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par Jean-François Jagielski

Avril 1972

Avril 72 : Au Cambodge, les Forces armées populaires de Libération nationale khmères (F.A.P.L.N.K.) s'emparent de Kompong Trabek, une localité stratégique sur la route de Saigon.


1er avril 72 : Nixon autorise les attaques aériennes contre les concentrations militaires du N-V mais, dans un premier temps, les conditions météorologiques sont médiocres et les bombardements d’assez faible ampleur. Les attaques aériennes sont alors limitées à 40 km au nord de la D.M.Z. (Kissinger 2, 1979, p. 1 152).

Kissinger adresse à Bunker une note pour répondre aux N-V si la séance de négociation plénière du 13 avril est maintenue. Le but est d’« écrire un impeccable document de modération raisonnable » assorti d’une mise en garde à l’égard des actions violentes des N-V en cours (Kissinger 2, 1979, pp. 1 161-1 162).


2 avril 72 : Les S-V évacuent, sous la poussée n-v, 14 bases au sud de la D.M.Z. L’ampleur de l’offensive n-v apparaît et compromet les négociations plénières à venir qui avaient été prévues pour le 13, avant le déclenchement de l’offensive.


3 avril 72 : Les États-Unis renforcent leurs forces navales au large du Vietnam.

Le W.S.A.G. se réunit presque quotidiennement. Kissinger y poursuit ses rodomontades présomptueuses : « Le 3 avril, je dis au président que l’attaque allait à présent précipiter les choses ; nous n’aurons droit à aucune médaille en perdant avec modération. Si nous vainquions l’offensive, nous obtiendrions un règlement. Les Nord-Vietnamiens jouaient leur va-tout, s’ils échouaient, ils n’auraient d’autre recours que de négocier. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 163)

Kissinger rencontre l’ambassadeur russe Dobrynime et accuse l’U.R.S.S. de soutenir l’offensive en cours et donc de compliquer la réalisation de la rencontre américano-soviétique du 24 (Kissinger 2, 1979, p. 1166). Il charge dès le lendemain Robert McClosey, porte-parole des Affaires étrangères, de le faire savoir publiquement.


4 avril 72 : Nixon, malgré les freins du Congrès, débloque l’arsenal américain, aérien et naval. Il autorise les attaques aériennes tactiques au N-V jusqu’au 18e parallèle. 20 B-52 renforcent les escadrilles de bombardiers F-4 déjà sur place. 8 destroyers de renfort sont envoyés dans le Sud-Est asiatique. Ils pilonneront les ports et dépôts n-v. Kissinger rend compte de ces décisions au W.A.S.G. (Kissinger 2, 1979, p. 1 163).

L’appui aérien sera toutefois nuancé, tant pour des raisons météorologiques que bureaucratiques dues aux dissensions entre Laird (Défense) et Nixon, mais également entre Saigon et Washington au sujet des zones de bombardement à prioriser entre le Nord et le Sud (Kissinger 2, 1979, pp. 1 164-1 165). Les N-V ont dû disperser leurs troupes au nord de la D.M.Z. pour contrer l’effet des bombardements massifs. Elles seront cependant affectées par de lourdes pertes qui vont entamer leur ardeur.


5 avril 72 : L'U.S. Air Force renforce ses positions en Thaïlande en vue du bombardement d’Hanoi et Haïphong. Il est par contre toujours prévu de ne pas bombarder la zone frontière avec la Chine.

Déclaration de Kissinger au W.S.A.G. : « Notre impression, c’est que nos commandants se sont mis dans la tête que nous attendions d’eux un minimum d’activité et qu’ils recevraient les médailles en quittant le Vietnam au plus vite. Ils ne sont pas assez agressifs. » Des dissensions apparaissent rapidement entre Abrams (soutenu par Laird) et les hôtes de la Maison Blanche. Le commandant en chef ne dispose plus que de forces insuffisantes et on lui demande presque l’impossible alors qu’on l’avait habitué depuis très longtemps à simplement devoir vider les lieux (Kissinger 2, 1979, p. 1163).

