Décembre 45 : Début de l’élaboration militaire de la reconquête du N-V, la future opération Bentre (voir 6 mars 1946) (Pedroncini, 1992, p. 393). Elle aboutira à l’ordre général du 21 février 1946 (extraits in Pedroncini, 1992, pp. 371-376).
1er décembre 45 : Reprise de Ban Me Thuot (capitale des hauts plateaux du Sud) par les Français mais la ville sera à nouveau attaquée le 20.
Pénétration française dans le pays Moï (Haut-Tonkin, frontière chinoise).
Première réunion discrète (face aux Chinois et aux extrémistes du VM) à l’initiative de Hoang Au Nord, Minh Giam (vice-ministre des Affaires étrangères vietnamien, secrétaire du G.R.A.) en présence de HCM, Giap, Sainteny, Pignon et Caput (secrétaire de la section S.F.I.O. au Tonkin) autour de la question de l’acceptation par la France de l’indépendance proclamée le 2 septembre. Selon D’Argenlieu, HCM apparaît « plus rigide » que jamais autour de cette question cruciale (D’Argenlieu, 1985, p. 87). Toutefois, il se doit aussi d’être conciliant et d’éviter la rupture avec les Français car son gouvernement est menacé tant par les Chinois que par les partis nationalistes qui les soutiennent. HCM se dit même prêt à rencontrer D’Argenlieu (D’Argenlieu, 1985, p. 108). Ces négociations dureront jusqu’au 9 (voir 7 décembre).
3 décembre 45 : Au Nord, Giap (ministre de l’Intérieur du G.R.A.) et Tram Huy Lieu (ministre de la Propagande) sont enlevés par l’opposition prochinoise mais rapidement relâchés (Devillers, 1988, p. 110).
4 décembre 45 : Pour Georges Bidault (ministre des Affaires étrangères) : « Sauf imprévu, nous pouvons espérer avoir repris en main l’Indochine au début du printemps. » Cet optimisme est en partie dû au fait que D’Argenlieu minimise la force et l’influence du VM dans les rapports qu’il transmet à Paris (voir 18 novembre) (De Folin, 1993, p. 115).
Nouvelle réunion franco-vietnamienne (voir 1er décembre) autour de la notion d’« indépendance » avec un « projet » français et un « contre-projet vietnamien » qui, pour ce dernier, gomme les notions de « Fédération indochinoise » et d’ « Union française ». Selon la formulation de D’Argenlieu, la France « serait disposée à reconnaître une certaine indépendance de fait, non à la consentir globalement comme un tout. » (D’Argenlieu, 1985, p. 99) Les négociations n’aboutiront donc ni au Tonkin ni en Annam comme celles qui ont été menées par la France au Cambodge, au Laos (voir 13 mars et 8 avril) et prochainement en Cochinchine. D’Argenlieu souhaite d’ailleurs temporiser en attendant le résultat des élections au Tonkin qui doivent avoir lieu le 23 décembre (mais qui seront finalement repoussées au 6 janvier 1946) (D’Argenlieu, 1985, p. 103).
5 décembre 45 : Publication du premier numéro du bimensuel Caravelle destiné à informer et distraire les troupes du C.E.F.E.O. Revue militaire orientée dans le sens d’un retour de la France en Indochine, Philippe Devillers (critique dans ses observations, voir 26 novembre) et Jean Lacouture en sont les principaux rédacteurs (Devillers, 2010, p. 55).
7 décembre 45 : Dans le cadre des négociations franco-vietnamiennes amorcées le 1er, Pignon (conseiller de Sainteny) remet un projet à Hoang Minh Giam (secrétaire général du G.R.A., vice-ministre des Affaires étrangères vietnamien). Le Français se disent prêts à « conférer au peuple annamite toute l’indépendance compatible avec son maintien d’une part dans la Fédération indochinoise d’autre part dans l’Union française. » De son côté, le G.R.A. dit que « les solutions recherchées doivent d’une part accorder satisfaction aux légitimes aspirations du peuple vietnamien à l’indépendance nationale, d’autre part reconnaître les droits et intérêts légitimes de la France. » Giam estime que l’essentiel est d’ouvrir les négociations et de le faire savoir. De belles paroles, mais guère d’accord en perspectives car pour D’Argenlieu « […] la pierre d’achoppement reste le « oui » ou le « non » de la France quant à l’indépendance. Elle serait disposée à reconnaître une certaine indépendance de fait, non à la consentir globalement comme un tout. » (D’Argenlieu, 1985, p. 99 ; Pedroncini, 1992, p. 159 ; Turpin, 2005, pp. 185-186)
8 décembre 45 : Rupture de l’accord en le gouvernement provisoire et les partis prochinois qui avait été scellé le 18 novembre (Fall, 1960, p. 45).
