Avril 54 : Le gouvernement, Ély (chef d’état-major des Forces armées) et le commandement français commencent à être pris d’affolement, non seulement du fait de la perte imminente de Dien Bien Phu mais par celle de l’ensemble le delta du Tonkin. Ces craintes ne sont pas totalement injustifiées car la chute du camp retranché n’affectera que 5 % de l’effectif du corps expéditionnaire, même si dans ces 5 % se trouvent être les troupes les mieux aguerries du C.E.F.E.O. (De Folin, 1993, pp. 266-267). Les Français demanderont même aux Américains un appui aérien et l’intervention des Marines pour défendre le Delta. Mais ces demandes leur seront l’une et l’autre refusées (De Folin, 1993, p. 268).
HCM et Pham Van Dong se rendent à Pékin puis Moscou pour y discuter de ce que la future R.D.V.N. pourrait accepter comme compromis lors de la conférence de Genève. Leur première exigence est que le Vietnam soit reconnu comme un État égal en droit comme le sont le Laos et le Cambodge. Mais cette exigence sera limitée par le fait que la future conférence de Genève marque l’entrée de la Chine sur la scène de la diplomatie mondiale, ce qui suppose des compromis avec les autres délégations. Elle doit donc être pour les Vietnamiens une totale réussite mais ses espoirs seront déçus par l’attitude chinoise (Devillers, 2010, pp. 336-337).
Au Cambodge, les troupes régulières de l’A.P.V.N. envahissent, pour la seconde fois (voir avril 1953), le pays pourtant devenu indépendant. Devant cette invasion, Sihanouk prend en personne la tête des forces khmères pour diriger l’opération Samakki avec le lieutenant-colonel Lon Nol, promu pour l’occasion colonel et chef d’état-major opérationnel. En même temps, le roi charge son premier ministre, Penn Nouth, d’adresser une lettre à HCM lui demandant de retirer ses troupes régulières du Cambodge. Cette lettre n’obtiendra aucune réponse (Tong, 1972, pp. 64-65).
L’annonce de la conférence de Genève provoque une forte démobilisation dans les rangs de l’armée vietnamienne comme l’observe Nguyen Van Hinh (chef d’état-major) : « Cette annonce a eu également des conséquences immédiates sur le moral des troupes : les désertions – qui ont toujours existé dans notre armée à l’état endémique – se sont multipliées, et la mobilisation annuelle, décrétée justement en avril, a donné des résultats très médiocres […] Beaucoup de Vietnamiens pariaient sur la prochaine victoire du Vietminh, d’autant plus que cela se passait mal à Dien Bien Phu. » (cité in Maigre, 1994, p. 32)
1er avril 54 : La radio du VM, La Voix du Vietnam, annonce : « A cinq heures de l’après-midi, le trente mars, les unités populaires soutenues par de l’artillerie lourde et des canons de D.C.A., ont déclenché leur deuxième vague d’attaque contre le système de défense français du côté est de la forteresse. Ce système se composait de cinq positions fortifiées qui, bâties sur cinq collines défendaient les approches est de l’aérodrome et le poste de commandement ennemi. » (cité in Pouget, 2024, p. 325)
Navarre adresse d’Hanoi un télégramme au gouvernement par l’entremise du secrétaire d’État aux États associés Jacquet : « La situation est grave. J’espère encore que du fait des pertes énormes qu’il a subies, l’ennemi ne pourra attaquer aussi vigoureusement. Mais nos propres forces sont diminuées en nombre et épuisées. Leur renforcement est très difficile. La chute du camp retranché, que je fais tout pour éviter, doit donc être envisagée comme possible à plus ou moins brève échéance. » (cité in Rocolle, 1968, p. 437) Il se plaint également de l’annonce à ses yeux prématurée de la conférence de Genève : « La situation militaire est entièrement dominée par la décision prise par le commandement vietminh, au lendemain de l’annonce de la Conférence de Genève, décision dont nous avons les preuves formelles, de faire pression au moins jusqu’à la fin, c’est-à-dire fin mai et peut-être au-delà […] Cette intensification de la guerre s’appuie sur une augmentation considérable de l’aide chinoise. Elle nous met en difficulté du fait qu’elle aboutit à nous engager prématurément dans une lutte générale […] Il n’est pas douteux que le commandement vietminh cherche à atteindre avant le fin de la conférence des résultats décisifs ou tout au moins assez spectaculaires pour nous amener à traiter selon ses vues. » (cité in Navarre, 1979, p. 384)
Navarre transmet des instructions à Cogny concernant Dien Bien Phu. Il envisage 2 hypothèses : ou le VM échouera dans sa deuxième attaque ou il y renoncera. Dans tous les cas, il devrait desserrer un temps son étreinte. Le centre de résistance centrale et Isabelle doivent « s’organiser pour durer au maximum dans des conditions difficiles, sachant qu’ils ne pourront compter que sur très peu de renforts et peut-être même sur une ravitaillement restreint. La garnison doit être informée de la situation. » Le commandant en chef estime qu’ « aucun espoir n’est perdu » car la saison des pluies approche. De Castries « doit être informé que tout sera fait pour évacuer ses blessés » et que « des renforts dans la limite d’un bataillon et une batterie de 75 sans recul » arrivent. Cette aide ne pourra être qui limitée « pour n’obtenir qu’une prolongation de la résistance. » (Rocolle, 1968, pp. 449-450)
Arrivée à Saigon du colonel d’aviation Brohon (voir 29 mars). Navarre étant à Hanoi, Brohon reprend un avion en compagnie du commissaire général Dejean. Les 2 hommes rencontrent, en compagnie de Cogny et Bodet, le commandant en chef dans la soirée (Rocolle, 1968, p. 415). Navarre et Brohon doivent se revoir le lendemain.
Nuit du 1er au 2 avril 54 : Une deuxième attaque sur Éliane 2 échoue (Rocolle, 1968, p. 432).
Huguette 7 tombe le 2 à 8 h 00 malgré une relève. La position complètement bouleversée n’est pas réoccupable, « faute de moyens » (Rocolle, 1968, p. 433).
Attaque vers 20 h 00 d’Huguette 6 au nord de la piste par le régiment 88 (division 308). Les légionnaires la repousse, mais le 3, 12 légionnaires (des rescapés de Béatrice…) feront défection et passeront à l’ennemi (Rocolle, 1968, p. 434).
Deux sections du 1er R.C.P. sont parachutées sans problème. Mais l’opération doit être interrompue car, Huguette 7 étant en train de tomber, une partie du champ de bataille est trop éclairée par un Dakota Luciole (Rocolle, 1968, p. 453).
1er au 5 avril 54 : Reprise de la guerre des communications par l’aviation française après une pause dommageable accomplie durant le mois de mars. L’intensité des attaques du G.A.T.A.C.-Nord paraît toujours aussi faible que décousue. 2 points sont visés sur le R.P. 41 : le point Mercure (carrefour de Conoï) est attaqué, 33 tonnes de bombes y sont déversées. Un autre point voisin reçoit 25 tonnes. 6 autres attaques sont menées ailleurs mais avec de faibles moyens. En avril, les bombardiers B-26 ne sont affectés que 22 fois à la guerre des communications, l’essentiel de l’effort étant porté sur Dien Bien Phu mais ils sont également en même temps impliqués dans 58 attaques sur le Delta. La dispersion pour l’aviation de chasse est encore plus importante 184 missions sur la R.P. 41 et la R.P. 13 alors qu’ils sont engagés 259 fois dans Delta et seulement 198 fois sur Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, pp. 441-442).
2 avril 54 : A Dien Bien Phu, les durs combats sur Éliane 2 obligent le régiment 102 (division 308) à se retirer. C’est le régiment 174 (division 316) déjà largement éprouvé par de récents combats sur ce même point d’appui qui le relève. Une faible reconnaissance à l’ouest sur Huguette 7 (50 hommes) est incapable de reprendre le point d’appui. On n’y ramène que quelques légionnaires rescapés.
A Hanoi, le colonel Brohon revoit Navarre, le commissaire général Dejean et le général Bodet pour obtenir une réponse à sa proposition de la veille. Dans un premier temps, la réponse du commandant en chef à l’égard d’une intervention de l’aviation américaine est réservée et même réticente car il craint une réaction de l’aviation chinoise sur les 3 bases aériennes que possède le Tonkin ainsi qu’à Dien Bien Phu qui pourrait être écrasé de bombes avant que n’intervienne les intercepteurs de la 7e Flotte américaine (Rocolle, 1968, p. 438 ; Pouget, 2024, pp. 481-482). Il n’acquiescera que le 3, tout en hésitant jusque-là (voir cette date).
Navarre câble au gouvernement : « Nous semblons parvenus au point d’équilibre de la bataille […] je saisirai toute occasions de renforcer Dien Bien Phu, quitte à engager mes derniers bataillons parachutistes, si grave soit cette décision […] Mais l’envoi de renforts, même en petite quantité, s’avère très difficile et les troupes sont dans un grand état d’épuisement. » (cité in Pouget, 2024, p. 482)
Nuit du 2 au 3 avril 54 : Dans la nuit, les troupes du VM encerclent et menacent Françoise (un point d’appui isolé à l’ouest du noyau central du camp retranché) qui tombe après la nouvelle défection de 2 compagnies thaïes (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 163 ; Rocolle, 1968, p. 385).
Giap est obligé de puiser dans ses réserves. Il fait revenir du nord du Delta le dernier régiment de la division 308 et son état-major qui protégeaient jusqu’alors les instances gouvernementales. Il a par ailleurs demandé à la Chine de lui fournir un troisième régiment de D.C.A. (Rocolle, 1968, p. 436).
Troisième attaque d’Éliane 2, nouvel échec. A 4 h 00, le 102e régiment est relevé par le 98e. Ce dernier ne laisse qu’une compagnie sur les pentes est et doit avouer son échec : « Notre succès a été incomplet pour plusieurs raisons. Nous n’avons pas pu connaître en détail le dispositif des fortifications au cœur de la position, surtout l’emplacement du redoutable blockhaus enterré au sommet et les communications directes entre Éliane 2 et le camp retranché ; les préparatifs d’assaut se sont révélés insuffisants […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 433).
Le parachutage de renforts en artilleurs s’effectue avec difficulté. Cette nuit, seuls 74 parachutistes du 1er R.C.P. parviennent à toucher terre (Rocolle, 1968, p. 453).
3 avril 54 : A Dien Bien Phu, les troupes du VM attaquent Huguette 6 située au nord-ouest de la piste d’atterrissage principale. Les Français contre-attaquent et réoccuperont cette position le 5 (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 164). Une nouvelle trêve est proposée par le VM pour récupérer les blessés d’Huguette 7. Les brancardiers ne ramènent que 4 cadavres impossibles à identifier. A l’est, Éliane 2 tient toujours. 1 500 cadavres vm gisent sur ses pentes. Selon Pouget, « la colline 464 […] commence à avoir une renommée sinistre parmi les troupes de Giap. » (Pouget, 2024, p. 483)
Dans un échange avec Ély (chef d’état-major), Navarre, après avoir fait un point sur les difficultés de la situation du camp retranché, semble progressivement pencher en faveur du projet Vautour. Il écrit alors : « […] J’estime que dans ces conditions, l’intervention dont m’a entretenu le colonel Brohon peut avoir un effet décisif surtout si elle se produit avant l’assaut vietminh […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 439).
John Foster Dulles (secrétaire d’État) tient une conférence secrète avec les leaders des deux partis au Congrès : Lyndon Baines Johnson (pour les Démocrates), Richard Russel (pour les Républicains). Il leur demande un blanc-seing pour une intervention militaire en Indochine. Halberstam observe que « personne, semblait-il, n’avait envie de prendre une vraie responsabilité. Le Président une fois de plus avait utilisé le Congrès comme sonde et avait perçu de graves réserves. Mais comme Dien Bien Phu tenait toujours, la pression ne diminua pas. » (Halberstam, 1974, pp. 169-171)
Il y a deux camps qui s’opposent aux U.S.A., concernant une potentielle intervention en vue d’aider les Français. L’amiral Arthur W. Radford (chef de l’état-major interarmes) et John Foster Dulles (secrétaire d’État) y sont favorables (Halberstam, 1974, pp. 167-168). Ils préconisent une attaque aérienne stratégique massive (60 bombardiers et 150 avions de chasse) visant à briser l’élan des N-V autour de Dien Bien Phu. Le vice-président Nixon est lui aussi toujours favorable à une intervention. Dans le camp de l’opposition à ce projet se trouve le chef d’état-major de l’Armée de terre, le général Matthew B. Rigway, qui a toujours considéré le conflit indochinois comme essentiellement colonial. Il estime que la région est importante mais non vitale aux intérêts des États-Unis et que les communistes ne pourront maintenir longtemps leur contrôle sur des populations aussi diverses et donc potentiellement hostiles au VM. Il estime également que cette guerre risque d’être coûteuse et que l’effort de mobilisation devra être supérieur à celui de la guerre de Corée (Halberstam, 1974, pp. 172-173).
