Début avril : Nguyen Binh respecte une trêve dans les actes de violence perpétrés en Cochinchine à la demande d’Hanoi en phase de négociation avec les Français.
Avril 46 : Au Cambodge, création du Parti Démocrate (Pak Pracheatipatey), premier parti politique cambodgien, fondé par Sim Var, Chhean Vom et Leu Koeus. Le parti compte de nombreux et brillants intellectuels.
Avril – juin 46 : Départ échelonné des troupes d’occupation chinoises au nord du 16e parallèle (après la cueillette de l’opium, d’où sa lenteur…). Le Tonkin est alors totalement exsangue.
1er avril 46 : Le général Valluy est nommé commandant militaire du Nord en remplacement de Salan décribilisé à Paris depuis son implication dans la signature des accords du 6 mars (Salan 1, 1970, p. 358).
Face au refus de D’Argenlieu d’aller plus loin dans les concessions, Leclerc lui adresse une lettre incisive : « Jouer franc jeu ne veut pas dire céder à l’adversaire mais consiste à exprimer – et nettement – ce que l’on veut, et à s’y tenir sans changer de ligne. Je reste convaincu que c’est la bonne méthode. Il est certain que les Annamites nous ont fait confiance au début. Aujourd’hui, ce ressort de la confiance est cassé, et je me permets de dire que cet échec provient de la méthode entièrement différente que vous avez suivie. » (cité in Gras, 1979, p. 103) Leclerc exprime son désaccord avec les manières de l’amiral : « […] en discussion on est toujours d’accord, puis quand arrive le télégramme ou quand on lit le message envoyé à Paris on s’aperçoit que, par des détails de rédaction, des restrictions le sens est profondément modifié. » (cité in Isoart, 1982, p. 57, note 183)
Quelque temps après sa réception, D’Argenlieu enverra l’amiral Auboyneau à Paris demander le rappel de Leclerc et Salan « qui ne voulaient pas se soumettre à son autorité » (voir 14 avril).
Ngo Van Chieu, officier du VM faisant partie de l’armée franco-vietnamienne, observe : « Le 1er avril, de nouvelles troupes françaises font leur entrée dans la ville [Hanoi]. C’est un groupement d’infanterie, aux camions bondés de troupes, qui défile sous les fleurs et les acclamations de la population européenne. La garnison française est maintenant forte de plus de 5 000 hommes de troupes dotés d’artillerie et de blindés. » (Ngo Van Chieu, 1955, p. 77)
La responsabilité du maintien de l’ordre dans le nord de l’Indochine passe des autorités chinoises à celles de la France dans le cadre des accords du 6 mars signés en accord avec les Vietnamiens (Devillers, 1988, p. 178).
2 avril 46 : De Gaulle confie à Claude Mauriac : « C’est effrayant, vous savez, combien l’Empire s’est désagrégé depuis que je suis parti. » (cité in Ruscio, 1985, p. 101) De Gaulle n’apprécie pas la politique menée par Leclerc, notamment lorsque celui-ci lui remet une lettre en avril par l’intermédiaire du commandant Buis. Le Général ne mesure toujours pas ni le manque d’effectif ni le manque de moyens dont dispose Leclerc (Ruscio, 1985, pp. 101-102).
3 avril 46 : Suite aux accords du 6 mars (« Accord annexe ») et à la demande de D’Argenlieu se tient une sixième « conférence d’état-major » entre les Français (Salan) et les Vietnamiens (Giap, ministre de la Défense et Vu Hong Kahn, président et vice-président du Conseil supérieur de la Défense nationale). Elle est beaucoup plus constructive que ses prédécesseuses. Elle prévoit, du moins sur le papier, la rapide évacuation du corps d’occupation chinois. Giap soumet son texte au préalable à HCM qui le confirmera le 4. L’entête du texte précise que « l’accord intervient pour préciser les conditions d’application, au point de vue militaire, de la convention préliminaire du 6 mars 1946 et de l’annexe à ladite convention. De caractère provisoire, il est valable jusqu’à la conclusion des négociations générales prévues à l’article 3 de la convention préliminaire. » (cité in Salan 1, 1970, p. 356 et annexe V, pp. 426-430). Selon Salan, entre Français et Vietnamiens « une commission mixte centrale de liaison et de contrôle est créée. Son siège est à Hanoi. Elle est chargée de contrôler l’application fidèle des clauses du présent accord. » (Salan 1, 1970, p. 429) Les Français pourront disposer pour une durée de 5 ans de bases aériennes et navales au Vietnam, et ce, jusqu’au 6 mars 1951. Les troupes françaises disposeront également durant cette période d’un droit de libre circulation.