Leclerc dispose désormais sur place de 19 200 hommes du C.E.F.E.O. Seuls 2 700 ont été transportés par des navires français. Le gros de la 9e D.I.C. de Valluy est arrivé grâce aux Anglais mais ne dispose toujours pas de son matériel. 6 700 hommes sont actuellement en cours de transfert et 6 400 doivent encore embarquer à Marseille. Le reliquat du C.E.F.E.O. à transporter s’élève au total à 27 000 hommes (Turpin, 2005, p. 123).
9 décembre 45 : Hoang Minh Giam (vice-ministre des Affaires étrangères vietnamien, secrétaire du G.R.A.) déclare le VM menacé par les prochinois et se dit obligé de suspendre la négociation en cours avec les Français. Il déclare toujours être prêt à parvenir à un accord pourvu que soit maintenu le principe de l’indépendance. Pignon rend compte à D’Argenlieu des problèmes actuels du VM : « […] Doit-on souhaiter l’effondrement du Vietminh sous la poussée chinoise, et l’émiettement des partis politiques ? La question ne me paraît pas comporter une réponse assurée. » Mais, selon lui, HCM demeure le seul leader politique ayant un assise populaire et « aucun autre chef de parti n’en est capable. »
Ce même jour, D’Argenlieu reçoit une dépêche de l’ambassadeur en Chine Pechkoff lui annonçant que Tchang Kaï Check vient de déclarer que la Chine évacuerait sous peu l’Indochine. L’amiral en tire la conclusion que le problème chinois sera bientôt réglé et qu’il ne faut donc pas prendre d’engagement vis-à-vis du VM (Pedroncini, 1992, p. 159 ; Devillers, 1988, pp. 110-112). Les Chinois, à leur habitude, bluffent.
Manifestation de nationalistes devant la banque d’Indochine. Le directeur français est assassiné. Les nationalistes prochinois accuseront le VM de cet acte dont les motivations demeurent toutefois troubles (De Folin, 1993, p. 121).
10 décembre 45 : À Hanoi, près de la Citadelle, on peut lire sur des tracts et affiches en chinois : « La Chine ne tolèrera pas des outrages à ses sujets. Français, gare aux représailles si vous ne cessez pas vos atrocités contre les Chinois du Sud ! Œil pour œil, poing pour poing. Le sang chinois qui a coulé en Cochinchine sera vengé. » (cité in Salan 1, 1970, p. 267). Ces affiches seront enlevées le 11 au soir. Elles feraient référence à des évènements qui ont récemment eu lieu à Cholon (Salan 1, 1970, p. 269).
Dans une réponse adressée à Leclerc (voir 30 octobre), Salan estime qu’une opération sur le Tonkin est envisageable mais nécessite des effectifs « au moins de l’ordre de 50 000 hommes ». Il préconise d’axer l’effort sur le triangle Haïphong-Hanoi-Nam Dinh à condition d’y aller « au galop, avec audace » tout en reconnaissant des difficultés prévisibles (Ruscio, 1985, p. 97 ; Ruscio, 1992, pp. 58-59). L’objectif des 50 000 hommes est alors totalement inatteignable. C’est ce que rappellera Leclerc à De Gaulle dans un rapport adressé le 27 mars 1946.
Leclerc écrit au général Juin (chef d’État-Major) et préconise la future opération au Tonkin : « En Cochinchine, la situation progresse régulièrement mais les progrès d’approvisionnement, de retour à la vie normale sont lents : cette lenteur, cette hésitation des Annamites persistera jusqu’à ce que nous soyons à Hanoi, et immobilisera longtemps des effectifs importants. Les problèmes ne peuvent être résolus politiquement avant que nous réoccupions le delta du Tonkin. Quand nous y serons au contraire, tenant d’une part la Cochinchine, d’autre part le delta du Tonkin, le pas essentiel sera franchi. » (cité in Turpin, 2005, p. 183)
10 - 11 décembre 45 : 70 agressions de Français à Hanoi. Émeutes le 11.