Navarre fait une dernière intervention en faveur des blessés de Dien Bien Phu. Il avertit ce jour par radio le VM en annonçant qu’un avion se présentera le 5 à 14 h 00 pour évacuer des blessés. Des journalistes étrangers et des personnalités neutres suivront l’opération à bord d’un autre appareil. Quelques heures après cette annonce, Giap fait saboter par un commando la piste d’atterrissage à l’explosif pour la rendre totalement impraticable (Pouget, 2024, p. 318).
Nuit du 3 au 4 avril 54 : Parachutage d’un troisième bataillon de parachutistes sur Dien Bien Phu (2e bataillon du 1er régiment de Chasseurs parachutistes, 340 hommes) pour compenser les pertes (Navarre, 1979, p. 349). Huguette 6 est attaqué sur sa face est. Une contre-attaque du 8e B.P.C. accompagné de 2 chars prend le VM à revers. Il se replie laissant 450 cadavres et 50 prisonniers. Le point d’appui est repris à minuit (Pouget, 2024, p. 484).
D’Hanoi, Navarre envoie un message à Ély : « L’intervention dont m’a entretenu le colonel Brobon peut avoir un effet décisif surtout si elle se produit avant l’assaut viet-minh. » (ibid.)
4 avril 54 : Retour à Paris du colonel Brohon mandaté par le gouvernement pour présenter à Navarre le plan d’intervention aérienne américain (Vautour). Il rencontre Ély. Navarre a émis devant Brohon « un avis réticent », craignant une réaction de l’aviation chinoise. Ce qui surprend le chef d’état-major des Forces armées. Car un courrier que Navarre a transmis la veille à Ély laisse au contraire entendre que le choix de Navarre penche désormais dans le sens d’une intervention américaine.
Un conseil de défense national restreint est réuni. A son issue, Ély télégraphie à Navarre : « […] Gouvernement a présenté à Washington la demande d’intervention que vous avez sollicitée […] Justification concernant Dien Bien Phu que Brohon me rapporte de votre part m’amène à penser que vous avez le sentiment qu’on ne vous suit pas complètement, je peux vous assurer qu’il n’en est rien et que vous êtes pleinement soutenu. Ély. » (cité in Pouget, 2024, p. 488)
Le retour de Brohon, ajouté aux déclarations de Foster Dulles, entraîne donc une réunion du Comité de guerre. Sont présents Laniel (président du Conseil), Pleven (Défense), Reynaud (vice-président du Conseil), Bidault (Affaires étrangères), le maréchal Juin (conseiller militaire du gouvernement) et le général Ély (chef d’état-major des Forces armées) ainsi que les 3 chefs d’état-major. Un avis favorable à l’intervention aérienne américaine se dégage et Laniel demande à s’entretenir à 23 h 30 avec l’ambassadeur américain Dillon à Paris. Ce dernier est saisi de la demande française dès minuit. Elle n’est qu’orale. De son côté, Ély télégraphie cette demande à Valluy (représentant de la France à délégation française à l’O.T.A.N.) qu’il doit transmettre à Radford (chef de l’état-major interarmes) et à Bonnet (ambassadeur de France à Washington) (Ély, 1964, pp. 85-86 ; Laniel, 1957, pp. 84-85). Les Français, acculés, vont un peu vite en besogne en se fiant à cet espoir américain.
Suite à une demande d’intervention française sur Dien Bien Phu par l’aviation américaine, Eisenhower, estimant qu’une intervention unilatérale serait une erreur, demande l’aide des Anglais en invoquant auprès d’eux le risque d’un nouveau Munich. Le premier ministre Churchill lui écrira : « Si […] l’Indochine tombe entre les mains des communistes, l’effet final sur notre et votre position stratégique dans le monde peut être désastreux […] » Toutefois, son ministre des Affaires étrangères, Anthony Eden, s’adressant à Dulles, lui a confié : « Je ne croyais pas qu’une intervention moindre que celle de Corée puisse avoir quelque effet en Indochine. » (Schlesinger, 1967, p. 22). Tirant les leçons du récent conflit coréen, les Anglais bottent en touche, refusant de comparer la situation en Indochine à ce qui s’était passé au moment des accords de Munich en 1938. La situation est, à leurs yeux, tout à fait différente : HCM n’est pas Hitler et surtout l’Indochine n’est pas l’Europe.
Le cabinet français refuse également de soutenir le plan d’intervention de Dulles qui propose à la France et à la Grande Bretagne d’organiser un système de défense collectif en Asie du Sud-est, prémices de la future O.T.A.S.E. Une hypothétique coalition est envisagée par les Américains. Elle devrait comprendre les États-Unis, la Grande Bretagne, la France, les États associés, la Nouvelle Zélande, la Thaïlande et les Philippines. Cette proposition américaine ne convient pas aux Français : la situation est particulièrement urgente au Tonkin et au Laos ; elle risque de provoquer une réaction chinoise ; elle place la France au même niveau que des puissances secondaires de la région et soumet l’intervention américaine à une décision britannique (Lemaire, 2000, p. 62).
Dès ce jour, le sénateur Kennedy pose la question : « L’Indochine partiellement ou en totalité est-elle absolument indispensable à la sécurité de l’Asie et du monde libre ? » L.B. Johnson, chef de la majorité démocrate au Sénat, déplore une « succession lamentable de revirements, de confusions, de déclaration alarmistes et de digressions ». Il s’inquiète de l’image que l’administration Eisenhower donne à ses partenaires et préconise que les États-Unis se concentrent essentiellement « sur ce qui se passe chez [eux] » (Schlesinger, 1967, p. 26).
A Paris, lors d’une cérémonie de ravivage de la flamme sous l’Arc de Triomphe organisée par l'Association des anciens du corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient pour commémorer les morts en Indochine, Laniel (président du Conseil), Pleven (Défense) et De Chevigné (secrétaire d’État à la Guerre) sont violemment pris à partie par des manifestants dont certains sont des vétérans qui arborent leurs décorations obtenues en Indochine. Le service d’ordre est pléthorique et se laisse rapidement déborder. Les slogans dénoncent l’éviction du général Juin (ancien chef d’état-major devenu simple conseiller militaire) et appellent à la démission du gouvernement. Au cours des échauffourées, Pleven est giflé par un officier de réserve en uniforme participant à la manifestation (Le Monde du 6 mars 1954).
Nuit du 4 au 5 avril 54 : Huguette 6 est attaquée pour la deuxième fois. 5 bataillons vm sont engagés. Le point d’appui est sur le point de tomber. Une contre-attaque est menée par 2e bataillon du 1er R.C.P. parachuté la veille et qui avait été immédiatement affecté à la défense d’Éliane 2, à l’opposé de là où ils doivent intervenir. De Castries et Langlais les renforcent la contre-attaque par 2 compagnies du 6e B.C.P. de Bigeard et une compagnie du 1er B.E.P. qui elles connaissent le terrain. Le 5 à 6 h 00, ils surprennent et écrasent le régiment 165 (constitué de jeunes recrues) avec l’aide de l’aviation (Rocolle, 1968, pp. 434-436). De son côté, Giap est désormais obligé de puiser dans des unités constituées de jeunes recrues non aguerries.
5 avril 54 : Au vu de ses pertes, d’un manque momentané de munitions et de réserves de vivres, Giap est obligé de marquer une longue pause de 25 jours à Dien Bien Phu. Il commence cependant à pousser la nuit ses tranchées d’approche et sa D.C.A. au plus près. Au 1er mai, leur étendue atteindra les 400 km (cartes in Navarre, 1956, p. 227 ; Teulières, 1979, p. 246). Il demande au général Ly chinois Cheng Hou 720 tonnes de munitions, un régiment de D.C.A. avec 67 tubes de 37 mm, 300 camions et quelques orgues de Staline. Il lance également une importante campagne de remobilisation de ses troupes.
Côté français, la récupération des parachutages de haute altitude devient de plus en plus hasardeuse : un C-119 lâche à haute altitude sa cargaison à 2 km au sud-ouest de Claudine dans les lignes du VM (Navarre, 1956, p. 225 ; Pouget, 2024, p. 488).
Après son télégramme du 1er adressé au secrétaire d’État aux États associés teinté d’une teneur très pessimiste, Navarre en s’adressant au même le paraît moins : « […] Si, tout en continuant à agir sur les lignes de communications de l’adversaire et sur ses positions, nous parvenons à renforcer la garnison de Dien Bien Phu et à assurer les approvisionnements et évacuations indispensables, la bataille paraît pouvoir se prolonger encore assez longtemps. Elle ne pourrait, me semble-t-il, tourner en notre faveur que s’il est possible de neutraliser dans des délais assez brefs, par un emploi massif de l’aviation de combat, l’artillerie et la D.C.A. ennemies et à rouvrir ainsi largement la route aérienne, qui seule nous relie aux défenseurs de Dien Bien Phu. En ce qui concerne l’ennemi, il paraît bien établi, d’après l’ensemble des dispositions qu’il adopte encore à l’heure actuelle, que malgré les immenses pertes subies et l’approche de la saison des pluies, il ne songe pas pour l’instant à se retirer. » (cité in Rocolle, 1968, pp. 437-438). Un courrier dans lequel Navarre fonde des espoirs (sincères ?) par un rétablissement miraculeux de ce qui ne fonctionne pas depuis le début…
Télégramme de l’ambassadeur américain à Paris adressé à Foster Dulles en vue d’un soutien aérien aux Français à Dien Bien Phu (voir 7 mai et 4 avril) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 66-67).
Ély (chef d’état-major) envoie un télégramme à Navarre lui signifiant la prudence quant à l’éventuelle implication des Américains dans le conflit : « […] Gouvernement a présenté à Washington la demande d’intervention que vous avez sollicitée. Avant connaître la réponse et délai je vous demande instamment de ne pas tenir compte de cette demande dans actuelle conduite de la guerre [...] » (voir 6 avril) (cité in Rocolle, 1968, p. 440, note 142)
Conférence de presse donnée par Eisenhower qui (sincèrement ?) n’exclut pas une intervention alliée en Indochine sous commandement américain, réaffirmant ainsi son idée chère de la théorie des dominos. Une vision qui n’est cependant absolument pas partagée par les Britanniques qui l’ont fait savoir.
De son côté, le secrétaire d’État américain Foster Dulles dénonce devant la commission étrangère de la chambre des Représentants le caractère d’intervention directe qu’avait pris l’aide des Chinois dans la future bataille de Dien Bien Phu : présence d’un général chinois dans le haut état-major du VM, de conseillers à divers échelons, de servants au niveau des transmissions et de la D.C.A. Mais, malgré les pressions françaises, l’éventualité d’une intervention américaine demeure et demeurera purement verbale (Navarre, 1956, p. 243 ; Laniel, 1957, p. 84).
Premiers entretiens à Seno entre Navarre et le colonel de Crèvecœur en vue de monter l’opération Condor : elle vise à tenter de parachuter une unité aéroportée au Laos devant faire la jonction avec les unités de De Crèvecœur. Le volume des forces serait alors suffisant pour attaquer par la vallée de la Nam Ou où une partie des divisions vm qui participent au siège de Dien Bien Phu. Mais cette solution ne pourrait aboutir que le 20 et suppose que l’on refuse les renforts demandés à grands cris par De Castries et Langlais (voir 11 avril). Elle sera donc abandonnée après le 15 (Rocolle, 1968, p. 461).
