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par Jean-François Jagielski

Décembre 1954

Décembre 54 : Le général J. Lawton Collins, ambassadeur et représentant personnel d’Eisenhower au Vietnam, émet les premiers doutes sur la capacité de Diem à unifier les divers factions : sectes, bouddhistes, catholiques. Il écrit : « Je crois qu’il serait préférable d’avoir une légère perte de prestige dans l’avenir proche si le temps nous reste pour trouver d’autres solutions plutôt que de continuer à aller vers un couac relativement certain. Nous n’en sommes pas encore là, bien que j’aie des doutes sérieux sur les chances de succès de Diem. » (cité in Toinet, 1998, p. 208) Collins a rapidement perçu les défauts de Diem : népotisme familial, manque de sens politique, refus du compromis avec le VM et défiance à l’égard de tous ceux qui ne vont pas dans son sens.

Diem met un terme à l’existence de la Banque d’Indochine et décrète que les billets de banque seront désormais émis par la Banque nationale du Vietnam. De la même manière, l’Office des Changes est transféré au gouvernement vietnamien (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 56).


11 décembre 54 : Un accord franco-nord-vietnamien donne des garanties provisoires aux principales entreprises françaises installées au N-V : les Charbonnages du Tonkin (voir 8 août 1955), la Cimenterie d’Haïphong, la Cotonnière de Nam Dinh (De Quirielle, 1992, p. 19). Malgré ces garanties de la R.D.V.N. (voir 30 décembre), la quasi-totalité des entreprises françaises situées au Nord préfèreront cependant s’installer au Sud par crainte du régime d’Hanoi (Devillers, 1988, p. 370).


13 décembre 54 : Signature officielle (après l’accord du 15 juin entre Collins et O’Daniel, commandant le M.A.A.G.) d'un accord par les généraux Ély (commissaire général de France) et Collins (« représentant spécial du Président Eisenhower » à Saigon). La première rencontre entre les 2 hommes à Dalat avait été tiède (voir 1er novembre) : Collins avait observé que la France conservait encore une forte influence au sein de l’A.N.V. Ély avait estimé que la position américaine pour aider Diem était trop pointue et méconnaissait les fortes dissensions qui existaient entre Diem et le commandant en chef de l’A.N.V., le général Nguyen Van Hinh, ancien colonel d’aviation profrançais qui vient d’être évincé (voir 19 novembre).

Mais les relations entre Ély et Collins  s’améliorent au fil du temps et Paris finira par se rallier à cet accord en février 1955. C'est un tournant majeur. Non seulement les États-Unis s'engagent à assurer l'entretien des forces armées vietnamiennes que la France doit rendre complètement autonomes au plus tard au 1er juillet 1955, mais entendent désormais octroyer directement leur aide financière au gouvernement sud-vietnamien sans la moindre interférence française. Dans un premier temps, les Américains prennent en charge 3 divisions s-v de campagne et 3 territoriales. Ce n’est que le 1er janvier 1955 que les forces de l’A.N.V. seront totalement autonomes et prises en charge sous la tutelle unique du M.A.A.G. Politiquement, cet accord sera approuvé par les Français et les Américains le 18 (Cournil, Journoud, 2011, p. 74 ; Toinet, 1998, p. 152 et pp. 215-221 ; De Folin, 1993, p. 302).


15 décembre 54 : Navarre prend connaissance d’une note datée de ce jour adressée à Mendès France portant sur « les graves dangers que présenterait l’audition du général Navarre par la Commission d’Indochine [à l’Assemblée nationale] si celle-ci était dotée de pouvoirs d’enquête ». D’où le recours à une convocation qui arrivera le 16 à l’intéressé devant une « Sous-commission de Défense nationale de la commission des Finances » (qui n’a aucune attribution de pouvoirs d’enquête) devant laquelle Navarre comparaît le 17. Comprenant l’astuce, l’ancien général en chef qui entend quitter l’armée, décide de mettre en chantier la rédaction de ce qui deviendra L’agonie de l’Indochine (1953-1954) (Navarre, 1979, pp. 402-403).


16 décembre 54 : Du fait des pressions américaines et s-v, Sainteny (délégué du gouvernement français au N-V) remet tardivement l’équivalent de ses lettres de créance à HCM. Il précise : « Or, déjà, la rédaction de mes lettres de créance avait été si laborieuse que je ne pus remettre ce document à Ho Chi Minh que le 16 décembre. C’était un texte prudent, qui restreignait sensiblement la portée de ma mission et ne pouvait que décevoir le président de la R.D.V.N. » (Sainteny, 1970, p. 140). Selon De Quirielle, du fait aussi des prises d’engagement françaises à l’égard des Américains (voir 20 septembre), la question de l’envoi d’un représentant du N-V en France bloquera durant 11 ans, au grand dam de Pham Van Dong (De Quirielle, 1992, p. 19 et p. 22).


