnaît pas l’unité territoriale et politique des trois Ky avant la tenue d’éventuelles élections. Leclerc complète les propos de l’amiral en transmettant ce message à Sainteny : il faut écarter pour l’instant des négociations sur la fusion Tonkin-Annam ; dès que l’accord sera « exécutoire » un ordre de cessez-le-feu doit être donné aux troupes du VM. Il sera suivi d’une réciprocité française (Bodinier, 1987, pp. 211-213).
22 février 46 : Leclerc reçoit le message de D’Argenlieu du 20 l’autorisant à engager le débarquement au Tonkin. Il en informe Sainteny : « Il vous reste donc à étudier avec le général Salan, Ho Chi Minh et in fine les Chinois, les mesures à prendre pour éviter tout incident. » HCM doit donner des ordres à ses troupes pour qu’il n’y ait aucune entrave sur le trajet entre Haïphong et Hanoi. Celles-ci doivent être regroupées. Un ordre de cessez-le-feu doit être donné (Devillers, 1988, p. 143). Mais rien de tout cela ne sera fait dans les temps comme ici prévu.
Leclerc, toujours pressé d’en finir avec sa mission en Indochine, écrit à Sainteny et joue les trouble-fête à l’égard des directives de D’Argenlieu : « […] Les réserves finales introduites dans la partie du télégramme qui vous est personnel, ne doivent pas, à mon avis, intervenir pour faire échouer les résultats de nos efforts. » (cité in Turpin, 2005, p. 200). Sainteny doit donc mener une négociation visant un accord mais comportant des sons de cloche différents et dissonants.
Leclerc envoie à Chunking un de ses proches collaborateurs, le colonel Repiton-Preneuf du 2e Bureau, pour hâter un processus de négociations qui s’éternise (Devillers, 1988, p. 145)
D’Argenlieu est reçu par Maurice Thorez, vice-président du Conseil communiste. Accueil cordial entre deux hommes qui politiquement parlant se détestent. D’Argenlieu lui dit que « la situation là-bas s’améliore ». Thorez lui aurait alors répondu : « Amiral, étant donné le parti auquel j’appartiens, je souhaite naturellement que tout se règle au mieux avec le Vietminh, mais enfin – d’un ton convaincu – nos couleurs avant tout ! Et donc s’il faut cogner, cognez et cognez dur. » (voir 25 avril) (D’Argenlieu, 1985, p. 168) La position se Thorez s’aligne en fait sur celle de l’U.R.S.S. : le sort de l’Indochine et celui du VM ne font guère partie de ses préoccupations.
23 février 46 : HCM, dans l’un de ses rares et très brefs moments de faiblesse, vient offrir au « citoyen Vinh Thuy » (Bao Daï) de prendre la présidence du gouvernement et de lui réserver le rôle de conseiller suprême. Le leader du VM renoncera le soir même à ce bref moment de découragement occasionné par la complexité de la situation qu’il doit gérer depuis des mois (Devillers, 1988, p. 143).
24 février 46 : Face à la menace nationaliste prochinoise, HCM obtempère encore. Il s’engage à former un gouvernement « d’union et de résistance » comportant 10 ministères : 4 pour le VM placés aux postes-clés (dont la Défense et l’Intérieur), 4 pour les nationalistes (V.N.Q.D.D., D.M.H.) et 2 attribués à des « neutres » (De Folin, 1993, p. 122). Pour les postes plus importants qui seront attribués le 24 aux « neutres », HCM trouvera un subterfuge politique pour les mettre progressivement dans les mains du seul VM (voir 2 mars).
25 février 46 : Ayant assuré ses arrières en traitant un accord gouvernemental avec les nationalistes prochinois, HCM se sent plus assuré pour reprendre ce qu’il avait concédé le 16 aux Français. Un communiqué du G.R.A. reparle d’« indépendance et coopération ». Les exigences vietnamiennes iront crescendo sur ce point précis (voir 27 février) (Turpin, 2005, p. 200).