11 décembre 45 : Devillers qui s’est rendu à Cholon signale que le quartier Chinois de Saigon est toujours « en cours de nettoyage. Les troupes françaises et indiennes se sont, la dernière quinzaine, frayé un passage par les ruelles adjacentes de la grande voie centrale où auparavant seules les jeeps blindées se risquaient sous une grêle de balles. » (Devillers, 2010, p. 62)
12 décembre 45 : Espérant régler les problèmes de commandement, D’Argenlieu produit des instructions pour définir le rôle du commandant supérieur des troupes en Extrême-Orient (Leclerc, désigné sous le vocable de « Génésuper ») (Bodinier, 1987, pp. 42-44).
14 décembre 45 : Le général Salan (commandant du Nord et des troupes de Chine) est invité à déjeuner chez le général chinois Lou Han, responsable des troupes yunnanaises au Tonkin. Il lui annonce que le retour des Français au Tonkin va être anticipé. Lou Han lui répond : « Je puis vous assurer que lorsque Tchoung King [Chunking] m’en donnera l’ordre, j’exécuterai au mieux et je vous accueillerai en amis. » (cité in Salan 1, 1970, p. 245) Les délais et les faits contrediront totalement ces habituelles belles paroles (voir 8 janvier 1946).
Le prince Vinh San, ex-empereur d’Annam intronisé par les Français en 1907, exilé depuis 1916 à la Réunion s’était engagé durant la SGM dans les forces de la France Libre où il a acquis le grade de chef de bataillon le 25 septembre après l’aide qu’il avait apportée au moment du débarquement à la Réunion. Il rencontre De Gaulle. Ignorant tout de la situation explosive au Vietnam et n’ayant pas opéré lui-même, selon les mots de Journoud, une « nécessaire décolonisation mentale », le Général l’apprécie et le pressent comme une solution politique de gouvernance au Vietnam dans le rôle de potentiel repreneur du trône impérial (Journoud, 2011, p. 27-35). Vinh San lance alors un appel de Paris (D’Argenlieu, 1985, pp. 436-437). Des échanges entre de Gaulle et un membre de son état-major et futur gendre, De Boissieu, révèlent l’état d’esprit du Général lorsqu’il reçoit Vinh San : « Mais oui, tout cela se terminera un jour par l’indépendance, mais ce qu’il faut c’est trouver une solution pour une période intermédiaire. » Selon De Boissieu, le prince n’est pas un naïf. Il lui a confié : « Ils [les gens du ministère l’Outre-mer] ne veulent pas entendre parler ni d’indépendance, ni d’esprit national. Ils nient l’existence d’une nation, d’une patrie vietnamienne ; c’est inquiétant. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 333) Selon Pierre Brocheux, « s’il était devenu un interlocuteur du gouvernement français, le prince Vinh San aurait été exigeant et peu porté aux concessions ; il n’avait pas le tempérament de fantoche. On peut l’imaginer aisément lorsque l’on sait que la réunion des trois Ky […] était à ses yeux une condition sine qua non pour nouer tout dialogue franco-vietnamien […] » (cité in Pedroncini, 1992, p. 335) Le prince demandait également la suppression du statut de colonie de la Cochinchine (Turpin, 2005, p. 193).
15 décembre 45 : Troisième opération de dégagement de Saigon. Prise de Duc Hoa et de la sucrerie Hiep Hoa.
16 décembre 45 : Après l’échec des négociations franco-vietnamiennes du 9, D’Argenlieu reçoit Pignon. Il lui réitère le sens de sa mission : « […] le rétablissement de la souveraineté sous les espèces d’une Fédération rajeunie ; disons renouvelée, de cinq pays membres, chacun adhérant de son plein gré à l’Union française ». Puis il questionne : « Un self-government ? Oui, mais dans les bornes qu’imposent concrètement Fédération et Union. » Pour l’instant, d’Argenlieu a une priorité, il entend négocier avec la Chine le retrait de ses troupes espérant ainsi affaiblir le VM. De plus, il espère que les élections à venir du 23 décembre (mais qui seront reportées au 6 janvier 1946) lui permettent de jauger la force des uns et des autres (D’Argenlieu, 1985, p. 101 ; Pedroncini, 1992, p. 160 ; Devillers, 1988, pp. 112-113).
