Décembre 53 : Lancement au N-V de la réforme agraire qui s’avèrera être un échec cuisant et sanglant (voir 2 mars ; 17 août et 8 novembre 1956). Elle provoquera entre 15 000 et 45 000 victimes des « tribunaux populaires » et ce, jusqu’en 1956.
A la même époque, le S-V fait de même. Ce sera également un échec imputable à la mauvaise gouvernance diémiste qui a imposé à la tête des villages des transfuges catholiques venus du N-V et qui se comportent comme de véritables dictateurs corrompus. Alors que 85 % de la population du S-V est rurale, 0,25 % de la population détient 40 % des rizières. La propagande du VM n’a donc aucune difficulté à faire des émules. La reprise aux paysans des terres qui leur avaient été attribuées temporairement par le VM au profit des anciens propriétaires va être accueillie par des rébellions locales (Chaffard, 1969, p. 214).
Le VM concentre durant tout le mois d’importantes forces au nord du Laos : les divisions 308, 312 ; deux régiments de la division 304 ; la division lourde 351. Elles sont largement équipées de matériel chinois. Un nombre jamais atteint de coolies (estimé entre 50 000 et 75 000) aménagent les routes entre la frontière chinoise et Dien Bien Phu. Une grande base logistique est en train d’être créée à Tuan Giao, au nord-est de la base française (Navarre, 1956, p. 170 ; Rocolle, 1968, p. 213).
Début décembre 53 : Arrivée des avant-gardes de la division 316 dans le secteur de Laïchau (nord de Dien Bien Phu) (Navarre, 1979, p 324). Giap arrête sa décision d’attaquer Dien Bien Phu.
1er décembre 53 : Après avoir rencontré Navarre à Saigon, l’amiral Cabanier rend compte de sa visite au président de la République Auriol (voir 13 et 20 novembre). Navarre est formel, pour parler de négociation d’armistice, il faut attendre les résultats de la campagne d’hiver qui, selon lui, renforceront la position française (Gras, 1979, p. 539). Auriol estime qu’« il n’est pas douteux que, plus on parle de négociation en France, plus on encourage le Vietminh. » L’amiral lui répond : « Cela, le général Navarre me l’a bien dit : moins on parlera de négociations, mieux ça ira. En tout cas, il est formel sur le point que, maintenant, ce serait le mauvais moment, alors que l’été prochain il estime, par contre, que nous aurons suffisamment d’appuis militaires pour pouvoir entamer avec fruit des négociations. » (Auriol 7, 2003, p. 419)
Changement d’appellation des Commandos mixtes aéroportés (G.C.M.A., voir 7 avril 1951) qui deviennent des Groupements mixtes d’intervention (G.M.I.). Pour autant, le problème de l’encadrement de ces forces n’est pas réglé : manque d’officiers entraînés à la guérilla, connaissant la Haute Région et surtout parlant les langues montagnardes. Le problème de l’encadrement demeure récurent faute d’hommes et de temps pour les former. A cela s’ajoute un vide idéologique. 2 extraits d’un rapport concernant ces forces affirment : « […] Nous n’avions pas, comme notre adversaire, d’idéologie ou de xénophobie à inculquer. Nous n’avions pas de système politico-social à proposer. » Et le même document de conclure : « Bref, la lutte sur les arrières fut entamée trop tard. » (Rocolle, 1968, p. 156, notes 4 et 6).
1 – 10 décembre 53 : Arrivée progressive des régiments 174 et 98 de la division 316 à Tuan Giao (Pouget, 2024, p. 161).
3 décembre 53 : Dans une instruction adressée à Cogny, Navarre écrit : « […] J’ai décidé d’accepter la bataille du Nord-Ouest dans les conditions suivantes : 1. La défense du Nord-Ouest sera centrée sur la base aéroterrestre de Dien Bien Phu [qui] devra être conservée à tout prix ». Il préconise ensuite l’abandon de Laïchau en donnant les modalités. Se fiant aux rapports inexacts du 2e Bureau (voir 28 novembre), il sous-estime totalement à ce stade les possibilités de renfort du VM. Il a axé sa défense sur le choix de 3 bases aéroterrestres : Dien Bien Phu, Louang Prabang, Seno (voir 20 décembre) qui, selon lui et son prédécesseur, ont l’avantage d’être à la fois des points défensifs et offensifs permettant de défendre de vastes surfaces de territoire (Gras, 1979, pp. 523-524 ; Ély, 1964, pp. 45-46 ; Rocolle, 1968, p. 225). Pour Laniel, « l’erreur du commandement consista à croire que nous attirions l’adversaire sur une position où notre supériorité nous assurait le succès, alors que c’était au contraire l’adversaire qui avait choisi le terrain. » Rétrospectivement, dans ses mémoires, le président du Conseil dénonce conjointement un « optimisme inconsidéré » et une « insuffisance de nos renseignement sur les forces ennemies ». (Laniel, 1957, p. 40)
Lors de l’une des séances de travail de la commission d’enquête après la défaite de Dien Bien Phu, Navarre fera parvenir la déposition suivante : « […] Nous nous faisions encore à cette date du 3 décembre de grandes illusions sur les possibilités de l’aviation. Nous étions absolument persuadés qu’elle empêcherait l’artillerie de monter. Nous disions : le 75 mm montera peut-être parce que les Viets peuvent le faire monter par coolies, mais le 105 mm ne montera jamais, parce que les Viets n’arriveront jamais à entretenir une route qui permette le passage de 105 mm. En réalité, les Viets l’ont fait […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 241, note 125)
A la même date, les demandes d’intervention de Cogny à l’aviation pour stopper ces canons de 105 mm sur un des points de la R.P. 41 en créant une coupure n’aboutissent à rien (Rocolle, 1968, p. 241, note 126). Du 20 novembre au 13 mars 1954, la route d’approvisionnement du VM est attaquée en une dizaine de points. 400 tonnes de bombes sont déversées mais cela ne représente qu’une faible densité au vu de la longueur du parcours. De plus, l’efficacité de ces bombardements est jugée mauvaise dans un rapport datant de début mai 1954 : « L’examen des mosaïques photos a montré que les bombardements étaient dispersés, éparpillés. Aucune concentration sur des objectifs, tout le terrain est marqué d’entonnoirs d’une façon presqu’uniforme, alors que les zones d’objectifs devraient être le centre de concentrations […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 314, note 163)
L’effectif de la base de Dien Bien Phu est fixé à 9 bataillons et 2 groupes d’artillerie qui seront par la suite sans cesse renforcés : 12 bataillons, 10 chars, 2 groupes de 105, une batterie de 155 (contre-batterie), 4 compagnies de mortiers de 120 (Navarre, 1956, p. 213).