Lettre de Leclerc à Salan. Elle fixe une date butoir à l’accord avec les Chinois en vue du débarquement à Haïphong : « 27 soir ou le 28 matin ». Selon Salan, la position du général « Lou Han n’est pas aussi brillante qu’elle peut le sembler ». Le général chinois Lu Quoc Chang, commandant la 93e division (16 000 hommes), que les Français devaient relever au Laos refuse d’obéir aux ordres de Chunking car il attend la fin de la récolte de l’opium pour déplacer ses troupes. Leclerc, hors de lui, ne voit donc pas pourquoi les Français devraient attendre un très hypothétique accord de l’état-major chinois qui ne sera pas forcément respecté sur place. Avec son habituel allant décisionnel, il fixe alors le déroulé du débarquement : « […] nous arriverons par fractions et débarqueront lentement par chalands ». Il précise par ailleurs : « Ce n’est pas une relève que nous voulons mais un retour des troupes françaises au Tonkin, ce qui n’est nullement la même chose. » (cité in Salan 1, 1970, pp. 302-303)
26 février 46 : HCM publie un communiqué suite à sa dernière rencontre avec Sainteny. La position vietnamienne a subi un revirement puisqu’il s’agit désormais d’« indépendance et coopération ». De son côté, Sainteny fait savoir « que la France consentait à reconnaître le droit du Vietnam à avoir un gouvernement, un parlement, une armée et des finances propres au sein de l’Union française. » Il fait également savoir que l’on a échangé sur la question de la représentation du Vietnam à l’étranger. Il est nécessaire « de créer une atmosphère de détente et de concorde » avant d’entamer les négociations. Pour ce faire, il doit y avoir « un armistice sur tous les fronts. » (Devillers, 1988, p. 144).
27 février 46 : D’Argenlieu est sur le retour vers Saigon. Il indique : « Le génésuper [Leclerc] me quitte. » (D’Argenlieu, 1985, p. 173). Toutefois les deux hommes s’entretiendront du « programme H », terme codé servant à désigner le futur débarquement des troupes françaises au Tonkin (D’Argenlieu, 1985, p. 173). Leclerc en fixe la date ce jour même : ce sera le 6 mars (Pedroncini, 1992, p. 394). Seules trois dates dont celle du 6 sont envisageables pour assurer aux bateaux un coefficient de marée suffisant. Après, il sera trop tard et le débarquement devra être ajourné sine die. Or la saison des pluies approche (Francini 1, 1988, pp. 287-288).
Leclerc demande à Sainteny d’accélérer les négociations avec HCM qui butent toujours sur la question de la Cochinchine. Le leader vietnamien se sait plus fort à l’égard des Français depuis l’entente conclue avec les nationalistes prochinois. Sa position au départ conciliante sur cette question (voir 16 février) se raidit : il demande que le Nam Bo devienne, sans référendum, une possession du Vietnam (Bodinier, 1987, p. 216). Il marchande également son accord sur la relève des Chinois par les forces françaises en demandant de fixer lui-même leurs effectifs (qui figureront dans l’accord annexe du 6 mars) et leurs lieux de cantonnement. De retour de Paris vers l’Indochine, D’Argenlieu est mis au courant de cette situation lors d’une escale au Caire (Salan 1, 1970, p. 305 ; D’Argenlieu, 1985, p. 180).
Francini observe : « Une fois encore, Ho Chi Minh doit donc négocier un passage périlleux entre plusieurs écueils. Une fois encore, il y parvient. » Sainteny se doit désormais d’ouvrir les négociations aux nationalistes prochinois car le gouvernement provisoire doit être élargi à leur présence (voir 24 février). Le représentant de la France est toutefois souvent excédé par l’attitude versatile et les tergiversations de son principal interlocuteur (Francini 1, 1988, p. 286 ; D’Argenlieu, 1985, p. 174 et p. 180).
Parallèlement aux négociations avec les Français, HCM continue à jouer une carte internationale. Un câblogramme est envoyé par un diplomate américain en poste à Hanoi au département d’État au sujet de « deux lettres adressées [par HCM] au président des U.S.A. » Le même message précise que des lettres identiques avaient été envoyées aux chefs de gouvernement chinois, russe et britannique. Pour la partie américaine, HCM demande à ce que les U.S.A. agissent en conformité avec la charte des Nations Unies, soutiennent l’indépendance de l’Annam en s’inspirant du modèle philippin, sans quoi les Annamites « lutteront jusqu’à ce que les Nations Unies interviennent pour hâter l’indépendance de l’Annam. » Or Leclerc avait demandé à Sainteny d’écarter temporairement cette question dans son additif au télégramme de D’Argenlieu du 21. Ho demande également aux grandes nations d’intervenir pour faire cesser la guerre en Indochine, d’apporter leur médiation et de porter l’affaire devant l’O.N.U. Selon les sources américaines, il exprime une aspiration de son peuple à une « indépendance pleine et entière » et envisage une lutte « contre le rétablissement de l’impérialisme français » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 57-58).