Cogny, toujours obsédé par la tenue du Delta, revient sur la nécessité d’y consentir « un effort militaire rigoureux ». Navarre lui répondra le 14 (Rocolle, 1968, p. 487, note 22).
Au Cambodge, le conseil des ministres décide, contre l’avis de Sihanouk, que l’armée royale doit cesser de poursuivre la lutte contre le VM aux côtés des Français alors que les troupes du Lien Khu 5 atteignent la frontière nord-est (Rocolle, 1968, p. 458). Navarre décide de s’y rendre (voir 7 avril).
6 avril 54 : A Dien Bien Phu, on observe certaines défections de troupes du VM lors des assauts bien qu’elles soient confrontées à de faibles effectifs français tenant les positions. Les commissaires politiques sont obligés, lors de réunions observées de loin par les Français, de remotiver les futurs assaillants (Pouget, 2024, pp. 375-376).
Nouvelle réunion du C.N.S. : il est décidé que les États-Unis n’engageront pas leurs forces tant qu’il y a aucune garantie d’une intervention multilatérale incluant, entre autres, les Britanniques. Après la réponse des Anglais, c’est donc un refus de s’engager aux côtés des Français et une manière de faire endosser la responsabilité de ce refus non aux Américains mais à un groupe de potentiels alliés qui n’existent que sur le papier. Au cours du même C.N.S., Eisenhower juge la France comme « une puissance militaire décadente » (David, 2007, p. 11)
Débat très serré au Congrès américain sur la question indochinoise. Depuis la guerre de Corée, Eisenhower s’est engagé à le consulter pour engager son pays dans un conflit. Les débats au cours de cette journée montrent que les élus sont très peu au fait des réalités et du problème indochinois. C’est à cette occasion que le sénateur du Massachusetts et futur président, J. F. Kennedy, sans doute plus réaliste que les autres, déclare : « Ma conviction est que l’aide américaine, quelle que soit son ampleur, ne peut vaincre un ennemi qui est partout et nulle part, un « ennemi » du peuple qui bénéficie clandestinement de la sympathie et du soutien de tout le peuple. Pour les États-Unis, intervenir unilatéralement et envoyer des troupes dans le terrain le plus difficile du monde, sur lequel les Chinois peuvent envoyer des effectifs illimités, créerait une situation encore plus difficile encore que celle que nous avons connue en Corée […] Le moment est venu d’étudier, de discuter, et de revoir […] (cité in Journoud, 2011, p. 102).
Les représentants du Congrès établissent trois conditions à une éventuelle intervention :
- L’engagement de l’Angleterre et d’autres alliés (Australie, Nouvelle-Zélande, Philippines et Thaïlande). Mais chacun sait que la Grande Bretagne, devenue pacifiste après la guerre de Corée, y sera opposée.
- Le maintien des forces françaises jusqu’à la victoire.
- L’accord de l’indépendance totale aux États associés.
Cette position conforte Eisenhower dans sa conviction que seule une intervention multilatérale, répondant aux conditions du Congrès, demeure la meilleure option. De plus, la France rejette la plupart des propositions du Congrès, notamment la troisième. Face à ces conditions jugées inacceptables, deux analyses s’imposent :
- Eisenhower n’a jamais eu l’intention d’intervenir (thèse défendue par Kissinger).
- Jacques de Folin (De Folin, 1993, pp. 250-251) pense que si le gouvernement propose, le Sénat dispose. Le colonialisme français a fait et fait toujours l’objet de dures critiques au Sénat américain. Le raisonnement américain est le suivant : les contraintes générées par le maintien de l’Union française empêcheront tout gouvernement vietnamien d’affirmer véritablement son indépendance. Dans ces conditions, il est impossible de rassembler les vrais nationalistes anticommunistes et donc de prétendre rivaliser avec HCM.
Les Américains font connaître dans la soirée leur position aux Français quant aux éventuels bombardements. Ces derniers savent désormais que si intervention il y a, celle-ci ne sera pas aussi rapide qu’ils l’espéraient et qu’il n’y aura de ce fait aucun effet de surprise (Ély, 1964, p. 87). Une réunion du conseil des ministres français s’apprête à demander à nouveau une intervention de l’aviation américaine. Mais, après bien des tergiversations, la séance est suspendue sans avoir, une fois de plus, pris la moindre décision (Lemaire, 2000, p. 63).
Informé depuis le 1er du projet de l’opération Vautour pour laquelle il demeurait jusqu’alors réservé et même réticent, Navarre fait savoir à Ély qu’il l’accepte finalement (Rocolle, 1968, p. 440, note 143).
Ély envoie à Navarre un télégramme dans lequel il suggère pour hâter l’opération Vautour que les Américains fournissent immédiatement 15 bombardiers B-29 qui seraient pilotés par des équipages français. Cette suggestion sera rapidement abandonnée : il n’y a pas en Indochine de pilotes et d’équipages capables d’accomplir une telle mission (Rocolle, 1968, p. 444). Navarre lui répondra le lendemain.
Nuit du 6 au 7 avril 54 : 11 C-119 parachutent vivres et munitions.
7 avril 54 : A Dien Bien Phu, débandade, désarmement et dispersion de supplétifs de la 12e compagnie du 3e bataillon de tirailleurs thaï (qui avait lâché Gabrielle, voir 17 mars) suite à la blessure du commandant de cette unité sur Huguette 2. Certains d’entre eux rejoignent les lignes ennemies (Rocolle, 1968, p. 385, note 110).
Giap réunit son état-major. Il estime, du fait des difficultés du moment et des fautes de commandement (notamment lors de l’attaque infructueuse d’Éliane 2 qui avait fait échouer celle de Dominique 3), devoir encore différer l’attaque générale. Il manque d’effectif et a été récemment obligé de recourir à des unités peu aguerries. Le réapprovisionnement de son artillerie est en cours. Il doit donc revoir sa tactique. Côté français, les choses sont encore plus préoccupantes. Les effectifs des unités encore opérationnelles sont maigres. On compte ce jour 590 blessés graves et un nombre encore plus importants de blessés légers. Les 2 adversaires ont besoin de souffler (Rocolle, 1968, pp. 436-437).
De Gaulle donne une conférence de presse durant laquelle il dénonce la C.E.D. Il évoque également l’Indochine : le conflit doit cesser pour favoriser une détente internationale et limiter les pertes (Rocolle, 1968, pp. 40-41).
Eisenhower prononce au cours d’une conférence de presse la phrase dans laquelle il prédit que si l’Indochine basculait, le reste de l’Asie du Sud-Est « tomberait très vite » comme une « rangée de dominos ». Il estime que « les conséquences possibles de cette perte seraient incalculables pour le monde libre. » (cité in McNamara, 1992, p. 45) Ce qu’on nommera désormais « la théorie des dominos » prend corps, désignant le communisme comme un bloc monolithique (mais l’est-il vraiment ?) à contrer et à abattre en s’opposant farouchement aux guerres de libération nationale. Dans le Sud-Est asiatique, c’est la Chine communiste qui est perçue – à tort ou à raison – comme une menace potentielle capable de s’immiscer dans le conflit et de le faire basculer comme cela s’était produit en Corée.
Une note de Mac Arthur adressée à Dulles démontre que les études du Pentagone pour dégager Dien Bien Phu au moyen d’armes atomiques tactiques (3 bombes) est envisageable. Cela suppose l’accord des Français. Cette note renvoie Dulles à cette lourde responsabilité (voir 5 mars et 30 avril) que les Français ont écarté (De Folin, 1993, p. 260).
Dulles répond à nouveau négativement à la demande française d’intervention aérienne, faute de soutien britannique (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 67-68).
Navarre répond au télégramme d’Ély de la veille : « Je suggère que Vautour soit exécuté au moins pour commencer sous cocardes françaises ou sans aucune cocarde. C’est un genre d’intervention qui correspond exactement à celui que pratiquent les Chinois. Il ne doit donc pas poser de problème politique international. Les équipages devant être sans insigne de grade ou nationalité et sans papiers […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 444) Le commandant en chef ira même plus loin dans ses propositions (voir 12 avril).
Suite à ses déclarations (voir 6 avril), le jeune sénateur démocrate Kennedy produit une note qui analyse les raisons de l’échec des Français en Indochine : « Jeter de l’argent, du matériel et des hommes dans la jungle d’Indochine sans avoir au moins une perspective éloignée de succès serait dangereusement inutile et illusoire. Je suis sincèrement convaincu que quel que soit le montant d’une aide américaine à l’Indochine, on ne vaincra pas un ennemi qui est à la fois partout et nulle part, où c’est « l’ennemi du peuple » qui possède la sympathie et le soutien caché de ce même peuple. » (cité in Ruscio, 1992, p. 234) Des propos qu’il oubliera lorsque, sous sa présidence, il mettra en branle l’engagement certes hésitant mais aussi irrémédiable des Américains dans la guerre du Vietnam.
A Paris, le général américain Partridge (commandant en chef de l’armée de l’Air dans le Pacifique) demande au gouvernement français l’autorisation de rencontrer Navarre dans le cadre de l’opération Vautour (Pouget, 2024, p. 494).
Au Cambodge, mise en place d’un gouvernement Sihanouk qui demeurera en place jusqu’au 17. Du fait des récents événements (voir 5 avril), Navarre et Dejean s’y rendent et rencontrent le nouveau chef du gouvernement (Rocolle, 1968, p. 459).
Nuit du 7 au 8 avril 75 : A Dien Bien Phu, installation d’une nouvelle antenne chirurgicale rendue possible par le largage de 8 personnels médicaux (Lemaire, 2000, p. 65).
8 avril 54 : Nivelle entend renforcer le camp retranché en donnant l’ordre de faire parachuter le 2e B.E.P. (commandant Lisenfelt) en prévision d’une attaque du VM annoncée par des interceptions radio et devenant possible à partir du 10 avril (Rocolle, 1968, p. 462). 167 parachutistes sans brevet ont été lâchés ce jour (Pouget, 2024, p. 494).
Profitant de la pause opérée par le VM, De Castries entend améliorer la situation à l’est. Il demande à Cogny le renfort d’un bataillon de parachutistes. Il convoque Langlais et Bigeard en vue de reprendre Éliane 1 avant le redémarrage de l’offensive du VM (Pouget, 2024, pp. 494-495).
Arrivée à Saigon du colonel Gentil de la section technique de l’armée. Il pense pouvoir provoquer des pluies artificielles au nord du camp retranché sur la R.P. 41 pour entraver le ravitaillement du VM. Bien que sceptique, Navarre autorise l’utilisation d’un Junker de la marine pour effectuer des essais (Pouget, 2024, p. 495).
L’amiral Radford continue à préparer l’opération Vautour. Un contact est pris entre Navarre et l’amiral Auboynau pour caler cette hypothétique opération. 2 porte-avions américains seront envoyés dans le Golfe du Tonkin (voir 10 avril). On a réclamé des appareils de radioguidage jugés indispensables pour que l’aviation américaine puisse intervenir avec efficacité (Rocolle, 1968, p. 443). La mise en place de toute cette infrastructure est toutefois bien trop tardive pour contrer l’approvisionnement du VM : Giap est en train de réalimenter son artillerie grâce aux livraisons chinoises en vue de son troisième assaut du 30.
A Saigon, à 11 h 00, Navarre reçoit le vice-amiral américain Hopwood (chef d’état-major de la flotte du Pacifique). Il est chargé d’étudier les conditions d’intervention de la 7e flotte en cas d’une menace chinoise. Il est plus réticent lorsque le commandant en chef français évoque avec lui les finalités de l’opération Vautour (Pouget, 2024, p. 495).
Nuit du 8 au 9 avril 54 : Il reste à Hanoi 2 bataillons de parachutistes en réserve. Seule une partie du 2e B.E.P. est parachutée sur Dien Bien Phu du fait des mauvaises conditions météorologiques. Bien que n’étant plus utilisée depuis le 28 mars, le VM lance un commando pour dynamiter à nouveau la piste d’aviation (Pouget, 2024, p. 495 et p. 497).
