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par Jean-François Jagielski

Avril 1953

Avril 53 : Au Cambodge, au moment de l’invasion du pays par le VM, une délégation communiste vietnamienne, se trouvant dans le royaume, lance un message radiodiffusé au peuple khmer déclarant : « Le parti Lao Dong et le peuple vietnamien ont pour mission de faire la révolution au Cambodge et au Laos. Nous, éléments Vietminh, avons été envoyés pour servir la révolution et construire l’union du Vietnam, du Cambodge et du Laos. » (Tong, 1972, p. 64). Le VM n’a en aucun cas renoncé à son hégémonisme en Indochine, ce qui n’est pas pour plaire à tous les Cambodgiens.

Le secrétaire américain à la Défense, Charles Wilson, informe son homologue français sur l’insuffisance de mécaniciens aéronautiques en Indochine. Les Américains veulent bien fournir des avions mais Paris refuse de former le personnel de maintenance en nombre suffisant. Le problème de maintenance de la flotte se posera cruellement lors de la bataille de Dien Bien Phu (David, 2007, p. 8).


1er avril 53 : Un décret de l’État vietnamien mobilise 100 000 hommes (Toinet, 1998, p. 141). A l’arrivée de Navarre (voir 19 mai), l’A.N.V. comptera 200 000 hommes face à 125 000 réguliers du VM, 75 000 régionaux  et 150 000 hommes des forces populaires (Toinet, 1998, p. 141).


4 avril 53 : Eisenhower se prononce pour la première fois contre une intervention militaire américaine aux côtés des Français car il pense que le Congrès ne soutiendra pas cette proposition sans une très improbable coopération alliée. Un discours qui se réitèrera en 1954 au moment de la chute de Dien Bien Phu. Pour autant, comme le remarque Schlesinger, futur conseiller de Kennedy, « si le Laos ne constituait pas à proprement parler une dague pointée sur le cœur du Texas, c’était manifestement la porte du Sud-Est asiatique. » (Schlesinger, 1966, p. 298)


5 avril 53 : Sihanouk, demeuré en France, relance par lettre Vincent Auriol qu’il avait rencontré le 25 mars. Mais le gouvernement français n’a, face à ses demandes, aucune réponse à lui apporter. On lui demande de rentrer au plus vite au Cambodge, les mains vides… Ce que ne fera pas le roi de plus en plus excédé par l’attitude française.

Salan rencontre à Hanoi le lieutenant-colonel Maleplatte, commandant de la place de Sam Neua (Laos), et l’informe de sa décision d’un éventuel repli au sud de ses troupes sur la Plaine des Jarres (Salan 2, 1971, p. 387).


5 – 6 avril 53 : Les troupes vm engagées au Laos apprennent que l’objectif principal est l’attaque de Sam Neua (Laos) et non celle de Na San. Les cadres vm ont jusqu’alors tenu à garder secret ce choix pour plonger dans le doute le commandement français (Giap 2, 2004, p. 295).


8 avril 53 : De Linarès donne l’ordre aux postes isolés de se replier sur Na San (Giap 2, 2004, p. 295).


12 avril 53 : Sihanouk se rend au Canada. Il déclare à la presse que son pays  doit régler un double problème, « celui de la lutte contre le communisme, et la nécessité de satisfaire les aspirations à l’indépendance. » (Tong, 1972, p. 49).

Le service d’écoute du VM informe qu’un chef de section du 888e bataillon capturé a révélé une partie du plan d’attaque sur Sam Neua, il faut donc accélérer la manœuvre avant que les Français n’opèrent un repli au sud-ouest, vers la plaine des Jarres (Giap 2, 2004, p. 297).

