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par Jean-François Jagielski

Avril 1947

Début avril 47 : Les Vietnamiens ont opéré le transfert de la capitale, Hanoi,  vers le Viet Bac où des bases arrière locales sont en voie d’achèvement (secteurs de Cao Bang, Bac Kan, Langson, Thai Nguyen, Tuyen Quang, Ha Giang). Cette région accidentée est propice à la dissimulation des infrastructures militaires et administratives. Dans le secteur de Binh-Tri-Thien situé au nord, 4 000 tonnes de matériel et de matières premières ont été déplacées. Dans la Bac Bo nord, deux tiers des machines et de l’équipement des usines d’armement ont été accomplis et 57 manufactures d’armes sont opérationnelles. L’administration a suivi : écoles, hôpitaux, imprimeries destinées aux journaux et revues ou à la fabrication du papier-monnaie (Giap 1, 2003, pp. 91-92).


Avril 47 : Au Cambodge, après 8 mois de travaux, l’assemblée constituante a voté le texte de la première constitution quasiment à l’unanimité (voir 6 mai) (Cambacérès, 2013, p. 63).


1er avril 47 : Émile Bollaert commence à prendre ses fonctions de haut-commissaire à Saigon (Messmer, 1992, p. 182). Selon Bao Daï, « il semble vouloir liquider tout ce qui a marqué la politique de son prédécesseur [D’Argenlieu ; voir 17 avril]. » (Bao Daï, 1980, p. 176)

Les effectifs français en Indochine atteignent 99 000 hommes. On est loin de la demande produite par Valluy le 18 janvier qui réclamait 115 000 hommes. Il n’y a donc pas de réserve générale. Il a donc fallu dégarnir le Sud pour approvisionner le Nord. Les crédits ne suivent pas (Bodinier, 1989, pp. 72-73).


2 avril 47 : Un tract diffusé par les services de propagande du VM indique au sujet de la nomination de Bollaert : « […] Les consignes données par le gouvernement français à M. Bollaert sont inconnues de nous. Certains espèrent, d’autres doutent. Nous avons le droit de douter car le gouvernement français nous a trahis à plusieurs reprises. Il est possible que le changement de haut-commissaire ne modifie en rien les visées impérialistes de la France et son désir de rétablir le régime colonialiste. Point n’est besoin de s’alarmer ou se réjouir. Notre but reste le même. Nous poursuivons la guerre de longue résistance, jusqu’à l’indépendance et l’abolition de l’action colonialiste. » Dans les rangs du VM, la nomination de Bollaert reçoit un accueil mitigé mais non ouvertement hostile comme il l’était avec son prédécesseur : « […] Le nouveau haut-commissaire arrive en Indochine pour étudier la situation général du pays et envoyer un rapport à la métropole. Pendant ce temps soyons prudents. Il ne faut pas critiquer ni trop applaudir. Bien que ce changement soit une victoire pour nous, nous attendons toujours l’orientation de la politique française à notre égard […] » (cité in Bodinier, 1989, p. 385)


3 avril 47 : Le gouvernement français indique au nouveau haut-commissaire que toute demande d’armistice émanant du VM doit être examinée (Devillers, 2010, p. 456).


3 – 7 avril 47 : Dans une des bases arrière du VM est réuni le Bureau permanent du Parti pour une deuxième conférence nationale des cadres. Y sont abordés les problèmes politiques, militaires et économiques du moment, « en vue de mener à bien la résistance de longue haleine. » Selon les mots de Giap, « l’édification du pays devait être envisagée même dans les conditions de guerre. » Car les Vietnamiens n’entendent pas dissocier le conflit d’une construction étatique. Du point de vue politique, on crée « plusieurs organisations de masse en vue de rallier les chrétiens et les groupes ethniques. » Du point de vue militaire, on détermine une phase de transition entre la guerre défensive et offensive, une phase de « guérilla de mouvement » qui doit permettre d’améliorer l’armement, ménager les effectifs, éviter de s’engager dans un combat qu’on sait perdu d’avance de par la supériorité matérielle de l’adversaire. Il faut « tout mettre en œuvre pour parvenir à la victoire finale, sans succomber au subjectivisme et à l’impatience. » (Giap 1, 2003, pp. 93-95)