9 avril 54 : Libération en début d’après-midi d’un officier du VM porteur d’une proposition française pour rendre des blessés. Il est suivi d’un convoi d’ambulances qui attendra jusque 16 h 00. L’officier est intercepté à 800 m au sud d’Éliane 2. Le commandant vm d’un régiment envoie un message radio indiquant devoir attendre des instructions de sa hiérarchie. 195 tonnes de matériel ont été parachutées depuis la nuit précédente dont seulement 6 jugées irrécupérables. Pouget estime alors le nombre de blessés su camp retranché à 1 500 (Pouget, 2024, pp. 497-498.)
A Paris, Pleven (Défense) qui a eu « des échos inquiétants » sur la tenue de l’aviation en Indochine propose à Navarre de remplacer le général Lauzin (commandant l’aviation en Indochine). Navarre adresse une note à Ély dans laquelle il évoque l’éventuelle relève de Lauzin. Estimant qu’« en pleine bataille [ce] serait un geste spectaculaire mais plus nuisible qu’utile », il renonce à cette solution préférant faire confiance à son adjoint le général d’aviation Bodet qui demeure son homme de confiance à Hanoi. Selon Pouget, le commandant en chef demande « l’envoi immédiat […] d’un commandant de bombardement de grande classe » qui avait été précédemment décidé mais, au final, n’est jamais arrivé (Rocolle, 1968, pp. 322-323 ; Pouget, 2024, p. 496).
Le C.I.C.R., qui avait été saisi par Bidault (Affaires étrangères) depuis le 27 mars du non- respect des conventions concernant les blessés, adresse un message aux 2 belligérants pour les inviter à respecter conjointement le personnel et les véhicules couverts par « le signe de la Croix-Rouge ». (Rocolle, 1968, p. 451, note 177) Cette demande concernant les blessés demeurera la plupart du temps un vœu pieu pour les 2 belligérants : le VM connaît l’engorgement des services sanitaires et en use ; les Français poursuivent leurs bombardements aériens quelle que soit la nature du convoi. Côté français, une tentative de trêve échoue ce même jour en tentant de se débarrasser d’une soixantaine de blessés du VM bien encombrants. La question des blessés demeure encore plus problématique pour les défenseurs du camp retranché qui ne peuvent les évacuer et arrivent de ce fait à un point de saturation extrême.
Nuit du 9 au 10 avril 54 : Parachutage de la seconde partie du 2e B.E.P. (commandant Liesenfelt, 302 légionnaires) (Rocolle, 1968, p. 462). Échec de la contre-attaque du VM sur Éliane 1.
10 avril 54 : Des renforts bien tardifs sont promis par le gouvernement français au camp retranché. Ils arriveront mais trop tard. Selon Navarre, leur qualité est très variable d’une unité à l’autre, faute d’un temps d’entraînement nécessaire (Navarre, 1956, p. 106). Il ne reste au Tonkin qu’un seul bataillon de réserve, le 1er B.P.C., dans l’attente de l’arrivée du 7e B.P.C. venu de métropole mais qui n’arrivera à Saigon que le 24. Un autre bataillon, le 3e B.E.P., formé par la Légion, a été rassemblé en France et doit partir pour l’Indochine. Demeurent également 2 bataillons de parachutistes vietnamiens (1er et 3e B.P.V.N.). Ils sont peu confirmés et surtout peu sûrs. Langlais avait fait savoir que « si [l’un d’eux] arrivait, il serait désarmé et transformé en coolies. » (Rocolle, 1968, p. 462).
Du fait du récent renfort du 2e B.E.P., De Castries ordonne la reprise d’Éliane 1 (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 318-319) par les légionnaires et une compagnie du 6e B.C.P. de Bigeard. Ce dernier commande directement la manœuvre à partir d’Éliane 4. Une grande partie de la position sera reprise à partir du 12. Pourtant, il devient particulièrement difficile de tenir Éliane 1 dont un combattant donne la description suivante : « Il est devenu impossible de creuser des organisations dans un terrain ameubli par les explosions. D’autre part, toute tentative de creusement amène la découverte de nombreux cadavres sommairement enterrés. Des défenses en superstructure ont été élevées la nuit précédente avec des sacs de caï-phen [roseaux]. Ces organisations sont rapidement détruites dans la journée par des tirs de mortiers et des 57 mm sans recul, les sacs de caï-phen, en effet, glissent les uns sur les autres et ne permettent pas la consolidation des ouvrages. Aucun réseau de fil de fer ne subsiste. » (cité in Rocolle, 1968, p. 520) Avant la nuit, une relève des troupes d’assaut est accomplie au sommet d’Éliane 4 par les 3e et 4e compagnies du 2e bataillon du 1er R.C.P.
Le VM donne réponse à la restitution de prisonniers de la veille par une contre-proposition : les blessés français seraient rendus au nord de Dominique et les blessés vm au sud de Claudine. De Castries répond en demandant que l’échange ait lieu en un seul point (Pouget, 2024, p. 499). Cette proposition sera rejetée le 11 par le VM.
Le général Lauzin (commandant de l’Air en Extrême-Orient) envoie « pour répondre à certaines critiques qui auraient été faites à l’emploi du bombardement en Indochine » (voir 9 avril) une directive au G.A.T.A.C.-Nord pour améliorer l’efficacité des bombardements par B-26 en créant « un commandant de sous-groupement de bombardement » (Rocolle, 1968, p. 317, note 172). Nouvelle prise de décision bien tardive visant à limiter l’habituelle dispersion (voir 24 février) et, plus encore, la faiblesse des attaques aériennes menées depuis le début de la bataille par un nombre pléthorique d’avions, qui plus est, conduits par des pilotes de bombardiers qui souffrent pour certains d’un manque d’expérience (voir Rocolle, 1968, pp. 318-319, notamment note 174).
Arrivée dans le golfe du Tonkin de 2 porte-avions américains, le Boxer et l’Essex, positionnés par l’amiral Hopwood, chef d’état-major de la flotte américaine du Pacifique, en vue d’une éventuelle intervention dans le cadre de l’opération Vautour (Rocolle, 1968, p. 443).
Nuit du 10 au 11 avril 54 : Vers 18 h 00, le VM se lance à l’assaut d’Éliane 1. Les 2 compagnies du 1er R.C.P. tiennent grâce aux maigres renforts envoyés par Bigeard (1er B.E.P.) qui contre-attaquent et repoussent l’ennemi.
Pour la troisième nuit consécutive, 220 légionnaires sont à nouveau parachutés en renfort.
Départ à 4 h 45 de Bao Daï en avion particulier pour la France (Pouget, 2024, p. 500).
11 avril 54 : N’ayant pu obtenir des renforts le 31 mars au moment des attaques d’Éliane et Dominique et sentant qu’il y a, selon Bigeard, « du flottement à Hanoï » (querelle entre Navarre et Cogny, voir nuit du 30 au 31 mars), l’atmosphère dans le camp retranché est de plus en plus électrique envers l’état-major de Cogny et sa bureaucratie. Le lieutenant-colonel Langlais envoie ce jour un télégramme incendiaire au colonel Sauvagnac (commandant les troupes aéroportées depuis le départ du général Gilles). Sauvagnac a en effet refusé d’envoyer des renforts si les hommes n’étaient pas en possession du diplôme de brevetés parachutistes. Langlais lui écrit : « Réservé colonel Sauvagnac. Reçois votre message 21/77 en rentrant de la position Éliane 1 prise hier et contre-attaquée toute la nuit. Il me prouve que vous n’avez pas encore compris la situation à Dien Bien Phu. Stop. Je répète qu’il n’y a plus ici ni G.O.N.O., ni Groupement Aéroporté, ni légionnaires, ni Marocains, mais seulement 3 000 combattants dont les piliers sont les paras. Qui, au prix d’un héroïsme et de sacrifices inouïs, tiennent tête à quatre divisions de Giap. Le sort de Hanoï et de la guerre d’Indochine se joue à Dien Bien Phu. Stop. Devriez comprendre que la bataille ne peut être alimentée que par renforts parachutés brevetés ou non. Stop. Le colonel De Castries à qui j’ai montré votre message demandera et obtiendra du Généchef tout ce que vous me refusez. Stop. Signé Langlais et ses six chefs de bataillon. Stop et fin. » (cité in Bigeard, 1997, p. 163 ; Rocolle, 1968, pp. 406-407 ; Pouget, 2024, p. 501)
Giap relève de son commandement le colonel responsable de l’attaque manquée d’Éliane 1. Ce dernier aurait peut-être été fusillé pour cette faute. Le point d’appui continue cependant à recevoir des tirs d’artillerie vm venant de Dominique 2. A l’ouest, attaque d’Huguette 1 qui échoue (Pouget, 2024, p. 501).
11 avril - 19 juillet 54 : Au Cambodge, opération de l’armée nationale sur Kratié en vue de l’élimination des groupes vietminh opérant à l'est et au nord de la province.
11 - 12 avril 54 : Dulles (secrétaire d’État américain) se rend au Royaume-Uni pour promouvoir son plan d’intervention allié. Les Anglais avait promis d’« examiner la proposition » américaine mais persistent dans leur refus d’intervenir dans le conflit indochinois. Dulles propose de réunir une conférence regroupant 9 pays qui pourrait avoir lieu à Washington le 20 avril. Elle n’aura jamais lieu, le secrétaire d’État essuyant un nouveau refus des Britanniques motivé par la crainte que l’intervention américaine provoque une escalade avec la Chine. Churchill confiera ultérieurement à son médecin que la Grande Bretagne ayant abandonné les Indes, il ne voyait pas pourquoi il prêterait la main aux Français en Indochine (Lemaire, 2000, p. 64). Un manque de consensus politique, une opinion publique américaine réticente et deux refus successifs des Britanniques motiveront les Américains à mettre un terme définitif au plan Vautour à la fin du mois.
12 avril 54 : A Dien Bien Phu, malgré une importante supériorité numérique, retrait d’Éliane 1 des 2 bataillons vm qui s’y sont battus toute la nuit. Les 3e et 4e compagnies du 2e bataillon du 1er R.C.P. qui y ont résisté sont fondues en une seule compagnie, renforcée par la 1ère compagnie du 2e bataillon de la même unité. Elles occupent la position. Les Français ont largué un quatrième bataillon de parachutistes en renfort, le 2e B.E.P., qui réoccupe un point d’appui de l’est. Des artilleurs ont été également parachutés. A l’ouest, Huguette 6 est pris en tenaille par les boyaux d’approche du VM. La situation des blessés devient critique et les pluies de la mousson compliquent encore plus leur évacuation (Navarre, 1956, p. 226 ; Pouget, 2024, pp. 502-503).
Largage d’une troisième unité médicale parachutiste (voir 16 – 17 mars). Elle renforce immédiatement les moyens du noyau central du camp retranché (Rocolle, 1968, p. 305).
Navarre fait suite au télégramme d’Ély du 5 et à ses suggestions du 7 au sujet du projet de l’opération Vautour en proposant d’autres modalités d’exécution : « […] Le nombre d’appareil pourrait être de quinze à vingt afin de ne pas faire trop grand effet de masse. Il n’y aurait pour des quadrimoteurs, volant de nuit à haute altitude, pratiquement aucun risque de repérage pour l’ennemi ou de panne entraînant atterrissage ou perte d’un appareil. » (cité in Rocolle, 1968, p. 444) Il reviendra sur ce point le 22 mais cette solution sera rejetée par l’amiral Radford partisan d’un tout ou rien.
Bao Daï lance de France un appel à la mobilisation. Sa portée ne peut être que très modérée voire totalement inefficace. Selon Lemaire, « la moitié des jeunes gens concernés s’enfuirent dans les régions vietminh, tandis que 40 % de l’autre moitié échapperont au recrutement (Lemaire, 2000, p. 62). Selon Navarre, parmi le contingent du printemps 1954, 90 % des recrues sont de potentiels insoumis (Navarre, 1956, p. 140).
A Saigon, le général américain Trapnell, commandant du M.A.A.G., cède la place au général O’Daniel (Pouget, 2024, p. 503). La passation effective de pouvoir aura lieu le 8 juin.
Nuit du 13 au 14 avril 54 : A Dien Bien Phu, la piste d’aviation principale est coupée par une tranchée vm (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 144 ; témoignage de la difficile progression de cette unité de sabotage in Rocolle, 1968, pp. 470-471).
