Avril 71 : Un sondage portant sur la condamnation du lieutenant Calley dans l’affaire de My Laï indique que 79 % de la population américaine désapprouve le verdict de culpabilité. 69 % estiment que Calley a servi de bouc émissaire. Seule une majorité de la presse défend le verdict rendu et s’indigne de la faiblesse des sanctions à l’égard du haut-commandement, notamment au sujet du général Koster qui a étouffé l’affaire et n’a reçu qu’un simple blâme (Carval in collectif, 1992, p. 229)
1er avril 71 : La chambre des Représentants vote et va voter une série de résolutions en faveur d’un retrait américain et ce, jusqu’en octobre. Elles seront toujours rejetées mais avec une marge qui, au fil du temps, se réduit comme une peau-de-chagrin (Kissinger 2, 1979, p. 1 098).
Dans l’affaire de My Laï, Nixon ordonne le placement du lieutenant Calley en résidence surveillée au fort militaire de Benning en attendant la révision de son procès (Carval in collectif, 1992, p. 229)
2 avril 71 : Au Cambodge, retour de Lon Nol d’Hawaï suite à son hospitalisation pour une crise d’hémiplégie (voir 13 février). Le général, diminué physiquement et intellectuellement, revient avec des séquelles.
3 avril 71 : Dans l’affaire de My Laï, Nixon annonce qu’il décidera personnellement de la condamnation du lieutenant Calley à l’issue de la procédure d’appel. Allant à l’encontre de l’opinion publique qui est plutôt favorable à Calley, la majorité de la presse condamne cette intervention du pouvoir exécutif dans le domaine judiciaire. 83 % des Américains soutiennent alors le président (Carval in collectif, 1992, pp. 229-230)
6 avril 71 : Dans un éditorial, le New York Times considère Thieu comme un obstacle aux négociations entre Américains et N-V : « Saigon n’a le choix qu’entre deux solutions, ou bien elle poursuit la guerre pour une durée indéterminée, ou elle négocie une solution de compromis. Toute initiative destinée à élargir le gouvernement de Saigon et à ouvrir des élections de cette année aux communistes, s’ils acceptent un cessez-le-feu, représenterait un progrès utile vers une solution politique. » (cité in Kissinger 2, 1979, p. 1 067)
7 avril 71 : Nixon annonce lors d’une intervention télévisée le retrait de 100 000 soldats américains supplémentaires d'ici à la fin de l'année. Il ajoute : « Je peux déclarer que la vietnamisation a réussi » alors que la récente opération sur Tchepone a prouvé tout le contraire. A Saigon, les réactions de la population montrent que la première opération menée par l’armée s-v a été ressentie comme catastrophique. Y apparaissent rapidement des manifestations anti-américaines dénonçant un lâchage des U.S.A. à l’égard du S-V.
8 avril 71 : Déclaration de Kissinger lors d’« une conférence de presse officieuse » : il dénonce les critiques à l’égard de la vietnamisation du conflit et l’idée de lâcher le S- V « après sept année de guerre et le sacrifice de 40 000 victimes » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 068- 1 069).
Mi-avril 71 : En séance plénière à la conférence de Paris, Xuan Thuy met au défi les U.S.A. de fixer une date pour assurer leur retrait définitif. En échange de ce dernier, Hanoi garantirait une évacuation en toute sécurité et des discussions sur le sort des prisonniers. Kissinger estime ne pas devoir répondre à ces propositions qui ont déjà été faites en 1970. Il estime la conclusion d’« un cessez-le-feu séparé » comme tout à fait impensable (Kissinger 2, 1979, p. 1 071).
16 avril 71 : Nixon tente à nouveau de mobiliser des soutiens ouvriers du secteur du bâtiment contre les manifestants du V.V.A.W. Mais, cette fois, la tentative n’aboutit pas (Prados, 2011, p. 40-41).
