Décembre 63 : 16 300 conseillers militaires américains sont présents au Sud-Vietnam.
McN se rend à nouveau au Vietnam. Il tente d’interroger un commandant qui connaît bien la situation mais Harkins et Stilwell (chef d’opération du M.A.C.V.) ne cessent de l’interrompre. McN, furieux, leur demande de laisser parler l’officier subalterne. A son retour, McN rencontre McCone (directeur de la C.I.A.) qui se dit préoccupé par les rapports émanant de Saigon. Ils décident de procéder à une (énième…) analyse émanant conjointement de la C.I.A. et du département de la Défense. Selon Halberstam, « […] Rusk se contenta d’attendre, de laisser venir les évènements […] Dean Rusk avait horreur de s’attaquer aux militaires sur la question de leurs besoins et de leurs exigences, car il craignait une scission Département d’État-Département de la Défense […] » (Halberstam, 1974, pp. 345-346).
Un vif débat s’instaure à la 9e session du Comité central du Lao Dong. Selon Marangé, « le contenu exact des débats n’est pas connu, mais on sait que le plénum fut extrêmement tendu. » La question des relations du Lao Dong avec les partis communistes chinois et soviétique est posée. Les débats opposent une tendance modérée, pro-russe (HCM dont le rôle est déclinant, le premier ministre Pham Van Dong, peut-être Giap), qui veut éviter un choc frontal avec les U.S.A. en poursuivant la guérilla au Sud à une tendance dure, maoïste (Le Duan, Le Duc Tho, Truong Chin) qui prône la réunification par le combat contre les pays capitalistes et dont le principal adversaire sont les États-Unis.
Ces positions divergentes sont aussi la conséquence du récent accord de pacification conclu par l’U.R.S.S., la Grande-Bretagne et les U.S.A. le 5 août, accord violemment dénoncé par la Chine. C’est finalement la tendance dure et prochinoise qui l’emporte, celle de Le Duan, sans qu’il y ait toutefois unanimité au sein de l’armée, notamment de la part du général Le Liem. Selon Marangé, ce « fut une victoire en demi-teinte », 10 membres du comité central dont HCM et peut-être Giap n’ayant pas participé à la session de clôture ni au vote des résolutions (Francini 2, 1988, pp. 270-271 ; Marangé, 2012, pp. 312-313). Le Parti connaît alors une vague de purges qui affecte les intellectuels et les étudiants modérés.
9 décembre 63 : Le New York Times écrit : « Pendant les six mois à venir, le nouveau gouvernement [s-v] aura à mener une lutte ardue pour reprendre l’initiative. » (cité in Burchett, 1965, p. 294). Ce qu’il ne fera pas, se noyant dans les querelles intestines de l’après-Diem.
Sihanouk se réjouit publiquement de la disparition de 3 ennemis du Cambodge : Ngo Dinh Diem, Kennedy et Sarit Tanarat (premier ministre thaïlandais, décédé la veille). Il invite la population à célébrer leur mort.
18 - 20 décembre 63 : Arrivant d’Europe où il a assisté à une conférence de l’O.T.A.N., McN et son équipe ont été mandatés par LBJ pour se rendre à Saigon. Le président a en effet de plus en plus de doute sur l’excès d’optimisme des rapports qu’il reçoit et qu’il sait basés sur des statistiques vietnamiennes qu’il suppose erronées.
En présence de Lodge, la délégation américaine a un entretien glacial avec les membres de la junte militaire au pouvoir : Minh (chef de l’État), Le Van Kim, le premier ministre Tho, Tran Van Don (ministre de la Défense et chef des armées). Ce dernier observe que McN lui a serré la main avec froideur, ne lui a pas adressé la parole et a détourné le regard lors de son accueil. L’après-midi, lors d’une réunion, le secrétaire à la Défense pose la question : « Qui est le patron ici ? » Personne ne répond, pas même Minh. Selon Don, « cette attitude fit mauvais effet sur MacNamara et les autres Américains présents. » Par la suite, Don apprendra que McN déplore le manque de coordination entre Minh et Lodge car le premier ne se manifeste guère et fait preuve de « nonchalance ». Selon Tran Van Don, c’est ce manque de confiance américain qui sera à l’origine de la disgrâce des 4 généraux lors du coup d’État du 30 janvier 1964 (Tran Van Don, 1985, pp. 204-205). Selon l’hebdomadaire Newsweek qui rapportera le 5 janvier 1964 les propos du secrétaire à la Défense adressés aux généraux de la junte, McN aurait dit : « La saison des pluies a commencé et la poursuite de l’ennemi est plus aisée qu’elle ne l’a jamais été. Cessez de vous soucier des pertes et battez-vous comme si c’était votre dernière chance. Car il se pourrait que cela soit votre dernière chance… » (cité in Burchett, 1965, p. 296)
20 décembre 63 : Au Cambodge, Sihanouk, qui supporte de plus en plus mal les critiques formulées, notamment par Douc Rasy. Celui-ci dénonce la politique économique, la corruption du régime et le rejet par Sihanouk de l'aide américaine. Ce dernier déclare que « les attaques contre sa personne sont intolérables. »