L’ordre et la sécurité doivent désormais être assurés conjointement par les troupes franco-vietnamiennes (10 000 Vietnamiens et 15 000 Français), sous l’autorité du général Valluy (« Commandant supérieur aux forces franco-vietnamiennes de relève »). Mais, côté vietnamien, aucun chef de haut rang de la délégation vietnamienne, aucun officier ni même un soldat ne sera mis à sa disposition. Seul un adjoint de Giap, Hoang Huu Nam (secrétaire d’État à l’Intérieur), garde un contact avec le commandant Fonde, chargé de la « Mission française de liaison ». Giap a par ailleurs obtenu que les mouvements des forces françaises soient soumis à l’approbation des autorités locales « jusqu’au rétablissement de la sécurité » et donc sans véritable limite chronologique. L’implantation provisoire des garnisons françaises est fixé : 8 garnisons (Hanoi, Haïphong, Hongay, Nam Dinh, Hué, Tourane, Haïduong, Dien Bien Phu) et 6 postes à la frontière sino-tonkinoise (Moncay, Langson, Caobang, Hagiang, Laokay, Laichau). Un commandement franco-vietnamien est prévu avec, en théorie, un état-major commun mais qui ne sera jamais vraiment mis en place du fait, selon les Français, de la mauvaise volonté du VM. En théorie encore, l’armée française occuperait pendant 5 ans, en commun avec des unités vietnamiennes, des bases pour la plupart situées sur la frontière chinoise. Au bout de ce délai, la relève serait assurée par les Vietnamiens seuls et les Français évacueraient alors le pays.
D’Argenlieu reçoit de Paris une réponse positive aux demandes de son télégramme du 29 mars. Le projet de la conférence préparatoire de Dalat est validé. C’est lui qui devra la présider.
Le comité interministériel pour l’Indochine dont Moutet fait partie répond aux propositions de D’Argenlieu en vue des conférences de Dalat puis de Paris : il faut retarder le départ de la délégation vietnamienne pour que les délégués gouvernementaux français aient le temps d’être instruits pour négocier ; la délégation vietnamienne devra être soumise à un devoir de réserve ; la présence d’une délégation laotienne et cambodgienne est souhaitable ; les négociations en cours « devront aboutir à un accord sur le principe général de l’organisation de la Fédération et de l’intégration dans l’Union française » ; il est impossible de consulter démocratiquement les populations tant que l’ordre ne sera pas rétabli (D’Argenlieu, 1985, p. 247 ; Devillers, 1988, p. 175).
D’Argenlieu, pour contrer la volonté du VM de réunifier les 3 Ky, va s’efforcer de mettre sur pied un gouvernement cochinchinois autonome. Il en informe le gouvernement : « Nous sommes maintenant sur le point d’aboutir à Saigon et un gouvernement pour la Cochinchine est prêt à être constitué. » (cité in Turpin, 2005, pp. 245-246) Il est en cela soutenu, mais de manière hésitante et souvent contradictoire (voir 13 mars et 1er juin), par le ministre de la France d’Outre-mer, Marius Moutet. Ce dernier avait préconisé dès le 13 mars de faire « toute une propagande » pour empêcher la réunion du Tonkin à la Cochinchine « sous le slogan : la Cochinchine aux Cochinchinois. » Mais le 15 avril, il lui paraît au contraire « évident que nous devons nous garder d’apparaître comme les auteurs d’une propagande pour l’autonomie de la Cochinchine […] » Pour mieux brouiller les pistes et lui donner un semblant de légitimité, on préconise alors l’avènement d’un gouvernement provisoire de Cochinchine qui serait à même d’organiser lui-même un référendum d’autodétermination (D’Argenlieu, 1985, pp. 268-269).