Le VM, parvenu à Huguette 1, poursuit l’encerclement du point d’appui Huguette 6 au moyen de boyaux d’approche (Rocolle, 1968, p. 470).
14 avril 54 : A Dien Bien Phu, le terrain d’aviation a été coupé en son tiers sud « par des tranchées à l’explosif à hauteur de Dominique 1 et à mi-distance de Huguette 1 et 2. » (Rocolle, 1968, p. 470, note 232).
Télégramme de De Castries à Cogny. Il estime que le « sort du G.O.N.O. sera joué avant le 10 mai, quels que soient les règlements sur l’entraînement de saut. » Il fait un point sur les effectifs tenant l’ouest et l’est du camp, un peu plus de 3 000 hommes, réserves comprises. Il évoque les difficultés du côté des Huguette et entend faire réparer la piste d’atterrissage qui jouxte ces points d’appui fortement menacés. La zone centrale est sans cesse harcelée par les canons de 105 (P.C., batteries, dépôts) (Pouget, 2024, pp. 506).
Réponse irritée de Navarre au télégramme de Cogny du 5 : il n’y a pas de déséquilibre entre les forces engagées dans le Delta et ailleurs (Rocolle, 1968, p. 487, note 22).
Dans le cadre de la future opération Condor visant à apporter une hypothétique aide au camp retranché, on forme un groupement de 4 bataillons parachutables sous les ordres du lieutenant-colonel Godard. Il s’agit de troupes formées de 2 sous-groupements (1er et 5e bataillons laotiens à l’ouest ; 4e bataillon laotien et 2e bataillon du 2e régiment de la Légion à l’est) qui ont été gardées en réserve et sont censées aider celles du colonel De Crèvecœur et celles du lieutenant-colonel Trinquier qui occupent différents maquis au Laos. Ces troupes doivent intervenir entre la vallée de la Nam Ou et le massif calcaire qui ferme la plaine de Dien Bien Phu au sud. Outre le temps de mise en place d’un tel dispositif, leur progression s’avèrera potentiellement lente, le groupement Godard ne disposant pas d’un nombre de coolies nécessaire. Différents aléas (retards, positionnement des troupes du VM, manque de moyens aériens pour acheminer ces renforts) feront que cette opération, aussi lente qu’hasardeuse, avortera rapidement, bien incapable au vu de ses faibles moyens de contrarier l’encerclement du camp retranché (Rocolle, 1968, pp. 496-500). De Condor, on passera alors à Ariane (voir 30 avril).
Après Londres, Foster Dulles (secrétaire d’État américain) se rend à Paris pour y présenter son plan d’intervention alliée et l’idée d’une alliance pour la défense du Sud-Est asiatique. Les Français n’y sont guère favorables avant la conférence de Genève, voulant ménager la susceptibilité chinoise et fondant toujours leurs espoirs en une paix des braves négociée. Français et Britanniques sont sur ce point sur une même longueur d’onde (Ély, 1964, p. 89 ; Lemaire, 2000, p. 64).
Venue à Saigon du général américain Partridge, commandant des forces aériennes américaines en Extrême-Orient. Il n’est pas au courant de l’hypothétique opération Vautour (voir 8 avril). Il est venu là pour une mission de conseil mais sera mis dans la confidence progressivement par les Français. Il se rend à Hanoï puis survole Dien Bien Phu à haute altitude (voir 20 avril) (Rocolle, 1968, pp. 443-444). Visite du ministre des Affaires étrangères australien Casey.
Nuit du 14 au 15 avril 54 : Huguette 6 qui ne possède pas de point d’eau est de plus en plus difficilement ravitaillée. Les patrouilles de ravitaillement mettent des heures pour arriver à destination et sont la plupart du temps décimées avant d’atteindre leur but. Les tranchées du VM étouffent peu à peu ce point d’appui isolé (Pouget, 2024, pp. 378-379).
15 avril 54 : A Dien Bien Phu, le 8e B.P.C. ne parvient pas à s’approcher de la tranchée qui assure la rupture de la piste d’atterrissage. Les légionnaires ne parviennent pas à reprendre le triangle Huguette 1, 5 et 2 où se sont fortifiées les troupes du VM (Pouget, 2024, pp. 507).
Navarre arrive à Hanoi à 15 h 45 et y demeurera jusqu’au 18 (Rocolle, 1968, p. 487, note 21 ; Pouget, 2024, p. 508).
En conseil des ministres, diverses promotions sont accordées aux défenseurs de Dien Bien Phu : De Castries devient général de brigade, Langlade et Langlais sont promus au grade de colonel, Seguin-Praxis et Bigeard à celui de lieutenant-colonel (Navarre, 1979, p. 350). Ce qui fait grincer certaines dents dans l’armée d’Indochine (voir 24 avril)… Les nouveaux galons de De Castries, parachutés à haute altitude, se retrouvent en zone vietminh…
Une lettre de Ély à Navarre lui indique qu’il a dans le général américain O’Daniel (futur dirigeant le M.A.A.G., voir 8 juin) est « un admirateur » du plan Navarre et du choix de Dien Bien Phu : « Le général O’Daniel peut donc beaucoup vous aider et, à la faveur de cette compréhension établie entre vous et lui, contribuer grandement à une plus juste appréciation par Washington de nos difficultés et de nos besoins en Indochine […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 66, note 119)
Jean Chauvel (diplomate de l’équipe du ministre des Affaires étrangères Bidault) chargé à Genève de négocier pour la France adresse à Navarre et Dejean (commissaire général) un questionnaire afin de recueillir leur avis respectif. A Navarre, il demande quelles seraient les conséquences d’un échec de la conférence de Genève sur le plan opérationnel, quels territoires pourraient être abandonnés au VM pour aboutir à un cessez-le-feu et comment un tel partage pourrait être assuré. Navarre lui répondra le 20 (Rocolle, 1968, pp. 489-490).
Poursuite à Seno des entretiens avec le colonel De Crèvecœur (voir 5 avril) en vue de monter l’opération Condor. Navarre se rend à Hanoi pour en examiner les détails (Rocolle, 1968, p. 461).
Mi-avril 54 : Navarre fait état de tentatives d’« une offre secrète très sérieuses » de négociation de la part du VM par le biais par le biais des services spéciaux. Celle-ci n’aboutira pas (Navarre, 1979, p. 386).
Selon Navarre, ce n’est qu’à ce moment que le gouvernement français consulte le commandant en chef et le commissaire général Dejean sur les conditions dans lesquelles ils jugent possible de conclure un armistice à Genève. Navarre est alors assailli, selon ses termes, de questions « formulées dans un grand désordre et souvent contradictoires. » Se pose alors la question du potentiel regroupement des forces militaires : regroupées ou sous forme de « peaux de léopard » ? (Navarre, 1979, pp. 389-390)
16 avril 54 : A Dien Bien Phu, 7 coolies sur les 35 partis parviennent à Huguette 2 munis de 5 jerrycans. Ce maigre ravitaillement opéré dans des conditions très difficiles ne permet de fournir qu’un demi-litre d’eau aux combattants là où il en faudrait 2 par hommes et par jour en climat tropical.
Le VM a poussé une nouvelle tranchée d’ouest en est entre Huguette 5 et Huguette 1. Elle atteint la piste d’aviation. De Huguette 2, les légionnaires adoptent la même méthode en direction de Huguette 1 et les 2 réseaux de tranchées qui sont voués à se couper.
Les Français ne récupèrent ce jour que moins de la moitié des 215 tonnes de ravitaillement largué (Pouget, 2024, pp. 508-509).
Navarre envoie à Marc Jacquet (États associés) un message dans lequel il précise : « […] Une très grande lassitude se manifeste dans les unités adverses, dont certaines donnent la nette impression d’être à bout moralement et physiquement. » Giap, conscient de ce fléchissement du moral, évoque alors des « tendances droitières [qui] restent graves et limitent en partie la portée de nos victoires […] » (voir 27 avril) (cité in Rocolle, 1968, p. 482)
Suite à une intervention d’une personnalité vietnamienne appartenant aux milieux nationalistes œuvrant en faveur d’un armistice à Dien Bien Phu, Navarre qui a été mis au courant de cette démarche, demande à Ély (chef d’état-major) s’il doit donner suite à cette initiative. Paris lui donnera cette autorisation mais avec prudence, supposant qu’il peut s’agir d’une tentative du VM reposant sur des conditions inacceptables visant à impressionner l’opinion publique française et affaiblir le gouvernement vietnamien. Les choses tournent rapidement court (Rocolle, 1968, pp. 459-460).
Réunion à Hanoi pour trouver des solutions à l’encerclement du camp retranché. Sont présents Navarre et Cogny. Les généraux Cogny et Deschaux et le colonel Sauvagnac sont entendus. Navarre écarte l’idée d’une action sur la R.P. 41 qui prévoyait l’enlèvement du col des Meo faute d’effectifs parachutables nécessaires et de moyens logistiques adéquats pour réaliser une telle opération. Cogny suggère alors une idée qui lui est chère : déboucher du Delta pour intercepter les convois adverses en marchant sur Phu Doan. Mais cela suppose la mobilisation de 4 G.M. et une action qui mettrait au moins 3 semaines pour être réalisable. Cogny avait lui-même reconnu qu’une telle opération, éloignée du Dien Bien Phu, n’aurait qu’un effet indirect sur la libération du camp retranché. Faute de mieux, on en revient finalement au projet Condor (Rocolle, 1968, pp. 462-464).
Lors d’un C.N.S. américain, Eisenhower déclare : « Nous ne sommes pas préparés maintenant pour agir pour Dien Bien Phu et seulement pour cette bataille, mais si nous pouvons monter ensemble un programme de coalition pour le Sud-Est asiatique [future O.T.A.S.E.], alors nous pouvons croire que la bataille est au deux tiers gagnée. » (Toinet, 1998, p. 249)
Nixon (vice-président) fait savoir publiquement qu’il est favorable à une intervention américaine à Dien Bien Phu (Vautour). Les préparations techniques sont donc entreprises en ce sens par certains états-majors américains locaux (Ély, 1964, p. 90).
Nuit du 16 au 17 avril 54 : Ravitaillement en eau d’Huguette 6 par 5 compagnies de la Légion. Une tentative de creusement d’un puits sur place échoue.
Coup de main du VM sur Éliane 1 au moment d’une relève d’unités. Les 2 officiers bretons ayant observé que le VM écoute leurs conversations radio communiquent désormais en langue gaélique pour mener à bien cette relève.
80 légionnaires sont largués dont 60 parachutistes. L’opération réussit : seul un breveté se fait une entorse (Pouget, 2024, pp. 509-510).
17 avril 54 : Au vu des difficultés et des pertes occasionnées pour ravitailler Huguette 6 en eu eau, vivres et munitions et où demeurent environ 150 hommes, De Castries décide de l’évacuation du point d’appui qui est de plus en plus enserré par les tranchées du VM (Pouget, 2024, p. 511).
Transmission par Ély (chef d’état-major) du télégramme de la promotion de De Castries et ses adjoints avec les félicitations de Pleven (voir 15 avril).
Suite à une réunion à la citadelle d’Hanoi qui a lieu à 11 h 00, lettre de Cogny à Navarre donnant son approbation pour l’opération Condor. Il revient sur sa suggestion de la veille : lancer une opération vers Dien Bien Phu à partir du Delta sur les lignes de communication du VM (Rocolle, 1968, pp. 487-488, note 22). Selon Pouget, « il s’agit de l’opération étudiée par le colonel de Crèvecœur et qui consiste à pousser quatre bataillons de Laotiens des bases aéroterrestres de Muong Sai vers Muong Khoua à quatre jours de marche de Dien Bien Phu. En cas de réussite, les trois derniers bataillons en réserve à Hanoi seraient largués en tête de colonne dans la cuvette de Sop Nao où Langlais et Vaudrey se sont tendu la main à Noël. » (Pouget, 2024, p. 510)
Envoi d’une lettre de Navarre à De Castries. Évoquant l’opération Condor, le commandant en chef lui demande de renoncer à réclamer des renforts en parachutistes pour maintenir au complet un groupement aéroporté susceptible d’intervenir pour mener à bien l’opération de sauvetage du camp retranché (Condor) (Rocolle, 1968, p. 501, note 65).
