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par Jean-François Jagielski

Avril 1968

Avril 68 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine envers le conflit au Vietnam : pour 40 %, contre 48 %, sans opinion 12 % (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60). Les événements du Têt n’ont pas provoqué de changements notables dans l’évolution de l’opinion publique (voir février et mars). Portes note qu’il n’en a pas été de même « dans le monde de l’information et de la politique » où la critique de la guerre se fait progressivement de plus en plus virulente (Portes, 2008, p 198).


1er avril 68 : L’opération Pegasus est déclenchée avec 30 000 hommes pour briser le siège de Khe Sanh que certains avaient comparé à un Dien Bien Phu américain (Férier, 1993, p. 106).

Attaque aérienne sur la ville de Thanh Hoa (au sud de Nam Dinh). Il s’agit d’un nœud de communication important très proche de la limite du 20e parallèle. Selon LBJ, cette nouvelle attaque est rapidement critiquée par le Congrès et la presse (Johnson, 1972, p. 594).


2 avril 68 : Suite à l’attaque aérienne de la veille, LBJ donne des instructions à Wheeler (président des chefs d’état-major) pour que le commandement militaire du Pacifique choisisse des cibles qui ne pourront être contestées ni par la presse ni par le Congrès (voir ci-dessous). Une seconde attaque sur Thanh Hoa est donc déprogrammée (Johnson, 1972, p. 594).

Le sénateur démocrate Fulbright prononce un discours au Sénat. Il estime que la restriction des bombardements en vigueur depuis le 31 mars ne représente qu’« une modification très limitée de la politique existante ». Il juge par ailleurs que cette restriction ne pousserait nullement Hanoi dans des pourparlers de paix. Ces paroles étonnent LBJ qui ne partage pas son avis : restreindre les bombardements « sur plus du trois quarts du Nord-Vietnam, zone où vivaient 9 sur 10 des Nord-Vietnamiens […] c’était beaucoup plus qu’une « modification limitée » de notre mode d’action. » (Johnson, 1972, p. 593). Ce discours provoque des polémiques entre élus démocrates du Sénat. Mike Mansfield, Richard Russel et Frank Lausche prennent la défense du président qui les avait avertis de sa décision sur la limite du 20e parallèle avant son discours du 31 mars. Johnson voit dans ces polémiques parlementaires un prétexte à ce que les N-V retardent leur réponse aux propositions américaines. Ce qu’ils ne feront pourtant pas (Johnson, 1972, pp. 594-595).

En France, le ministre de l’Intérieur, Christian Fouchet, adresse aux préfets une circulaire  qui leur prescrit d’inviter tout déserteur américain à quitter le territoire français. La conjonction de l’ouverture des négociations américano-vietnamiennes à Paris et la proximité des événements de Mai 68 permettra aux services du ministère de l’Intérieur de concrétiser des mesures plus répressives que jusqu’alors (voir 12 juin) (Journoud, 2016, p. 74).


3 avril 68 : A la surprise des Américains, le Vietminh accepte pour la première fois l’offre de négocier par un communiqué diffusé sur Radio-Hanoi. Il n’évoque pas de conditions particulières, il est simplement mentionné que « le gouvernement de la République démocratique du Vietnam se déclare prêt à envoyer ses représentants prendre contact avec les représentants américains pour décider avec le gouvernement américain de la cessation inconditionnelle des bombardements et de tous les autres actes de guerre contre la République démocratique du Vietnam, afin que des pourparlers puissent commencer. » (cité in Johnson, 1972, p. 594) Cette décision est prise alors que le président américain n’a effectué ni le retrait de ses troupes ni la fin des bombardements. Le N-V se dit prêt à négocier pour plusieurs raisons. Il se sait affaibli par les bombardements au Nord. Le F.N.L., lui aussi très affaibli après le Têt, doit gagner du temps car ce sont presqu’uniquement sur ses épaules que reposent tous les combats au Sud. C’est aussi un moyen pour le N-V d’obtenir une tribune publique mondiale pour mieux dénoncer l’impérialisme américain (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 627 ; Portes, 2016, p. 27).

A 15 heures, LBJ retrouve ses principaux conseillers. Rusk est absent car participant à une conférence de l’O.T.A.S.E. en Nouvelle Zélande. C’est Katzenbach (sous-secrétaire d’État) qui assure l’intérim. Sont présents Clifford (Défense), Wheeler (commandant des chefs d’état-major), Helms (C.I.A.), Rostow (Sécurité nationale), Taylor (conseiller spécial du président), William Bundy (sous-secrétaire d’État aux Affaires d’Extrême Orient). LBJ a demandé la venue des ambassadeurs Goldberg (O.N.U.), Harriman (ambassadeur extraordinaire, chargé de négocier avec les N-V) et Llewellyn A. Thompson (ambassadeur à Moscou, futur négociateur à Paris). Tout le monde est d’accord pour donner une réponse positive mais avec les habituelles nuances d’intensité.