HCM donne une interview à P.M. Dessinges de Paris-Saigon. Il se dit « enchanté de ses contacts avec le général » Leclerc. « C’est un homme droit, loyal, franc, un chic type comme vous dites en français. C’est avec de tels hommes que l’on aimerait toujours pouvoir discuter. » (cité in Devillers, 1988, p. 155)
5 avril 46 : Leclerc prend connaissance du texte de l’accord de la conférence d’état-major du 3 avril et l’approuve. Il fait lecture à Salan d’une lettre qu’il a adressée à De Gaulle le 27 mars lui expliquant toutes les difficultés auxquelles ont été confrontés les exécutants au moment du débarquement d’Haïphong, lui confiant au passage « combien le gouvernement avait été imparfaitement et faussement informé de la situation » par D’Argenlieu (Salan 1, 1970, pp. 356-357).
6 avril 46 : Léon Pignon qui, jusqu’alors, était le conseiller politique de Sainteny devient celui de D’Argenlieu en remplacement de De Raymond qui est nommé commissaire de la République au Laos (Devillers, 1988, pp. 176-177).
7 avril 46 : Assassinat d’un nouveau membre du Conseil consultatif, le docteur Tran Van That. Cet acte marque le début d’une longue série (voir 3 mai).
Visite de courtoisie de Giap à Salan. Il l’informe qu’il se rendra également à la première conférence de Dalat. Il déplore les manigances chinoises visant à attiser la discorde entre le VM et le V.N.Q.D.D. prochinois (Salan 1, 1970, p. 357).
Au cours d’une de ses visites de départ, celle-ci s’adressant à Lou Han, Salan se rend au palais Pugnier et croise Bao Daï qu’il ne connaissait pas. Ce dernier a demandé un passeport pour se rendre à Hong Kong via Kunming que les Chinois lui établissent (Salan 1, 1970, p. 358). L’ancien empereur y mènera, à son habitude, une vie détachée des questions politiques (conquêtes féminines, jeu et sport).
Salan et son épouse sont invités chez HCM en compagnie de Giap, Pham Van Dong (ministre des Finances) et Hoang Minh Giam (vice-ministre des Affaires étrangères). Ce dernier est le plus disert. Salan fait connaissance avec un Pham Van Dong « très réservé ». HCM confie à Salan qu’il est son « fils spirituel ». Deux des invités ont connu les geôles de Poulo Condore. Giap a quant à lui perdu son épouse Bich Ha dans un bagne français. Après le départ de Madame Salan, la tournure de la conversation devient plus politique. HCM critique « Saigon » (D’Argenlieu) qui, selon lui, ne respecte pas les termes de l’accord du 6 mars. Deux problèmes doivent être résolus dans l’immédiat : la Cochinchine et l’ouverture de la conférence de Paris. Les Vietnamiens reprochent à Salan une forme de duplicité française : le colonel Nguyen Van Xuan et des notables saïgonnais doivent partir pour Paris présenter un gouvernement de Cochinchine soutenu par D’Argenlieu, ce qui contredit l’accord préliminaire du 6 mars. HCM annonce qu’il n’ira pas à Dalat et demeure pessimiste quant aux perspectives de cette conférence.
D’Argenlieu adresse à Valluy (futur commissaire de la République au Tonkin par intérim avec le départ de Sainteny pour la France, voir 11 avril) une directive. La proclamation d’un gouvernement provisoire en Cochinchine va provoquer des remous au Tonkin tant au niveau gouvernemental que dans la population. La tâche de Valluy va donc être de faire comprendre au gouvernement d’Hanoi qu’il aurait beaucoup plus à perdre en fomentant un coup d’état qu’en préservant la convention du 6 mars. Pour faciliter la tâche de Valluy, D’Argenlieu va reporter l’annonce de cette proclamation au moment de la conférence de Dalat ou de celui du départ des parlementaires vietnamiens vers Paris. D’Argenlieu conclut cette directive d’un « je connais votre sûreté de jugement, votre force de caractère. Vous avez ma confiance. » (Devillers, 1988, pp. 177-178) Un pacte semble désormais lier les deux hommes.