Giap arrive à l’aube à la base opérationnelle de Tuan Giao. Il a voyagé durant 3 nuits et a dû faire étape durant une journée à Thuan Chau pour pouvoir passer nuitamment un point sensible, le col des Méo, qui ne possède aucun couvert contre l’aviation. Il a pu mesurer au cours de ce déplacement les difficultés pour acheminer les besoins en logistique (Pouget, 2024, pp. 166-167).
4 décembre 53 : Giap installe son P.C. à Thuan Chau d’où il dirigera la campagne de Dien Bien Phu.
Le général Gilles lance pour la première fois une reconnaissance avancée sur la route menant vers Tuan Giao. Une compagnie de tête du 1er B.P.C. (Bréchignac) est sérieusement accrochée à 6 km au nord-est du camp retranché. Les Français déplorent 11 tués et 29 blessés (Pouget, 2024, p. 181). Le camp retranché n’est déjà plus, comme cela avait été prévu initialement, une base de départ pour des actions offensives.
Vote par l’Assemblée nationale nord-vietnamienne de la loi sur la réforme agraire. HCM n’y était pas foncièrement favorable et ne l’a acceptée que soumis et contraint sous la pression conjuguée des Soviétiques et des Chinois afin de continuer à pouvoir bénéficier de leur aide militaire et technologique (voir 28 octobre 1952). En bons communistes, ceux-ci espèrent qu’elle stimulera les combattants vietnamiens et les coolies à encore mieux accomplir leur devoir dans les futures opérations.
Elle imite docilement le modèle des catégories sociales mis en place par Mao, sans tirer la moindre leçon des abus qui se sont produits en Chine (et qui sont sans doute ignorés au Vietnam à cette époque). L’article premier de cette loi stipule : « Abolir le régime de l’accaparement des terres par les colonialistes, abroger celui de la propriété féodale, cela afin de : réaliser le régime de la propriété terrienne des paysans ; libérer les forces productives de la campagne, donner une forte impulsion à la production agricole, ouvrir la voie au développement industriel et commercial ; améliorer les conditions de vie des paysans, accroitre les forces du peuple et celle de la Résistance ; achever l’œuvre de libération nationale, consolider le régime de démocratie populaire […] ».
Les terres des colons français sont confisquées en totalité (art. 2). Celles des « propriétaires traîtres ou réactionnaires, et des notables cruels » ne sont saisies qu’en proportion « du degré de gravité des faits incriminés à chacun d’eux » (art. 3). La mise en œuvre de la réforme agraire est confiée à la population aux échelons communal, national, régional et provincial (art. 32 et 33). Des tribunaux populaires sont mis en place, parfois sous les auspices de conseillers chinois, pour juger les « réactionnaires et despotes » (art. 36).
Le Lao Dong divise alors arbitrairement la population rurale en propriétaires fonciers (qui ne travaillent pas leurs terres), paysans riches, paysans moyens, paysans pauvres et paysans sans terre. Le parti formule la « ligne de classe » dans les termes suivants : « S’appuyer fermement sur les paysans pauvres et les paysans sans terre, s’allier avec les paysans riches, renverser la classe des propriétaires fonciers, abolir le règne de l’exploitation féodale de façon graduelle en adoptant une attitude différenciée vis-à-vis des dernières catégories de propriétaires fonciers […] » (Vo Nhan Tri, 1960, pp. 358-359)
4 - 8 décembre 53 : Conférence aux Bermudes regroupant Eisenhower, Churchill, Laniel et Bidault (Affaires étrangères). Le but de la réunion, qui avait été reportée du fait de l’état de santé de Churchill, est centré autour du projet de constitution de la Communauté européenne de défense (C.E.D.) Pour autant, on y évoque également l’Indochine. On lie à nouveau le sort de la guerre de Corée au règlement du conflit indochinois. Les Français ne sont pas opposés à ce rapprochement. Il n’y a pas non plus d’objection des Anglo-Saxons sur ce point mais aucune solution concrète n’est mise à l’ordre du jour, hormis de reprendre les discussions avec les Soviétiques qui seront présents à la conférence de Berlin (De Folin, 1993, p. 263). Quant à Bao Daï et au gouvernement vietnamien, ils n’ont même pas été consultés… Suite à cette conférence, la France obtient l’autorisation de participer à la conférence de Berlin du 25 janvier 1954.
