Décembre 72 : Annonce de la fin de la conscription obligatoire aux U.S.A. (voir 31 juin 1973).
1er décembre 72 : Troisième rencontre Kissinger-Nguyen Phu Duc, le matin et l’après-midi. Ce dernier découvre que son interlocuteur n’a pas vraiment étudié ni discuté la question du « cessez-le-feu sur place » avec Le Duc Tho. On travaille sur des cartes du Pentagone où apparaissent les « tâches de léopard » du S-V pour lesquelles on a prévu des périmètres neutres de 5 km autour des grandes unités « identifiables »… Rien de bien clair n’émerge de tout cela.
Sur la question des cessez-le-feu au Laos et au Cambodge, celui du Laos doit intervenir 30 jours après celui du S-V et celui du Cambodge dans les 24 heures. Sur ce principe, Le Duc Tho serait d’accord. Les vols aériens et des moyens électroniques disséminés le long de la piste HCM permettraient de vérifier la bonne foi des N-V. Duc souhaite que ces deux pays participent à la Conférence sur l’Indochine mais Kissinger lui répond qu’ils ne le veulent pas. Or ce n’est pas vraiment ce son de cloche que Duc a véritablement entendu lors de ses récentes visites dans ces deux pays (voir 28 et 30 octobre).
On évoque la question de l’aide russe et chinoise que Kissinger pense avoir réglé avec ses récentes avancées diplomatiques. L’après-midi est consacrée aux « tâches de léopard » que l’on va confier à une commission mixte chargée de les tirer au clair, autant que faire se peut… Américains et S-V ne sont pas d’accord sur le nombre de soldats n-v au Sud : 300 000 pour les S-V, 149 000 pour le Pentagone… Et on termine sur les désaccords fondamentaux : le retrait unilatéral des forces n-v et la question de la future gouvernance du S-V… (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 358-361).
Les Russes sont informés par les N-V du nombre réel de prisonniers américains et de leurs conditions de détention. Ils sont au nombre de 1 205 alors qu’Hanoi n’en reconnaissait jusque-là que 368. Ils sont répartis dans 11 prisons différentes selon leurs grades. Parmi eux, 624 pilotes. Ces prisonniers sont classés en trois catégories : les « progressistes », les « neutres » et les « réactionnaires ». Certains hauts gradés ont été interrogés sous la torture. Pour les N-V, la libération des « progressistes » dépend des propositions faites à Kissinger antérieurement : renversement du gouvernement de Thieu, attitude des prisonniers, compensations financières pour les dommages de guerre (Marangé, 2012, pp. 355-356).
3 décembre 72 : Retour à Saigon de Nguyen Phu Duc. Il va directement rencontrer Thieu qui a réuni un C.N.S. Le président décide de proposer la libération de 10 000 prisonniers de guerre n-v en échange de la libération de 500 Américains, d’un cessez-le-feu unilatéral du 15 décembre au 3 janvier 1973 (date de reprise des cessions du Congrès américain), de négocier directement avec les N-V les questions militaires et le problème de la réunification, d’étudier les problèmes politiques avec le seul G.R.P. C’est là, selon Nguyen Phu Duc, la manifestation d’un « État indépendant sur des questions vitales qui relèvent de sa souveraineté. » (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 364)
4 décembre 72 : Réunion secrète avec les N-V. Selon Nixon, Kissinger est optimiste. Sans doute un peu trop. Il se reproche toujours sa déclaration publique sur la « paix proche » du 26 octobre et évoque la question de sa démission s’il ne parvient à obtenir un accord (Nixon, 1978, p. 528).