8 avril 46 : Un commando vietminh (sous les ordres de Nguyen Binh) rompt la trêve menée jusque-là et fait sauter la Pyrotechnie à Saigon pour maintenir la pression au moment où va s’ouvrir la conférence de Dalat (De Folin, 1993, p. 159). Goscha pense que cet acte est une initiative personnelle de Binh, non forcément approuvée par Hanoi (Goscha, 2002, pp. 48-49). Binh a définitivement adopté une stratégie terroriste qu’il nomme « tactique de la terre brûlée » (Goscha, 2002, p. 44) et qu’il défend dans les termes suivants : « Ce que l’ennemi construit, nous le détruisons. S’il reconstruit, nous le détruisons de nouveau. Nous avons fait de sorte que l’ennemi ne pût pas stabiliser la situation, qu’il ne pût pas atteindre son but de pacification. Cela contribuait d’une façon favorable à la construction des bases pour le développement de la guerre de guérilla et la restauration de notre pouvoir politique dans beaucoup de zones positionnées derrière les lignes ennemies. » (cité in Goscha, 2002, p. 39 ; voir également pp. 43-45) Goscha note : « La violence aveugle pouvait justement nuire aux buts politiques visés. Elle existait chez le Vietminh, mais elle était nécessaire pour des raisons politiques, diplomatiques et surtout pour gagner le soutien de la population à l’État. » (Goscha, 2002, p. 45)
10 avril 46 : Nguyen Binh forme un « Front national unifié » avec les Hoa Hao, les Caodaïstes, des Bouddhistes, certains catholiques et les Binh Xuyen, tous en lutte contre les Français au moyen de méthodes terroristes (Gras, 1979, p. 111 ; Fonde, 1971, pp. 196-197).
Giap invoque une circulaire prise à l’ennemi avant la future affaire d’Haïphong, Valluy a mis au point un scénario pour « écraser la défense de nos forces armées et se rendre rapidement maître » d’Hanoi (Giap 1, 2003, p. 29). Le nouveau commandant militaire du Nord, a en effet d’entrée produit une circulaire (« Directive n° 2 » selon Devillers 1988) qui préconise de « ne pas être pris au dépourvu en cas d’incident imprévu » et d’établir un plan d’action qui peut transformer le « scénario [d’] une opération […] purement militaire, en un scénario de coup d’État » visant à se débarrasser une fois pour toutes du gouvernement vietminh. Le document est offensif : « Car le meilleur moyen de se défendre est bien souvent d’attaquer. » Dans sa conclusion, son auteur précise : « Quand les renseignements ont circonscrit ces organismes et fait connaitre les habitudes de leurs membres, des commandos spécialement constitués préparent la neutralisation par surprise. » La découverte de cette note incite les Vietnamiens à renforcer leurs défenses à Hanoi et dans le Delta (Devillers, 1988, pp. 179-180 ; Devillers, 2010, pp. 179-180 ; Ruscio, 1992, p. 76 ; longuement citée in Turpin, 2005, pp. 240-241).
Au Cambodge, Romain Victor Pénavaire est nommé Commissaire de la République. xxx
11 avril 46 : Leclerc, clairvoyant, confie à Salan que la conférence de Dalat à venir « est du temps de perdu » (Salan 1, 1970, p. 365).
Sainteny, devant accompagner la délégation parlementaire vietnamienne à Paris, est remplacé par le général Valluy (commandant militaire du Nord) qui assure l’intérim au poste de commissaire de la République au Tonkin. Le colonel Crépin et le lieutenant-colonel Repiton-Preneuf sont ses adjoints. Valluy cumule donc désormais au Nord l’autorité civile et militaire.
Léon Pignon quitte le Nord étant nommé Commissaire fédéral politique de l'Indochine à Saigon et devient donc le principal conseiller politique de D’Argenlieu, poste qu’il occupera jusqu’en mai 1947 (Varga, 2009, p. 283).