17 décembre 45 : Salan (commandant du Nord et des troupes de Chine) se rend à Saigon pour y rencontrer Leclerc et faire un point sur la situation dans le Nord autour de ce qu’il nomme « un triptyque : Le Japonais – Le Chinois – Le Vietminh ». Le problème japonais est en voie de résolution. Le problème chinois est plus ardu : Salan déplore le comportement du commandement de l’armée chinoise, « son esprit retors, ses manières d’une habilité tortueuse, son goût du lucre, sa sensibilité à la flatterie. » Il sait qu’il lui faudra donc négocier habilement à Chunking. Le troisième volet du « triptyque » est encore plus problématique : « Le propagande constante [du VM] est de plus en plus insinueuse [sic], elle pénètre dans toutes les couches de la population ; elle séduit. » (Salan 1, 1970, pp. 249-250).
Rapport de D’Argenlieu à De Gaulle au sujet des tensions provoquées par l’occupation chinoise (D’Argenlieu, 1985, pp. 433-434).
18 décembre 45 : Sous la poussée des partis nationalistes prochinois qui estiment n’avoir pas eu un temps suffisant pour faire campagne, HCM repousse une nouvelle fois (voir 8 septembre) les élections en les fixant cette fois au 6 janvier 1946. A cette époque, le VM qui a largement eu le temps depuis 6 mois d’infiltrer la police et l’armée pour contrôler tous les moyens d’expression, sait déjà que les chances de réussite des partis prochinois sont quasi nulles (Fall, 1960, p. 45).
D’Argenlieu dénonce dans un télégramme au Cominindo « le caractère fallacieux et truqué des élections prévues par le Viet-Minh », sachant qu’il les considère cependant comme un baromètre lui permettant de mesurer et de jouer sur l’opposition entre le G.R.A. et les partis prochinois (voir 6 janvier 1946) (Turpin, 2005, p. 185).
19 décembre 45 : Leclerc et Salan sont reçus par D’Argenlieu. Ils lui exposent la situation au Tonkin et les succès du VM qui ne cessent pas d’inquiéter l’amiral outre-mesure.
Salan se voit confier la mission de « se rendre à Tchungking [Chunking] pour y conduire les conversations d’état-major relatives au retrait des forces chinoises et leur relève par les forces françaises ». Il sera accompagné du colonel Crépin de l’état-major de Leclerc (voir 20 décembre) (Cadeau, 2019, p. 163).
Au vu du contexte explosif, le VM décide de reporter là où c’est encore possible les élections visant à former une assemblée constituante du 23 décembre au 6 janvier 1946 (Devillers, 1988, pp. 113-114).
20 décembre 45 : Pignon regagne Hanoi. Il rencontre HCM et lui fait part des propositions françaises : une rencontre avec D’Argenlieu qui aurait lieu vers le 23-25 décembre à bord du Richelieu croisant au large d’Haïphong (car tous les gestes et surtout les paroles des uns et des autres sont épiés par les Chinois et les nationalistes). HCM accepte mais ce projet sera contrarié et même annulé par l’opposition nationaliste prochinoise et les Chinois eux-mêmes (voir 24 décembre) (Devillers, 1988, p. 113 ; Turpin, 2005, p. 187).
Salan reçoit des ordres de D’Argenlieu pour aller négocier le retrait des troupes chinoises à Chunking. Leclerc demande à Salan d’obtenir un blanc-seing pour le retour de la France au Tonkin pour la fin février-début mars 1946. Des instructions sont données à Salan lui demandant de ne pas préciser le volume des forces françaises à venir et surtout de définir en commun le plan approximatif et le rythme de l’évacuation des troupes chinoises. Cette exigence doit cependant tenir compte des problèmes que poseraient une évacuation prématurée pour éviter la création d’un « vide » qui serait favorable au VM (Cadeau, 2019, pp. 163-164).