17 décembre 54 : Débat à l’Assemblée nationale française sur les futures élections vietnamienne du 20 juillet 1956 : « On fait courir le bruit dans le Sud-Vietnam qu’il n’y aurait pas d’élections en 1956 […] » (intervention du parlementaire Christian Pineau). Mendès France le rassure en invoquant le rôle de la C.I.C. (Chaffard, 1969, pp. 201-202).

Harold Stassen, président de la Commission d’aide à l’étranger du Sénat américain, considère quant à lui comme « peu probable » la tenue d’élection au Vietnam en juillet 1956 (Chaffard, 1969, p. 206). Ces élections qui doivent statuer du sort du S-V sont dès lors remises en cause par les Américains, avant que Diem ne s’en débarrasse définitivement.

Le rôle et le mandat attribués à Sainteny sont éclaircis. Il est officiellement accrédité d’une fonction de « délégué général de la République française au Nord-Vietnam » non auprès du gouvernement n-v (ce qui lui donnerait un caractère diplomatique) mais auprès « du président de la république démocratique du Nord-Vietnam ». Ce qui est une manière de limiter sa fonction à la seule personne d’HCM avec lequel il a toujours entretenu des relations privilégiées.


18 décembre 54 : Seconde entrevue Mendès France-Dulles, en présence d’Ély. Français et Américains approuvent politiquement l’accord militaire Ély-Collins du 13. On revient sur le cas Diem (voir 19 - 20 novembre), sans la moindre avancée, toujours faute de remplaçant crédible au poste de premier ministre (Chaffard, 1969, pp. 186-187). Selon Devillers, « la France a, en fait, passé la main. » (Devillers, 1988, p. 372). Et les États-Unis devront se satisfaire jusqu’en 1963, faute de mieux, du personnage de Diem qui pour l’instant fait (presque ou plutôt à peu près…) l’unanimité.


19 décembre 54 : Jean Letourneau, ancien ministre M.R.P. des Relations avec les États associés repassé dans l’opposition, tout à fait en phase avec la pensée d’Ély, intervient à la Chambre pour dénoncer le rapprochement de l’actuel gouvernement français avec le N-V mais aussi, plus généralement, les sempiternelles contradictions de la politique française à l’égard d’un Vietnam toujours censé être membre de l’Union française : « Quelle serait la réponse du gouvernement français, si Ho Chi Minh nous demandait, le jour où il sera le maître de tout le Vietnam, le maintien de son pays dans l’Union française ? Le gouvernement est-il prêt à voir participer à ses côtés, dans le Haut-Conseil qui définit la politique générale de l’Union, les représentants d’un régime qui, satellite de Moscou et de Pékin, prend ses consignes dans ces deux capitales ? » (cité in Chaffard, 1969, p. 179)


20 décembre 54 : Du fait de la récente nomination de Sainteny au poste de « délégué général de la République française au Nord-Vietnam auprès du président de la République démocratique du Nord-Vietnam » (voir 17 décembre), HCM fait part de sa volonté d’envoyer à son tour un délégué général de la R.D.V.N. en France. Cette demande sera rejetée, nouvelle preuve que le gouvernement français n’a guère envie d’aller plus loin dans le processus de réciprocité entre les 2 pays. Il faudra encore attendre 12 ans pour qu’il en soit autrement (Cadeau, 2019, pp. 541-542).

Au cours d’un débat à l’Assemblée nationale pour justifier les accords de Genève, Mendès France brosse un tableau assez irréaliste de la situation en Indochine à la veille de ces accords. Selon Navarre, il déclare : « Tout notre corps de bataille était menacé d’une offensive brutale entre Hanoi et Saigon, avec menace de l’Ouest qui nous empêchait de défendre le réduit d’Haïphong. A la même époque dans les autres régions, la situation n’était pas meilleure, qu’il s’agisse de l’Annam, d’Ankhé, de Tourane, de la Cochinchine. Au Cambodge, la situation s’aggravait. La partie sud du Laos nous échappait […] Nous étions sous la menace d’une véritable catastrophe. Le corps expéditionnaire risquait d’être pris dans une nasse et anéanti. » (cité in Navarre, 1979, p. 393, note 2)


23 décembre 54 : Création de la Banque nationale du  Cambodge.