5 décembre 53 : Arrivée de la division 316 entre Tuan Giao et Dien Bien Phu. Mise en place à Tuan Giao des dépôts de vivres et de matériels qui sont habilement dispersés dans la forêt. Ils seront acheminés de là vers les abords du futur champ de bataille (Rocolle, 1968, p. 213).
6 décembre 53 : Cogny donne l’ordre d’évacuer Laï Chau. Sa garnison doit se replier sur Dien Bien Phu (opération Pollux) (Pouget, 2024, p. 173).
Étant assuré que les Français vont s’implanter durablement à Dien Bien Phu et utiliseront la base pour de futures opérations, le bureau politique du parti arrête sa décision de livrer bataille à la garnison française. Au terme d’une réunion, Giap lance un ordre de mobilisation générale qui doit permettre de soutenir en pays thaï plus de quatre divisions ainsi qu’une d’artillerie avec des calibres supérieurs à 75 mm. Entre 75 000 à 80 000 coolies sont alors mobilisés pour améliorer les pistes qui vont converger vers le camp. Les prévisions de Salan qui seront reprises par Navarre estimaient qu’elles ne pourraient dépasser 20 000 hommes et femmes. Dans sa première version (qui sera remaniée le 24 janvier 1954), la bataille doit commencer début janvier 1954 pour se terminer en avril.
2 jours après cette proclamation, la radio du VM La Voix du Vietnam annoncera à plusieurs reprises la mobilisation générale en vue de la bataille de Dien Bien Phu : « […] Nous devons réparer les routes, surmonter les obstacles, venir à bout de toutes les difficultés, combattre sans jamais céder, vaincre le froid et la faim, porter de lourdes charges à travers les montagnes et les vallées, percer jusqu’au camp ennemi pour l’anéantir et libérer nos compatriotes… Camarades, en avant ! » Les commissaires politiques et les can-bô (cadres politico-militaires chargés de la propagande envers les civils) feront le reste dans tous les villages de la Moyenne Région et les vallées où l’ordre de mobilisation générale sera entendu et respecté (Rocolle, 1968, p. 211 ; extrait de l’appel cité in Pouget, 2024, pp. 167-168).
7 décembre 53 : Fin de l’opération Castor (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 61).
Dien Bien Phu et les troupes issues de Laï Chau sont placées sous le commandement du Groupe opérationnel du Nord-Ouest (G.O.N.O.) créé à minuit et placé sous les ordres du colonel De Castries désigné par Cogny et chargé de relever les parachutistes du général Gilles (Cadeau, 2019, p. 471). Ce dernier est malade, ayant bravé en sautant en parachute sur la cuvette les conseils de ses médecins après 2 ou 3 syncopes cardiaques alarmantes. Éprouvant des difficultés à quitter l’Indochine, il demeurera un temps à Saigon.
L’arrivée rapide de la division 316 entraîne l’évacuation de Laï Chau ordonnée par Cogny la veille (opération Pollux, au nord-ouest du Vietnam, à la frontière chinoise, à ouest de Lao Kay) sur Dien Bien Phu. Navarre et Cogny considèrent que cette base est devenue peu importante du point de vue stratégique et par ailleurs considérée comme indéfendable. Navarre signale des désertions avant le départ, des accrochages au cours du transfert vers Dien Bien Phu et l’existence de troupes qui préfèrent rejoindre les maquis (Navarre, 1979, p. 324). Les 3 bataillons de la garnison sont repliés par avions sur Dien Bien Phu. Mais 25 compagnies de supplétifs ne pourront être prévenues à temps et se heurteront à la division 316. Non soutenues, elles se disperseront et disparaitront (Navarre, 1956, p. 170).
7 – 11 décembre 53 : Une action est menée par 2 bataillons de parachutistes pour maintenir la route de Laïchau ouverte et donne lieu à de violents combats sur la piste Pavie à une quinzaine de kilomètres au nord de Dien Bien Phu pour dégager un poste et recueillir ses défenseurs. Le 11, il faut envoyer un troisième bataillon de parachutistes et 2 batteries de 105 mm. Le repli s’effectue dans la nuit du 14 au 15 décembre au prix de lourdes pertes sans que le poste ait pu être atteint (Rocolle, 1968, pp. 229-230). Le camp retranché est déjà si bien cerné au nord qu’il ne peut mener comme prévu des actions offensives. Toutes les autres tentatives de ce genre se solderont par de semblables échecs.
8 décembre 53 : Le colonel De Castries prend le commandement du camp retranché (à la place du général Gilles, commandant des troupes parachutistes) qui prend la dénomination de Groupement opérationnel du Nord-Ouest (G.O.N.O.). Vanuxem, pressenti à ce même poste, a été écarté car déjà pris par une opération à l’intérieur du Delta. A Dien Bien Phu, une partie des parachutistes sont remplacés par un G.M. et trois bataillons thaïs. Ceux-ci ont été retenus pour leur connaissance du terrain en vue d’actions offensives à partir du camp retranché qui deviendront très rapidement de simples patrouilles (meurtrières…, voir 12 – 14 décembre). Ils se révèleront être de piètre tenue lors de la bataille défensive des points d’appui, ce que reprochera Navarre à Cogny. Avant son arrivée, Navarre (issu de l’arme blindée) annonce au colonel Féral (directeur adjoint du cabinet du commandant en chef) : « Je fais revenir en Indochine le colonel De Castries. Il ira commander le centre de résistance que nous allons créer dans le Nord et à partir duquel il rayonnera comme un cavalier… Il nous faut un haut sabreur… » (cité in Féral, 1994, p. 67).
