Début décembre 60 (première semaine) : Durant deux semaines, réunion d’une centaine de membres de ce que l’on va désormais nommer à partir du 20, le F.N.L., dans la zone D, au nord du Delta, un très ancien sanctuaire du VM.
Les Soviétiques parachutent secrètement des armes et des vivres au-dessus du Laos. Ces opérations secrètes se poursuivront jusqu’en avril 1961 (Marangé, 2012, p. 297).
13 - 16 décembre 60 : Au Laos, chute de Vientiane. Le général pro-américain et pro-thaïlandais Phoumi Nosavan a fait progressivement avancer ses troupes sur Vientiane pour renverser le gouvernement Souvanna Phouma qui avait été remis en place depuis le 8 août. Il prend la ville le 13 avec les complicités de la C.I.A. et de l’armée thaïlandaise. Les combats provoquent environ 600 morts et de nombreuses destructions.
Phoumi Nosavan réunit 40 membres de l'assemblée nationale transportés de Luang Prabang à Savannakhet via Air America, la compagnie aérienne de la C.I.A. Ils votent le renversement de Phouma qui s’est réfugié au Cambodge dès les premiers combats. L’acte de destitution est signé par le roi. Le prince Boun Oum forme alors un nouveau gouvernement dont Nosavan est l'homme fort. L’un comme l’autre demeurent des hommes de paille de la C.I.A.
Suite à ces combats et à cette défaite, les hommes du capitaine Kong Le se replient en bon ordre et sans pertes vers la plaine des Jarres faisant leur jonction avec les forces du Pathet Lao (voir 4 janvier 1967). Selon Schlesinger, « […] ses troupes quittèrent Vientiane dans des camions américains chargés de matériels des États-Unis […] » (Schlesinger, 1966, p. 301).
16 décembre 60 : Les dossiers du Pentagone font état d’un câblogramme de Dubrow (ambassadeur américain à Saigon) à Christian A. Herter (secrétaire d’État) : « Le régime de Diem est menacé par deux dangers distincts mais connexes : celui qui serait la conséquence d’une série de manifestations ou de tentative de coup d’État est le plus évident. » L’autre danger, « le plus sérieux est cependant l’extension graduelle du contrôle vietcong sur les campagnes, extension qui, si elle devait se poursuivre et s’amplifier, signifierait la perte du Vietnam libre au profit des communistes. » Les U.S.A. doivent agir rapidement pour sauver le gouvernement. Il faut avoir une discussion avec Diem et créer « un choc psychologique nécessaire ».
Le vice-président Tho (sudiste) doit quitter le ministère de l’Économie pour prendre celui de l’Intérieur. L’armée, vacillante, doit posséder son propre ministère car celui qui existe a été noyauté par Nhu. « Le bruit court que M. et Mme Nhu provoquent une dissensions croissante dans le pays et mettent sérieusement en danger la position du gouvernement Diem. » Nhu et Tran Van Tuyen (services secrets) doivent être écartés et affectés « à un poste d’ambassadeur à l’étranger. » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 109-114)
19 - 20 décembre 60 : Formation du Front National de Libération du Sud-Vietnam (F.N.L.) qu’on appelle couramment et de manière péjorative le Vietcong (« communistes vietnamiens »). Il a été fondé dans la province de Tay Ninh au S-V (Truong Nhu Tang, 1985, pp. 84-98), peut-être près du village de Suo Dai près de Tay Ninh (Knöbl, 1967, p. 102). La date de sa création n’est pas on plus sans rappeler celle du déclenchement de l’insurrection à Hanoi du 19 décembre 1946.
Son futur président sera Nguyen Huu Tho, un avocat pour l’instant retenu en résidence surveillée (voir 31 octobre 1961). Formé par les Français, non ouvertement communiste à ses débuts, il est l’ancien vice-président du Comité Saigon-Cholon de Défense de la Paix et des Accords de Genève (voir 1er août 1954). Il a connu des périodes d'incarcération sous la domination française et en connaît toujours sous le régime de Diem en tant qu’opposant.
