Dernière modification le il y a 2 semaines
par Jean-François Jagielski

Avril 1967

Avril 67 : Zhou Enlaï rappelle à Giap et au premier ministre Pham Van Dong que le Chine est opposée à une offensive générale voire à une victoire rapide. Une fois de plus, les Vietnamiens ne tiendront pas compte de cet avis lorsqu’ils monteront leurs futures puissantes opérations (Marangé, 2012, p. 331).

LBJ nomme le général Creighton Abrams adjoint de Westmoreland. Il sera son futur successeur à la tête du M.A.C.V. (voir 3 juillet 1968). Il est pour l’instant chargé de la formation et de l’accompagnement de l’armée s-v, en vue de la future « vietnamisation » du conflit voulue par LBJ (Johnson, 1972, p. 317).


Avril – mai 67 : Dans le secteur de Khe San, au cours d’opérations search and destroy, les forces spéciales et les Marines américains envoyés en renfort observent, découvrent et attaquent des forces n-v de l’ordre d’un bataillon sur les sommets des collines 881 qui entourent la base aéroterrestre (Herr, 1980, pp. 113-116).


1er avril 67 : Promulgation de la constitution de la deuxième république au S-V. Elle a été rédigée sur le modèle américain avec une présidence quadriennale, un Sénat (voir 2 septembre) et une chambre des Représentants (voir 22 octobre). Elle avait été annoncée par Ky à grand renfort de publicité lors de la conférence de Guam (voir 20 - 21 mars).


2 avril 67 : Au Cambodge, soulèvement paysan dans le sud de la province de Battambang : la révolte de Samlaut se poursuit. Des soldats gouvernementaux sont tués. Des centaines de personnes prennent le maquis. Après avoir admis le bien fondé des revendications paysannes et la corruption des autorités provinciales, Sihanouk attribue la responsabilité du soulèvement aux communistes.

La répression, orchestrée par Sihanouk, est à la fois féroce et durable : villages bombardés par l'aviation, massacre des paysans. Les troubles se poursuivront pourtant jusqu'en août. Et le mouvement de répression bien au-delà (Tong, 1972, pp. 148-149).

3 rebelles kr sont arrêtés suite à l’attaque d’un camp de la jeunesse à Stung Kranhun puis d’un poste de la garde provinciale à Samlaut. A la suite de leurs interrogatoires, 3 personnalités kr sont particulièrement mises en cause : Khieu Samphan, Hou Yuon et Hu Nim (tous trois députés). Menacés d’être déchus de leur mandat parlementaire et jugés par un tribunal militaire sur requête du premier ministre Lon Lol, ils prennent la fuite. Les deux premiers en avril et le troisième en septembre (Sihanouk, 1979, p. 244).


4 avril 67 : Martin Luther King dénonce « le plus grand responsable de la violence dans le monde : mon gouvernement. » (Portes, 2008, p 161).


5 avril 67 : Ellsworth F. Bunker est nommé ambassadeur des U.S.A. à Saigon en remplacement de Lodge. Il présentera ses lettres d’accréditation le 28 avril. Il se fixe plusieurs objectifs : unification des agences civiles et militaires, légitimer le gouvernement s-v, pacifier les zones rurales, inciter le gouvernement s-v au développement économique pour améliorer les conditions de vie de la population. LBJ l’a apprécié « pour sa compétence, son discernement et son sang-froid lorsqu’il avait été attaqué durant la crise dominicaine. » (Johnson, 1972, p. 315)


6 avril 67 : LBJ adresse une seconde lettre à HCM par le canal de Moscou suite à la réponse négative de ce dernier du 15 février. Après avoir exprimé sa déception, il confirme ses offres antérieures : discuter d’un règlement et stopper les combats ou prendre en commun des mesures de désescalade en vue d’une négociation. Il en appelle au respect des accords de Genève de 1954 (Vietnam) et 1962 (Laos). Il faut « laisser le peuple du Sud-Vietnam définir dans la paix le type de gouvernement qu’il désire ; laisser les peuples du Nord et du Sud-Vietnam définir dans la paix s’ils souhaitent s’unir et de quelle manière […] » (lettre citée in extenso in Johnson, 1972, p. 710). Aucune réponse ne lui sera donnée par son destinataire.


7 avril 67 : Au Cambodge, depuis février la population est mécontente. Ce sont d’abord les intellectuels qui ne font plus confiance à Sihanouk : les jeunes diplômés ne trouvent plus d’emploi. Dans les campagnes, la situation empire. La suppression des aides américaines (voir 3 mai 1965) fait que la dette du pays augmente. Les officiels et fonctionnaires qui en bénéficiaient font défection. Certains préfèrent se reconvertir dans le lucratif trafic d’armes ou de riz avec les N-V.