Le ramassage des 237 tonnes de ravitaillement largué dans la journée devient de plus en plus une opération meurtrière pour les récupérateurs (Pouget, 2024, p. 511).
Nuit du 17 au 18 avril 54 : Évacuation d’Huguette 6. Intervention du 1er B.E.P. pour ouvrir la voie. Il se heurte aux tranchées du VM. Au matin, il ne peut reprendre une deuxième ligne et doit se replier vers 4 h 00. La mission sera confiée à Bigeard qui n’est pas convaincu du succès de l’opération au vu des pertes prévisibles qui risquent d’être supérieures u nombre d’hommes à sauver (150 hommes) (Pouget, 2024, p. 511).
17 - 18 avril 54 : A Paris, la perspective d'une implication militaire américaine s'éloignant, René Pleven (Défense) propose de négocier un cessez-le-feu directement avec le Vietminh, le temps d'évacuer les nombreux blessés. Mais le général Ély (chef d’état-major des Forces armées) et Georges Bidault (Affaires étrangères) s'y opposent pour ne pas faire preuve de faiblesse à la veille de la conférence de Genève. Joseph Laniel se range finalement à leur avis (Lemaire, 2000, p. 65).
18 avril 54 : A Dien Bien Phu, à 6 h 30, Bigeard lance, sans conviction, une attaque visant à dégager Huguette 6. Le 1er B.E.P. et 2 compagnies du 8e B.P.C. se heurtent à une vive résistance sur la première tranchée vm. Il renonce dès 7 h 30. Le capitaine Bizard qui commande le point d’appui est informé et décide de tenter une sortie vers Huguette 2. 60 hommes sur 120 y parviendront (Pouget, 2024, p. 512). Au final, les troupes vm prennent le contrôle d’Huguette 6 âprement disputé depuis le 13 (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 144).
Au Cambodge, mise en place d’un gouvernement Penn Nouth qui demeurera en place jusqu’au 31 juillet (Jennar, 1995, p. 148).
Nuit du 18 au 19 avril 54 : Impossibilité provisoire pour le 1er bataillon du 13e demie brigade de la Légion étrangère de relever le 2e Régiment étranger d’infanterie sur Huguette 1 (Pouget, 2024, p. 512).
19 avril 54 : Le 1er bataillon du 13e demie brigade de la Légion étrangère parvient finalement à pénétrer sur Huguette 1. Le VM a creusé une position défensive entre Huguette 1 et 2 (Pouget, 2024, p. 513).
20 avril 54 : A Dien Bien Phu, parachutage de 93 hommes dont la plupart sont des légionnaires non brevetés. Un tiers d’entre eux ont été malencontreusement largués en zone vm entre Claudine et Isabelle (Pouget, 2024, p. 514).
Navarre répond sur les questions opérationnelles que le diplomate Jean Chauvel (chargé des négociations françaises à Genève auprès de Bidault) lui a adressées le 15. Il envisage l’hypothèse d’un échec de la conférence. Dans ce cas, il prévoit « une intensification considérable de la guerre en Indochine ». Selon le commandant en chef, celle-ci a démarré dès l’annonce de la conférence de Genève, annonce qu’il a toujours déplorée. Il observe « une recrudescence très importante de l’activité opérationnelle viet, mais sans qu’il y ait de changement notable dans les méthodes et les moyens ». Dans le Nord-Ouest, il constate « une transformation complète de la guerre » grâce à l’aide chinoise (apport en artillerie, D.C.A., transports automobiles et transmissions) et prédit qu’il en sera de même dans toute l’Indochine si la conférence échoue. Il faut donc faire « une autre guerre » avec « un autre corps de bataille ». Cela nécessite beaucoup plus d’aviation avec « une infrastructure beaucoup importante que l’actuelle ». Il n’a d’autre part aucun espoir « que l’armée vietnamienne puisse apporter une contribution sérieuse avant de longs mois ». Il estime que « l’échec de Genève aboutira donc à peu près inévitablement à une internationalisation de la guerre ». Ce dont les Français ne veulent pas.
Côté vm, il juge que « le corps de bataille aura besoin d’un temps assez long pour se reconstituer […] Il est donc peu probable qu’il puisse entrer en campagne avant l’hiver. » Un échec à Genève supposerait toutefois un renforcement du corps expéditionnaire de 9 à 10 G.M., sans quoi on se dirigera inévitablement vers une internationalisation du conflit qui aboutirait à « la fin de l’influence française en Indochine [qui serait] un trait définitif tiré sur cent ans d’efforts et huit ans de sacrifice. » (Rocolle, 1968, pp. 490-492).
Valluy (délégué à l’O.T.A.N.) fait savoir aux Français que, selon l’amiral américain Radford (chef de l’état-major interarmes), l’opération Vautour peut être déclenchée dans les 48 heures après une prise de décision politique américaine (Ély, 1964, p. 90). Or celle-ci ne viendra jamais.
Le général américain Partridge, commandant des forces aériennes américaines en Extrême-Orient, présent en Indochine depuis le 14, envoie à Saigon le général Caldera (chef de l’aviation de bombardement américaine en Extrême-Orient) et 8 officiers d’état-major pour mettre au point les détails d’exécution de l’hypothétique opération Vautour. Ce travail d’étude sera terminé le 23. Ses concepteurs estiment qu’il faudra 72 heures de délai avant que les bombardements américains ne s’abattent sur la R.P. 41 (Rocolle, 1968, pp. 443-444). On mise toujours sur une hypothétique intervention américaine mais on se heurte à des délais de mise en œuvre nécessaires trop tardifs alors que le VM réapprovisionne en hommes et matériels le siège de Dien Bien Phu.
Les Français réitèrent une demande (orale) d’intervention des forteresses volantes B-29 auprès de Dulles. Ce dernier réunit au Département d’État l’amiral Radford (chef de l’état-major interarmes) et 8 membres du Congrès appartenant aux deux formations politiques principales. Ces derniers, excédés par les tergiversations et les mensonges des Français (le plan Navarre présenté aux Américains ne se cantonnait pas à la seule bataille de Dien Bien Phu mais allait en fait bien au-delà), refusent une implication de l’aviation américaine (Chauvel, 1973, p. 45 ; David, 2007, p. 9 ; Rocolle, 1968, p. 448, nous suivons ici la chronologie de ce dernier et non celle des auteurs précédents).
21 avril 54 : A Dien Bien Phu, Huguette 1, qui a été difficilement relevé, est de plus en plus isolé : la liaison avec Huguette 2 est désormais impossible. Le VM a, depuis son échec devant Huguette 6, renoncé aux attaques frontales et privilégie l’isolement, l’encerclement et l’étouffement des points d’appui un à un au moyen de réseaux de boyaux (Pouget, 2024, pp. 515-516).
Dans une lettre adressée au gouvernement français à la veille de la conférence de Genève, Navarre écrit : « Il est trop tard maintenant et les pertes adverses ont été trop lourdes pour que les divisions vietminh libérées envahissent le Nord-Laos ou rentrent dans le Delta avec des possibilités offensives sérieuses. La chute de Dien Bien Phu n’aurait plus de conséquences très graves maintenant, dans la mesure où la France et le Vietnam se laisseraient, à cette occasion, aller au découragement ou à l’abandon. » Dès cette date, l’idée d’une défaite complète et totale du camp retranché est donc envisagée par le commandant en chef (Navarre, 1956, p. 260, note 1). Pour autant, Navarre indique déjà dès ce jour une idée qui lui sera chère et qu’il défendra – à juste titre – après la défaite de Dien Bien Phu : « Le Corps de bataille vietminh aura besoin d’un temps assez long pour se reconstituer […] Il est donc peu probable qu’il puisse entrer en campagne, refait et modernisé, avant le milieu de l’hiver [...] » (Navarre, 1956, p. 272, note 2)
Une lettre de Navarre adressée Ély (chef d’état-major) lui signale « le problème posé par le comportement du général Cogny ». Dans ce courier, Navarre écrit de son subordonné : « […] Selon sa conception, j’aurais dû accepter tous les revers, si graves soient-ils, où que ce soit : Laos – Plateaux – Atlante, pour conserver dans le delta des forces qui auraient permis de n’y courir aucun risque, même minime […] » Navarre demandera le remplacement du commandant des forces françaises du Tonkin dès après la chute de Dien Bien Phu. En vain. Le chef d’état-major de la Défense nationale lui répondra sur ce sujet le 28 (Navarre, 1956, p. 267, note 1 ; cité in Rocolle, 1968, p. 488).
Nuit du 21 au 22 avril 54 : On poursuit les tentatives de dégagement d’Huguette 1 mais on se heurte aux derniers 100 m qui permettraient de le ravitailler (Pouget, 2024, p. 516).
22 avril 54 : Réunion du comité militaire du front. On y définit le rythme prudent des 2 futures attaques car Giap n’envisage pas l’assaut final en une seule attaque : du 1er au 5 mai, il faudra conquérir les derniers points d’appui ; du 6 au 10 mai, on consoliderait les résultats obtenus et on entamerait la préparation de la phase suivante, la conquête des dernières positions tenues par les Français (Rocolle, 1968, p. 459-460). Fidèle à sa tactique initiale, Giap estime que les combats pourront durer jusqu’à fin juin.
Message de Cogny à Navarre. Il évoque la dégradation de la situation à Dien Bien Phu et revient inlassablement sur le point qui l’obsède depuis le début de l’opération Castor : « Chute de Dien Bien Phu aurait répercussions graves delta. » (Rocolle, 1968, p. 487-488, note 22). Navarre lui répondra le 24.
Eden (Affaires étrangères) et Dulles (secrétaire d’État) se rendent à un conseil de l’O.T.A.N. et y rencontrent Bidault (Affaires étrangères). C’est au cours de cette journée que Dulles aurait proposé de livrer 2 bombes atomiques à la France pour agir sur les arrières du VM. La proposition sera à nouveau rejetée par les Français (Lemaire, 2000, p. 65).
Nuit du 22 au 23 avril 54 : Nouvelle tentative de dégagement et de ravitaillement d’Huguette 1 qui se heurte aux défenses du VM et ne parvient pas à dégager le point d’appui. Il est en fait asphyxié de toutes parts. A 2 h 30, il ne répond plus. Un rescapé rejoint la colonne de secours et informe le commandement qu’il est définitivement tombé. A 4 h 00, un bataillon vm venant d’Huguette 1 attaque la colonne de secours qui ne peut que se replier (Pouget, 2024, pp. 516-517).
23 avril 54 : A Dien Bien Phu, abandon par les Français de la moitié de la piste d’aviation principale. Le VM peut rapprocher sa D.C.A. et rendre les parachutages de plus en plus aléatoires (Rocolle, 1968, p. 479).
De Castries réunit ses colonels en vue de contre-attaquer et de reconquérir Huguette 1 qui est tombé et désormais complètement défendu par un puissant réseau de tranchées d’approche. Sans la maîtrise de ce point d’appui crucial, la zone des parachutages est de plus en plus réduite. L’opération échoue en fin d’après-midi malgré un soutien aérien qui a été pris à partie par la D.C.A. Huguette 5 subit la même menace d’encerclement. Les dépôts du camp retranché en vivres et munitions n’ont plus que 2 jours de stock d’avance (Pouget, 2024, pp. 518-519).
Navarre adresse un télégramme à Ély (chef d’état-major) avant la reconquête infructueuse d’Huguette 1 : « […] Il ne faut pas se dissimuler que ni le renforcement de la garnison par parachutages, ni l’opération de dégagement (opération Condor) très limitée par possibilités support aérien ne donnent de grandes chances de sauver le camp retranché et ne peuvent guère, au prix de sacrifices supplémentaires, que prolonger la résistance. J’estime qu’à moins d’imprévu le camp retranché ne pourrait être sauvé que par une opération Vautour massive ou par un cessez-le-feu […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 487, Pouget, 2024, p. 517).