8 avril 47 : Suite à la conférence de cadres, Giap produit une longue note intitulée : « Notre guerre de libération. Stratégie et tactique ». Il y préconise le maintien, pour l’instant, d’« une stratégie de longue haleine » et précise « c’est à cette condition seulement que nous pourrons vaincre. » Pour lui, « si la guerre continue en longueur, nous pourrons « cultiver » nos facteurs favorables, combler nos lacunes, et en même temps, annihiler progressivement les facteurs favorables de l’ennemi, ses facteurs défavorables croissant de jour en jour. » Giap estime que son armée a encore quelques points faibles : la tactique et l’entraînement, l’expérience au combat, l’encadrement, les services de renseignement. Il préconise donc une « guérilla de mouvement » qui consiste à « conserver intactes nos forces et anéantir l’ennemi », c'est-à-dire un mixte entre guérilla et guerre conventionnelle limitant les pertes. Giap n’exclue aucunement la voie de la négociation : « Notre but est de réaliser l’indépendance et l’unité du Vietnam au sein de l’Union française et non de nous détacher complètement de la France, car les éléments démocratiques opposés à la guerre sont assez puissants, car le mouvement de libération des colonies peut rebondir. Pour toutes ces raisons notre guerre de libération pourrait se terminer par des négociations avant que la troisième phase [la guerre de reconquête] ne commence. » (note publiée in extenso in Bodinier, 1989, pp. 349-358) Depuis septembre 1945, la stratégie du VM qu’avait évoquée HCM avec Sainteny n’a guère changée : le temps joue en sa faveur et il faut donc pratiquer une guerre longue, contrairement aux Français qui ont besoin d’une solution rapide pour sortir du bourbier indochinois.


9 avril 47 : Selon les renseignements obtenus par les Français par le biais de la propagande vm diffusée dans le Sud (région Saigon-Cholon), la nomination de Bollaert reçoit un accueil mitigé : « […] Le nouveau haut-commissaire arrive en Indochine pour étudier la situation général du pays et envoyer un rapport à la métropole. Pendant ce temps soyons prudents. Il ne faut pas critiquer ni trop applaudir. Bien que ce changement soit une victoire pour nous, nous attendons toujours l’orientation de la politique française à notre égard […] » (cité in Bodinier, 1989, p. 385)


10 avril 47 : Émile Bollaert est nommé officiellement au poste de haut-commissaire. A la différence de D’Argenlieu, il n’est pas commandant en chef des forces armées en Indochine mais demeure néanmoins responsable de la sécurité du territoire. A ce titre, il peut donner des directives au commandant supérieur des T.F.E.O. (général Valluy assurant l’intérim de Leclerc). Bollaert est assisté d’un conseil de défense qui remplace le comité permanent pour l’Indochine (Bodinier, 1989, p. 15).


12 avril 47 : Dans un article paru dans Une Semaine dans le monde, alors que des rumeurs attribuent à Bao Daï un rôle d’intermédiaire pour faciliter une forme de pacification,  Devillers observe l’attentisme de l’ex-empereur toujours en résidence à Hong-Kong face à une menace du VM : « […] Cette activité doit-elle être interprétée comme le signe précurseur d’une restauration monarchique au Vietnam ? La population, d’après de nombreux signes, y serait assez favorable, mais Bao Daï ne cherche apparemment pas à recouvrer son trône. Il a, à plusieurs reprises, déclaré qu’il se conformerait à la volonté populaire et que la monarchie ne s’imposait pas. Il ne paraît pas d’avantage disposé, pour l’instant, à prendre la tête d’un gouvernement vietnamien [...] » (Devillers, 2010, pp. 189-190). Peu convaincu de la bonne foi des propositions françaises, peu rassuré par la nature menaçante du VM, il s’abstient et attend des jours meilleurs.


14 avril 47 : Première séance du nouveau conseil de défense (remplaçant l’ancien comité permanent pour l’Indochine) (Bodinier, 1989, p. 15).


15 avril - 15 mai 47 : Opération Papillon. Elle vise à assurer une liaison terrestre avec le pays thaï en direction de Hoa Binh (Gras, 1979, p. 181). Selon Giap, les troupes françaises ne peuvent s’y maintenir (Giap 1, 2003, p. 103).


17 avril 47 : Renseigné depuis leur arrivée par le colonel Louis Le Pulloch, son chef d’état-major particulier et Pierre Messmer, son directeur de cabinet, tous deux indignés par les rapports qu’ils reçoivent sur la tenue de l’armée, Émile Bollaert signe une instruction secrète n° 518/EMP du 17 avril 1947 adressée à tous les officiers supérieurs et généraux du corps expéditionnaire.

Cette instruction est d’une rare sévérité : « J’attire votre attention sur les exactions de tous ordres : pillages, représailles aveugles, bombardements ou mitraillages par des bâtiments de guerre ou d’avions d’objectifs non militaires […] Officiers trop veules pour réagir brutalement devant le crime ; officiers compromis eux-mêmes dans le crime ; officiers qui feignent de croire que l’honneur du soldat s’accommode des règles du « gang » ; officiers incapables qui subissent leur troupe plutôt qu’ils ne la commandent ; ce sont des officiers qu’il faut frapper, et exclure d’Indochine où ils salissent notre renom […] » Le général Valluy (commandant supérieur des troupes françaises par intérim depuis le départ de Leclerc) se précipite chez le haut-commissaire et obtient que lui soit substitué un texte plus édulcoré où subsistent néanmoins de fortes phrases : « J’exige qu’à tous les échelons le nécessaire soit fait pour que de telles erreurs, qui ont été parfois de véritables crimes, ne se reproduisent plus […] Je n’admets pas qu’aveuglés par un esprit de corps mal placé, certains colonels couvrent leurs subordonnés fautifs […] A vos chefs, je demande de frapper fort et haut. »