Contrairement à ce qu’avait prévu le 2e Bureau français (voir 28 novembre), arrivée du régiment d’artillerie vietminh n° 45 armé de canons de 105 dans la région de Dien Bien Phu.
Poursuite de l’évacuation de Laï Chau par voie aérienne et terrestre. Les Thaïs blancs, partisans et familles, se replient sur Dien Bien Phu.
Réunion sino-vietnamienne au kilomètre 15 sur le route Tuan Giao-Muong Than (à une trentaine de kilomètres à l’est de Dien Bien Phu). On y évoque la tactique à adopter dans les combats de Dien Bien Phu. Tout le monde se range à l’idée du conseiller chinois Mai Gia Sinh selon laquelle il faut « attaquer rapidement afin de gagner rapidement ». On retient la technique chinoise de l’attaque par submersion en 2 jours et 3 nuits sur Dien Bien Phu avant que le poste ne soit véritablement renforcé. Cette tactique sera ultérieurement revue et corrigée par Giap qui, après l’expérience de Na San, craint un nouvel échec (voir 26 janvier 1954) (Goscha, 2000, p. 22).
8 – 9 – 10 janvier 54 : Opération aérienne Bazard sur le centre d’approvisionnement de Tuan Giao. 98 tonnes de bombes sont déversées. Mais la dispersion des dépôts opérée par le VM rend l’opération presque caduque (Rocolle, 1968, p. 315). L’aviation française et ses faibles moyens en Indochine sont bien incapables d’opérer des bombardements massifs comme cela avait été le cas pour les alliés durant le SGM. De plus, le commandement souffre toujours d’une tendance à la dispersion des ordres de bombardement.
10 décembre 53 : Fin de l’évacuation de Lai Chau par les forces françaises. Pour les troupes thaïes qui n’ont pu emprunter la voie aérienne et les maquis de la région, ce repli va s’avérer très difficile un fois confronté au corps de bataille du VM (nombreuses désertions).
La garnison de Dien Bien Phu compte 10 bataillons d’infanterie et 5 batteries de 105 mm.
Toute la division 316 est en place dans les parages de Dien Bien Phu (Pouget, 2024, p. 161).
Le haut-commissaire Dejean déclare à l’ambassadeur américain que lui-même et Navarre souhaitent un engagement majeur : « Le Vietminh va attaquer et il sera repoussé. » (De Folin, 1993, pp. 238-239) Or à cette date, les renseignements des Français indiquent que deux divisions vietminh marchent vers le Nord-Ouest mais sont incapables de savoir si elles vont être concentrées sur Dien Bien Phu, Sam Neua (Laos) ou dans la Plaine des Jarres. Les choses ne s’éclairciront tardivement qu’à la fin décembre (Navarre, 1956, p. 239).
12 décembre 53 : Lai Chau est aux mains du VM. De violents combats ont lieu à Muong Pon (entre Dien Bien Phu et Laïchau) entre une compagnie du régiment 174 (316e division) et les troupes françaises se retirant de Lai Chau vers Dien Bien Phu (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 70).
Départ progressif des parachutistes du G.A.P. 1. Seconde arrivée à Dien Bien Phu du lieutenant-colonel parachutiste Pierre Langlais. Il s’était blessé en se réceptionnant le 21 novembre 1953 (Langlais, 1969, p. 9 et p. 11). Il commande le G.A.P. 2 qui lui demeure à Dien Bien Phu.
Arrivée dans le camp retranché de 6 chars M 24 (Chaffee) en pièces détachées. Leur nombre sera porté ensuite à 10 pour former un escadron à partir du 10 janvier 1954 (Rocolle, 1968, p. 237).
12 - 14 décembre 53 : 3 bataillons de parachutistes thaï du lieutenant-colonel Langlais sont durement accrochés à 16 km du camp retranché et ne peuvent atteindre leur objectif, le village de Muong Pon où ils doivent recueillir des troupes thaïes en provenance de Lai Chau et les maquisards du G.M.I.qui accomplissent un repli difficile (Rocolle, 1968, p. 228). Ils rebroussent chemin (épisode non évoqué par Langlais dans ses mémoires). On est loin des « actions offensives puissantes » initialement voulues par Navarre et Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin). Dien Bien Phu n’est déjà plus à cette époque une base de départ pour des attaques françaises comme l’avait déjà rappelé Cogny dans sa note du 8 décembre. Le camp est d’ores et déjà entièrement cerné.
13 décembre 53 : Arrivée à Dien Bien Phu du colonel Gaucher. Il commande le G.M. 9 qui a été aérotransporté en provenance du Sud. Il est composé de 2 bataillons de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère (13e D.B.L.E.). De Castries lui confie le commandement du sous-secteur Centre qui se compose de 5 centres de résistance : Béatrice, Claudine, Dominique, Éliane, Huguette. Il tombera lors de l’attaque de Béatrice le 13 mars 1954 (Pouget, 2024, pp. 171-172).