12 avril 46 : À Washington, les Combined Chiefs of Staff (C.C.S.) accepte que l’Indochine soit désormais sous autorité française. Une note secrétaire d’État James Byrnes transmise à l’ambassadeur français Henri Bonnet marque un radical changement dans la politique étrangère américaine à l’égard de l’Indochine telle que l’avait voulu Roosevelt. Elle ignore l’existence d’un gouvernement provisoire représentatif à Hanoi et ne fait plus mention des précédentes prises de position en faveur d’un self government à accorder aux peuples sous domination française. Sur le théâtre européen, pour les Américains, la France doit redevenir une alliée à part entière des États-Unis, quitte à faire quelques concessions en Extrême-Orient (Pedroncini, 1992, p. 396 ; Isoart, 1982, p. 211).
Sainteny quitte Hanoi pour se rendre à Saigon avant son départ pour Paris (Devillers, 1988, p. 180).
13 avril 46 : Au Cambodge, Sihanouk annonce son intention de doter le pays d’une constitution. Celle-ci sera octroyée après l’élection d’une assemblée législative au suffrage universel direct. Cette assemblée doit donner son avis sur un projet de texte constitutionnel élaboré par une commission franco-khmère : on demeure donc dans le cadre très français de la « Déclaration du gouvernement en date du 24 mars 1945 relative à l’Indochine » qui avait instauré une « Union française ». Une loi électorale est programmée s’inspirant du modèle des démocraties occidentale. Elle est contestée par certains partis démocrates : délais trop courts, 37 cas de déchéance des droits électoraux et mise à l’écart des conditions d’éligibilité des fonctionnaires afin d’éviter une désorganisation de l’administration par une ruée dans leurs rangs vers la politique. C’est le parti démocrate qui remporte une nette victoire avec 60 à 70 % des suffrages exprimés (Devillers, 2010, pp. 134-136).
14 avril 46 : Sur le chemin de Chunking, Leclerc et Salan en faisant escale à Calcutta rencontrent le général Juin (chef de l’état-major français) en route pour la Chine. Ce dernier leur apprend qu’une lettre de D’Argenlieu a été remise à l’amiral Auboyneau. Elle met directement en cause les deux généraux auprès du gouvernement français. D’Argenlieu y a écrit : « Le général Leclerc et le général Salan sont deux généraux qui ne veulent pas se soumettre à mon autorité, je demande au gouvernement de les retirer de mon commandement et de les rappeler en France. » Juin leur demande de ne pas réagir dans l’immédiat et suggère même à Leclerc de citer Salan à l’ordre de l’Armée et de le nommer président de la commission militaire de la future conférence Paris (Salan 1, 1970, p. 367). Il a vu De Gaulle avant son départ et celui-ci l’a chargé d’apaiser les tensions entre l’amiral et Leclerc. Juin lui confie : « En ce qui vous concerne, je vous prendrai à mes côtés comme inspecteur de l’Afrique du Nord, pour le moment, demeurez en Indochine en attendant mon retour en France. » (cité in Turpin, 2005, p. 234) Leclerc temporise et ne réagira à cette attaque directe de l’amiral que les 22 mai et 29 juin.
Après avoir déclaré un temps le contraire, un télégramme de Moutet à D’Argenlieu estime « évident que nous devons nous garder d’apparaître comme les auteurs d’une propagande pour l’autonomie de la Cochinchine et que celle-ci doit émaner des Cochinchinois eux-mêmes. » (Devillers, 1988, p. 184).
15 avril 46 : De Langlade quitte ses fonctions à la tête du Comité interministériel d’Indochine (Cominindo) (Devillers, 1988, p. 124). Moutet nomme André Labrouquère, professeur dans l’enseignement supérieur en Indochine et, selon D’Argenlieu, « un très fidèle S.F.I.O. ». L’amiral n’a, comme il l’avait pressenti, pas été consulté pour ce choix (D’Argenlieu, 1985, pp. 273-274). Il n’apprécie pas cette nomination. Politiquement trop marqué à gauche, la mission du nouveau secrétaire général du Cominindo sera brève. Il sera remplacé par Pierre Messmer, un gaulliste, dès le 9 juillet (D’Argenlieu, 1985, p. 302).
