Avril 55 : Violente campagne de propagande (radios officielles ou clandestines, tracts, voitures munies de hauts parleurs, affiches et banderoles) menée par Diem (et les Américains) contre les « colonialistes français » à qui il attribue « la responsabilité de l’effusion de sang et de destructions. » L’objectif de cette campagne est double : se débarrasser une fois pour toutes de Bao Daï et des Français en vue de l’élection d’une assemblée nationale (Cadeau, 2019, p. 554).
1er avril 55 : Au Cambodge, création du journal d’opposition communiste, le Pracheachon.
5 avril 55 : Le gouvernement américain, peu à même des réalités vietnamiennes, rejette le projet français, pourtant validé par Collins, de faire intervenir Bao Daï pour prolonger la trêve en cours. Pour les Américains, il faut châtier les Binh Xuyen et soutenir entièrement Diem (Ély, 1964, p. 309).
7 avril 55 : Désorienté par l’attitude de Diem, Ély, découragé, écrit : « Désormais, on peut se demander si le Vietnam ne sera pas obligé de s’orienter vers une solution sans Diem. » Réflexion que devront également se poser les Américains 8 ans plus tard, en 1963 (Ély, 1964, p. 309).
Le général Collins a un long entretien avec Ély. Les deux hommes tombent d’accord sur la situation explosive qui règne actuellement au S-V. Collins recommande à Eisenhower et Dulles de s’aligner leur politique sur celle de la France. Il ne sera pas entendu. Selon Ély, le département d’État soucieux de ne pas heurter le Congrès (notamment le sénateur Mansfield) soutient totalement Diem (Ély, 1964, p. 310).
8 avril 55 : Le démontage du pont de Ben Do (jugé par les Français comme un équipement opérationnel) entraîne une manifestation des N-V qui occasionne 2 blessés. Certains autres démontages de ponts par les Français occasionneront le même type de réaction (Cadeau, 2019, pp. 532-533).
Un accord de 10 ans est conclu entre la France et la R.D.V.N. au sujet du statut du lycée Albert Sarraut de Hanoi. Suite à cet accord, le professeur Ho Dac Di, recteur de l’université, se rend à Paris. Il est reçu à l’Académie de médecine et aux ministères de l’Éducation nationale et de la Santé publique. Cette période correspond à celle d’un relatif dégel culturel entre les 2 pays après les tensions provoquées par la conférence de Genève (Fall, 1960, pp. 140-141)
9 avril 55 : Signature d’un protocole d’accord entre le gouvernement de la R.D.V.N. et la société des charbonnages du Tonkin et des transports en commun de la région d’Hanoi (Cadeau, 2019, p. 542). Pour autant, la mauvaise atmosphère politique va rendre de plus en plus précaire le statut des derniers intérêts français au N-V.
13 avril 55 : Au Laos, le gouvernement royal adresse à la C.I.C. un mémorandum de 56 pages accusant la R.D.V.N. d’intervenir dans les affaires intérieures laotiennes et de maintenir des garnisons de Volontaires populaires vietnamiens en territoire lao. Selon le rapport, « […] les forces V.P.V.N. ont constitué une petite armée « Pathet Lao » qui n’existait pas au moment du cessez-le-feu » dans les provinces de Phong Saly et Sam Neua (Fall, 1960, p. 131).
17 avril 55 : Collins est appelé en consultation à Washington. Il part le 19. Il rencontre le président et tente de le convaincre d’abandonner Diem. Eisenhower tient une conférence de presse durant laquelle il déclare : « Nous avons soutenu le premier ministre Diem mais maintenant de nombreuses difficultés sont survenues […] Quelle sera exactement notre politique, je ne saurai vous le dire. » (cité in Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 57-58). Pour autant, les Américains continueront à soutenir Diem jusqu’en 1963, faute de mieux. Le départ programmé de Collins sera aussi la marque de ce choix.