21 décembre 63 : De retour du Vietnam, McN remet à Johnson un rapport très sombre sur la situation militaire au S-V : « La situation est très inquiétante. » Le nouveau gouvernement Minh est « indécis et hésitant ». De plus, ni Minh ni les généraux qui ont pris le pouvoir « n’ont d’expérience dans le domaine de l’administration et, jusqu’à présent, aucune personnalité marquante ne s’est révélée dans ce domaine. » Les dirigeants des hameaux stratégiques moribonds reçoivent peu de directives car les généraux sont absorbés par leurs questions de querelles politiques. Les rapports entre Lodge et Harkins sont toujours aussi inexistants. Lodge « ne sait pas diriger une administration coordonnée. » Les échanges d’informations entre la C.I.A. et la Défense sont insuffisants. « Le Vietcong a enregistré de grands progrès depuis le putsch [...] J’ai l’impression que depuis juillet la situation dans les campagnes s'est détériorée bien plus que nous le pensions, parce que nos renseignements reposaient par trop sur des rapports déformés fournis par les Vietnamiens. » La situation dans la région autour de Saigon et du delta du Mékong est plus que préoccupante (Le dossier de Pentagone, 1971, pp. 217-218 et pp. 300-303)
Suivent les habituelles prescriptions rarement mises en œuvre dans leur plénitude : le gouvernement doit redistribuer ses forces de façon à doubler sa présence dans les provinces ; les opérations de pacification doivent durer dans le temps pour atteindre une réelle efficacité ; les infiltrations d’hommes et de matériel se poursuivent, il faut donc cartographier les frontières afin que l’on ne puisse pénétrer ni au Laos ni au Cambodge ; des sabotages doivent être prévus au N-V.
McN ne préconise pas d’envoyer plus d’hommes mais estime qu’il faudrait avoir sur place des informateurs fiables pour suivre le déroulement des opérations. Ce que ne fait pas vraiment Lodge qui est désormais sollicité par LBJ pour produire des rapports hebdomadaires détaillés. Pour autant, le secrétaire à la Défense déclare publiquement le même jour : « Nous avons examiné les plans des Sud-Vietnamiens et nous avons toute raison de croire qu’ils réussiront. » (McNamara, 1996, p. 112) En cette fin d’année et dans les premiers mois de 1964, LBJ décide cependant de tenir bon au Vietnam, soutenu en cela par le C.N.S.
22 décembre 63 : Au Cambodge, un banquier d’origine chinoise dénommé Songsakd Kitpanich s’enfuit au S-V à bord d’un avion de tourisme. Il est accusé d’importants détournements de fonds aux dépens de divers organismes d’État. Il est également soupçonné d’être un des responsables du mouvement des Khmers Serei. Un certain nombre de ministres et de secrétaires d’État ont trempé dans l’affaire : Sak Suksaskhan (Intérieur) et Long Boret (Finances). Limogés, ils feront cependant leur retour sous le gouvernement Lon Lol en mars 1970 après la destitution de Sihanouk (Sihanouk, 1979, p. 237).
25 décembre 63 : Lors d’une réception, LBJ confie aux membres de l’état-major interarmes : « Laissez-moi être élu et vous aurez votre guerre. » (cité in Pericone, 2014, p. 129)
28 décembre 63 : Un millier de militaires américains ont quitté le Vietnam sur décision de Kennedy (mais non de Johnson). Il n’y aura plus d’autres départ avant bien longtemps (Chaffard, 1969, p. 346).
29 - 31 décembre 63 : Au Cambodge, seizième congrès du Sangkum : approbation du rejet de toutes les aides militaires et civiles américaines. On prononce le renvoi de l’United States Operation Mission (U.N.S.O.M.) et du Military Advisory Assistance Group (M.A.A.G.) C’est le début d’une vive et durable tension entre le Cambodge et les U.S.A. (Tong, 1972, pp. 93-94).
Fin 63 : Les très contestés « hameaux stratégiques » sont progressivement abandonnés voire détruits par leur occupants. C’est ce dont témoigne le secrétaire général du comité central du F.N.L., Huyn Tan Phat, pour la région de Saigon : « Mais après le putsch qui a renversé Diem en novembre, les gens se sont soulevés et en ont détruit un grand nombre. Fin 1963, plus de cinquante hameaux étaient entièrement démantelés, y compris quelques « hameaux modèles » ; les paysans avaient regagné leur ancien village et s’étaient remis à travailler leurs terres au nez et à la barbe de l’ennemi. Dans tous les autres, ou presque, nous avons pu mettre nos propres organisations en place. » (cité in Burchett, 1965, p. 191)
Le nombre de conseillers militaires américains au S-V s’élève à 23 000 hommes (ils étaient 16 000 sous Kennedy). S’y ajoute le personnel civil : C.I.A., A.I.D., département d’État, entre autres.
Selon les mémoires de Nixon, les pertes américaines s’élèvent fin 1963 à 612 hommes (Nixon, 1985, p. 81).