A Battambang ont lieu de violentes émeutes antigouvernementales. 3 fonctionnaires sont massacrés à coup de hache. Des dépôts d’armes sont pillés dans la région de Samlaut. Des postes gouvernementaux sont attaqués et un chef de village est exécuté. Le premier ministre Lon Lol pratique une politique de répression brutale, ses soldats rackettent les populations rurales et commettent des exactions sur les femmes.

Ce climat délétère profite aux communistes. Sihanouk lance 8 bataillons à leur poursuite pour écraser la révolte de Samlaut. Il menace également directement Chau Seng, So Nem, Hou Yuon, Hu Nim et Khieu Samphan  (maoïstes) qui sont dénoncés dans un message radiodiffusé du chef de l’État. Ceux-ci n’attendent pas et gagnent la forêt fin avril, en toute hâte, sans même prévenir leurs familles. L’état-major du futur Kampuchéa démocratique y tiendra désormais résidence. On croira longtemps certains d’entre eux victimes de la répression de Sihanouk, ce qui leur vaudra le surnom de « trois disparus » (Hou Yuon, Hu Nim et Khieu Samphan) (Richer, 2009, pp. 33-34 ; Cambacérès, 2013, pp. 148-149).

Sihanouk lance un message radiodiffusé à la nation : « On est en droit de se demander s’il n’existerait pas actuellement une collusion entre les « Khmers serei » et les « Khmers vietminh », chacun espérant peut-être tirer profit d’une collaboration momentanée avec l’adversaire. » Il dénonce une attaque des « Khmers vietminh » dans la région de Païlin sur des postes provinciaux (Sihanouk, 1979, p. 244).

Venue à Paris du vice-président américain Hubert Humphrey. Une manifestation contre sa présence est organisée à laquelle participe Marie-Joséphine Leibowitz, membre de la communauté américaine parisienne opposée à la guerre du Vietnam (Journoud, 2016, p. 68).


8 avril 67 : Raids aériens sur des installations industrielles au N-V (aciéries, dépôts pétroliers, cimenterie à Haïphong, dépôts de munitions) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 557-558).


15 avril 67 : Discours de Martin Luther King à New York contre l’intervention américaine au Vietnam. Le pasteur y prononce les phrases : « Stop the bombing. Let us save our national honor. Stop the bombing and stop the war. »

Marche dénommée « Mobilisation pour mettre un terme à la guerre du Vietnam ». Elle est pour l’instant la plus importante manifestation nationale anti-guerre regroupant 50 000 personnes à San Francisco et 200 000 à New-York. Les observateurs gouvernementaux de ces mouvements pacifistes notent : « Parmi les participants, on trouve des Noirs et des Blancs, des hippies et des pasteurs, des enfants avec leurs grands-parents, des anciens combattants et des sympathisants du Vietcong et même un petit cortège nuptial. A New York, des Indiens arborent une pancarte indiquant : « Ne faites pas aux Vietnamiens ce que vous nous avez fait. » » (cité in Portes, 2008, p. 162)

C’est à l’occasion de cette marche que naît à New York le Vietnam Veterans against the war (V.V.A.W) qui y brandissent pour la première fois leur bannière (Spencer, Tucker, 2000, pp. 467-468). Selon Debouzy : « Après un fléchissement à la fin de 1966, la mobilisation se renforce en 1967 : le 15 avril une foule immense – 300 000 personnes, y compris des centaines d’anciens combattants – font une marche à New York, qui part de Central Park pour aller vers le bâtiment des Nations Unies avec, en tête, des personnalités parmi lesquelles Martin Luther King, Harry Belafonte, le Dr Spock, célèbre pédiatre [appartenant au S.A.N.E.], et Stokely Carmichael du Student Nonviolent Coordinating Committee [S.N.C.C, voir 6 janvier 1966]. Des pancartes proclament, « aucun vietnamien ne m’a jamais traité de bougnoule » et 170 jeunes gens brûlent leur carte d’immatriculation militaire. Cependant qu’à San Francisco 6 000 personnes défilent et que des manifestations également importantes ont lieu dans de nombreuses autres villes. » (Debouzy, 2003, p. 29)


18 avril 67 : Westmoreland demande un renfort de 201 250 hommes au S-V pour finaliser ce qu’il dénomme un niveau « optimum » (Burns Siger, 1992, p. 41). Selon les mémoires de Johnson, la demande va d’un minimum de 80 000 hommes que Westmoreland qualifie de « force essentielle minimale » à 200 000 hommes qu’il qualifie de « force optimale ». Si elle avait été réalisée, la deuxième demande aurait abouti à la présence de 680 000 soldats américains en juillet (Johnson, 1972, p. 447). Elle ne sera pas satisfaite (voir 19 mai).