Tentative d’attentat contre le maire vietminh d’Hanoï, Tran Duy Hung.
Parution dans Paris-Presse d’un article décrivant des atrocités « commises par des militaires français sur la personne d’Annamites du Vietminh » (D’Argenlieu, 1985, p. 91). C’est le départ d’une campagne de presse française pour dénoncer les exactions et le climat de violence qui règne en Indochine (voir 21 et 22 décembre).
20 - 23 décembre 45 : Arrivée à Hanoi d’une délégation soviétique qui est accueillie à l’aéroport par les Chinois, les Britanniques et les Vietnamiens. Elle n’aura ensuite de contact qu’avec le G.R.A. Sa présence échappe dans l’immédiat aux Français. Les Soviétiques auraient mis en garde les Vietnamiens de ne pas tomber dans l’orbite d’un Kuomintang pro-américain. Ils ne peuvent guère apporter d’aide au VM et lui conseille de demeurer dans l’orbite de la France dont l’évolution politique risque de virer à gauche après un éventuel départ de De Gaulle. Ses conseils seront suivis (voir 30 décembre) (Devillers, 1988, pp. 114-115).
21 décembre 45 : Combats entre militants vietminh et nationalistes prochinois autour du petit lac d’Hanoï. Les Chinois interviennent (Francini 1, 1988, p. 271).
L’Humanité se fait l’écho de l’un des premiers témoignages sur l’usage de la torture en Indochine. Le journaliste René Dussart a assisté à de telles scènes au S-V. Il en reparlera ultérieurement (voir 9 août 1946) (Ruscio, 1985, p. 368).
22 décembre 45 : Un troisième accord est signé entre le VM, le D.M.H. et le V.N.Q.D.D. Il prévoit que les partis prochinois ne chercheront pas à saboter les élections, moyennant quoi 3 portefeuilles ministériels sans grande portée (dont la Santé et l’Économie) leur seront réservés dans le futur gouvernement. Le poste de vice-président et de ministre des Affaires étrangères sera réservé à Nguyen Hai Than, chef du D.M.H. (70 ans, peu de personnalité et ne pratiquant guère aisément la langue vietnamienne). L’accord précise également que, sans participer aux élections, 70 sièges de la future assemblée nationale seront automatiquement réservés aux membres des partis prochinois : 50 au V.N.Q.D.D. et 20 au D.M.H. sur un total de 350 sièges (Fall, 1960, pp. 45-46 ; De Folin, 1993, p. 121 ; Francini 1, 1988, p. 271 ; Ruscio, 1992, p. 45).
Nguyen Hai Than est invité par le G.Q.G. chinois à s’entendre avec HCM (Devillers, 1988, p. 114).
Le général de brigade Salan est nommé délégué militaire pour l’Indochine du Nord (Bodinier, 1987, p. 130).
Après L’Humanité (voir 21 décembre), la presse issue de la Résistance française pointe à son tour de graves dysfonctionnements en Indochine. Un article intitulé « La tache de sang » paraît dans Franc-Tireur. Un membre du Corps expéditionnaire compare l’action des troupes françaises en Indochine à Oradour. Selon Soustelle (ministre des Colonies) : « L’effet sur l’opinion est désastreux. » Alain Ruscio évoque à la même époque un éditorial de Georges Altman paru dans Combat qui dénonce « les représailles sauvages que les défenseurs d’un certain ordre colonial exerce envers les hommes du Vietminh ». Selon D’Argenlieu, l’effet est aussi désastreux, et ce, d’autant plus, que « les journaux anglo-saxons les reprennent. » (D’Argenlieu, 1985, p. 91 ; Ruscio, 1992, p. 161).
23 décembre 45 : Début des élections législatives pour nommer les députés de la future assemblée constituante de la R.D.V.N. Théoriquement, le VM a reporté depuis le 19 ces élections prévues au 6 janvier 1946 mais elles ne le seront pas partout, vu le délai trop court. Le processus électoral démarre donc dès ce jour dans certaines régions.
Au Cambodge, Sihanouk a accepté d’instaurer une monarchie constitutionnelle moderne. Une commission franco-khmère est formée et se réunit pour la première fois en vue de rédiger un texte de constitution (Cambacérès, 2013, p. 54).