De plus, Kissinger note une apathie des « personnels civils » du Pentagone qui rechignent à envoyer des renforts pour des raisons budgétaires et qui sont « avides de se servir de l’offensive pour décider du sort de la vietnamisation ». Ils estiment que les forces sur place sont suffisantes et, en cela, vont contre la volonté de Nixon, du pouvoir exécutif et des visées diplomatiques actuelles du secrétaire à la Sécurité nationale (Kissinger 2, 1979, p. 1 168). Une fois de plus Kissinger se heurte et s’en prend à la bureaucratie de la capitale de l’État fédéral.


5 avril - 12 juin 72 : Siège d'An Loc (250 km au nord Saigon, proche de la frontière cambodgienne) par les troupes communistes qui ont failli prendre la ville, mais sont stoppées le 12 avril par l'A.R.V.N. et son allié américain (évacuation des blessés par hélicoptères ; intervention massive des B-52). On en arrive aux combats de rue et Thieu proclame que la ville doit être défendue « à tout prix ». Il envoie des renforts, y compris sa propre Garde présidentielle. Le siège, particulièrement cruel pour les populations civiles, durera trois mois et se poursuivra jusque début juillet (voir 7 juillet). Selon Kissinger, cette attaque dans son espacement révèle quelques signes de faiblesse des troupes n-v. En retenant les troupes communistes, ce long siège n’ouvre pas aux N-V la route de Saigon (Kissinger 2, 1979, pp.   1 165-1 166).


6 avril 72 : Nixon donne l’ordre au général John W. Vogt, commandant la Seventh Air Force de « se rendre sur place et d’utiliser tous les moyens nécessaires pour changer le cours des événements » afin de stopper l’offensive vietminh par des raids massifs de B-52 (Hanhimäki, 2008, p. 63).

Kissinger et son conseiller militaire Haig préconisent un blocus du N-V par minage de ses ports en vue de ralentir l’offensive. Seule la Chine pourrait alors continuer ses approvisionnements par la frontière commune aux deux États (Kissinger 2, 1979, p. 1 233).

Les Américains font annuler la séance plénière à la conférence de Paris prévue le 13. La séance de négociation secrète du 24 n’est quant à elle pas remise en question et est laissée au bon-vouloir d’Hanoi (Kissinger 2, 1979, pp. 1 167-1 168). Cette séance sera maintenue grâce à la pression (plus ou moins efficace…) des Russes sur Hanoi (Kissinger 2, 1979, p. 1 169). Elle n’aura toutefois pas lieu au final.


9 avril 72 : 28 B-52 supplémentaires sont envoyés à Guam (Kissinger 2, 1979, p. 1 168).


10 avril 72 : Un cinquième porte-avions et un croiseur sont dépêchés vers le golfe du Tonkin. Les conditions météorologiques étant meilleures, les bombardements par B-52 sont autorisés jusqu’au 19e parallèle (Kissinger 2, 1979, p. 1 168).

Selon le témoignage de son chef de cabinet, Bob Haldeman, Nixon pense qu’« il faut absolument jouer le tout pour le tout. » Ce choix est approuvé par Kissinger qui veut toujours obtenir un « délai raisonnable » pour soutenir le S-V mais qui ne se fait aucune illusion sur sa portée réelle (Hanhimäki, 2008, p. 63).

Toutefois, des dissensions apparaissent à nouveau entre Nixon et Kissinger. Le président ne veut plus entendre parler de négociations, là où son secrétaire à la Sûreté nationale considère toujours la diplomatie triangulaire ou celle entreprise avec le N-V comme une arme à manier conjointement avec la force (Kissinger 2, 1979, p. 1 166). Il entend lui aussi utiliser l’habituelle tactique de ses adversaires.

A cette date, Nixon a renoncé à faire une allocution télévisée pour évoquer l’offensive en cours. Il n’envisage de le faire que si les S-V obtiennent un succès (voir 15 avril) (Kissinger 2, 1979, p. 1 169).


12 avril 72 : La séance de négociations secrètes prévue pour le 24 est annulée. Les Russes y espéraient des avancements. Dobrynine la considérait comme « cruciale ». Nixon autorise Kissinger à informer Moscou de son arrivée dans la capitale soviétique pour le 20. Pour Kissinger, « nous avions peu à y perdre et beaucoup à gagner. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 172-  1 173)

Les Chinois font parvenir une note aux U.S.A. par la filière secrète : ils réaffirment leur soutien aux N-V mais font savoir ne sont pas opposés à une normalisation des rapports entre les deux pays (Kissinger 2, 1979, p. 1 175).