Le magazine Life dénonce « un retrait qui se prolonge et dure indéfiniment [et qui] ressemble trop à une guerre prolongée et de durée indéfinie […] Un pays qui trouve la guerre intolérable trouvera aussi cette perspective inacceptable. » (cité in Kissinger 2, 1979, pp. 1 066-1 067)
Au cours d’un déjeuner à Pékin avec des journalistes, Sihanouk leur déclare : « Les Russes pensent que je suis la marionnette des Chinois. » Il prend ses distances avec l’U.R.S.S. qui, estime-t-il, ne lui fournit qu’un « appui verbal » mais « aucune aide » concrète. C’est, selon lui, cette réticence soviétique qui explique l’actuelle faible reconnaissance diplomatique du G.R.U.N.K. (voir 25 septembre 1970) à travers le monde. Même l’O.N.U. n’a reconnu que la représentation de la République khmère de Lon Lol (Tong, 1972, pp. 212-213).
18 avril 71 : Les V.V.A.W. entrent à Washington au compte-gouttes. Le soir, ils sont 900 inscrits auprès des organisateurs (Prados, 2011, p. 42). Ils ont intitulé cette opération Dewey Canyon III, faisant ainsi une ironique référence à deux autres opérations secrètes d’infiltration accomplies au Cambodge sous le même nom.
19 - 20 avril 71 : Suite à l’invasion du Laos, les V.V.A.W. décident de faire une marche à Washington, le jour des Patriotes. Les différentes actions symboliques et médiatiques se dérouleront principalement du 19 au 25 avril.
Le 20, un millier d’anciens combattants se rendent au cimetière d’Arlington, certains en chaises roulantes, d’autres avec des béquilles. Ils arborent souvent une tenue militaire bardée de symboles pacifistes et portent généralement les cheveux longs. Sur ordre des autorités, le cimetière a été fermé. Des mères ou veuves dont les maris ou fils ont été décorés sont à la tête de la marche. Sur intervention de John Kerry et Scot Camil, le cimetière n’est pas pris d’assaut et les manifestants se contentent de déposer des gerbes devant la porte principale. Les marcheurs se dirigent ensuite vers le Capitole. Quatre membres du Congrès, démocrates et républicains, s’adressent alors à la foule. Le fondateur des V.V.A.W., Jan Barry, leur présente 16 exigences pour mettre fin au conflit.
Le 20 encore, les V.V.A.W. prennent part à des auditions au Congrès. Ils défilent en cassant des fusils M-16 en plastique (Gibault in collectif, 1992, p. 77). Nixon et Hoover (directeur du F.B.I.) tentent de discréditer le mouvement en accusant certains de leurs membres de n’être pas de véritables combattants (voir 22 avril) (Prados, 2011, p. 41 et pp. 47-48). Le soir, Walter Cronkite ouvre son très médiatique journal du soir du CBS Enening News sur l’événement (Prados, 2011, pp. 43-44).
Un rapport du M.A.C.V. indique l’augmentation des actions de fragging (violences commises par les soldats envers leurs supérieurs). Le commandement américain reconnaît 34 décès au cours de 209 actions de fragging pour l’année 1970 (contre 96 pour l’année 1969) (Burns Siger, 1992, p. 126).
21 avril 71 : Entre 2 000 et 2 300 vétérans de la guerre du Vietnam manifestent dans les rues de Washington en faveur de la paix. Ils ont déclenché ironiquement depuis le 19 l’opération Dewey Canon III en imitant le nom deux autres opérations (Dewey Canon I et II) qui avaient trait à des incursions secrètes au Cambodge. Ils décrivent par dérision leur opération comme « une incursion limitée dans le district de Columbia » (Gibault in collectif, 1992, p. 78).
Long débat judiciaire autour du campement des V.V.A.W. qui occupent le National Mall. Face à la décision d’évacuation par la Cour suprême, les camions censés amener les troupes chargées de l’évacuation sont sabotés. Un périmètre de sécurité est organisé par les anciens militaires qui bravent les décisions de justice. Des négociations sont menées par un pouvoir mis à mal par l’affaire (Prados, 2011, pp. 44-46).
Un contingent d’anciens combattants marche en direction du Pentagone. Leur objectif : se livrer comme criminels de guerre. Les autorités refusent de les recevoir et certains d’entre eux font de nouveau un spectacle de théâtre de guérilla devant le ministère de la Justice. Ils campent sur le National Mall et le lendemain un groupe fait un sitting devant la Cour Suprême. On les expulse mais ils sortent les mains derrière la tête, à la manière de prisonniers de guerre (Debouzy, 2003, p. 31 ; Gorin, 2006, p. 20).