LBJ écoute les points de vue puis demande à Clifford, Katzenbach et Goldberg de le rejoindre dans la salle du Traité. Il leur demande de rédiger un projet de déclaration à lui soumettre ainsi qu’à ses conseillers. Il les incite à la prudence : « Nous ne devons laisser personne se flatter d’un trop grand espoir. Il faut nous rendre compte que nous sommes encore loin de la paix. » Il ajoute : « Il y a deux choses à faire : la première, c’est d’aller trouver l’ambassadeur Bunker pour lui expliquer ce que nous pensons ; la seconde, c’est de publier une déclaration positive dès maintenant. Je veux bouger, mais je ne veux pas me précipiter. » Le président décide alors de prononcer une déclaration publique. Après avoir rappelé une partie du texte de sa déclaration du 31 disant que « les États-Unis étaient prêts à envoyer leurs représentants en tout lieu, à tout moment, pour discuter des moyens de mettre fin à cette guerre », il ajoute : « Conformément à cette déclaration, nous allons prendre contact avec les représentants du Nord-Vietnam. Des consultations avec le gouvernement du Sud-Vietnam et nos autres alliés sont en cours. »

Le soir est publié un communiqué officiel disant qu’après avoir lu la déclaration n-v, les États-Unis étaient disposés à accepter ses propositions. Averell Harriman sera prêt à rencontrer les négociateurs n-v à Genève le 8 avril. Si cette proposition ne convient pas, les États-Unis sont prêts à accepter « toute autre suggestion raisonnable » quant à la date ou au lieu. Le message transite par l’ambassade américaine à Vientiane et sera transmis aux N-V à minuit, heure de Washington (Johnson, 1972, pp. 597-598).

Les Chinois font connaître leur réprobation suite à la décision n-v prise sans les consulter d’organiser des manifestations devant les consulats vietnamiens de la R.P.C. à Hanoi (De Quirielle, 1992, p. 181). HCM, toujours soigné en Chine, apprend la nouvelle des éventuelles négociations entre le N-V et les U.S.A. de son lieu de convalescence.

LBJ redonne de nouveaux ordres pour que les attaques aériennes programmées ne puissent donner lieu à contestation. Pour plus de sécurité, il fixe la limite d’intervention plus au sud, au niveau du 19e parallèle, sauf instruction particulière du commandement. Cette nouvelle limite n’est pas révélée publiquement. Selon LBJ, plus aucun bombardement ne fut plus programmé au-delà du 19e parallèle jusqu’à la fin de son mandat (Johnson, 1972, p. 594).


4 avril 68 : Suite à l’annonce s-v de la veille, Thieu convoque un C.N.S. Les S-V font savoir qu’il ne peut y avoir de pourparlers bilatéraux entre les U.S.A. et le N-V sans que leur pays n’ait largement voix au chapitre. C’est le début d’un vaste marché de dupes durant lequel les questions politiques inhérentes au sort du S-V sont délibérément mises de côté par les Américains au profit d’une solution militaire leur permettant de sortir du conflit « la tête haute », selon l’expression chère au futur président des États-Unis (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 160).

Assassinat de Martin Luther King à Memphis qui provoque une vaste flambée de violence dans tous les U.S.A. 110 villes sont touchées par des destructions de bâtiments ou des incendies. 46 personnes sont tuées dans les affrontements et 200 000 personnes sont arrêtées. Cette violence est avant tout raciale et le fait que King soit devenu un opposant au conflit vietnamien n’est pas la cause principale des émeutes (Portes, 2008, p 209). LBJ, qui devait se rendre à Honolulu pour y rencontrer Westmoreland, renonce à ce voyage en cette période troublée.

LBJ décide que le nombre total de soldats au Vietnam ne dépassera pas les 550 000 hommes. La demande des 200 000 hommes supplémentaires faite par les militaires est donc définitivement rejetée. Pour autant, le président ne relâche la pression ni sur les bombardements qui triplent ni sur les opérations search ans destroy qui atteindront leur maxima en 1968 (Wainstock, Miller, 2019, p. 243).