Au cours de cette nouvelle rencontre à Choisy-le-Roi, l’ambiance du jour rappelle la froideur des premières rencontres. Les N-V reculent en rejetant tous les amendements proposés par les Américains. Kissinger câble : « Il ne fait pratiquement aucun doute que Hanoi est maintenant prêt à rompre les négociations et à se lancer dans un autre round militaire. Leurs propres besoins d’arrangement pèsent maintenant moins lourds que la vision séduisante de nous obliger à choisir entre une rupture totale avec Saigon et une situation intérieure intenable. » (cité in Nixon, 1985, pp. 167-168)
Le Duc Tho ne laisse que deux options aux Américains : ou accepter l’accord du 8 octobre ou rompre les pourparlers en cours. La première est jugée inacceptable car elle équivaut à un renversement de Thieu et une remise en cause globale de la crédibilité américaine. On est donc à nouveau au bord de la rupture. Kissinger propose une solution : maintenir les dernières avancées. Le Conseil national de Réconciliation serait un organisme non gouvernemental et l’inscription dans l’accord du fait que les troupes n-v ne demeureraient pas éternellement au S-V. Nixon est peu enthousiaste et se prononce pour une reprise des bombardements sans annonce. Kissinger pense alors démissionner, ce que Nixon refuse (Nixon, 1978, p. 529 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 486-1 488).
Les dissensions entre Kissinger et Nixon sont révélées par un article du Washington Post. Un ancien collaborateur à la Maison Blanche confie au journaliste Laurence Stern : « Si quelque chose va mal à Paris, la responsabilité de ce règlement particulier, au point où en sont les choses, revient entièrement à Henry. Il y a « pas mal d’eau » entre Kissinger et le Président à propos de l’accord. » (cité in Kissinger 2, 1979, pp. 1 513-1 514) D’autres journaux évoquent à leur tour cette même question.
5 décembre 72 : Kissinger demande un ajournement de 24 heures de sa prochaine rencontre avec Le Duc Tho. Officiellement, du fait de l’échec de la veille ; officieusement pour pouvoir faire intervenir les Russes et les Chinois. De plus, Kissinger est de plus en plus persuadé que le projet d’accord du 8 octobre n’est plus de circonstance au vu de l’attitude des N-V car, selon lui, il « équivaudrait à détruire le gouvernement sud-vietnamien. » « Avaler cette couleuvre » serait avouer que les U.S.A. seraient incapables de réprimer les plus que probables violations de l’accord. Il faut donc risquer la rupture. Il a l’accord de Nixon qui est prêt à lancer un raid de B-52 sur Hanoi-Haïphong qui n’enchante toutefois pas Kissinger. Nixon paraît toujours aussi indécis : il demande à Haldeman (chef de son cabinet) de faire savoir à Kissinger qu’en cas d’échec des entretiens, ceux-ci devaient être « remis plutôt qu’interrompus ». Agacement de ce dernier face à cette injonction et aux habituelles tergiversations présidentielles (Kissinger 2, 1979, pp. 1488-1490).
6 décembre 72 : Nouvelle réunion Kissinger-Le Duc Tho à Choisy-le-Roi. Nouvelle proposition américaine : arrêter temporairement les bombardements sur le N-V et signer l’accord au plus tard le 22. La position n-v demeure inchangée, on joue sur les mots et les détails. On se revoit l’après-midi à Sainte-Gemme, aucune avancée et même plutôt des reculades du point de vue américain : refus de leurs dernières propositions et, en plus, exigence d’un départ des personnels civils américains qui assurent la maintenance aérienne (Kissinger 2, 1979, pp. 1 487-1 488).
Sur demande de Kissinger, en désespoir de cause, Nixon avertit les Russes et les Chinois de l’envoi de sa « dernière proposition ». Ceux-ci répondent qu’ils ont agi sur les N-V pour que l’accord se fasse.
Nixon demande à Kissinger d’être ferme lors de sa prochaine entrevue avec Le Duc Tho. Hanoi doit « faire sa dernière proposition ». Il y a à nouveau des divergences d’appréciation de la situation entre Nixon et son conseiller.