Leclerc écrit à Sainteny : « Nous commençons vraiment à récolter les fruits des opérations commencées il y a à peine deux mois, et sans matériel. Je crois que cela peut être d’un gros poids pour la suite. » (cité in Turpin, 2005, p. 167, note 75)
23 – 24 décembre 45 : Les discussions aboutissent à un accord entre HCM, Nguyen Hai Than (D.M.H.) et Vu Hong Khanh (V.N.Q.D.D.). On décide de former un « Gouvernement provisoire d’union nationale » avec répartition des ministères. Le VM n’y dispose que de 4 sièges sur les 10 qui le composent. Il garde cependant les plus importants : Intérieur, Propagande, Défense nationale. HCM en serait le président et Nguyen Hai Than (D.M.H.) le vice-président. Nguyen Tuong Tam (V.N.Q.D.D.) obtiendrait les Affaires étrangères. Ce gouvernement provisoire entrerait en fonction dès le 1er janvier 1946 et nommerait des commissions pour étudier les clauses d’un traité avec la Chine. Le gouvernement définitif ne serait constitué qu’après les élections de l’assemblée constituante dans laquelle 70 sièges seraient réservés d’office à l’opposition nationaliste (Devillers, 1988, p. 114).
24 décembre 45 : Le projet de D’Argenlieu de rencontrer prochainement HCM à bord du cuirassier Richelieu avorte. Les Chinois, prévenus par mégarde par Sainteny, s’y opposent (D’Argenlieu, 1985, pp. 106-107). Ce qui vaudra à Sainteny, le 29, une remontrance de l’amiral : « Je dois une fois de plus vous signaler les effets fâcheux de votre propension à faire cavalier seul qui risque entraîner des retards dans une affaire importante. » (cité in Turpin, 2005, p. 187, note 87)
HCM, affaibli, était pourtant demandeur de cette rencontre mais ses demandes et souhaits – un accord entre la France et le VM – font aussi reculer les Français car ils pourraient contrarier les Chinois en vue des futurs accords de Chonqing visant au départ de leurs troupes du Tonkin. Sainteny n’est pas favorable à ce projet de rencontre, contre l’avis HCM. C’est d’ailleurs Sainteny qui a prévenu « le commandement résidentiel chinois », sans en référer à D’Argenlieu. Une fois l’affaire éventée côté chinois, le projet demeure mort-né (Francini 1, 1988, p. 281 ; D’Argenlieu, 1985, pp. 105-107 et 148).
Sous la pression des Chinois, un accord est enfin trouvé entre le VM et les partis nationalistes sinophiles en vue de la constitution d’un gouvernement nationaliste dirigé par HCM. C’est ce gouvernement, et non la France, qui devra désormais signer des accords avec la Chine (Pedroncini, 1992, p. 393).
Suite à la publication d’un éditorial intitulé « Pourquoi ? » dans le bimensuel Caravelle, Philippe Devillers et Jean Lacouture sont reçus par Leclerc qui a apprécié l’article portant sur la question de l’engagement des troupes du C.E.F.E.O. en Indochine. Devillers rapporte les propos de Leclerc prononcés au mess des officiers le soir même, déclarant : « Souhaitons, Messieurs, que l’an prochain à pareille époque, nous ne soyons plus ici. » (Devillers, 2010, p. 67).
La France commence à pratiquer le « jaunissement » de ses troupes, c’est-à-dire le recrutement de populations locales hostiles au Vietminh. Une note de service du général Leclerc à cette date observe que le recrutement de volontaires locaux renforce le sentiment de confiance des habitants, facilitant ainsi l’obtention de renseignements. De Plus, l’enrôlement fait barrage à la propagande ennemie et montre la force de la France (Bodin, 1996, p. 112). C’est aussi un moyen pour l’armée française d’avoir un fonctionnement à moindre coût, tant au niveau des pertes que du point de organisationnel (au vu du faible effectif des troupes métropolitaines) et financier.
25 décembre 45 : Un rapport de la D.G.E.R. fait mention de la venue récente (voir 20 - 23 décembre) d’une délégation russe à Hanoi et ignorée des services français jusqu’alors. Malgré son isolement diplomatique et ses problèmes du moment, le VM ne peut guère compter dans l’immédiat sur l’aide des Soviétiques. Il doit donc négocier avec la France et assouplir sa position (voir 30 décembre) (Pedroncini, 1992, p. 161).
