Février 45 : HCM qui a compris les sentiments anticolonialistes américains se rend à Kunming avec un pilote abattu dans la région de Cao Bang. Il prend contact et rencontre à trois reprises le colonel Melliwell, chef du service de renseignement de l’O.S.S. qui l’embauche comme agent de renseignement pouvant donner des éclairements sur la situation au Tonkin. Il rencontre également le général Chennault qui commande les « Tigres volants » et se dit prêt à rapatrier d’autres pilotes américains, s’assurant ainsi de bonnes dispositions américaines à l’égard du VM (Gras, 1979, p. 30).
1er février 45 : Décision prise par les autorités impériales de Tokyo de s’emparer de l’Indochine et de mettre fin à la souveraineté française (Franchini 1, 1988, p. 183). Ce projet a été pensé depuis plus d’un an mais a été retardé par des impératifs militaires, notamment à cause des combats menés aux Philippines (voir 17, 21 et 24 janvier et 14 septembre 1944). Le déclenchement de l’opération est prévu entre le 5 et le 10 mars.
3 février 45 : Le Comité d’action pour l’Indochine estime devoir produire un projet de déclaration libérale et fédérative sur l’avenir de la péninsule (extraits in Turpin, 2005, pp. 78-79, notes 159 et 161). Il doit donner aux populations d’Indochine « un encouragement » à lutter et « retirer à la propagande américaine certains des arguments qu’elle utilise dans sa campagne pour l’internationalisation des territoires coloniaux d’Extrême-Orient. » Mais cette tendance libérale gaulliste ne fait pas l’unanimité car elle risque de faire tâche d’huile dans l’ensemble de l’Empire, notamment en Afrique du Nord. De Gaulle fait alors marche arrière en décidant de ne pas produire un nouveau texte sur l’avenir de l’Indochine (voir 15 février) (Turpin, 2005, pp. 78-79).
4 - 11 février 45 : Conférence de Yalta.
La question de l’Indochine est abordée le 8 février 1945 par le biais de conversations bilatérales entre Roosevelt et Staline et excluent donc Churchill. Roosevelt revient sur la question de la multi-gouvernance de l’Indochine : il est disposé à l’ouvrir à des Indochinois, à un Français mais insiste pour que leur influence soit contrebalancée par un Philippin, un Chinois et… un Russe (« car la Russie est riveraine du Pacifique ») (voir 23 février). Churchill oppose son veto et Roosevelt laisse les choses en l’état car il a besoin du soutien du Britannique pour des questions plus importantes. Roosevelt se déclare favorable à « tout ce que l’on peut entreprendre contre les Japonais en Indochine, à condition de ne pas s’aligner sur la stratégie des Français. » (cité in Zeller, 2021, p. 97)
De Gaulle, mis à l’écart de cette conférence, avait demandé au préalable des navires pour transporter les forces françaises en Indochine. Staline avait demandé où De Gaulle comptait se procurer des troupes. Quant à Roosevelt, il lui avait répondu qu’il était incapable de lui fournir ces navires.
Selon Halberstam, les notes prises par Charles Bohlen (interprète de Roosevelt) montrent « la candeur des dirigeants occidentaux discutant des Asiatiques à cette période. » (Halberstam, 1974, p. 101)
7 février 45 : Au Cambodge, des bombardiers américains B-29 bombardent Phnom Penh. Des bombes tombent sur le monastère Unnalom tuant 20 moines et d'autres personnes.
Tou Samouth, un professeur du monastère de Pali, qui avait participé à la « révolte des ombrelles » (voir 20 juillet 1942), s'enfuit au Vietnam où il adhèrera au P.C.I.
8 février 1945 : Projet de création du Comité interministériel pour l’Indochine. Il se substitue au Comité d’action pour la libération de l’Indochine. C’est désormais une instance politique décisionnelle gouvernementale chargée d’organiser la libération et de rétablir la souveraineté française dans la péninsule indochinoise. Elle est présidée à Paris par le chef du gouvernement ou le ministre des Colonies en son absence. Dans les faits, ce sont surtout des représentants des ministres concernés qui y interviennent. Le Comité comprend également le chef d’état-major, le chef des services spéciaux et le directeur des affaires politiques du ministère des Colonies (La Laurentie). Il comprend également un secrétaire général qui l’administre, le gouverneur De Langlade (qui avait été parachuté au Tonkin le 5 juillet 1944 pour prendre contact avec l’amiral Decoux).
15 février 45 : Lors d’une manifestation pour la fête du Têt organisée au ministère des Colonies, De Gaulle qui a dû limiter la portée « libérale » de ses propos sur l’Indochine (voir 3 février) déclare : « La France ne se détourne à aucun moment des épreuves traversées par les peuples de sa chère Indochine, temporairement soumise à l'occupation ennemie, mais dont la libération, avec le concours croissant de nos armes, est désormais une certitude. » Il ajoute, plus loin, alors que le coup de force japonais n’a pas encore eu lieu : « Dans l’Union indochinoise et partout où s’étend sa protection, elle [la France] est et demeure sa seule mandataire. » Déclaration purement rhétorique puisque la souveraineté française n’en demeure pas moins, pour l’instant, en partie dans les mains de Decoux qui demeure fidèle au régime de Vichy (Raymond, 2013, pp. 24-25).