18 - 24 avril 55 : Conférence de Bandung (Indonésie) où se retrouvent 29 États afro-asiatiques et à laquelle participent notamment le Chinois Zhou En Lai, l'Indien Nehru, l'Indonésien Sukarno, l'Egyptien Nasser, le Yougoslave Tito et le Cambodgien Sihanouk. C’est à cette occasion que Sihanouk se lie avec Sukarno, Nasser et surtout Zhou Enlaï. C’est lors de cette conférence que naît le mouvement des pays non alignés. Les principes de la coexistence pacifique avancés par les pays du « groupe de Colombo » (Birmanie, Ceylan, Inde, Indonésie, Pakistan) sont adoptés. L'idée d’un non alignement est lancée. Les pays adhérents s’engagent à respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale des membres : non-agression, non-ingérence réciproque, respect d’avantages mutuels, coexistence pacifique (Cambacérès, 2013, pp. 121-122 ; Tong, 1972, p. 100 ; Sihanouk, 1979, p. 234).
La délégation laotienne soumet à nouveau le problème de la mainmise de la R.D.V.N. sur son territoire (voir 13 avril) et demande à ce que « certaines nations puissantes » soient d’accord pour « donner des preuves de bonne volonté et des garanties aux petites nations ». Tchou En Laï participe aux négociations et la R.D.V.N. est obligée de battre en retraite. Elle signe un accord qui donne entière liberté au gouvernement royal de résoudre le problème du Pathet Lao « de la meilleure manière et selon les plus hauts intérêts du pays et du peuple lao ». (Fall, 1960, pp. 131-132) Engagement non tenu dans l’immédiat : la Pathet Lao ne se soumettra, du moins officiellement, au gouvernement royal qu’en novembre 1957.
19 avril 55 : Par le biais probable de l’International Cooperation Agency (et non de l’U.S.A.I.D. comme le dit Chaffard, car créée en novembre 1961), Diem souscrit un énorme contrat entre l’État s-v et l’Université d’État du Michigan à qui il confie le développement des services de police et de sécurité. L’université possède en effet dans cet établissement un Institut d’administration de la police. Peu après Genève, il s’agit en fait d’une couverture qui permet à un certain nombre d’agents de la C.I.A. d’infiltrer, sous couvert de fonctions professorales, l’administration s-v dans la lutte contre le communisme. Le professeur Fischel travaille alors main dans la main avec Lansdale (Chaffard, 1969, pp. 194-195).
Au Cambodge, Sihanouk dépose les statuts du parti qu’il vient de créer, le Sangkum. Il s’inspire d’une forme de « socialisme bouddhique » et doit refléter les aspirations du petit peuple autour des mots d’ordre « nation, religion, roi ». Il entend lutter contre l’injustice, la corruption, les exactions, l’oppression et la trahison du peuple. Le règlement du parti fixe un cadre strict : honnêteté, austérité, désintéressement, dévouement au service du peuple et de la nation. Le Sangkum dispose d’un comité central dont Sihanouk est le président. Des comités locaux choisissent des candidats députés dont les noms sont soumis au comité central qui arrête chaque liste définitive dans chaque circonscription. Le parti mène immédiatement campagne en vue de remporter les élections du 11 septembre (Cambacérès, 2013, pp. 107-108).
20 avril 55 : Reinhardt G. Frederick est nommé au poste d’ambassadeur américain à Saigon. Il présentera ses lettres d’accréditation le 28 mai 1955. Il succède à Donald R. Heath.
21 avril 55 : Ouverture des travaux de la « Commission d’enquête militaire sur la bataille de Dien Bien Phu » (voir 31 mars) Elle siègera jusqu’au 3 décembre (Bodinier, 1994, p. 70).
22 avril 55 : Au S-V, poursuite de la campagne visant à dénigrer les décorations militaires françaises (voir 12 février). Des tracts sont distribués : « Porter ces médailles décernées par les colonialistes, c’est nous avilir, nous humilier, surtout après les actes de bassesse qu’ils ont commis à Genève, à Dien Bien Phu et récemment en pratiquant le jeu « Cacher les mains après avoir lancé la pierre. » » (cité in Cadeau, 2019, pp. 556-557).
25 avril 55 : Diem fait intervenir 3 bataillons de parachutistes et procède au limogeage du directeur de la Sûreté nationale, Lai Van Sang, membre de la secte mafieuse des Binh Xuyen (Rignac, 2018, p. 127).