7 décembre 72 : Nouvelle rencontre Kissinger-Le Duc Tho avec, selon Kissinger, « le problème fondamental [de] la volonté de temporisation de Hanoi » qui vise, en attendant, à améliorer sa position militaire. Impasse habituelle car Le Duc Tho interdit toujours que les experts des deux camps discutent du vif des protocoles fixant le projet d’accord. L’émissaire n-v lâche un peu de lest sur la libération des prisonniers mais se raidit sur le statut de la D.M.Z. qui doit désormais être discuté entre les deux parties. Une proposition qui ne convient pas aux Américains toujours aussi méfiants au sujet des infiltrations. Kissinger n’y voit qu’une ruse de plus visant à « désintégrer la structure politique à Saigon. »
S’adressant à Nixon, Kissinger recommande de poursuivre quand même, quitte à réprimer plus tard, « la violation d’un accord solennellement conclu ». Le président le suit mais les deux hommes cherchent mutuellement à faire peser sur l’un ou sur l’autre l’actuel bocage de la situation (Kissinger 2, 1979, pp. 1 493- 1 495).
8 décembre 72 : Nouvelle séance de négociations secrètes. Le Duc Tho poursuit la même stratégie que la veille et demeure inflexible sur la D.M.Z., car, selon lui, c’est une volonté du Politburo n-v. On abandonne (enfin…) la formulation « structure administrative » dont la traduction en vietnamien posait problème depuis des lustres… Concession des N-V sur le retrait des civils américains travaillant pour l’armée s-v (mais déjà obtenue en octobre…). On règle des problèmes de détail mais on s’empresse d’en créer d’autres… (Kissinger 2, 1979, pp. 1 495- 1 496).
9 décembre 72 : Avancée ce jour dans les négociations secrètes. Ne reste à traiter que la question de la zone démilitarisée. Kissinger propose qu’elle puisse être traversée par les civils, manière d’imposer aux N-V qu’elle ne pourra l’être par les militaires. Le Duc Tho prétend avoir (ou a réellement ?) « des maux de tête, des poussées de tension, de faiblesse générale ». Selon Kissinger, « il avait l’air d’un vieillard en détresse. » On ajourne donc… mais les experts, dirigés par Sullivan (négociateur à Paris) et Nguyen Co Thach (vice-ministre des Affaires étrangères n-v), peuvent enfin commencer à travailler sur les protocoles écrits (Kissinger 2, 1979, p. 1 496). Nixon écrit dans ses mémoires : « Maintenant nous devions considérer notre intérêt et conclure, si les conditions étaient acceptables. » (Nixon, 1978, p. 533).
Nuit du 9 au 10 décembre 72 : Nouvelle séance de négociations secrètes. Kissinger avertit Le Duc Tho que sa dernière proposition sur la D.M.Z. a été étudiée par Nixon qui, pour l’instant, n’a pas répondu. Le lendemain, Le Duc Tho lui signifiera que, de toute façon, Hanoi refuse (Kissinger 2, 1979, p. 1 497).
10 décembre : Nouvelle intervention personnelle de Nixon auprès des Russes. Il les informe qu’il ne partage pas la position de Kissinger, jugée trop molle, sur le statut de la zone démilitarisée (voir 9 décembre) proposée par son conseiller (Kissinger 2, 1979, pp. 1497-1498). L’intervention russe, si elle a réellement lieu, demeure donc somme toute inefficace. Il en sera de même lorsque les Américains vont se tourner vers les Chinois (Kissinger 2, 1979, p. 1 499).
Les experts des deux bords se mettent au travail durant sept heures sur la rédaction des protocoles dans lesquels il est question d’un accord (Kissinger 2, 1979, pp. 1496-1497).
11 décembre 72 : Nouvelle séance de négociations secrètes. Aucune avancée nouvelle. Un nouveau point de blocage apparaît : sur le respect des accords de 1954 et 1962, faut-il mettre une formulation au présent (point de vue américain) ou au futur (point de vue n-v) ? Les N-V cherchent à gagner du temps, sans rompre les négociations mais refusent pour l’instant de signer les points des protocoles sur lesquels on est parvenu à un accord. C’est, une fois de plus, l’impasse (Kissinger 2, 1979, p. 1 498).