13 avril 72 : La séance plénière à la conférence de Paris est finalement annulée (voir 6 avril).


15 avril 72 : Les Américains envoient une note sévère à Moscou reprochant aux Russes de n’être même pas capables de faire pression sur les N-V sur la question de tenir leurs engagements quant aux dates de négociations secrètes (celle du 24) (Kissinger 2, 1979, p. 1 174).


15 - 16 avril 72 : Début des raids aériens par B-52 sur Hanoi et Haïphong (opération Freedom Train) (Hanhimäki, 2008, p. 63). Selon Portes, ils « sont restés très prudents et peu nombreux » (Portes, 2016, p. 86). Faibles réactions des Russes comme des Chinois.

Peu satisfait de l’efficacité des bombardements et totalement excédé, Nixon confie à Kissinger : « Franchement, il n’y aura pas de plus grand plaisir pour moi que de quitter ce bureau et laisser la place à un autre si j’ai détruit la capacité offensive du Nord-Vietnam. Je vous le dis, c’est ce que je pense et je partirai alors avec une conscience dégagée. Henry, nous ne manquerons pas cette chance. Nous allons le faire, et je vais détruire ce damné pays, croyez-moi, je veux dire « détruire » si nécessaire. Et même la bombe atomique si nécessaire. Elle ne sera pas nécessaire mais vous comprendrez ce que cela signifie. Je veux montrer jusqu’où je veux aller. En parlant de bombe atomique, je veux dire que nous allons les bombarder jusqu’à ce qu’ils chient leurs tripes, et si quelqu’un s’en mêle, nous le menacerons de la bombe atomique. » (cité in Portes, 2016, p. 86)

Les N-V rejettent la proposition de séance de négociations secrètes du 24, d’où une reprise et une intensification des bombardements (Kissinger 2, 1979, p. 1 173).


16 avril 72 : Les Américains confirment leur présence à la séance de négociations secrètes du 24 (voir 6 avril) et décident de participer à la séance plénière du 27. Selon Kissinger, les N-V louvoient avec les dates, cherchant à les retarder avec l’espoir dernier d’une victoire militaire d’ici là. Il reconnaît que les Américains en font autant de leur côté avec les mêmes espoirs (Kissinger 2, 1979, p. 1 171). La situation est assez ubuesque : les N-V font savoir qu’ils pourraient participer à la séance du 24 si les séances plénières reprennent… mais, faute d’accord, il n’y aura au final aucune entrevue avant le 2 mai…

Bombardement du secteur Hanoi-Haïphong. Ce secteur n’avait pas été bombardé depuis le 1er novembre 1968 (Burns Sigel, 1992, p. 130).

Protestation officielle des Russes suite à un bombardement qui a endommagé quatre de leurs bateaux dans la rade d’Haïphong, entraînant des pertes humaines (Kissinger 2, 1979, p.           1 174).


20 - 24 avril 72 : Visite de Kissinger à Moscou qui a pour but la préparation du sommet Nixon-Brejnev à venir. Il a estimé au préalable que celui-ci ne pouvait avoir lieu « si l’offensive nord-vietnamienne réussissait » car « il n’était pas question que Nixon aille à Moscou après une humiliation imposée par des armées soviétiques. » (Kissinger 2, 1979, p. 1166)

Au programme, la négociation des accords de désarmement S.A.L.T. mais conditionnée à la situation au Vietnam (linkage strategy, la stratégie du lien). Sur ce deuxième point, Kissinger ne s’attend pas à ce que les Soviétiques lâchent Hanoi. Il veut aussi s’assurer que les intérêts soviétiques évoqués dans le futur sommet n’interfèreront pas avec les actions militaires américaines prévues (Linebacker 1, voir 9 mai). Les États-Unis mettent tout en œuvre sur le terrain diplomatique pour séparer Hanoi de ses alliés traditionnels, mais sans y parvenir. Toutefois, les Russes, tout en soutenant les N-V, les poussent à négocier et ne veulent surtout pas que le conflit secondaire et périphérique du Vietnam interfère au niveau de la négociation planétaire. Les N-V n’ont d’ailleurs pas réussi à obtenir l’annulation de ce sommet (Portes, 2016, p. 84). Les relations entre Hanoi et Moscou sont par ailleurs parfois tendues (voir 10 mai).