Le 1er B.E.P. et le 5e B.P.V.N. vont recueillir sur la piste Pavie la garnison du poste de Muong Pon (18 km au nord-est de Dien Bien Phu) et ainsi permettre aux commandos du 8e Choc (partis en opération de ratissage à l’est de la piste) de rentrer sans incidents (Pouget, 2024, p. 182).
14 décembre 53 : Navarre adresse une lettre personnelle à Juin (conseiller militaire du gouvernement). L’actuelle tactique du VM va l’obliger à mener « trois batailles défensives » : de faible intensité sur le Delta (Navarre ignore à cette époque que tout le corps de bataille du VM s’oriente vers la Haute Région) ; une bataille entre Vinh et Tatkek (Nord-Annam, contre « une division ») ; une bataille à Dien Bien Phu (« contre des effectifs pouvant atteindre deux divisions »). Faute de renseignements, il sous-estime les forces du VM, notamment la concentration en cours sur Dien Bien Phu. Il estime qu’une défaite sur l’un de ces 3 fronts n’est pas à exclure mais ajoute : « Je crois cependant que la dispersion des efforts vietminh élimine la perspective de revers militairement décisifs, ce qui n’était pas à exclure en cas d’attaque générale du Delta. L’essentiel est que l’opinion publique et surtout celle des milieux politiques ne « flanchent » pas. Je me permets de compter un peu sur vous pour cela. » (cité in Navarre, 1979, pp. 302-303)
15 décembre 53 : L’un des rares groupes venu du secteur de Laïchau, celui du lieutenant Wieme (3 compagnies), parvient à rejoindre Dien Bien Phu grâce à une sortie de la garnison (Rocolle, 1968, p. 228).
16 décembre 53 : Navarre n’est toujours pas convaincu que toutes les forces vietminh se concentreront sur Dien Bien Phu, malgré les rapports précis et désormais alarmants de son 2e bureau bien doté en moyens d’écoute. Il en reste à la théorie selon laquelle une telle concentration est impossible (voir 14 décembre). L’arrivée des divisions 308, 312, 304 et de la division lourde 351 montre toutefois que Dien Bien Phu pourrait être attaqué par des forces nettement supérieures à celles prévues par les Français (2 divisions et demie au maximum). Les Français agrandissent le camp retranché et renforcent sa garnison.
16 – 20 décembre 53 : Navarre est au Tonkin (Rocolle, 1968, p. 222).
17 décembre 53 : Départ à 9 h 30 d’Hanoi de l’avion du commandant en chef pour Dien Bien Phu. Sont à bord : Navarre, Cogny, le général Lauzun (commandant les forces aériennes en Indochine), le général Nguyen Van Hinh (commandant les forces vietnamiennes), les colonels Berteil (sous-chef d’état-major aux opérations) et Revol (état-major de Navarre, directeur de cabinet), le capitaine Pouget (aide de camp de Navarre). Durant le voyage, Cogny explique à Hinh comment « il allait casser le Viet sur le môle de Dien Bien Phu ».
Selon Pouget, « Cogny et Berteil, malgré leur antipathie notoire, partageaient ce jour-là la même crainte : que le Viet renonçât à l’attaque. » De Castries accueille le gratin de l’état-major français sur la piste d’atterrissage à 10 h 45. Sur place, on organise un long et minutieux briefing dans le P.C. du G.O.N.O. et, toujours selon Pouget, on prend « des décisions essentielles [dont] dépendront plus tard […] ce qui fut dit ce jour-là. » Un climat de confiance règne : « Lauzun affirma que la route du riz serait coupée, Piroth qu’il musellerait l’artillerie des Viets, Langlais qu’il reprendrait les P.A. perdus, Castries qu’il tiendrait. Aucun ne fit la moindre réserve. » De Castries lit la note de Cogny du 30 novembre dont l’essentiel est de garantir la libre disposition du terrain d’aviation, de tenir la position défensive de Dien Bien Phu, d’empêcher l’ennemi d’intervenir avec ses armes lourdes et de maintenir une liberté d’action dans un rayon de 8 km autour de la piste. Il expose ce qui a été mis en œuvre jusqu’alors, notamment, ce même jour, la création d’un nouveau centre de résistance, Isabelle, au sud du camp retranché, proche de la piste d’atterrissage de secours simplement nivelée (Pouget, 2024, pp. 173-178).
Dans l’après-midi, Navarre et les accompagnants visitent les points d’appui en cours d’aménagement. Pouget observe des faiblesses au niveau de l’épaisseur des toits des abris et au niveau de la densité des réseaux de barbelés. Il n'y a guère de plan d’ensemble : chaque unité qui occupe temporairement une position organise ses points d’appui « selon ses idées et se moyens qui n’étaient pas forcément les mêmes que ceux de l’unité suivante. »
Avant le départ, dernier briefing en plein air. Navarre estime que « les conditions d’attaque seront très différentes de celles de Na San. » Le VM s’est renforcé, il est mieux équipé, mieux instruit et nettement supérieur en nombre. Cogny le rassure en disant que la position est plus forte qu’à Na San, l’artillerie plus puissante et mieux placée pour agir avec efficacité. Il rappelle que le VM doit parcourir 50 km de route bombardée et, selon lui, « il ne faut rien faire qui puisse le détourner d’attaquer. » (Pouget, 2024, pp. 187-189)
Une réunion des cadres de l’intendance du VM (bureau de l’intendance du front) commence à prendre la mesure des immenses besoins logistiques qu’il va falloir mettre en œuvre autour de Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 211).