12 décembre 72 : Nouvelle séance de négociations secrètes. Lors de la réunion avec Le Duc Tho, Kissinger est chargé de lui lire un message de fermeté qui contredit, une fois de plus, sa volonté de la veille de poursuivre la négociation. Selon les mots de Kissinger dans ses mémoires, ce message est : « écrit dans la perspective d’une suspension des entretiens, il avertissait Le Duc Tho qu’en aucun cas nous n’accepterions un accord boiteux et que tant que les Nord-Vietnamiens se montreraient intraitables, nous ne ferions aucune concession. »
Nouvelle rencontre des experts mais pas de discussion ni échanges de protocoles sauf sur deux points : le cessez-le-feu et le contrôle international par la Commission internationale de contrôle et de surveillance (C.I.C.S.). Ceux-ci seront jugés par les Américains comme « absurdes » (cessez-le-feu) ou « scandaleux » (C.I.C.S.). Le Duc Tho a reçu des instructions claires d’Hanoi, les propositions américaines sur la D.M.Z. (voir 9 décembre) sont retoquées. Il prévient qu’il quittera Paris le 14 et ne parviendrait pas à Hanoi avant 4 ou 5 jours pour aller consulter (Kissinger 2, 1979, pp. 1 500-1 502).
13 décembre 72 : Le Duc Tho suspend les négociations et rentre à Hanoï pour aller consulter. En fait, c’est une rupture. Les N-V font dans la surenchère en rajoutant 17 phrases nouvelles sur des points qui avaient été négociés antérieurement. On rejoue à nouveau sur des mots avec lesquelles les deux parties sont en désaccord… Kissinger est furieux. Il confie à Nixon : « Ce n’est qu’un tas de merde, de sales merdeux déguenillés. En comparaison, les Russes paraissent des gens corrects, de la même façon que les Russes font apparaître les Chinois comme des gens corrects quand il s’agit de négocier d’une manière responsable et décente. »
Il préconise de reprendre les bombardements au sud du 20e parallèle et au sud du Laos. Nixon veut frapper plus fort encore en reprenant les bombardements visant Hanoï et Haïphong, avec les B-52 et en effectuant le minage du port. Kissinger attire toutefois son attention sur la défense anti-aérienne par missiles et les pertes que cela entraînerait (Nixon, 1978, pp. 533-534). Nixon précisera a posteriori : « Ce fut la décision la plus difficile que je pris au sujet du Vietnam de toute ma présidence. Mais je n’avais pas le choix. » (Nixon, 1985, p. 168) Le Duc Tho, sur le départ, affirme n’avoir pas eu le feu vert du Bureau politique d’Hanoi pour confirmer par message aux Américains l’acceptation de l’accord. Ce qui fera traîner les choses jusqu’au 23 janvier 1973 (Portes, 2016, p. 161 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 502-1 504).
Câble de Kissinger à Bunker : « Notre priorité reste de faire plier Thieu d’une manière ou d’une autre. » (cité in Hanhimäki, 2008, p. 69) Pour autant, Kissinger semble éprouver, du moins dans ses mémoires et donc rétrospectivement, une réelle admiration pour l’homme qu’il estime être « un nationaliste vietnamien authentique » qui défend sa cause bec et ongles (Kissinger 2, 1979, pp. 1 499-1 500).
Retour de Kissinger à Washington. Selon lui, manière de se dédouaner vis-à-vis des futures décisions, c’est Haig, venu l’accueillir à la base aérienne d’Andrews, qui préconise la manière forte avec l’utilisation des raids de B-52 à grande échelle (Kissinger 2, 1979, pp. 1 505- 1 506).
14 décembre 72 : Réunion dans le Bureau Ovale entre le président, Kissinger et Haig. Tous tombent d’accord pour une option militaire malgré sa prévisible impopularité.