2 journalistes du Los Angeles Times publient un article qui revient sur les premières négociations initiées par le groupe Pugwash et que les Américains ont nommé « la filière Pennsylvania » (septembre-octobre 1967). L’article est intitulé Unheralde Emissaries Opened way to Hanoi (« Des émissaires discrets ont ouvert la voie vers Hanoi ») déclenche la fièvre dans les médias. Selon Aubrac, cet article mêle vérités et inexactitudes. Il omet de préciser que ces négociations n’ont pu aboutir du fait du non-respect d’une condition incontournable pour les N-V : l’arrêt des bombardements sur le N-V pour enclencher un processus de négociation. Aubrac et Marcovitch sont submergés de sollicitations de la presse mais refusent d’y répondre. Aubrac pense que la sortie de ce « scoop » a été initiée par Kissinger : « Il nous semblait très probable que Henry Kissinger ou son entourage immédiat en était à l’origine. En effet, il était du petit nombre disposant d’une connaissance suffisante du dossier  pour être à même de distordre la présentation ». (Aubrac, 2000, p. 354)

7 conscrits américains en France remettent solennellement à Jean-Paul Sartre et Alfred Kastler leur carte d’appel sous les drapeaux pour les renvoyer au Pentagone (Journoud, 2016, p. 70)


5 avril 68 : Levée progressive du siège de Khe Sanh par les troupes n-v.


6 avril 68 : Par des canaux non officiels (journalistes présents à Hanoi), les N-V font savoir que l’amorce des négociations pourraient se tenir à Phnom Penh « ou dans un autre endroit faisant l’objet d’un accord mutuel ». Pour éviter toutes fuites dans la presse, les Américains font savoir par la voix de George Christian (attaché de presse à la présidence) que les États-Unis « n’ont pas encore reçu de réponse officielle ». Il évoque des « messages […] transmis par des personnes privées qui se trouvaient à Hanoi » mais qui ne peuvent être considérés comme satisfaisants en l’état. L’attaché de presse précise : « Nous espérons recevoir très bientôt la réaction officielle d’Hanoi. » (Johnson, 1972, p. 599)


8 avril 68 : La base de Khe Sanh est finalement libérée après 77 jours de siège. Pour autant, elle sera abandonnée le 27 juin.

Les N-V font officiellement connaître le lieu où pourrait avoir lieu l’amorce des négociations : Phnom Penh. La proposition américaine de Genève est donc retoquée. C’est une ruse des N-V. Car le Cambodge pose un problème aux Américains qui n’entretiennent pas de bonnes relations avec Sihanouk, et n’ont donc ni relations diplomatiques ni ambassade et n’y disposent d’aucune infrastructure de communication. Mais, comme le rappelle Clifford au président, il a été dit dans le discours du 31 mars « n’importe où, n’importe quand » (Johnson, 1972, p. 600).

LBJ se rend au soir à Camp David.


8 avril - 31 mai 68 : Lancement de la très vaste opération Toan Thang Phase I : 42 bataillons américains (110 000 hommes) et 37 de l’A.R.V.N. traquent les forces communistes autour de Saigon. Les alliés compteront près de 10 000 morts dans ces combats où pourtant l’aviation intervient massivement (Portes, 2008, p 207).


9 avril 68 : LBJ reçoit l’ambassadeur Bunker à Camp David. Rusk (secrétaire d’État), Clifford (Défense) et Wheeler (président des chefs d’état-major) sont sur place. L’ambassadeur fait un bilan de la situation au S-V, évoquant, selon les mémoires de Johnson, « les bonnes choses et les mauvaises, les difficultés et les réussites. » Thieu a annoncé augmenter les effectifs de son armée à 135 000 hommes puis encore de 25 000. Clifford assure qu’ils seront tous équipés de M-16 dès juin. Puis ce sera le tour des forces régionales et populaires d’obtenir la même dotation.

Averell Harriman (ambassadeur extraordinaire chargé de mener les négociations avec les N-V) et William Bundy (secrétaire d'État adjoint pour les affaires d'Extrême-Orient) arrivent pour le déjeuner. On discute des véritables intentions des N-V, tout en demeurant très prudent quant à leur véritable intention de négocier. On travaille sur les instructions à donner aux négociateurs : à défaut de moyens de contrôle mis en place, la surveillance aérienne est de mise ; pour l’accord sur les opérations terrestres, la première exigence est la remise en place de la D.M.Z. telle qu’elle avait été définie à Genève en 1954 ; toute discussion  concernant l’avenir du S-V doit faire intervenir son gouvernement. Un message est adressé aux N-V via l’ambassade de Vientiane : on propose d’autres lieux que Phnom Penh. Une première rencontre pourrait avoir lieu dès le 15. Une prompte réponse est demandée par les Américains (Johnson, 1972, p. 601-603).