24 avril 72 : Puissante offensive des N-V dans les montagnes du centre du S-V. Les capitales provinciales de Kontum et Pleiku sont attaquées. An Loc, située à une centaine de kilomètres au nord de Saigon, subit de nouveaux assauts.


25 avril 72 : Le voyage secret de Kissinger à Moscou est rendu public.


26 avril 72 : Nixon confirme l’annonce faite trois mois plus tôt avec le retrait supplémentaire de 70 000 soldats américains. 20 000 hommes doivent quitter le S-V en mai et juin. Kissinger, toujours en désaccord avec le président, note qu’« à ce rythme-là, il ne nous resterait bientôt plus suffisamment de troupes sur place pour peser dans les négociations. » Laird (Défense), pour satisfaire l’opinion publique propose le rappel de 54 000 hommes entre le 1er mai et le 31 décembre. Il demeurerait alors 15 000 hommes au Vietnam. Au vu de la situation actuelle, Kissinger désapprouve. Nixon revoit cette diminution d’effectifs à la baisse en consultant Abrams et en la différant au maximum. Kissinger observe alors : « Nos bombardements pouvaient susciter une juste indignation, ils n’en demeuraient pas moins notre seule solution. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 221-1 222)

Au mois de mars, Nixon et Kissinger ont demandé la rédaction d’un National Security Study Memorandum, sur la situation au Cambodge. Ce document est remis le 26 avril. Il porte un regard très sombre sur la situation de guerre civile après l’échec de l’offensive Chenla 2. Le document estime qu’un changement de dirigeants politiques interviendra dans les 18 mois (sans prévoir pour l’instant l’écroulement qui va se produire). Le N.S.S.M. estime que les États-Unis ne doivent pas intervenir dans l’évolution politique du pays tout en pointant les défauts du régime de Lon Lol : « Il donne l’impression d’un cavalier chevauchant un cheval quelque peu rebelle, dont il ne parvient pas à contrôler les actions ». Les États-Unis ont donc parié, une fois de plus, sur un mauvais « cavalier ». Les populations ont pris conscience de      « la réalité froide et dure que l’ennemi à combattre était expérimenté, adroit et tenace. » Celui-ci a d’ailleurs réussi, à « khmériser la guerre » sous la bannière de Sihanouk et des KR : « […] l’assertion que l’ennemi est un agresseur étranger pourrait devenir de moins en moins plausible auprès de la population khmère. » (Coppolani, 2018, p. 73)


26 - 27 avril 72 : Au Cambodge, manifestations étudiantes pour exprimer les déceptions provoquées par la politique du régime Lon Lol. La police tire, tue ou blesse une trentaine de personnes. Des centaines de jeunes rejoignent le F.U.N.K.


27 avril 72 : Attaque n-v contre la ville de Quang Tri au nord qui tombera le 1er mai. L’armée s-v subit de lourdes pertes et ne se montre toujours pas à la hauteur : pas de plan de retraite, abandon des troupes par les officiers. Le reflux de troupes et de civils vers Hué sous des bombardements n-v intensifs ajoute à la panique. Kissinger estime le nombre de victimes à 20 000 qui sont, pour la plupart, des civils. Nixon refuse cependant de bombarder à nouveau Hanoi et Haïphong avant la rencontre avec Le Duc Tho du 2 mai. Kissinger estime que si rien ne s’y produit, il faudra alors agir avec force (Kissinger 2, 1979, pp. 1 222-1 223).


29 - 30 avril 72 : 700 raids de B-52 sur le N-V. 66 000 militaires américains demeurent au S-V (Burns Sigel, 1992, p. 130).


30 avril 72 : Nixon planifie une nouvelle attaque de B-52 sur Hanoi et Haïphong pour la période du 5 au 7 mai. Il pense même annuler sa venue à Moscou si la situation empire (Kissinger 2, 1979, p. 1 223).

Au Cambodge, alors que le régime est de plus en plus impopulaire, un référendum (truqué) organisé dans les zones contrôlées par le régime républicain approuve une nouvelle constitution et légitimisme les pouvoirs de Lon Nol. Les observateurs internationaux s’interrogent sur le sens d’une consultation électorale organisée en temps de guerre dans un pays occupé aux deux tiers par les forces adverses (Sihanouk, 1979, p. 258).

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