17 février 45 : Les chefs de l’armée et la marine japonaises confirment le principe de coup de force du 9 mars en Indochine. Ce plan sera validé définitivement le 26 février (De Folin, 1993, p. 59).
19 février 45 : Decoux envoie à son administration une nouvelle instruction : en cas d’agression nippone, le gouverneur de la Cochinchine et les résidents supérieurs devront se soumettre au commandement militaire américain. Se méprenant alors sur les véritables intentions japonaises, il juge qu’il n’est pas nécessaire d’agir avant que « le péril soit éminent » et parle « de conjectures auxquelles il faut réfléchir en secret, en vue de ne pas être pris au dépourvu quoi qu’il advienne. » Les Japonais quant à eux se préparent à mettre à bas l’armée française en établissant de nouvelles garnisons visant à contrer le dispositif français (Franchini 1, 1988, p. 184).
21 février 45 : De Gaulle met en place le Comité d’action pour l’Indochine en un Comité interministériel pour l’Indochine (« Cominindo ») où interviennent les ministres de la France d’Outre-mer, des Armées, des Affaires étrangères, de l’Économie, des Finances ou leurs représentants (D’Argenlieu, 1985, p. 29, note 1). Il est « chargé d’organiser la participation sous toutes ses formes à la libération des territoires indochinois et d’y préparer le rétablissement de la souveraineté française. » (cité in Turpin, 2005, p. 50) Cette décision de De Gaulle annonce donc la volonté du Général de suivre de près les questions d’Extrême-Orient. Il prend lui-même la direction du Cominindo qui a vocation à préparer la libération des pays de l’Union et la restauration de la souveraineté française en Indochine.
23 février 45 : Decoux envoie un télégramme à Pleven (commissaire aux Colonies) : « Le manque de pondération de l’organisation de la Résistance me gêne grandement. Il peut avoir de graves conséquences. L’éviction des troupes japonaises d’Indochine n’est plus qu’une question de temps. Notre intérêt est que des initiatives prématurées ne provoquent pas le coup de force japonais, pouvant tout remettre en cause. » (cité in De Folin, 1993, p. 54) Il n’est pas entendu à Paris.
Après Yalta (voir 4 - 11 février), répondant une question de la presse sur le statut de l’Indochine, Roosevelt résume l’état de la question : « Pendant deux années entières, je me suis terriblement tracassé à propos de l’Indochine. J’en ai parlé à Chiang au Caire, à Staline à Téhéran. Ils sont tous deux d’accord avec moi. La France se trouve en Indochine depuis quelque cent ans. Il y a un sentiment que les Indochinois devraient accéder à l’indépendance, mais qu’ils ne sont pas prêts pour cela. J’ai suggéré à Chiang de placer l’Indochine sous une tutelle – composée d’un Français, d’un ou deux Indochinois, d’un Chinois et d’un Russe, car les Russes se trouvent aussi sur la côte (pacifique), peut-être un Philippin et un Américain – pour préparer les Indochinois à l’indépendance. Cela nous a pris quinze ans pour le faire aux Philippines. Staline aimait l’idée, la Chine aussi. Mais les Britanniques ne veulent pas en entendre parler. Cela pourrait faire éclater leur empire, car si les Indochinois devaient s’occuper de leurs affaires et, éventuellement, obtenir leur indépendance, les Birmans demanderaient la même chose à l’Angleterre. Les Français ont manifesté leur intention de reprendre l’Indochine, mais ils n’ont trouvé aucune embarcation pour y acheminer leurs troupes. Cela doit rendre les Britanniques fous furieux... Mieux vaut ne pas bouger en ce moment. » (cité in Le Monde diplomatique, mars 1975)
24 février 44 : Nouveau rappel à l’ordre du G.P.R.F. à l’égard de Decoux, après celui du 1er janvier : « Le Gouvernement tient à vous répéter que vous devez rester dans les limites strictes du rôle qui vous a été confié. Le Gouvernement n’a qu’un délégué général en Indochine qui est Narcisse [Mordant]. Vous êtes chargé de couvrir l’action de ce dernier vis-à-vis des Japonais en maintenant la façade gouvernementale. » (cité in Turpin, 2005, p. 61) Manière de rappeler à Decoux qu’il n’est en place que par la seule volonté du G.P.R.F., ce qui n’est, à dire vrai, qu’une demie-vérité.
26 février 45 : Le plan de coup de force du 9 mars est définitivement validé par l’armée japonaise (De Folin, 1993, p. 59).
27 février 45 : Le gouverneur De Langlade devient secrétaire général du Comité interministériel pour l’Indochine et ce, jusqu’en mars 1946 (D’Argenlieu, 1985, p. 28). Nommé par « décret confidentiel » de De Gaulle, il sert d’intermédiaire entre D’Argenlieu et le comité (D’Argenlieu, 1985, p. 273).
Le G.P.R.F. envoie Paul Mus en Indochine afin d’aider à la lutte des populations autochtones. Mais Mus arrive trop tard. A partir du 9 mars, les Français ne pourront compter que sur les Laotiens et les minorités montagnardes (Turpin, 2005, pp. 62-63).