L’état-major de Leclerc adresse à Salan un télégramme évoquant les délicates questions qui se poseront suite au débarquement français. Elles touchent aux relations entre l’armée française, les Chinois et les troupes du VM. En conclusion, il est écrit : « On ne saurait trop insister sur les mesures à prendre pour flatter les Asiatiques qu’ils soient Chinois ou du Vietminh. » (Bodinier, 1987, pp. 213-216)
Sainteny envoie un télégramme à D’Argenlieu lui rendant compte de la situation : « Au court entretien de ce jour Hô s’est montré encore plus intransigeant qu’au cours conversations précédentes. Il semble que cette tactique consiste à discuter point par point jusqu’au dernier pouce. » Les discussions achoppent notamment sur la question de l’unité du Vietnam (Cadeau, 2019, p. 172).
Arrivée à Saigon du 1er bataillon de parachutistes SAS qui sera suivie par celle du 2e bataillon en juin. Elle marque le début des troupes aéroportées en Indochine. Ces unités auront vocation à intervenir essentiellement au Laos et au Cambodge contre des bandes inféodées au VM (Cadeau, 2019, p. 234).
28 février 46 : Accord franco-chinois de Chungking. À son sujet, Raymond note : « Le général Salan fut envoyé à Chungking (Chine) pour discuter avec les représentants du Kuomintang afin d'aboutir à une reconnaissance de la souveraineté française sur l'Indochine. L'accord fut trouvé le 28 février 1946, et signé, côté français, par Jacques Meyrier (ambassadeur à Chungking, capitale de la Chine nationaliste) et le général Salan (délégué militaire du haut-commissaire). Il prévoyait des conditions extrêmement avantageuses pour la Chine : la France renonce à ses droits d'extraterritorialité en Chine et doit restituer ses concessions ; la partie chinoise du chemin de fer du Yunnan passe sous propriété chinoise ; une zone franche chinoise doit être créée à Haïphong où les Chinois d'Indochine doivent y être traités comme les Français. Seule, la souveraineté française est reconnue. » (Raymond, 2013, p. 68) Lou Han, bien que se trouvant à Chunking, ne participe pas à la signature de l’accord. Il est par contre présent au même moment au 6e congrès du Guomintang où l’aile droite, en accord avec les généraux chinois déjà sur place, demande la prolongation de l’occupation du Tonkin.
Signé après des semaines de négociations par un Tchang Kaï Chek qui a besoin de troupes pour contrer Mao, l'accord prévoit le départ entre le 1er et le 15 mars des troupes chinoises stationnées en Indochine, un statut spécial pour les Chinois résidant en Indochine française et la disparition des concessions françaises en Chine (Shanghai, Hankou, Tsientsin, Canton). Le gouvernement vietnamien n’a pas été consulté sur les termes de cet accord. Pour les Français comme pour les Vietnamiens, le prix à payer est donc lourd pour obtenir le départ de troupes qui, normalement, n’étaient là que pour désarmer les Japonais. Selon ce qui a été prévu, le départ définitif des Chinois devrait être terminé le 31 mars. La réalité sera tout autre (voir 18 septembre).
Suite au raidissement de la position d’HCM (voir 27 février), en prévision du débarquement français, Giap a donné des instructions à son armée : des obstacles sont préparés et des destructions sont faites dans la région d’Haïphong. Tout ce que les Français ne voulaient justement pas.
Un conseil fédéral se tient à Saigon auquel participent D’Argenlieu et Leclerc. Un point général sur la situation est fait après le retour de l’amiral. Cédile (commissaire de la République en Cochinchine) doit aider « le conseil consultatif [de Cochinchine] à se fortifier ». On n’y évoque pas le « plan H » (le débarquement français, voir 27 février) qui, selon l’amiral, doit rester « secret et ne doit pas être évoqué, même au Conseil. » (D’Argenlieu, 1985, pp. 176-178)
Fin février 46 : Les effectifs de militaires français présents en Indochine s’élèvent à 55 855 hommes, 3e D.I.C. comprise (Pedroncini, 1992, p. 395).