Mi-avril 46 : Sur insistance de D’Argenlieu, mais sans qu’il y ait de véritable nécessité depuis la démission de De Gaulle, Sihanouk s’embarque pour effectuer un voyage en France prévu pour une durée de trois mois. En fait, l’amiral voulait absolument que ce voyage, signe de sa totale réussite au Cambodge, s’accomplisse absolument avant celui d’HCM pour Paris (Cambacérès, 2013, p. 57).
15 - 25 avril 46 : Mission en Chine du général Juin (chef de l’état-major français) en vue de la ratification des accords franco-chinois du 28 février. Officiellement, il est envoyé à Chunking pour « apporter à la Chine le salut de la France et pour resserrer les liens d’amitié entre les deux pays ». Le ministre de la France d’Outre-Mer, Marius Moutet est du voyage. Selon certaines sources, la véritable mission de Juin serait plutôt de servir de tampon entre Leclerc et D’Argenlieu. D’autres sources disent qu’il vient pour signer un accord avec le Vietminh, ce que le Quai d’Orsay a démenti par un télégramme du 6 mars auprès de l’ambassade de Chunking. Juin tient surtout à se rendre compte, sur place, des résultats des accords passés avec les Chinois et les Vietnamiens mais aussi de la situation réelle des forces françaises en Indochine. Il entend rencontrer le commandant en chef de l’état-major chinois, le général He Yingqin, seul maître des décisions pour la relève et l’évacuation des troupes chinoises. Mais il n’y parvient pas du fait d’un déplacement du général à Nankin, la future capitale. Il rencontre toutefois Tchang Kaï Check qui l’invite avec l’ambassadeur Meyrier à passer un week-end dans sa résidence. Une réception a lieu à l’ambassade de France avec remise de décorations à Tchang et à ceux qui ont œuvrés à l’accord du 28 février. Pour autant, 180 000 soldats chinois n’ont toujours pas quitté le Tonkin, pas plus d’ailleurs que les 30 000 Japonais que les Chinois n’ont toujours pas désarmés au Nord… Tchang apparaît toujours en désaccord avec certains de ses généraux. Il a par ailleurs besoin de récupérer des troupes pour aller combattre les communistes chinois.
16 avril 46 : Dans un rapport adressé au député René Pleven, Paul Mus (conseiller politique de Leclerc), très bon connaisseur de l’Indochine, écrit : « L’histoire, en Extrême-Orient, vient de faire un bond prodigieux, un bond d’un siècle. Toutes nos idées sont à remettre à neuf […] Ce que nous trouvons, c’est de l’histoire en fusion. » (cité in Ruscio, 1992, p. 51)
La délégation « good will » de parlementaires vietnamiens conduite par Pham Van Dong s’envole vers Paris. Elle y arrivera le 25.
17 avril 46 : Arrivée des délégations de négociateurs à Dalat (Devillers, 1988, p. 180).
Le ministère de la Défense vietnamien décide de créer le collège militaire Tran Quoc Tuan pour la formation des cadres de l’armée. Il sera par la suite déplacé dans la IVe zone de guerre (Giap 1, 2003, pp. 265-266).
19 avril – 11 mai 46 : Première conférence de Dalat. Selon les mémoires Sainteny, absent, « on escomptait que non seulement Dalat préparerait Paris mais encore avancerait suffisamment les choses pour que les négociations de Paris se limitent à la signature solennelle des accords mis au point à Dalat et aux cérémonies officielles qui les entoureraient. On sait qu’il en fut tout autrement. » (Sainteny, 1967, p. 200) Le lieu où doit se passer cette conférence a été sujet à polémique entre la France et le gouvernement vietnamien : HCM était favorable à ce qu’elle ait lieu directement à Paris mais D’Argenlieu ne veut pas que cet habile négociateur joue de l’opinion française, internationale et encore moins de ses appuis au sein de la gauche métropolitaine. Il souhaite empêcher une conférence d’État à État, préfère privilégier le cadre de l’Union française, ce qui aboutit au compromis de Dalat qui pourra se poursuivre en France, ultérieurement. HCM ne se rend donc pas à Dalat.