Les Français réitèrent une demande (toujours orale) d’intervention des forteresses volantes B-29 auprès de Dulles en prétendant que tout n’est pas perdu à Dien Bien Phu. Le secrétaire d’État américain qui est à Paris pour préparer la conférence de Genève ne se laisse pas convaincre. Il écrit à Eisenhower : « […] J’ai dit à Bidault qu’une intervention des B-29 telle qu’elle était proposée [voir ci-dessous] me semblait hors de question dans les circonstances présentes, mais que j’allais faire un rapport urgent de tout cela au président et que j’en discuterai avec l’amiral Radford immédiatement auprès de celui-ci à Paris demain soir. Bidault donne l’impression d’un homme au bord de l’effondrement. Son état mental à la séance de ce matin était nettement meilleur qu’hier mais il a été pénible de le voir présider le conseil à la longue séance de cet après-midi. Il est de toute évidence épuisé, il tient des propos imprécis et décousus […] » (cité in Rocolle, 1968, pp. 448-449, note 172).
Navarre reconnaît qu’il n’y a plus que 2 alternatives, ou demander un cessez-le-feu ou une intervention de l’aviation américaine massive. Il suggère à nouveau, comme solution intermédiaire, d’envoyer des bombardiers B-29 avec des équipages français mêlés à des pilotes américains, civils ou militaires, incorporés temporairement dans la Légion étrangère. Bidault (Affaires étrangères) transmet ce message de Navarre à Dulles (Lemaire, 2000, p. 65 ; Rocolle, 1968, p. 445). Cette proposition sera à nouveau rejetée par les Américains.
Nuit du 23 au 24 avril 54 : Parachutage de 72 volontaires (Pouget, 2024, p. 520).
24 avril 54 : A Dien Bien Phu, l’échec de la reconquête d’Huguette 1 oblige De Castries à remanier son dispositif de défense. On prévoit l’abandon du point d’appui Opéra, désormais trop avancé car situé à l’est de la piste d’atterrissage, au niveau d’Huguette 1. Le « drain » de la piste d’atterrissage est organisé en site défensif mais devient rapidement un bourbier sous l’effet des pluies de mousson. Demeurent en état de combattre sur les différents points d’appui encore tenus 3 620 hommes face à 35 000 hommes des troupes du VM. A la veille de la troisième offensive, on se bat donc désormais à 10 contre 1 (Pouget, 2024, pp. 521-522).
Les antennes chirurgicales sont engorgées. Elles comptent 416 blessés couchés et 176 autres assis. D’autres blessés dont le nombre est sans doute supérieur à ceux-ci demeurent dans les postes de secours des bataillons où ils reçoivent un minimum de soins. Beaucoup d’hommes reprennent le combat en première ligne après avoir reçu un traitement des plus sommaires. Éliane 10 devient le point d’appui où sont concentrés les blessés (Rocolle, 1968, pp. 479-480).
Réponse irritée de Navarre au télégramme du Cogny du 22 : « Je connais situation critique delta mais la considère pas plus critique et ne considère pas certain que chute de Dien Bien Phu aurait sur elle répercussion plus grave que sur reste Indochine […] » Pour autant, ce même jour, Cogny réaffirme auprès de Navarre la primauté du Tonkin et réclame la constitution d’une masse de manœuvre dans le Delta (Rocolle, 1968, p. 487-488, note 22).
Une polémique entre Navarre et De Castries transpire dans la presse nationale au sujet de la récente promotion de ce dernier et certaines fuites. Le journal Le Monde en fait état : « Le général De Castries a adressé au général Navarre un télégramme protestant contre les « diverses histoires » qui ont circulé à propos de sa récente promotion. Le commandement a publié à ce sujet le communiqué suivant :
1 Le général De Castries déclare sur l'honneur n'avoir eu aucun contact personnel avec la presse et n'avoir chargé qui que ce soit d'en avoir ;
2 Mme De Castries, peu au courant des problèmes militaires, a manifesté probablement une certaine lassitude personnelle, exploitée par un correspondant de presse avide de sensationnel ;
3 Le général de Castries connaissait dès le 24 mars la proposition exceptionnelle faite en sa faveur, mais ne pensait pas qu'une nomination puisse intervenir avant la fin de la bataille ;
4 Le général de Castries se déclare comblé par une promotion aussi rapide, mais préférerait qu'elle soit annulée plutôt que de savoir que le moindre doute subsiste quant aux circonstances dans lesquelles elle a été prononcée. » (Le Monde du 24 avril 1954) Les petites querelles de préséance au sein du C.E.F.E.O. ont décidément la vie dure…
Le VM reçoit un arrivage important de munitions à Son La (à l’est de Dien Bien Phu) qui seront acheminées sur la base de Tuan Giao dès le lendemain. A ce moment, le VM a refait son stock de munitions jusqu’alors défaillant grâce à l’aide massive de la Chine. Et ce, d’autant plus, qu’il récupère de plus en plus d’obus provenant des parachutages français malencontreux du fait de la réduction des zones de largage. La troisième offensive du VM sur le camp retranché semble possible à partir du 27 mais sera reportée au 1er mai suite à l’épuisement temporaire des troupes d’assaut (Rocolle, 1968, p. 483-484).
Laniel reçoit Foster Dulles (secrétaire d’État) à Matignon. Ce dernier confirme que les U.S.A. n’agiront en Indochine qu’en présence d’alliés. Le président du Conseil demande aux Américains non un état de belligérance mais une intervention limitée, simple réplique à l’implication chinoise avérée à Dien Bien Phu (Laniel, 1957, pp. 87-88). C’est sans doute à cette occasion qu’aurait été évoqué à nouveau (voir 5 mars, 7 et 22 avril) le recours à l’utilisation de 2 bombes atomiques, information qui sera à nouveau confirmée dans une interview que donnera a postériori Georges Bidault le 7 novembre 1968. Le ministre des Affaires étrangères aurait écarté cette solution jugée par lui comme inadéquate à la situation du camp retranché qui est d’ailleurs est déjà perdu à ce moment (Wainstock, Miller, 2019, p. 135, note 5 ; Pouget, 2024, pp. 522-523).
Selon Pouget, Bidault adresse à Dulles une demande destinée à relancer Vautour estimant qu’une intervention massive de l’aviation américaine peut encore sauver le camp retranché. Cette demande est transmise à l’ambassade de France à Washington pour être communiquée au gouvernement américain. La réponse d’Eisenhower transmise par Bedell Smith demeure inchangée : les U.S.A. ne peuvent s’engager en Indochine qu’avec l’autorisation du Congrès (Pouget, 2024, pp. 523-524). Dulles opposera un nouveau refus d’intervention de son pays dès le lendemain.
Les divergences se poursuivent au sein du gouvernement français. Lors d’un conseil des ministres, seul Paul Reynaud (vice-président du Conseil) demande si la délégation française à Genève ne doit pas demander un cessez-le-feu dès l’ouverture de la conférence le 26. Il propose que cette initiative ne vienne pas de la France mais soit suggérée par d’autres puissances… Bidault (Affaires étrangères) et la majorité des autres ministres exigent quant à eux un armistice garanti et contrôlé (Rocolle, 1968, p. 483-484). Les suggestions des uns et des autres sur la question du cessez-le-feu n’auront d’ailleurs aucun sens au moment de l’ouverture de la conférence puisque la délégation du VM ne rejoindra Genève que le 4 mai… Quant aux discussions sur ce point, elles ne seront véritablement entamées que le 10.
25 avril 54 : A Dien Bien Phu, Le VM poursuit ses travaux de siège en direction d’Huguette 4 et 5. Le 1er bataillon de la 13e demie brigade de la Légion étrangère relève le 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs parachutiste sur Éliane 2. Il se regroupe autour des troupes de Bréchignac sur Éliane 4 (Pouget, 2024, p. 524).
Des avions français bombardent le village thaï de Noong Nhai, au sud, proche d’Isabelle occasionnant 444 victimes dans la population civile (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 188).
Le VM reçoit un important ravitaillement chinois en carburant. Il est immédiatement dirigé vers la base logistique de Tuan Giao (200 véhicules transportant 2 400 fûts d’essence) (Rocolle, 1968, p. 485).
Déclaration de Bao Daï, toujours en France, précisant à nouveau que « le Vietnam n’a pas toutes les assurances concrètes que son unité et son indépendance de partenaire librement associé sont complètement garanties. » (De Folin, 1993, p. 293) Les résultats de la conférence de Genève confirmeront ses craintes tout à fait justifiées.
Faisant suite à une réunion du cabinet britannique pour examiner la demande française, arrivée à Orly en fin d’après-midi du ministre des Affaires étrangères Anthony Eden en transit pour se rendre à Genève. Les Britanniques signifient à nouveau aux Français et aux Américains qu’ils s’opposent à l’opération Vautour : « Le gouvernement anglais n’est pas prêt à prendre avant Genève le moindre engagement au sujet d’une action militaire en Indochine. » (cité in Pouget, 2024, p. 525 ; Wainstock, Miller, 2019, p. 138)
Bidault transmet à l’ambassadeur des États-Unis une première requête écrite (les 2 précédentes n’ont été qu’orales) en faveur d’une intervention de l’aviation américaine à Dien Bien Phu. (David, 2007, p. 9). Or, il est déjà bien trop tard pour changer la donne au vu de la situation militaire du camp retranché.
Au Laos, le colonel Godard part de la base de la Nam Bac avec le 1er bataillon de parachutistes laotiens. Il se dirige vers Muong Khoua afin de se rapprocher de Dien Bien Phu (Pouget, 2024, p. 525).
25 – 30 avril 54 : Violentes averses de mousson qui se poursuivront jusque début mai. Dès le 30, les tranchées sont emplies de boue (Rocolle, 1968, p. 517). L’activité de l’aviation est donc une fois de plus réduite.
26 avril 54 : Cogny signale à Navarre l’apparition d’une mutinerie à Dien Bien Phu, sur Isabelle. De Castries demande à Cogny l’autorisation de réunir une cour martiale. Cogny en réfère à Navarre qui juge que seul De Castries peut prendre cette décision qu’il couvrira si nécessaire. Les choses rentrent dans l’ordre sous l’impulsion du lieutenant-colonel Lalande, commandant Isabelle (Navarre, 1979, p. 347, note 1).
Les antennes chirurgicales à Dien Bien Phu sont submergées. Elles comptent 2 322 blessés triés et ont pratiqué 759 interventions chirurgicales (Lemaire, 2000, p. 65).
Reprise progressive d’une troisième phase offensive du VM à Dien Bien Phu. Dans le camp retranché, il ne demeure que 4 200 hommes en état de combattre : 3 000 dans la partie centrale du camp et 1 200 sur Isabelle (au sud) sur un total initial compris entre 10 à 12 000 hommes. Environ un millier d’entre eux ont baissé les armes et se terrent sans combattre aux abords du cours d’eau qui traverse le camp et sont appelés les « rats de la Nam Youn ».
L’artillerie est désormais réduite à 19 obusiers de 105, 1 canon de 155 et 15 mortiers de 120. Les stocks de munitions sont en baisse vertigineuse faute d’approvisionnement régulier pouvant être réceptionné. Il ne reste que 3 chars capables de combattre dont 2 complètement isolés sur Isabelle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 321-322). Les parachutages comptent désormais pas moins de 30 % de pertes. À ce moment de la bataille, l’aviation a perdu 6 appareils et 93 ont été touchés par la D.C.A. vietminh.
Dans un télégramme adressé à Navarre, Cogny écrit : « […] Estime durée résistance Dien Bien Phu deux à trois semaines avec renforcement, sous réserve adversaire poursuit tactique actuelle sans lancer attaque générale. Stop. Si renforcement stoppé maintenant délai huit jours en raison chute du moral […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 488, note 25). Bien que la situation soit définitivement perdue, de maigres renforts seront parachutés jusque la fin.