Une puissante concentration de troupes du VM (8 bataillons) ne sont plus qu’à une journée de marche du poste de Sam Neua (Laos) tenu par des troupes laotiennes non aguerries. Un ordre de repli au sud sur la plaine des Jarres émanant de Salan est donné à midi. Selon les renseignements obtenus par Salan, 6 bataillons sont prévus pour l’attaque et 2 doivent permettre de couper la retraite. Amorcé à minuit, le repli des derniers éléments franco-laotiens s’effectue le lendemain à 6 heures vers la Plaine des Jarres. Non sans défections massives. La poursuite engagée par le VM est improvisée faute de logistique appropriée (Salan 2, 1971, p. 387 ; (Rocolle, 1968, p. 151-152)


13 - 19 avril 53 : Sihanouk, toujours déçu par son entretien avec Auriol, arrive cette fois aux États-Unis. Au cours d’une visite officielle, le secrétaire d’État Dulles lui confie que son pays considère que la présence du C.E.F.E.O. est essentielle à l’endiguement du communisme en Asie et que, par conséquent, l’indépendance des États associés devra attendre la victoire française contre le VM. Pour les Américains comme pour les Français, la situation au Cambodge qui se dégrade sous la poussée des indépendantistes peut encore attendre. Or, selon Sihanouk qui n’est pas entendu, le temps presse. Il est une nouvelle fois déçu et fait des déclarations alarmistes à la presse (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 48-49 ; Tong, 1972, pp. 49-50).


13 avril 53 : Les postes de Muong Khoua (Laos, 140 km au nord de Luang Prabang) et de Sam Neua (Laos), bastions du système de défense français du royaume laotien, sont attaqués par les forces du VM (division 304). Quelques-uns de ces postes isolés ont reçu l’ordre de tenir et de se sacrifier pour retenir le gros des divisions ennemies, le temps nécessaire à la mise en défense de Louang Prabang et Ventiane. Commandé par le capitaine Teulier à la tête de 300 chasseurs laotiens, le poste de Muong Khoua tiendra 36 jours aux assauts répétés et ne tombera que la nuit du 17 au 18 mai. Sa résistance est fortement médiatisée par la presse occidentale, notamment aux États-Unis comme symbole du containment (Fall, 2010, pp. 137-151). La route du Laos est désormais ouverte au VM.

Poursuivant sa « marche vers l’Ouest » (Tay Tien) démarrée en mars 1947 en faveur des alliés du Laos, le Vietminh investit et s’empare du poste de Sam Neua (Laos, défendu par 1 700 hommes) partiellement abandonné par les Franco-Laotiens. Les troupes laotiennes, sédentaires et peu aguerries ont, comme le pressentait Salan, rapidement déserté la place. Les choses ont été tellement précipitées que les anciens occupants du poste ont pris du retard dans les destructions. Les forces franco-laotiennes qui amorcent au sud un repli désordonné et trop lent subissent de lourdes pertes tout en parvenant tant bien que mal à retarder l’ennemi. Le gouvernement du Pathet Lao s’installera à Sam Neua par la suite (Gras, 1979, pp. 496-497 ; Giap 1, 2003, pp. 64-65 pour les tous débuts de la « marche » ; Salan 2, 1971, pp. 387-388 ; Giap 2, 2004, pp. 294-299).

Salan reçoit à Hanoi les généraux américains O’Daniel et Trapnel. Cette visite semble faire suite au voyage en mars aux U.S.A. de René Mayer (président du Conseil) et Jean Letourneau (États associés) durant laquelle Eisenhower et Foster Dulles ont demandé un plan en deux ans pour liquider le Vietminh. La visite des généraux américains se passe assez mal. Ils argumentent sans cesse à partir de leurs succès en Corée. Salan leur répond que le conflit vietnamien n’est absolument pas comparable (Ruscio, 1992, pp. 187-188). Salan, dont la tactique est mal perçue à Paris, perd également l’appui américain.


14 - 20 avril 53 : La colonne de repli venant de Sam Neua (Laos) vers la plaine  des Jarres a pris du retard en passant une partie de la nuit dans les villages de Na Noong (14 avril) puis Muong Ham (16 avril). Elle est violemment accrochée et se débande. Selon Giap, à ce stade, 40 % des effectifs franco-laotiens en repli ont été perdus (Salan 2, 1971, p. 387 ; Giap 2, 2004, pp. 298-299).