28 avril 55 : Diem n’a pas renoncé à se débarrasser des sectes plutôt que de composer avec elles. Il en informe Ély. Attaque par les forces gouvernementales du lycée Petrus Ky, caserne tenue par les Binh Xuyen de Le Van Vien qui tombe aux mains des bataillons de soldats nung (ethnie tonkinoise anticommuniste) et des parachutistes de Diem commandés par le colonel Do Cao Tri. Selon Nguyen Phu Duc, 37 Français favorables aux Binh Xuyen sont capturés lors de cette opération. Parmi eux, certains officiers.
Le P.C. de Bay Vien est soufflé par l’artillerie gouvernementale. Celui-ci aurait refusé de livrer un combat à outrance dans Saigon, vraisemblablement sur ordre du commandement français. Ces combats provoquent de nombreux morts dans les troupes diémistes (Rignac, 2018, p. 127 ; Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 59-60) Ély dénombre de son côté pas moins de 800 tués ou blessés civils à Saigon et 20 000 sans-abris du fait des bombardements (Ély, 1964, p. 312).
29 avril 55 : Bao Daï se manifeste enfin... Il invite Diem à se rendre en France début mai. Seront présentes des personnalités politiques et militaires vietnamiennes susceptibles d’entrer dans un nouveau gouvernement. Il remet au général Vy (inspecteur des armées nationales) ses pleins pouvoirs militaires (Ély, 1964, p. 313).
Les Binh Xuyen sont défaits par l’armée diémiste et se retirent de Saigon. Diem a remporté une victoire contre les sectes mais la corruption de son gouvernement, incluant des membres des sectes, s’affiche (voir mars) (De Folin, 1993, p. 304). L’attitude des Français à l’égard des sectes a été plus qu’ambigüe comme le reconnaitra d’ailleurs une note du Quai d’Orsay d’octobre 1955 : « En soutenant les rivaux de Diem au Vietnam, la France a enterré le capital de confiance dont elle disposait. Elle s’est rendue complice des sectes et indirectement du Vietminh. » Ce comportement affectera les rapports franco-sud-vietnamiens jusqu’à la fin 1956 (De Folin, 1993, pp. 304-305).
Le président du Conseil Edgard Faure estime que « le gouvernement de M. Ngo Dinh Diem ne paraît pas adapté à la mission qu’il a la charge d’assumer, et l’évolution de la situation au Sud-Vietnam ne peut être accueillie en France qu’avec beaucoup de regret. » Bien qu’ils n’aient plus de mission auprès de l’armée s-v, 75 000 hommes du C.E.F.E.O. demeurent au S-V mais Ély entend intervenir le moins possible dans les affaires vietnamiennes depuis son éviction par Diem et les Américains (Chaffard, 1969, pp. 189-190 ; Ély, 1964, pp. 318-319).
30 avril 55 : Diem parvient à un semblant de soutien populaire contre Bao Daï par le biais de son « Comité révolutionnaire ». Il se réunit en « assemblée générale » composée d’anciens généraux caodaïstes dissidents (achetés à prix d’or, comme Thinh Minh The, avec de l’argent provenant de Lansdale), d’anciens Vietminh retournés et des ultranationalistes. Le comité demande la démission de Bao Daï, la constitution d’un nouveau régime politique ayant à sa tête le seul Diem et le retrait total des Français. Il organise un référendum truqué qui donne la victoire au premier ministre (450 000 inscrits à Saigon mais 600 000 voix en faveur de Diem !). Ce comité sera dissous le 15 janvier 1956, après la victoire une fois encore truquée de Diem aux élections présidentielles.
Diem convoque le général Vy à qui Bao Daï a cédé son pouvoir militaire à Cannes (voir 29 avril). Ce dernier n’a pas été suivi par l’armée. Il est arrêté et séquestré, finalement relâché à la nuit grâce au soutien de quelques parachutistes qui lui sont restés fidèles (Ély, 1964, pp. 313-314).
Départ de l’ambassadeur français à Saigon Jean Daridan qui, favorable à une intervention française pour se débarrasser de Diem, n’a été écouté ni à Paris ni à Saigon. Il obtient là une mutation demandée mais refusée depuis novembre 1954 (voir août 1954) (Chaffard, 1969, p. 190).