A ses débuts, le F.N.L. regroupe des communistes et des non-communistes (bourgeois, nationalistes, catholiques, travailleurs et paysans). Pour l’instant, les communistes se font discrets et jouent la carte neutraliste. La liste des premiers dirigeants n’est pas rendue publique car on attend des ralliements de partis et d’organisations politiques dont la liste sera publiée ultérieurement (voir Knöbl, 1967, p. 376). Le mot d’ordre du mouvement est : « Indépendance, Démocratie, Paix, Neutralité ».
Selon son futur président Nguyen Huu Tho, le programme du F.N.L. repose sur les points suivants : pas de confiscation systématique des terres mais une redistribution équitable ; maintien du droit à la propriété « sauf à l’égard des traîtres » ; liberté des entreprises industrielles, y compris étrangères (« nous ne sommes pas opposés aux investissements étrangers, dans une certaine mesure ») ; respect des libertés démocratiques : libertés de parole, de réunion, de circulation des personnes et des biens. L’organisation militaire est axée sur les « unités d’autodéfense » locales, « les groupes de guérilla locaux » et « l’armée régulière » (Burchett, 1965, p. 83-84 ; Manifeste et programme du Front national de libération du Sud Vietnam cité in extenso in Truong Nhu Tang, 1985, pp. 323-332).
Dans les faits, le F.N.L. s’avèrera être au fil du temps une émanation du Lao Dong (Parti des Travailleurs) dont l’objectif est de « libérer le Sud » (résolution adoptée à Hanoi le 5 septembre) (Rignac, 2018, pp. 163-167). Il possède un bras armé, les Forces armées populaires de libération (F.A.P.L., nommées par les S-V et Américains par un terme péjoratif, « Vietcong »). Elles sont structurées sous forme d’unités régulières hiérarchisées, de forces provinciales et locales adossées aux villages. C’est une armée qui a un appareil politique géographiquement hiérarchisé : hameaux, villages, districts, provinces (Prados, 2011, pp. 152-153). Selon Knöbl, « au sens habituel du mot, il ne s’agit pas d’un parti mais plutôt d’un réservoir de « toutes les forces révolutionnaires, progressistes et nationales du peuple vietnamien » » (Knöbl, 1967, p. 103).
Fin 1960 : Dans les derniers moments de l’administration Eisenhower, Lansdale retourne au Vietnam. Il y découvre la puissance du Vietcong et de ses guérillas. Il perçoit l’isolement de Diem, l’influence de Nhu et du clan familial des Nguyen. Il constate une absence de dialogue entre Diem et l’ambassadeur Elbridge Dubrow.
Au retour, il rédige un rapport très pessimiste mais qui néglige complètement les réalités de ce qu’il a pu observer, croyant que l’influence des conseillers américains allait influencer Diem dans une bonne direction à l’américaine. Ce rapport sera transmis à Rostow (futur membre du C.N.S. et directeur de la planification politique du département d’État) « qui était précisément à la recherche de quelque chose dans ce genre-là. » Kennedy, à la veille de prendre la présidence, feuillette le rapport et dit à Rostow : « Walt, ça va être le pire qu’on ait encore jamais vu […] Mettez-vous au travail là-dessus. » Ce rapport provoque une réaction positive de Kennedy à l’égard de Lansdale. Il lui proposera le poste d’ambassadeur au Vietnam. Mais Rusk et certains membres du département à la Défense s’y opposeront (Halberstam, 1974, pp. 155-156).
Les U.S.A. inondent le Laos d’argent, accordant 300 millions de dollars à un pays faiblement peuplé (2 habitants au km²). Chaque habitant reçoit en moyenne 150 dollars de revenu annuel, soit près du double du revenu normal d’un Laotien. Mais, selon Schlesinger, 85 % de cet argent en provenance des U.S.A. bénéficie à l’armée royale « équipée depuis 1959 à l’américaine ». Mais l’instruction qui a été donnée aux troupes demeure conventionnelle et donc peu adaptée au type de conflit à mener. Cette manne financière va être dilapidée, engendrant « une inimaginable corruption » dans l’armée. Le fossé se creuse alors encore plus entre les villes qui bénéficient de cet argent et les campagnes qui demeurent pauvres. Le Pathet Lao y règne alors en maître (Schlesinger, 1966, p. 298).