24 décembre 54 : Signature par Hanoi d’un accord sino-vietnamien d’assistance technique en matière de transport et de télécommunication. Il est prévu la restauration de la voie ferrée reliant Hanoi à Dong Dang avec sa prolongation jusqu’en Chine. C’est d’ailleurs elle qui fournira les locomotives, les wagons  et l’ensemble des équipements nécessaires à la réfection des voies (Cadeau, 2019, pp. 544-545).


26 décembre 54 : Sainteny dresse un premier bilan de la situation au N-V et de l’installation du régime communiste : création de tribunaux populaires, suppression de la propriété privée, contrôle de la population. Il insiste cependant sur le souhait des autorités n-v d’une présence économique française : « Tout repose sur les entreprises françaises et leurs cadres et techniciens. Leur fermeture entraînerait la mise au chômage de 500 000 personnes. Le régime ne peut se permettre de prendre ce risque. » (De Quirielle, 1992, p. 19)


30 décembre 54 : Pham Van Dong (Affaires étrangères) déclare devant quelques journalistes français que la R.D.V.N. entend renouer des relations économiques avec la France. D’un point de vue politique et diplomatique, il déplore que le gouvernement de Mendès France se soit tourné uniquement vers les U.S.A. Parlant de la France, il déclare : « […] Elle est allée à Manille pour signer un pacte d’agression. Elle hésite. Or une politique doit être fondée sur des bases stables. On ne peut pas toujours faire de l’acrobatie […] Il y a certes des difficultés pour établir des relations entre nos deux pays, mais elles ne sont pas insurmontables si on s’efforce sincèrement de les résoudre. Nous avons besoin d’amis et nous voulons considérer les Français comme des amis. L’intérêt de la France est de s’entendre avec nous. » Interrogé sur le fait que Saigon refuse de procéder aux élections de juillet 1956, Dong estime que la responsabilité des Français est entière, « car c’est avec vous que nous avons signé les accords de Genève et c’est à vous de les faire respecter [...] L’unité du Vietnam se fera de toute façon, avec ou sans la France. Mais si la France tente de s’y opposer, elle sera battue, car on ne peut arrêter le cours de l’histoire. » Il réitère ici, presque mot pour mot, ce qu’il avait déjà dit au lendemain de la signature des accords de Genève (Devillers, 1967, p. 572).


31 décembre 54 : On estime à 20 000 le nombre de cadres et combattants vietminh ayant quitté le Sud depuis les accords du 21 juillet, mais sans vraiment savoir combien y étaient réellement stationnés avant cette date ni surtout combien y demeurent dans la clandestinité (Lacouture, 1965, p. 238).

Fin 54 : L’exode d’environ 860 000 personnes se termine au S-V, dont 600 000 catholiques (65 % d’entre eux ont émigré). Ils sont accueillis par le S-V (autour de Saigon et du Cap Saint-Jacques, sans vouloir déplaire aux riziculteurs et propriétaires déjà sur place). Les Français accompagnent l’exode en organisant un pont aérien entre le Nord et le Sud (Bodard, 1997, pp. 21-22). Cette migration facilite la tâche de la R.D.V.N. : libération de terres agricoles, départ d’opposants potentiels au nouveau régime communiste, amélioration de la situation alimentaire qui est alors à nouveau critique. L’arrivée de cette population au Sud crée de nouvelles tensions politiques, incitant Diem à favoriser politiquement le catholicisme, religion pourtant largement minoritaire (seule 10 % de la population du S-V est catholique, bien derrière les bouddhistes et même les sectes Hoa-Hao et caodaïste).

Les U.S.A. ont octroyé 2,5 milliards de dollars (1,1 milliard de dollars selon Le dossier du Pentagone, 1971, p. 37 et 1,4 milliard de dollars selon Bernard Fall, 1967, p. 134, note 2) aux Français pour endiguer la montée en puissance du communisme dans la presqu’île indochinoise, plus que ce que la France avait reçu dans le cadre du plan Marshall. Selon Le dossier du Pentagone, en 1954, 78 % de la dépense militaire des Français provenait de l’aide américaine (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 37).

Cogny est chargé d’inventorier, sous contrôle américain et sud-vietnamien, tout le matériel américain qui doit être rapatrié au S-V (Cadeau, 2019, p. 532).

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