Navarre télégraphie ce même jour à Cogny : « Estime qu’aussi bien honneur militaire qu’espoir même sans certitude issue favorable justifie sacrifices supplémentaires. Stop. Or issue favorable peut être espérée du fait conférence Genève, qui peut amener soit cessez-le-feu soit intervention américaine en cas d’échec. Stop. Suis donc décidé à prolonger au maximum résistance Dien Bien Phu. » (cité in Rocolle, 1968, p. 489) Les espoirs exprimés dans le processus nécessairement long de la conférence de Genève (qui démarre ce jour sur la seule question coréenne…) ou une éventuelle aide américaine montrent à quel point Navarre s’illusionne, non sans une bonne dose de mauvaise foi… (voir ci-dessous)
Navarre télégraphie à Ély (chef d’état-major) : « Général Cogny estime à 2 ou 3 semaines, s’il n’y a pas d’attaque générale, possibilités résistance Dien Bien Phu sous réserve envoi régulier de renforts […] De mon côté compte leur donner espoir événement favorable en leu annonçant opération Condor qui, pour multiples raisons, ne peut être déclenchée que vers le 10 mai. Il n’y a pas avantage à la déclencher trop tôt car elle ne peut apporter qu’un soulagement relatif et moral retombera quand peu efficacité aura été constaté […] Si solution cessez-le-feu était adoptée il y aurait avantage à la réaliser dès que possible car notre position morale sera beaucoup plus forte si Dien Bien Phu tient toujours. » (cité in Pouget, 2024, p.p. 526-527)
Ély télégraphie à Navarre : « Toujours rien de définitif pour Vautour. » (Rocolle, 1968, p. 445)
Arrivée de Bidault (Affaires étrangères) pour l’ouverture de la conférence de Genève dans son volet coréen. Cette partie de la conférence se terminera le 15 juin, sans résultat puisqu’elle n’aboutira à la signature d’aucun traité de paix concernant la Corée.
A Paris, à 20 h 00, Pleven (Défense) reçoit le général Norstad (adjoint aux forces aériennes pour le pour le commandement suprême des Forces alliées en Europe) et lui demande une nouvelle aide pour l’aviation : un quatrième groupe de B-26 déjà accordé mais non livré (faute de personnel militaire français capable de les piloter et les entretenir) ; 20 Privateer supplémentaires pour la marine ; le prêt de 20 C-119 (Pouget, 2024, p. 527).
Nuit du 26 au 27 avril 54 : Nouveau parachutage sur Dien Bien Phu de 52 volontaires (Pouget, 2024, p. 527).
27 avril 54 : A Dien Bien Phu, les observations de la nuit montrent que le VM s’installe dans la plaine : un projecteur de D.C.A. est installé entre le centre et Isabelle. A l’ouest, tentative d’infiltration entre Claudine et Lily (petit point d’appui situé au nord-ouest de Claudine). Tentative pour dégager Isabelle 5 au sud. Désormais 70 % des parachutages à haute altitude tombent hors de la zone de réception. Pour autant, 88 tonnes sont à nouveau larguées dont 25 tombent hors limites (Pouget, 2024, pp. 527-528).
Face à la chute de moral des combattants depuis mi-avril, Giap ouvre « une campagne de mobilisation morale et de rectification des tendances droitières ». Des opérations de propagande vantent aux combattants, dont la plupart sont des paysans, les bienfaits de la réforme agraire mise en application le 4 décembre 1953, les incitant annsi à accomplir un dernier effort. Bien que prêt depuis le 26 mars avec la reconstitution de 30 bataillons (15 000 hommes), Giap est toujours obligé de temporiser au vu de ses pertes pour reprendre la troisième et ultime offensive (voir 1er mai). Son armée compte ce jour 6 600 tués et 12 000 blessés depuis la première attaque du 13 mars.
A Genève, Bidault (Affaires étrangères) rencontre son homologue soviétique Molotov, afin d’obtenir un cessez-le-feu. Celui-ci refuse d’intervenir auprès du VM mais informe la presse de la requête française (Lemaire, 2000, p. 65). Il est convenu que l’U.R.S.S. reconnaîtra aux 3 délégations des États Associés le droit de siéger à la conférence. De son côté, la France admet la représentation de la R.P.C. et d’une délégation du VM, sous réserve de l’accord du Vietnam (Pouget, 2024, pp. 528-529).
A Londres, Churchill reçoit l’ambassadeur de France et l’informe que la Grande Bretagne n’interviendra pas en Indochine. L’après-midi, il déclare devant la chambre des Communes : « Le gouvernement de sa Majesté n’est pas disposé à prendre un engagement quelconque au sujet d’une action militaire en Indochine avant de connaître le résultat de Genève. » (cité in Pouget, 2024, p. 529)
Nuit du 27 au 28 avril 54 : Tentative de parachutage de renforts sur Isabelle vers 2 h 00. Seul un stick est largué car le mauvais temps interrompt l’opération (Pouget, 2024, p. 530).
27 - 28 avril 54 : Selon Rocolle, « […] c’est aux environs des 27-28 avril que la résistance de Dien Bien Phu prit seulement la physionomie d’une survie. » (Rocolle, 1968, p. 391)
27 avril – 3 mai : A Genève, poursuite de laborieuses tractations qui ont pour seul objet d’admettre à la table de conférence les représentants du VM et ceux des États associés (Rocolle, 1968, p. 494).
28 avril 54 : A Dien Bien Phu, pluies de mousson. Le secteur de commandement (P.C., hôpital, batteries d’artillerie) est soumis à des tirs directs de 75 sans recul. Un char réussit à détruire quelques blockhaus face au « drain ». Parachutage de 80 tonnes d’approvisionnement dont 35 % tombe dans les lignes ennemies. Les réserves en vivres et munitions sont faibles (Pouget, 2024, pp. 530-531).
Suite à la lettre de Navarre du 21, Ély (chef d’état-major des Forces armées) signale la difficulté de trouver un remplaçant à Cogny (commandant des forces françaises au Tonkin). Ce dernier est donc maintenu provisoirement, « la solution de son remplacement, selon Navarre, devant être réglée dans les plus brefs délais. » (Navarre, 1956, p. 267, note 1) Dans cette réponse écrite, Ély approuve la décision du commandant en chef de ne pas remplacer Cogny et précise : « […] Je crois comprendre par votre lettre, et le président Pleven et moi-même vous approuvons, que vous ne désirez pas changer en pleine bataille le commandant des forces terrestres du Nord Viet Nam. Vous avez d’ailleurs adopté provisoirement la solution Bodet […] » (cité in Rocolle, 1968, pp. 428-429, note 113) Rien donc ne changera au niveau du commandement malgré les vives tensions entre le commandant en chef et son subordonné jusqu’à la fin de la bataille. L’habile Cogny demeurera d’ailleurs dans ses fonctions après l’éviction de Navarre le 3 juin.
Ély télégraphie à Navarre : « Il se confirme que l’opération Vautour n’a plus guère de chance d’avoir lieu dans les délais correspondants aux possibilités de résistance de Dien Bien Phu […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 445)
Foster Dulles (secrétaire d’État) provoque une réunion des potentiels alliés à Washington pour une intervention sur Dien Bien Phu. Les Britanniques confirment à nouveau leur refus et attendent la tenue de la conférence de Genève (Laniel, 1957, p. 88).
Au Laos, une reconnaissance de la colonne Godard parvient à 4 kilomètres au sud de Nga Na Song, localité située à 35 km au nord-est de Muong Khoua (Pouget, 2024, p. 531).
29 avril 54 : A Dien Bien Phu, poursuite des pluies de mousson. Le VM poursuit pourtant ses travaux d’approche. 22 tonnes de ravitaillement sont larguées au-dessus d’Isabelle (Pouget, 2024, pp. 531-532).
Après la défection des Britanniques (voir 27 avril), Eisenhower abandonne définitivement le projet de l’opération Vautour (voir 6, 7 et 8 avril).
Geneviève De Gallard reçoit la Légion d’honneur des mains de De Castries (Rocolle, 1968, p. 464-465). Les prostituées annamites du camp retranché reconverties en infirmières n’auront pas droit à la même reconnaissance.
Nuit du 29 au 30 avril 54 : 83 volontaires sautent sur Isabelle mais 20 d’entre eux ne parviennent pas à atteindre le point d’appui et se perdent (Pouget, 2024, p. 532).
30 avril 54 : A Dien Bien Phu, tentative de coup de main du VM sur la face nord-ouest de Dominique 3. Échec. Du fait de la météo, l’aviation n’intervient que l’après-midi : 222 tonnes d’approvisionnement ont été larguées en 24 heures (Pouget, 2024, pp. 532-533).
Suite à l’avortement de l’opération Condor (voir 14 avril), Navarre tente d’imaginer une autre solution, une variante de l’opération Xénophon qu’il dénomme Ariane (ou Albatros, selon Pouget, 2024, p. 533). Celle-ci consisterait à effectuer une sortie du camp vers le Laos (vallée de la Nam Ou) où l’attendrait un groupement de recueil. Les blessés seraient abandonnés sur place (voir 2 mai). Navarre télégraphie alors à Ély (chef d’état-major) : « […] C’est pourquoi vous demande à nouveau me tenir informé dans toute mesure possible des négociations en cours. Si cessez-le-feu peut être espéré dans délai raisonnable, ferai tout pour prolonger résistance ; dans cas contraire, m’orienterai peut-être vers sortie garnison si réalisable. » Ce projet demeurera à l’état de projection purement spéculative car ce qui reste des forces du camp retranché est et sera bien incapable de forcer l’étau du VM (Rocolle, 1968, p. 500, note 60).
Discussion au niveau du C.N.S. américain sur l’éventuelle utilisation d’armes atomiques tactiques (voir 5 mars ; 7 et 22 avril) pour dégager Dien Bien Phu. Les membres s’interrogent sur son efficacité et surtout ses répercussions : acceptation française ? Acceptation par la coalition ? Réaction chinoise ? Eisenhower et Nixon, même s’ils n’excluent pas totalement (et uniquement verbalement) cette option, demeurent persuadés que les armes conventionnelles demeureront plus efficaces (De Folin, 1993, p. 260).
Évoquant ce qui se passe à Genève, Ély transmet à Navarre le message suivant : « [La] publicité donnée par Molotov à la question de l’évacuation des blessés de Dien Bien Phu a maintenant posé la question devant l’opinion mondiale. J’estime dans ces conditions que le meilleur moyen pour tenter ce douloureux problème est de provoquer une nouvelle demande de trêve du général De Castries à ses adversaires. Si ceux-ci ne modifient pas leur attitude, leur position morale se trouvera nécessairement affaiblie à Genève. S’ils répondent, nos efforts ici n’auront pas été entièrement vains. » Or cela suppose une remise en état de la piste d’aviation et l’établissement d’un trêve de 6 à 7 jours. Mais également, en contrepartie, l’arrêt des actions aériennes offensives françaises (voir 1er mai) (Lemaire, 2000, p. 65 ; Rocolle, 1968, p. 495, note 47). On en est loin.
Les relations entre Navarre et Cogny (commandant des forces françaises au Tonkin) continuent à se dégrader (voir 21 avril). Navarre évoque dans ses mémoires une lettre de remontrances adressée à l’intéressé : « Non seulement le devoir d’un chef, dans les moments difficiles, est de donner lui-même l’exemple de la discipline et du sang froid mais qu’il se doit de l’exiger de ses subordonnés. Je l’avais averti que je le tiendrais personnellement responsable de la persistance de l’atmosphère autour de lui. » (voir 21 avril) (Navarre, 1979, pp. 369-370).
Navarre n’a toujours pas abandonné l’espoir (illusoire…) d’obtenir un cessez-le-feu préalable aux négociations de Genève. Il écrit à Ély (chef d’état-major) : « […] Je considère qu’un cessez-le-feu présente des risques graves, mais l’aboutissement des négociations s’il a lieu nous placera forcément devant ce problème. Nous ne pouvons pas l’éluder […] C’est pourquoi, tout en ne me dissimulant pas ces inconvénients, je conclus à un cessez-le-feu préalable, surtout s’il pouvait être conclu avant la chute de Dien Bien Phu […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 493, note 40).
Au vu des déclarations de Molotov à la presse au sujet de la demande de cessez-le-feu français (voir 27 avril), Bidault (Affaires étrangères) estime pouvoir mettre au pied du mur les délégations russe et vm en faisant demander par De Castries la mise en place d’une trêve à Dien Bien Phu. Or jusqu’alors toutes les demandes françaises se sont heurtées à une stricte fin de non-recevoir. Le VM, à deux doigts de la victoire, n’entend absolument pas autoriser l’accès à la piste d’aviation d’ailleurs en grande partie détruite (Rocolle, 1968, p. 495).
Nuit du 30 avril eu 1er mai 54 : Largage de 43 volontaires et 24 tonnes de ravitaillement (Pouget, 2024, p. 533).