11 avril 68 : L’agence TASS annonce que les N-V ont choisi Varsovie comme lieu de rencontre. Les Américains considèrent que c’est une seconde ruse, après celle de Phnom Penh. L’amorce des pourparlers pourrait avoir lieu le 18. Le négociateur n-v serait Ha Vau Lau qui avait déjà officié lors des négociations de Genève pour le Laos en 1962. Fort de l’expérience de la Corée, LBJ est défavorable à Varsovie, soutien affirmé du régime d’Hanoi. Les Américains n’y ont, comme à Phnom Penh, ni relations diplomatiques ni ambassade ni infrastructures de communication. De Plus, la Pologne fournit des armes aux N-V et n’est donc pas un pays neutre. Le bras de fer se poursuit quant au lieu de la rencontre. La réponse américaine est donc une fin de non-recevoir (Johnson, 1972, pp. 603-604).


13 – 20 avril 68 : Le premier ministre n-v Pham Van Dong se rend à Pékin. Lors de pourparlers avec Zhou Enlaï, ce dernier reproche au Lao Dong de n’avoir pas exigé l’arrêt total des bombardements avant d’avoir accepté d’entamer des pourparlers avec les Américains à Paris. La position chinoise se durcira encore par la suite (voir 7 mai) (Marangé, 2012, p. 332).


18 avril 68 : Poursuite du bras de fer sur le lieu des éventuels pourparlers. Les Américains font de nouvelles propositions de villes en Asie (leur préférence) mais cette fois présentent également des villes européennes. Le 19, Radio-Hanoi rejette ces propositions et accuse les Américains d’y mettre de la mauvaise volonté. De leur côté, les Américains estiment qu’Hanoi joue la montre et observent que la suspension des bombardements permet à leur ennemi de déplacer sur ce temps des troupes et de l’approvisionnement (Johnson, 1972, pp. 604-605).

Du fait des bonnes relations entre la France et le N-V, le ministre des Affaires étrangères français, Maurice Couve de Murville, déclare que « si les États-Unis et la République démocratique se mettent d’accord sur le choix de Paris [pour les négociations], la France n’y aurait pas d’objection et serait au contraire heureuse d’apporter sa contribution à la solution d’un problème difficile. » (cité in De Quirielle, 1992, p. 152) Ses vœux seront exaucés.


19 avril – 17 mai 68 : L’opération Delaware-Lam-Son 216  est lancée pour nettoyer la vallée d’A Shau (Centre Vietnam, au sud-ouest de Hué). Cette opération est américano-sud-vietnamienne. La 1ère division de cavalerie aéroportée et ses puissants moyens y sont impliqués. L’opération vise à contrôler cette vallée à la frontière laotienne d’où s’infiltrent troupes et matériel en provenance de la piste HCM et où ont été concentrées de nombreuses troupes n-v et vietcong après les batailles de Khe Sanh et Hué. Après de durs combats, les troupes communistes parviendront cependant à s’échapper vers le Laos et à réoccuper ultérieurement la vallée.


29 avril 68 : A la salle de la Mutualité à Paris, prise de parole de James Forman considéré comme le « ministre des Affaires étrangères » des Panthères noires devant une dizaine de déserteurs et d’insoumis américains (Journoud, 2016, p. 70).


30 avril 68 : LBJ réunit ses principaux conseillers. Le Pentagone a sélectionné entre le 19e et le 20e parallèle 4 objectifs militaires jugés importants en vue d’un bombardement. LBJ estime que les bombardements ont été stoppés depuis 30 jours et n’ont donc pas lieu d’être dans l’immédiat.

Les propositions n-v sur le lieu d’une éventuelle rencontre s’éternisent et ne conviennent pas aux Américains. LBJ demande donc à Wheeler s’il faut reprendre les bombardements. Réponse positive de l’intéressé qui lui indique que « hommes et matériels descendent rapidement vers le Sud. » Mais, au final, le président décide une nouvelle fois de temporiser (Johnson, 1972, pp. 605-606). Bien lui en prend car la situation va se débloquer le 3 mai.

Au Cambodge, des troubles agitent toujours la région de Battambang (région de Samlaut, voir 11 mars 1967). Sihanouk déplace le gouverneur mais rien n’y fait. Il ordonne une répression en envoyant l’armée. Le mouvement est maté mais cette violence endémique ne fait qu’entretenir tensions et rancœurs dans un pays déjà fortement meurtri (Ponchaud, 2005, p. 178).

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