Kissinger signale dans ses mémoires qu’il n’y aurait eu ou ne subsiste aucun écrit de cette réunion, ce qui permet aux détracteurs de dire ce qui les arrange sur leurs désaccords passés et les différentes options à venir… Kissinger note : « Mais au début, nous ne nous entendîmes pas sur la nature de cette riposte. »
On discute et Kissinger se range à l’avis de Haig et Nixon, à savoir la reprise des bombardements au nord du 20e parallèle avec utilisation des B-52 (Nixon, 1978, p. 534 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 506-1 507). Nixon envoie aux N-V un ultimatum les enjoignant de discuter « sérieusement » dans les 72 heures, sans quoi il menace de bombarder à nouveau les infrastructures n-v (centrales électriques, voies ferrées, émetteurs radio) ainsi que les docks des chantiers navals d’Haïphong. Le port doit être à nouveau miné.
Nixon note dans ses mémoires : « L’ordre de reprendre les bombardements avant Noël fut la décision la plus difficile que j’eus à prendre au cours de cette guerre ; mais ce fut aussi l’une des plus nette et des plus nécessaires. » Aucune annonce publique de la reprise de ces bombardements n’est bien sûr envisagée (Nixon, 1978, p. 534).
Selon Kissinger, c’est un choix personnel de Nixon qu’il ne partage pas. Le conseiller est chargé d’annoncer publiquement la suspension des pourparlers de Paris. En cas d’échec de leur reprise à plus ou moins longue échéance, Kissinger pense toujours à vouloir démissionner (Kissinger 2, 1979, p. 1 507).
16 décembre 72 : Poursuite à Paris des réunions d’experts. Côté américain, Sullivan négocie la libération des prisonniers. Les N-V proposent dans les protocoles des clauses jugées inadmissibles (libération des civils vietcong) qui, selon Kissinger, avaient été négociées et réglées au préalable avec Le Duc Tho. Les textes sont produits en vietnamien, ce qui bloque pour l’instant le processus. Sullivan les qualifie d’ « horreur[s] » et rentre à Washington.
William Porter, chef de la délégation américaine à Paris, rencontre Xuan Thuy à Neuilly. Selon Porter, il « a fait obstruction du début jusqu’à la fin. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 508- 1 509)
Kissinger annonce publiquement l’interruption des négociations. Il a reçu de Nixon deux notes dans lesquelles le président lui reproche à nouveau son « la paix à portée de main » du 26 octobre qui serait, selon lui, responsable de la situation actuelle. Les maître-mots de son intervention dans les négociations doivent tourner autour de « la logique, l’inflexibilité, la fermeté, la patience et la perspicacité du Président qui nous avait aidés à traverser cette période difficile. » Il rectifie sa formulation par un : « Nous sommes donc dans une position où la paix pourrait être proche […] » C’est un exercice d’équilibriste où Kissinger doit affirmer à la fois la fermeté américaine à l’égard d’Hanoi tout en restant ferme à l’égard de Saigon (Kissinger 2, 1979, pp. 1 509-1 511).
17 décembre - 30 décembre 72 : Lancement de l’opération Linebacker II (dite également « bombardements de Noël ») qui vise à faire plier les N-V dans les négociations en cours. Elle vise d’abord les positions du Vietcong au Sud qui, selon les Américains, font tout leur possible pour bloquer l’accord (Hanhimäki, 2008, p. 69).
Au nord, seront visés Hanoi et Haïphong qui vont recevoir le triste record de 36 000 tonnes de bombes déversées en très peu de temps, le tout accompagné du minage du port de Haïphong. Les bombardements sont planifiés pour être continus et ne sont interrompus que 36 heures au moment de Noël. A ce moment précis, les chiffres officiels n-v dénoncent 1 138 morts à Hanoï et 305 à Haiphong. Le nombre total de victimes s’est « limité » à seulement 1 600 du fait de la présence d’abris et des prouesses de la défense anti-aérienne n-v. Ce « faible » taux de pertes est aussi dû au ciblage américain des objectifs qui est particulièrement précis. De leur côté, les Américains subissent au cours de l’opération la perte de 26 avions dont une quinzaine de B-52. A la fin de l’attaque, les N-V qui ont envoyé 1 200 missiles Sam de fabrication soviétique, ont épuisé leur stock.