26 décembre 45 : Le prince Vinh San (voir 14 décembre) décède dans un accident aérien près de Banghi (République centrafricaine) (D’Argenlieu, 1985, pp. 437-438). Avec lui, De Gaulle et l’amiral perdent un espoir de solution pour le Vietnam dans un contexte de plus en plus complexe.
Dévaluation du franc par rapport à la piastre. Cette dernière prend un cours officiel de 17 francs, là où avant elle n’en valait que 10. Cette transformation du cours va entraîner une spéculation financière, mener à beaucoup de dérives et faire s’enrichir ultérieurement beaucoup de monde, en encourageant la corruption entre Hong Kong et Saigon : Bao Daï, le VM voire des membres de l’administration coloniale elle-même en bénéficieront (Messmer, 1992, pp. 189-190)
28 décembre 45 : D’Argenlieu produit une note secrète adressée à De Gaulle et à certains membres du gouvernement français (Soustelle, Bidault, Michelet) sur le problème des relations entre la France et les représentants annamites du Nord. Il ne fait pas mention de l’accord qui a eu lieu entre le VM et les partis prochinois le 23 décembre. C’est le commandant Paul Mus (conseiller politique de Leclerc) qui est chargé de la remettre en mains propres à Paris au Général. D’Argenlieu mentionne le réchauffement des relations entre le VM et la France : « Le G.R.A. avec son chef Ho Chi Minh ne souhaite pas une rupture avec le Gouvernement de la République. » Toutefois, pour le VM « le terme « indépendance » a un sens très clair […] à savoir qu’il signifie « être maître chez soi » […] » (cité in Devilllers, 1988, pp. 116-119 ; Turpin, 2005, p. 187) L’amiral évoque l’idée « d’une personnalité annamite capable […] de se substituer au chef du Vietminh largement démonétisé […] ». Il n’évoque pour l’instant pas de nom (D’Argenlieu, 1985, p. 110) mais pressent le prince Vinh San (ex-empereur Duy Tan) qui avait rencontré De Gaulle le 14 décembre. Or celui-ci est décédé accidentellement le 26 décembre, ce que l’amiral ne sait pas au moment où il écrit car la nouvelle sera connue à Saigon que le 5 janvier 1946 (D’Argenlieu, 1985, pp. 436-438). De Gaulle étant entré dans une période de mutisme, D’Argenlieu n’obtiendra aucune réponse de Paris, pas plus qu’il n’avait eu d’instructions claires auparavant sur la question cruciale des relations entre la France et le VM (voir 10 octobre, fin octobre 1945, 20 janvier 1946).
Dans le journal Les Nouvelles du Matin, malgré une situation très tendue, D’Argenlieu déclare : « La France a gagné la partie en Indochine. » (Ruscio, 1992, p. 57)
Création du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (S.C.E.C.E.).
29 décembre 45 : Leclerc dispose de 26 700 hommes du C.E.F.E.O. 4 000 sont en cours d’acheminement. 29 000 attendent toujours le départ faute de moyens de transport (Turpin, 2005, p. 123)
30 décembre 45 : Le VM, aux prises avec ses difficultés du moment dues aux partis prochinois et à son isolement diplomatique (voir 25 décembre), se voit contraint de négocier avec les Français (voir 6 janvier 1946). Hanoi publie un communiqué à cette fin : « Le Gouvernement de la République démocratique du Vietnam serait heureux de conférer avec les représentants de la France, mais comme le président l’a proclamé, si le gouvernement français veut s’entendre avec nous, il doit reconnaître comme acquise l’indépendance du Vietnam. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 161)
31 décembre 45 : 27 907 soldats français ont été acheminés en Indochine : 2e D.B. (2 250 hommes), 9e D.I.C. (au complet, 19 300 hommes), 3e D.I.C. (incomplète, 17 090 hommes) et un reliquat d’éléments organiques de corps d’armée. Début 1946, Leclerc dispose d’un effectif théorique de 50 000 hommes avec les troupes qui sont restées sur place (Bodin, 1996, p. 15).