Les perspectives de discussion entre la France et le VM ont provoqué une surenchère chez les nationalistes et les sectes (voir 12 – 16 octobre). Bao Daï, ne sachant quel parti prendre, sacrifie Nguyen Van Tam et le congédie. Il désigne son cousin Buu Loc comme nouveau président du Conseil. Mais ce choix ne satisfait personne : ni les nationalistes, ni les sectes, ni les socialistes, ni les syndicalistes chrétiens qui déclinent tous leur appartenance à ce nouveau gouvernement qui sera mis en place le 14 janvier 1954 (Gras, 1979, p. 540).
La division 304 fait mouvement vers Thaï Nguyen pour assurer la sécurité des organes gouvernementaux du VM. Cogny est tenté d’attaquer dans cette direction mais ne sera pas suivi par Navarre car la division 312 occupe toujours le nord du Delta et le commandant en chef entend se focaliser uniquement sur le Haut-Laos (Rocolle, 1968, pp. 222-223).
17 - 30 décembre 53 : Au Cambodge, opération Samakki menées par les troupes cambodgiennes contre le VM. Elle fait suite au refus de ce dernier d’obtempérer aux demandes de retrait cambodgiennes formulées par le premier ministre Penn Nouth. Cette action militaire est soutenue par l'aviation française basée à Saigon, en vue de supprimer les maquis Viet Minh dans la province de Battambang et dans les secteurs cambodgiens proches de la Cochinchine (Sihanouk, 1979, p. 233).
18 – 19 décembre 53 : Journée de mobilisation syndicale contre la guerre du Vietnam en métropole. 400 meetings sont organisés dans les entreprises, quartiers ou villes. 450 000 insignes pour la paix au Vietnam sont distribués (Ruscio, 1985, p. 306).
19 décembre 53 : Promulgation par HCM de la loi sur la réforme agraire. Son mot d’ordre sera : « Plutôt dix morts innocents qu’un seul ennemi survivant ! » (Marangé, 2012, pp. 262-263).
20 décembre 53 : Navarre apprend que le plus gros des forces l’armée vietminh se dirige vers Dien Bien Phu. Pour autant, il n’ordonne pas l’évacuation de la position par le sud, ce qui est encore possible sans top de pertes à cette date. Il quitte Hanoi pour se rendre à Seno.
Selon la stratégie retenue (voir novembre), Giap opère une opération de diversion au Moyen-Laos (nord de l’Annam) vers Vinh-Thakek qui se concentre le 22 à Na Pe et Ban Na Phao au Centre-Vietnam. La division 325 et un régiment de la 304 participent aux combats. Les Français ont répliqué en créant une nouvelle base aéroterrestre à Seno (contraction des mots Sud Est-Nord Ouest) qui ne parvient cependant pas à contrarier le VM en permettant de le contre-attaquer avec efficacité. Thakek sera pris sans combat le 26. Les troupes françaises basées à Seno-Savannaket, renforcées par un G.M. et un groupement aéroporté, cherchent en vain un ennemi qui se dérobe sans cesse (Gras, 1979, p. 534).
La division lourde 351 (génie et artillerie) reçoit l’ordre de marcher sur Dien Bien Phu. La division 312 et le régiment 57 (304e division) quittent Yen Bai et Phu Tho pour prendre la même direction (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 70).
20 – 26 décembre 53 : Navarre lance 2 opérations Régate et Ardèche qui partent conjointement de Dien Bien Phu et de Luang Prabang (Laos) pour se joindre à Sop Nao (Laos, une trentaine de km au sud-ouest de Dien Bien Phu). Contrairement au nord, le secteur sud-ouest du camp retranché n’est pas encore cerné par le corps de bataille du VM mais par des troupes régionales moins concentrées. Ces opérations visent à créer un couloir stratégique pour protéger le Haut-Laos et le camp retranché en vue d’un éventuel retrait des forces de Dien Bien Phu vers le Laos si les choses tournaient mal. 6 bataillons mobiles établissent une ligne de défense de la rivière Nam You (au nord de Lai Chau, carte in Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. II-III) allant de Luang Prabang à Muong Ngoi et Muong Khoa (Laos) (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 70).
22 décembre 53 : Départ de la division 351 pour Dien Bien Phu. 22 bataillons vietminh sont rassemblés au nord-ouest du camp retranché à cette date.
Navarre renforce le camp retranché avec 3 bataillons d’infanterie et un escadron de chars légers.
Des tensions émergent entre Navarre et Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin, partisan de la défense à tout prix du Delta). Dans une directive, le commandant en chef prescrit au niveau du Delta de renoncer à des opérations qui, « avec des moyens spectaculaires ne donnent pas de résultats suffisamment payants » et de « s’attacher plutôt à la destruction des bases ennemies par des offensives rapides et directes, menées par un ou deux groupes mobiles ou groupements blindés. » (Navarre, 1956, pp. 178-179).
23 décembre 53 : Succédant à Vincent Auriol, René Coty est élu au poste de Président de la République. Son élection a nécessité 13 tours de scrutin. La passation de pouvoir entre Coty et Auriol doit avoir lieu le 17 janvier 1954.