19 avril 47 : Une nouvelle fois (voir 21 mars), en réponse à l’inflexion de la politique gouvernementale indiquée par Paul Ramadier lors du débat parlementaire de mars 1947, Hoang Minh Giam (Affaires étrangères) propose à Émile Bollaert la « cessation immédiate des hostilités et l’ouverture de négociations en vue du règlement pacifique du conflit » (Gras, 1979, p. 172 ; Chaffard, 1969, p. 122). Selon Devillers, Ramadier ne divulgue pas cette information, ni à ses ministres (dont certains sont communistes) ni à l’opinion publique. Il ne l’évoquera avec Vincent Auriol qu’à son retour d’Afrique (Devillers, 2012, p. 191). Derrière ce silence se profile déjà la politique intransigeante qu’il défendra le 12 mai.

HCM adresse de son côté un message appelant à la cessation des hostilités : « […] Pour prouver le sincère attachement du Vietnam à la paix et son amitié pour le peuple de France, le gouvernement vietnamien propose au gouvernement français la cessation immédiate des hostilités et l’ouverture de négociations en vue d’un règlement pacifique du conflit. » (cité in Giap 1, 2003, p. 98).


25 avril 47 : Bollaert reçoit « comme un coup de foudre » l’offre de trêve du VM émanant de Hoang Minh Giam et HCM. Il consulte Valluy pour savoir dans quelles conditions un cessez-le-feu est acceptable sans mettre en danger la sécurité du corps expéditionnaire. Il reprend l’essentiel des conditions dictées par Valluy ci-après qui seront considérablement renforcées et durcies par le général sur les conseils du ministre de la Guerre Paul Coste-Floret, (Chaffard, 1969, pp. 122-123).

Au Conseil de défense de l’Indochine, Valluy, méfiant, formule des conditions très strictes pour faire confiance aux Vietnamiens : reddition d’ « un important matériel de guerre » ; cessation des actes d’hostilité, de terrorisme, de propagande ; libération des otages et prisonniers, liberté de circulation des troupes. Des prescriptions exigeantes qui seront encore renforcées par Bollaert le 5 mai (Gras, 1979, p. 173).


26 avril 47 : Bollaert transmet à Paris le message suivant : « J’envoie, dès demain matin, un émissaire qualifié [Paul Mus] pour s’enquérir de la sincérité de cette proposition et préparer éventuellement une entrevue officielle. » Il y précise les conditions sur lesquelles il s’est mis d’accord avec Valluy  (voir 25 avril) (Devillers, 2010, p. 457).

Coste-Floret (Guerre) arrive en Indochine et y séjourne jusqu’au 3 mai. Il est opposé à toute négociation avec HCM par pur anticommunisme : il ne saurait être question de « livrer l’Indochine aux hommes de Moscou ». De connivence avec Valluy, il s’efforcera durant tout son séjour de torpiller les négociations entamées par Bollaert (voir 3 mai).


27 avril 47 : Hoang Minh Giam (Affaires étrangères n-v) fait parvenir à Bollaert une nouvelle offre de trêve.


28 avril 47 : Selon une note du VM intitulée « directives politiques adressée aux agents politiques de tous échelons », Bollaert autorise Hoach (dirigeant la République autonome de Cochinchine) à suspendre à Saigon la publication de 16 journaux qui prônent la réunion des trois Ky (citée in Bodinier, 1989, pp. 438-439).


29 avril 47 : Ramadier répond à Bollaert par télégramme n° CI/726 : « Je considère le message d’Hoang Minh Giam comme une demande d’armistice. » Tout en l’accompagnant d’une demande de précisions sur ses exigences à l’égard du VM : arrêt de tout acte d’hostilité, de terrorisme ; livraison d’une importante partie de ses armes ; liberté de circulation des troupes françaises (sans réelle contrepartie) ; restitution des prisonniers, otages et déserteurs (Devillers, 2010, pp. 457-458). Comme l’observe à juste titre Messmer, « C’est une véritable capitulation » qui est demandée au VM (Chaffard, 1969, p. 123 ; Messmer, 1992, p. 183) Bollaert décide cependant d’envoyer son conseiller Paul Mus qui essuiera de la part de Hoang Minh Giam et HCM une fin de non-recevoir (voir 12 mai).


Fin avril 47 : Au Cambodge, finalisation du texte de la future constitution qui sera promulguée le 6 mai (Cambacérès, 2013, p. 63).

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