L’opinion publique américaine réagit assez peu, à l’exception notable d’une partie importante de la presse américaine qui dénonce, comme Newsweek, une « barbarie de l’âge de pierre ». Une partie du Congrès dénonce la reprise des bombardements en termes tout aussi virulents (Kissinger 2, 1979, p. 1 510-1 512). Les réactions internationales sont encore plus marquées et surtout profondément choquées par cette débauche de moyens. Celles des Chinois et des Soviétiques demeurent quant à elles des plus modérées (Nixon, 1978, p. 534 ; Portes, 2008, pp. 261-262).
Sur demande de Nixon, Kissinger prépare un projet de lettre adressé à Thieu. Kissinger le juge « très ferme » et le président le durcit encore « jusqu’à la brutalité » d’un ultimatum. Il y exprime sa décision « irrévocable » d’aller de l’avant. Il ne veut surtout pas que Thieu ait l’impression que la reprise des bombardements aide à poursuivre l’engagement militaire des États-Unis si Hanoi répond aux exigences des Américains. Nixon ajoute en fin de lettre de sa propre main : « J’ai prié le général Haig d’obtenir votre réponse à cette offre absolument définitive de ma part de travailler ensemble à un règlement selon les termes que j’ai approuvés ou d’aller chacun de notre côté. Permettez-moi de souligner en conclusion que le général Haig ne va pas à Saigon dans le but de négocier avec vous. L’heure est venue pour nous de présenter un front uni en négociant avec nos ennemis et vous devez décider maintenant si vous désirez que notre alliance continue ou si vous voulez que je recherche un règlement avec l’ennemi qui servirait les seuls intérêts des États-Unis. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 517-1 518 ; Nixon, 1978, pp. 535-536)
18 décembre 72 : A Paris, les Américains font savoir aux N-V « qu’ils avaient délibérément et futilement laissés traîner les pourparlers. » Ils proposent un texte qui sera mis au point lors de la séance du 23 avec addition de deux amendements qui seront négociés par la suite. Une nouvelle réunion en vue d’un accord est prévue pour le 26 (Nixon, 1978, p. 535).
19 décembre 72 : Haig arrive une nouvelle fois à Saigon et se rend avec Bunker auprès de Thieu avec la lettre ferme rédigée le 17 par Nixon et Kissinger. Il a demandé et obtenu un entretien strictement privé, sans l’habituelle convocation du C.N.S. s-v. Seul Hoang Duc Nha (conseiller de Thieu) est présent. Selon Nguyen Phu Duc, Thieu aurait quand même réuni (au préalable ?) son C.N.S., en convoquant de plus le président du Sénat (Nguyen Van Huyen), le président de l’Assemblée nationale (Nguyen Ba Can) et le président de la Cour suprême (Tran Van Linh) (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 365).
Thieu plie en apparence mais fait aussi part de son désarroi, disant que le cessez-le-feu ne tiendrait pas trois mois, que la guérilla allait reprendre rapidement à un niveau qui ne déclencherait pas de réaction américaine. Il confie à des reporters que les Américains ont tenté de le forcer à accepter un ultimatum mais qu’il a refusé (Nixon, 1978, pp. 535-536 ; Kissinger 2, 1979, p. 1 518).
Haig se rend à nouveau au Cambodge pour rencontrer Lon Lol qui, officiellement, exprime sa confiance dans l’accord à venir. Il réaffirme sa volonté de proclamer un cessez-le-feu unilatéral qui permettrait de faire endosser la responsabilité de son non-respect aux seuls KR (Kissinger 2, 1979, p. 1 518).