24 décembre 53 : Navarre, qui a horreur des mondanités et tente d’y échapper, assiste aux fêtes de Noël à Dien Bien Phu où il déclare que « les conditions pour la victoire sont réunies » (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 70). Aucune réunion de travail n’est prévue, le commandant en chef a simplement demandé de réunir et rencontrer le plus d’officiers et sous-officiers possible.
Parlant des troupes occupant le camp retranché à ce moment précis, Navarre écrira rétrospectivement : « L’optimisme de celles-ci m’avait particulièrement frappé pendant la soirée de Noël, que j’avais passé au milieu d’elles, et au cours de laquelle de nombreux officiers et sous-officiers m’avaient parlé librement. Toutes mes inspections ultérieures avaient confirmé cette impression. Malgré tout une sourde angoisse m’habitait. » (Navarre, 1979, p. 339). A ce moment, les centres de résistance Huguette (ouest) et Gabrielle (nord) n’existent pas encore. Navarre constate que les abris n’offrent pas une résistance suffisante contre les coups de l’artillerie lourde et que les réseaux de barbelés sont encore très incomplets. Les choses n’ont donc guère évolué depuis sa précédente visite du 17.
Suite à un largage malencontreux en dehors des barbelés, le VM récupère un lot de 25 cartes françaises au 1/25 000e accompagnées de 32 photos aériennes de Dien Bien Phu. Les documents sont immédiatement transmis au P.C. de Tuan Giao. Selon un témoin, « ces cartes françaises nous offrent des informations précieuses et exactes qui seraient utiles plus tard pour nos canons. » (témoignage de Nguyen Viet cité in Dao Thanh Huyen et alii, 2010, pp. 77-79).
Mise en route de la division 312 pour Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 209).
25 décembre 53 : A partir de l’Annam, offensive vietminh sur le Laos. La garnison de Thakek se replie finalement sur la base de Seno organisée en « hérisson ». Navarre quitte Dien Bien Phu. En cours de vol, il décide de se rendre à Seno et y arrive à midi. Selon Pouget, « la panique règne à Seno. » Le commandant en chef est accueilli par le général Bourgrund. Il évoque la perte de Takkek durant la nuit précédente et la progression du VM vers sa base. Des préparatifs d’évacuation du camp sont en cours.
Le colonel Berteil (sous-commandant des opérations) est arrivé de Saigon sur place avant Navarre. Il est furieux. On se réunit au P.C. C’est Berteil qui prend la parole. Bourgrund n’a pas respecté les ordres reçus. Au lieu de laisser les bataillons vm s’engager dans la forêt, il a engagé de nuit une colonne munie d’artillerie qui s’est volatilisée sous le choc et Takkek a été abandonné sans combat. On se réunit au PC de Bourgund. Là le capitaine Graillat informe de commandant en chef qu’un escadron a été envoyé à Takkek. Le chef d’escadron l’a informé que le calme règne dans la ville après l’évacuation des militaires. Il a constaté que d’importants dépôts de munitions ont été abandonnés. Navarre veut savoir si cet escadron peut se replier sur Seno. La chose est impossible car un pont détruit interdit la retraite. Navarre prend la décision de relever Bourgund de son commandement du Centre. C’est le général Franqui qui prend sa succession (Pouget, 2024, pp. 200-203).
Les unités de renseignement du VM ont pris connaissance du dispositif français et des cartes des différents centres de résistance du camp retranché ont été établies et distribuées dans les postes de commandement des unités d’attaque. Toutes les communications se font désormais par téléphone pour éviter l’usage de la radio (Rocolle, 1968, p. 249).
26 décembre 53 : Des éléments vm entrent dans la ville de Thakek qui a été évacuée la veille. La prise de la ville laotienne a un grand retentissement dans la presse française : « L’Indochine est coupée en deux. » Des forces sont prélevées sur le delta du Fleuve Rouge qui demeure un secteur calme. Prévues depuis septembre pour contrer le VM au Laos, elles sont dirigées vers la base aéroterrestre de Seno (Navarre, 1956, p. 173).
Dans l’après-midi, de retour de Dien Bien Phu, Navarre fait étape à Seno pour y réorganiser le commandement local et faire parvenir des réserves prélevées comme prévu du Tonkin : le G.M. 1 et 5 bataillons de parachutistes. L’opération aéroportée (comportant des avions civils) se passe bien car les unités de la division 325 n’arriveront devant Seno qu’entre le 5 et le 9 janvier, une fois les renforts français installés (Rocolle, 1968, pp. 244-245).
27 décembre 53 : L’encerclement du camp de Dien Bien Phu est presque total. Entre 11 et 12 000 hommes sont à l’intérieur du camp retranché. Son commandant, le colonel De Castries, est cependant optimiste. Il écrit dans un rapport : « Chez les combattants, le sentiment général est que Dien Bien Phu est très solide, que le Vietminh le sait et n’osera pas déclencher l’attaque générale. » De son côté, Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) déclare à Navarre : « Nous sommes venus ici pour contraindre les Viets à se battre. » En rapportant ce propos, Navarre les commente a posteriori dans ses mémoires : « C’était son avis plus que le mien. » Le colonel Buffin du 3e Bureau affirme au général Blanc, chef d’état-major de l’Armée de Terre : « La seule chose que nous craignons c’est qu’ils n’attaquent pas Dien Bien Phu. » Même optimisme chez le ministre de la Défense Pleven lors de son inspection en Indochine qui confiera après la débâcle : « Je n’ai trouvé personne pour mettre en doute la solidité du camp retranché. Beaucoup souhaitaient l’attaque du Vietminh. » Ce qui est faux (voir 10 février 1954) (cité in Gras, 1979, pp. 528-529).