14 - 27 avril 53 : Repli de différentes positions françaises qui couvraient Luang Prabang. La ville que le roi a refusé d’évacuer et dans laquelle Salan a envoyé des renforts ne tombera pas mais les forces communistes occuperont désormais une grande partie du territoire laotien, non sans éprouver certains problèmes de logistique et être obligé de se replier sur Dien Bien Phu.


18 avril 53 : Salan se rend à Louang Prabang pour mettre le roi au courant de l’abandon du poste de Sam Neua (Laos, voir 13 avril). Ce dernier le déplore car il pressent une vaste offensive du VM et des forces du Pathet Lao. Salan ainsi que le prince Savang le rassurent (Salan 2, 1971, p. 388).


19 avril 53 : Sihanouk est toujours aux États-Unis. Dans les colonnes du New-York Times, il évoque les risques d’un ralliement de l’Indochine au communisme si les Français persistent à rejeter les demandes d’indépendance des peuples indochinois. Cet article déclenche une vague de protestations dans la presse anglo-saxonne qui reproche à la France de décevoir les populations autochtones en ayant mis en place un semblant d’indépendance. Tout ce tapage médiatique irrite profondément les Français. Letouneau (États associés) convoque le prince Monireth, oncle du roi, pour l’interroger sur le sens de cette attitude indocile chez un homme qui a mûri et compris qu’il n’obtiendra rien sans un rapport de forces avec les Français (Cambacérès, 2013, pp. 87-88 ; Tong, 1972, p. 51). Sihanouk part ensuite pour Tokyo.


20 avril 53 : Deux très bonnes divisions vietminh (308 et 325) se dirigent vers le Laos et la Plaine des Jarres. Ce mouvement entraîne un repli des postes dans le secteur Xieng Khouang-Sam Neua (Laos) qui est confié à De Linarès. L’objectif des divisions vm est la prise de Louang Prabang qui est aussi une base aéroterrestre comparable à celle de Na San. Salan la renforce avec des bataillons justement venus de Na San et une réserve mobile. Ces troupes ont pour ordre de ne pas s’enfermer et de pratiquer une défense mobile et agressive. Les Méos harcèlent le ravitaillement des divisions vietminh et l’entravent sérieusement. L’aviation, sollicitée, demeurera cependant défaillante. Ayant testé les défenses françaises qui tiennent en demeurant agressives et se souvenant de l’expérience malheureuse de Na San, les troupes du VM temporisent et ne prennent pas la ville, faute d’un soutien logistique probant en artillerie essentiellement dû à un allongement de leurs lignes de communication qui atteint alors les 250 km (Salan 2, 1971, pp. 393-394). Selon le général Gras, « pour sérieux que fut l’échec dans cette première phase de campagne, la manœuvre défensive du général Salan n’en était pas affectée. L’essentiel était d’avoir retardé l’ennemi. » (Gras, 1979, p. 497)


22 avril 53 : Réforme de la représentation française en Indochine. L’organisation ancienne calquée sur le modèle colonial est remplacée par un modèle plus souple : un haut-commissaire dans chacun des États associés et un commissaire-général pour coordonner leurs activités et assurer la défense qui demeure sous tutelle française. Cette réforme tardive demeure assez dérisoire car les mêmes hommes demeurent aux mêmes postes, notamment Letourneau (États associés) au poste de commissaire-général du Vietnam. Le candidat de Mayer (président du Conseil), Gilbert Granval, s’étant désisté pour reprendre le poste de haut-commissaire de Letourneau (Gras, 1979, p. 503).


24 avril 53 : Au vu de la menace sur le Laos, Salan demande à Paris des renforts en Dakota et des hélicoptères pour le transport des blessés. Il critique ses faibles moyens aériens (voir 28 avril) pourtant seule parade pour éviter le cauchemar des lignes de communication régulièrement attaquées par le VM. Paris ne comprend pas ou comprend mal le développement actuel des opérations. On y critique, à tort, « la passivité de l’armée », « le manque d’initiative du commandement qui s’en tenait à la méthode des hérissons » (Salan 2, 1971, pp. 396-397 : Gras, 1979, p. 499).