20 décembre 72 : Haig est en attente d’une réponse de Thieu qui, selon une habitude rôdée, se laisse attendre. Le rendez-vous de 11 h 00 est annulé et reporté à 15 h 30. La réponse écrite de Thieu est jugée par les Américains comme un rejet de l’ultimatum de Nixon. Le président s-v renonce à ses objections sur le volet politique mais persiste à ne pas accepter le maintien de troupes n-v au S-V.
Haig et Kissinger proposent cependant de poursuivre les négociations avec les N-V, quitte à n’obtenir qu’un accord entre les U.S.A. et le N-V et obtenir ainsi l’échange de prisonniers tant espéré. Thieu ne dit pas qu’il ne signera pas l’accord. Rétrospectivement Kissinger écrit dans ses mémoires : « Il rejetait ce qu’il considérait – à juste titre – comme une atteinte à sa souveraineté ; il consentait à céder à la force majeure mais pas à en faire partie. De son point de vue, il avait raison ; il nous donnait en fait – bien que nous ne le comprenions pas – le feu vert pour le dernier acte. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 518)
Raids massifs en trois vagues de B-52 sur 11 objectifs au Nord (6 avions perdus).
Lors des négociations plénières à Paris, le vice-ministre des Affaires étrangères n-v, Nguyen Co Thach lit une déclaration de protestation contre les bombardements mais celle-ci est relativement modérée. Il se contente d’annuler une réunion technique du lendemain (Kissinger 2, 1979, p. 1 515).
21 décembre 72 : Nouveau raid de B-52 sur trois objectifs (2 avions perdus).
Nixon doit non seulement faire face à la vague de critiques venant de l’intérieur comme de l’extérieur, comme il l’avait prévu, mais aussi à l’importance des pertes en B-52.
La presse américaine (Washington Post) réagit à nouveau violemment en dénonçant l’attitude jusqu’au-boutiste de Nixon qualifié de « tyran devenu fou » et évoque des « millions d’Américains [qui] s’aplatissaient de honte et doutaient de la santé mentale de leur Président ». Les membres du Congrès réagissent également. Même dans l’entourage de Nixon, ce dernier observe que « la pression devint intense à la Maison Blanche. » Certains membres de l’entourage présidentiel proche exercent même des pressions pour que la trêve de Noël de 36 heures prévue soit prolongée (Nixon, 1978, p. 536).
La chanteuse américaine Joan Baez rend visite à des prisonniers américains à Hanoi sous le feu des bombardements de Noël (Portes, 2016, p. 148).
22 décembre 72 : Faisant suite à la protestation modérée du vice-ministre des Affaires étrangères n-v Nguyen Co Thach (voir 20 décembre), les Américains proposent de rencontrer les N-V le 3 janvier, avec arrêt des bombardements au nord du 20e parallèle à partir du 31 décembre et pour toute la durée de la session de négociations (Nixon, 1978, p. 536 ; Kissinger 2, 1979, p. 1 515).
Mort de Son Ngoc Minh à Pékin. Souffrant d’hypertension artérielle, Ieng Sary l’avait envoyé se faire soigner en Chine. Sa disparition affaiblit encore plus les « Khmers-Hanoi » au Cambodge. Ses funérailles ont lieu à Hanoi. Ieng Sary et son épouse y assistent.
23 décembre 72 : Nguyen Co Thach (vice-ministre des Affaires étrangères n-v) se présente à la réunion d’experts et demande un autre ajournement, sans fixer de date de nouvelle rencontre. Kissinger y voit une volonté de Hanoi de ne pas rompre les pourparlers (Kissinger 2, 1979, p. 1 515).
26 décembre 72 : En plein bombardements (116 vols de B-52 ce jour-là), les N-V se déclarent prêts à reprendre les discussions dès leur arrêt qui n’apparaît pas cependant comme une exigence absolue de leur part. Ce qui montre que l’enthousiasme des militaires américains expliquant que Linebacker II a fait plier le N-V n’est sans doute pas totalement faux mais un peu surjoué.