Au Cambodge, le général Lon Lol, malade suite à une crise d’hémiplégie qu’il est allé faire soigner à Hawaï (voir 13 février), démissionne temporairement et se fait nommer au grade de maréchal (Cambacérès, 2013, p. 178).
22 avril 71 : 110 vétérans sont arrêtés sur les marches de la Cour Suprême où ils sont allés demander que l’instance déclare la guerre comme inconstitutionnelle. Face aux tentatives de discréditation du mouvement des V.V.A.W. par la Maison Blanche (voir 20 avril), John Kerry les dénonce avec éloquence devant la commission des Affaires étrangères du Sénat en remettant en cause la finalité de cette guerre et sa violence à l’égard du peuple vietnamien (Prados, 2011, pp. 48-49 ; extraits de son discours in Gorin, 2006, p. 20). Il termine son intervention en ajoutant : « Alors, dans trente ans, quand nos frères se promèneront dans la rue avec une jambe en moins, un bras, ou un visage en moins, et que des enfants demanderont « pourquoi ? », nous pourrons leur répondre : « le Vietnam ». Et par là, nous n’évoquerons pas un souvenir immonde et obscène, mais plutôt un endroit où l’Amérique aura finalement décidé de faire marche arrière, avec l’aide de soldats comme nous. » Le soir, les vétérans se rendent devant la Maison Blanche en cortège organisé sous forme de marche au flambeau.
23 avril 71 : Poursuite de la manifestation pacifiste des V.V.A.W. à Washington : « […] le jour suivant, 23 avril, en présence des parents de certains d’entre eux, ils marchèrent vers le Capitole et jetèrent leurs médailles par-dessus la clôture qui avait été érigée pour empêcher les manifestants d’avoir accès au Congrès. » (Debouzy, 2003, p. 31 ; Prados, 2011, p. 49 ; Gorin, 2006, pp. 20-21). La plupart des jets de médailles s’accompagne d’une prise de parole, expliquant au public le sens du geste. La scène est filmée.
Discussion entre Nixon et Kissinger : « gagner la guerre » devient un simple « s’en sortir honorablement », tout en ne lâchant pas le S-V (Portes, 2016, p. 57).
24 avril 71 : Manifestations pacifistes massives regroupant 500 000 personnes à Washington, 150 000 à San Francisco et dans d’autres grandes villes dont New York (Prados, 2011, pp. 31-51). Elles sont inspirées par deux groupes rivaux issus de la New Mobe, dissoute en 1970 : La National Peace Action Coalition et la People’s Coalition for Peace and Justice (Portes, 2008, p. 250).
Selon Debouzy, « le 24 avril était le jour de la grande manifestation prévue par les organisations. Les manifestants arrivèrent en masse – 25 000. En tête se trouvaient plusieurs centaines de soldats et d’anciens combattants, dont de nombreux mutilés. Avant de se mettre en mouvement ils poussèrent de terribles cris de guerre et des sifflets. L’offensive de printemps se poursuivit par une prière de masse des Quakers devant la Maison Blanche, des rassemblements et des manifestations diverses. » (Debouzy, 2003, p. 31) Le F.B.I. intervient de manière tracassière pour tenter de minimiser le nombre de manifestants. Adoptant une position ambiguë, Nixon tente alors de récupérer le mouvement contre les « faucons » de son camp (Prados, 2011, pp. 34-38).
Le général Walters propose aux N-V la reprise des négociations secrètes « sur la base de nouvelles méthodes ». Hanoi ne répondra que le 14 mai à cette offre (Kissinger 2, 1979, p. 1072).
25 avril 71 : 6 vétérans sont invités à aller s’exprimer à la télévision (Gibault in collectif, 1992, p. 78).
Dans un éditorial, le New York Times demande à Nixon de cesser « de se leurrer aussi cruellement sur la vietnamisation » et de déclarer « sans ambiguïté son intention de se retirer du Vietnam » après avoir conclu un accord sur les prisonniers américains avec les N-V. (Kissinger 2, 1979, p. 1 067).
30 avril 71 : À Washington, plus de 2 000 manifestants encerclent le ministère de la Justice en bloquant toutes les entrées (Debouzy, 2003, p. 31). Le F.B.I. les infiltre et tente, sur ordre du gouvernement, de s’opposer à la manifestation.