Navarre, de retour de Dien Bien Phu, où il a pu constater « certains retards dans l’organisation de la défense » adresse un télégramme à Cogny dont la conclusion est : « Devez considérer que, dans votre responsabilité d’ensemble sur le Delta et la Haute Région, cette dernière doit avoir la priorité et tout particulièrement la défense de Dien Bien Phu. Delta passe actuellement en deuxième urgence pour vous et pour moi en quatrième urgence après Dien Bien Phu, le Moyen Laos et l’opération Atlante. Stop. Il n’est pas impossible que je fasse encore des prélèvements sur le delta et vous devez, de votre côté, pouvoir hasarder y prendre quelques risques […] » Selon le commandant en chef, cet ordre devra être « réitéré à plusieurs reprises jusqu’à la veille de l’attaque. » Il reproche à son subordonné de n’envoyer dans le camp retranché « que des bataillons de valeur médiocre » pour en réserver d’autres au profit du Delta (Navarre, 1979, p. 334 ; Rocolle, 1968, p. 246).
La division 325 qui était dans l’ignorance de ce qui s’est passé à Takkek (voir 25 décembre) entre dans la ville abandonnée par les Français. L’escadron motorisé qui y avait été envoyé a pu être évacué grâce à la reconstruction d’un pont détruit. Mais la chose continue à s’ébruiter dans la presse (voir 26 et 29 décembre) (Pouget, 2024, p. 203).
Arrivée aux abords du camp retranché de la division d’élite vietminh, la 308.
28 décembre 53 : Mort du lieutenant-colonel Guth (chef d’état-major de De Castries) lors d’une reconnaissance au nord du camp retranché en vue de l’installation de Gabrielle (Pouget, 2024, p. 215). Les abords du camp sont de plus en plus occupés par le VM.
29 décembre 53 : La perte sans combat de Takhek (Laos) provoque des remous dans la presse métropolitaine qui met à juste titre en doute la véracité des communiqués militaires. Le correspondant du journal Le Monde écrit ainsi : « Trop d'assurances ont été données récemment encore, et avec trop de force, qui ont été aussitôt démenties par les faits. Nous avons ainsi appris que le général Navarre s'était acquis durablement le bénéfice de l'initiative, que Laï-Chau serait défendue, que nos opérations avaient désorganisé les plans de l'ennemi, qu'une attaque sur Dien-Bien-Phu était imminente, etc. […] La réalité vient ternir une fois encore l'optimisme des communiqués. Elle devrait au moins persuader de l'inutilité de certains silences, plus encore de certaines affirmations trop péremptoires. » (Le Monde du 29 décembre 1953)
30 décembre 53 : Violent accrochage entre les Tabor et le VM au sud d’Isabelle. 54 VM sont tués et 5 fusils-mitrailleurs sont pris (Pouget, 2024, p. 215).
31 décembre 53 : Première note de pessimisme. Navarre adresse une instruction à Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) et au colonel De Crèvecœur (commandant des forces françaises au Laos) leur demandant d’envisager dans le plus grand secret une solution de repli si « la bataille ne tourne pas en notre faveur » (Gras, 1979, p. 530). Il prévoit 2 scénarios possibles :
« - Soit que les défenses de Dien Bien Phu soient disloquées par des attaques extrêmement puissantes, menées avec des moyens modernes mis en œuvre pour la première fois.
- Soit que Dien Bien Phu soit étouffé, l’ennemi parvenant à nous interdire l’usage du terrain d’aviation, soit par l’artillerie soit par la défense contre-avions.
Dans les deux cas, Dien Bien Phu devrait être évacué, mais je précise que ce n’est qu’un pis-aller que je suis bien décidé à ne jouer qu’à la toute dernière extrémité. » (cité in Rocolle, 1968, p. 242) Dans les faits, ces 2 scénarios se réaliseront l’un et l’autre. Et il n’y aura pas de « soit »… Navarre prévoit discrètement 2 opérations de sauvetage : Ariane, un recueil des troupes pouvant s’échapper et Xénophon qui serait une sortie en direction de la vallée de Nam Ou (voir 5 janvier 1954). De Castries n’est pas mis dans la confidence.
Fin décembre 53 - début janvier 54 : Giap poursuit l’encerclement du camp retranché. Il a lancé et lance toujours des opérations de diversion dans le Delta et au Laos (voir 20 décembre 1953 et 27 janvier 1954). La division 320 est reconstituée. Le TD 42 et des bataillons régionaux attaquent les communications et les postes dans le Delta. Les 6 G.M. qui y ont été maintenus diminuent la pression de l’ennemi mais sans vraiment la contrarier.
Fin 53 : Au Cambodge devenu indépendant, Sihanouk lance un appel à l’union nationale en direction des Khmers issaraks et des pro-vietminhs en décrétant une amnistie générale. Le roi ne se fait toutefois pas beaucoup d’illusions au sujet des intentions du VM. L’armée cambodgienne demeure modeste et assez mal équipée mais gagne en combativité depuis la déclaration d’indépendance (Cambacérès, 2013, pp. 101-102).