Les Américains répondent positivement, proposant la date du 2 janvier pour la reprise des négociations. Mais la rencontre entre Kissinger et ses interlocuteurs n-v ne pourra finalement avoir lieu avant le 8, Le Duc Tho n’étant pas disponible pour de vraies ou fausses raisons de santé.
Les bombardements s’arrêtent dans les 36 heures suivant l’annonce officielle et publique de cette rencontre (voir 4 janvier 1973) (Nixon, 1978, p. 537 ; Kissinger 2, 1979, p. 1 516).
27 décembre 72 : Les Américains répondent positivement à l’acceptation des N-V. Reprise des négociations techniques le 2 janvier 1973 et programmation d’une rencontre Kissinger-Le Duc Tho le 8. Ils précisent que l’on ne reviendra pas sur les points acquis et que les négociations ne devront pas excéder 3 ou 4 jours. Leur reprise sera annoncée publiquement en même temps que celle de l’arrêt des bombardements (Kissinger 2, 1979, p. 1 516).
Raid très puissant durant la nuit sur Hanoi après trois jours d’interruption. Le consul de France témoigne : « Je suis passé par le moment le plus horrifiant de toute ma vie. Un incroyable raid vient d’avoir lieu. » (cité in Portes, 2016, p. 148)
Les Chinois laissent également entendre que Hanoi est décidé à signer au vu de la détérioration de la situation militaire (Portes, 2016, p. 154).
28 décembre 72 : Kissinger est confiant et satisfait de lui-même : « En dix jours, nous avons ramené ces gus à la table, aucune autre méthode aurait pu y arriver. » (cité in Portes, 2016, p. 154).
En effet, les N-V font savoir en moins de 24 heures qu’ils retournent à la table des négociations (Kissinger 2, 1979, p. 1 517).
29 décembre 72 : Arrêt des bombardements au nord du 20e parallèle (Nixon, 1978, pp. 537-538). Nixon en vient finalement à pratiquer le même travers qu’il reprochait à Johnson : stopper les bombardements dans une phase de négociation pour tenter d’amadouer l’adversaire.
30 décembre 72 : Annonce publique de la reprise des négociations. Kissinger écrit dans ses mémoires : « J’étais certain que nous avions gagné notre pari et que la prochaine série de négociations réussirait. Nous pouvions maintenant entrer dans la dernière phase de la fin de la guerre. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 517). Certes, mais du seul point de vue américain…
31 décembre 72 : Il reste 24 000 Américains au S-V. Les pertes de 1972 sont de 4 300 hommes morts au combat. Les pertes américaines s’élèvent à 45 926 hommes depuis 1959. Les pertes s-v pour 1972 sont de 39 587 hommes (Burns Sigel, 1992, p. 132).
Nixon estime à 190 000 hommes les pertes n-v suite à l’échec de l’offensive de Pâques (Nixon, 1985, p. 185).
Fin 72 : Les Américains continuent à doter fortement l’armée s-v en matériel militaire par les opérations Enhance et Enhance plus. Ces dotations visent à remplacer le matériel perdu au cours de la dernière offensive et à contrer les limitations qui seront imposées par les futurs accords de cessez-le-feu pour lesquels on appliquera (théoriquement…) le remplacement « pièce par pièce » pour le matériel détruit ou endommagé.
Selon Nixon vont être cédés : des canons de 175 mm pour trois bataillons d’artillerie ; des chars M-48 pour deux bataillons ; 286 hélicoptères UH-1 ; 23 hélicoptères de transport CH-47 ; 22 avions armés AC-119K, 28 chasseurs légers A-1, 32 avions cargo C-130A, 90 bombardiers légers A-37, 118 chasseurs F-5A et 23 avions de reconnaissance électronique EC-47 (Nixon, 1985, p. 184-185). Ce qui n’empêchera pas l’armée s-v d’avoir, dès janvier 1974 et surtout en 1975, de sérieux problèmes avec tout ce matériel une fois que les équipes américaines de maintenance seront parties (manque de pièces et de main d’œuvre).