24 - 27 avril 53 : Séjour de l’amiral Arthur W. Radford (chef d’état-major américain) en Indochine. Salan lui expose le 26 la délicate situation du moment et demande des renforts au niveau de l’aviation. Il lui fait part des progrès qu’ont accomplis les Chinois pour ravitailler le VM. De 500 tonnes mensuelles, on est passé à 1 000. Entre 400 et 500 camions viennent d’être fournis par la Chine et le VM peut désormais approvisionner et transporter ses troupes rapidement. Il note également que  la qualité des axes de communication entre la Chine et le Tonkin ont été améliorés (Salan 2, 1971, pp. 394-395).


25 avril 53 : 2 bataillons vm reçoivent l’ordre d’intercepter le repli de troupes franco-laotiennes en provenance de Nam Hu vers Louang Prabang. Ils sont chargés de menacer la  ville. Pour la défendre, on mobilise le 1er G.M., un bataillon de parachutistes et 2 compagnies de mortiers de 106 mm (Giap 2, 2004, p. 300).


26 avril 53 : Le secrétaire d’État américain Foster Dulles est reçu par René Pleven (Défense). Il évoque avec son interlocuteur le rapport écrit de la rencontre entre Salan et le général O’Daniel (voir 13 avril) et demande un changement de commandant en chef. Un mémorandum américain sur le principe d’une aide militaire à l’Indochine est signé. Les Américains obtiendront satisfaction quant à leur demande de départ de Salan, déjà en disgrâce auprès du gouvernement par manque de résultats (Ruscio, 1992, p. 188).

Prise par le VM des postes de Na Noong puis Pac Sang (Giap 2, 2004, p. 300).


27 avril 53 : Deux décrets réorganisent la représentation de la France auprès des États Associés d'Indochine : les fonctions civiles du haut-commissaire passent à un « commissaire général de France en Indochine » et à 3 « hauts commissaires de la République » nommés respectivement au Vietnam, au Laos et au Cambodge. Le Commissaire du Cambodge, Jean Risterucci, garde son poste et devient alors haut-commissaire.


28 avril 53 : La disgrâce de Salan est programmée. Réponse de Paris au télégramme du 24 de ce dernier. Mayer lui dépêche le général Léchères pour « étudier avec [lui] les moyens d’obtenir le meilleur rendement des unités aériennes stationnées en Indochine. » Selon Paris, les délais prévus par le commandant en chef ne correspondent pas à l’urgence de la situation. Il faut revoir la stratégie fondée « sur un nombre aussi important de bases aéroterrestres que celui existant actuellement. » Les motifs politiques qui justifiaient la tenue de Na San et Laichau n’ont plus lieu d’être et il faut désormais recentrer l’effort militaire uniquement sur le Laos. On doit reconstituer une masse de manœuvre « capable de porter des coups puissants sur quelques points vitaux pour le Vietminh. » (Salan 2, 1971, pp. 398-399) C’est donc une forme de désaveu de la stratégie Salan qui avait pourtant jusqu’alors porté ses fruits…


29 avril 53 : Dans sa réponse adressée à Letourneau (États associés), Salan estime qu’il ne peut abandonner ni Na San ni Louang Prabang et que l’engagement actuel auprès de cette dernière est justifié car imposé par le VM (Salan 2, 1971, pp. 399-400). Or les récentes directives gouvernementales disent le contraire.

​31 avril 53 : Une lettre de Juin (chef d’état-major) adressée à Salan lui recommande de « faire au mieux des circonstances avec les moyens assez réduits dont vous disposez pour l’instant. » Il faut tenir jusqu’à l’arrivée de la saison des pluies et n’envisager de projet plus ambitieux qu’à la saison sèche. Salan doit se contenter de ces bonnes paroles (Salan 2, 1971, p. 400).

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