20 avril 67 : Les chefs d’état-major approuvent la demande de renfort de 200 000 hommes de Westmoreland (voir 18 et 26 mars) et transmettent leur approbation à McN. Ils appellent à l’escalade et ce, malgré les doutes persistants du président et du secrétaire à la Défense. Il faut donc, selon eux, faire appel aux réservistes (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 559 et pp. 591-592).


22 avril 67 : Au Cambodge, suite aux troubles de Samlaut, Sihanouk accuse publiquement Khieu Samphan, Hou Yuan et Hu Nim d'avoir fomenté le soulèvement de Samlaut et menace de les traduire devant un tribunal militaire. Les concernés ont disparu (voir  7 avril).


24 avril 67 : Au Cambodge, suite aux troubles de Samlaut, Khieu Samphan et Hou Yuon ont pris le maquis. Une tentative de la droite parlementaire d'enlever son immunité à Hu Nim échoue. Is sont accusés d’avoir été les instigateurs des événements de Samlaut (voir 13 avril), Hu Youn et Khieu Samphan ont quitté Phnom Penh (voir 7 avril) pour la jungle en bénéficiant d’une aide de l’ambassade chinoise. Radio Pékin ira jusqu’à accuser Sihanouk de les avoir fait disparaître en donnant de fausses précisons sur les circonstances de leur mort (Ponchaud, 2005, p. 179).

En l’absence de Rusk, le sous-secrétaire d’État Katzenbach demande à ce qu’on lui fasse part des 2 options en cours, le renforcement ou non des effectifs. Des frictions sont de plus en plus perceptibles entre les civils de l’administration et les militaires. Ces derniers demandent plus :  mobiliser les réservistes, bombarder Haïphong et envisager des projets d’incursions au Laos, au Cambodge et au N-V (voir 27 avril) (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 560).


25 avril 67 : Cabot Lodge quitte son poste d’ambassadeur à Saigon. Il est alors pressenti pour être le futur chef de la délégation américaine à la conférence de Paris (voir 25 janvier 1969) et est remplacé par Ellsworth Bunker (voir 28 avril).


27 avril 67 : Réunion entre LBJ, Wheeler (président des chefs d’état-major) et Westmoreland. Suite aux demandes incessantes de renforts, un compte rendu de discussion rapporte les propos suivants du président au commandant en chef : « Quand nous ajoutons des divisions, l’ennemi ne peut-il en faire autant ? Si oui, à quoi est-ce que tout cela mène ? » Westmoreland lui répond que le Vietcong et les troupes n-v alignent 285 000 hommes au Sud voire plus. Il estime que faute de moyens, la guerre pourrait encore durer 5 ans mais être réduite à 3 ans avec un effectif de 565 000 hommes, à 2 ans avec un effectif de 665 000. Wheeler quant à lui n’exclut pas de devoir lancer une offensive terrestre sur le N-V. De son côté, Westmoreland a prévu une intervention des troupes s-v au Laos, avec un appui américain en aviation et artillerie. Ce dernier point lui paraît essentiel et il a même envisagé un plan semblable pour le Cambodge (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 558-559 et pp. 593-594 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 271-272).


28 avril 67 : Le nouvel ambassadeur à Saigon Ellsworth Bunker présente ses lettres d’accréditation et demeurera en poste jusqu’au 11 mai 1973. Il succède à Henry Cabot Lodge.

Westmoreland s'adresse au Congrès : « En évaluant la stratégie de l'ennemi, il est évident pour moi qu'il croit que notre talon d'Achille demeure notre détermination […] Votre soutien solide et continu est vital pour le succès de notre mission […] Soutenu chez nous par la détermination, la confiance, la patience, la volonté et un appui permanent, nous l'emporterons au Vietnam contre l'agresseur communiste ! »


29 avril 67 : Selon Debouzy, « une contre-marche organisée par l’association Veterans of Foreign Wars à Brooklyn le 29 avril mobilise peu de monde, mais le défilé pour le soutien des boys au Vietnam du 13 mai remportera un succès réel (20 000 personnes). » (Debouzy, 2003, p 29)


30 avril 67 : Au Cambodge, suite aux troubles de Samlaut, Lon Nol remet sa démission à Sihanouk qui l’accepte. Il a été au préalable victime d’un accident de jeep alors qu’il effectuait une mission d’inspection et doit de ce fait aller se faire soigner une première fois en France, au Val de Grâce, pour une durée de 6 mois. Le gouvernement Lon Lol est remplacé par un « gouvernement d’exception » présidé par Penn Nouth (Sihanouk, 1979, p. 245).

💬 Commentaires

Chargement en cours...