La délégation vietminh est officiellement dirigée par le ministre des Affaires étrangères Nguyen Tuong Tam (V.N.Q.D.D.) mais, en réalité, c’est Giap, son vice-président, qui la tient en sous-main. Selon D’Argenlieu, cette délégation est faite d’hommes entre 30 et 40 ans, issus de la bourgeoisie. Ce sont des intellectuels sans « aucune homogénéité politique » et donc « pas l’émanation du parti Vietminh au pouvoir ». La délégation vietnamienne est hétérogène : il y a des nationalistes, des pro-japonais et des membres du P.C.I. (D’Argenlieu, 1985, p. 254). Selon Messmer qui a été retenu par D’Argenlieu pour y assister, cette délégation est « politiquement très éclectique, comme pour souligner, à notre intention, l’union nationale. Des communistes y côtoient d’anciens ministres pro-japonais de l’empereur Bao-Daï […] » (Messmer, 1992, p. 174)
Les principaux membres de la délégation française ont été désignés par D’Argenlieu (voir 29 mars). Elle ne comprend presqu’aucun homme politique. Elle est dirigée par Max André, un membre M.R.P. du cabinet d’Edmond Michelet (ministre de la Défense) qui a été directeur de la Banque franco-chinoise avant la SGM. Sont également présents Léon Pignon, désormais conseiller politique de D’Argenlieu, qui a négocié les accords du 6 mars et Pierre Messmer, chef de cabinet de Moutet (composition complète de la délégation française in D’Argenlieu, 1985, p. 247, note 2 et p. 248, note 1).
Au départ, D’Argenlieu, volontairement présent par intermittence (D’Argenlieu, 1985, p. 253), se retire régulièrement dans sa villa tout en surveillant la délégation française. Cette conférence, il veut la piloter seul, entre soi, au Vietnam et il y parvient.
5 commissions sont mises en place : politique, économique et financière, militaire et culturelle.
Deux problèmes épineux sont abordés : d’abord le statut futur de la Cochinchine, de l’union des 3 Ky et du référendum à venir, plus ou moins définis par les accords du 6 mars 1946 ; ensuite les questions d’autonomie économique et militaire de la jeune République. Contrairement aux accords du 6 mars, on entre ici dans le vif de ce qui avait été éludé à cette date. C’est d’ailleurs ce qui va bloquer les débats.
Une divergence apparaît d’entrée : la délégation vietnamienne demande la mise à l’ordre du jour des mesures à prendre pour faire cesser immédiatement les hostilités au Nam Bo (« la chair de notre chair, le sang de notre sang » selon HCM, voir 14 juillet). Les Français refusent de traiter cette question car ils considèrent toujours la Cochinchine comme leur colonie, qui plus est, la partie la plus riche du Vietnam dont tous les habitants ne sont pas forcément pressés de la voir rattachée aux deux autres Ky, plus pauvres. Giap réagit alors violemment : « Dire qu’il n’y a pas plus d’hostilités en Cochinchine est un défi à la réalité […] Il faut que cette tragique ignominie cesse […] ». D’autant plus que durant toute la durée de la conférence ont lieu des manifestations et des violences des deux côtés, avec morts et blessés, tant au Tonkin qu’en Cochinchine (voir 18 et 19 avril).
Trois points d’achoppement apparaissent donc d’entrée pour la délégation vietnamienne : le Vietnam doit être considéré dans son ensemble ; le problème de l’organisation de l’armée est un problème intérieur qui n’a pas à être traité ici ; la question de l’armistice doit figurer à l’ordre du jour car la solution à cette question est la condition préalable à tout accord (Bodinier, 1987, pp. 248-249)
Le « dialogue » tourne court et en vient à se faire par un simple échange de notes écrites… Rien n’aboutit, notamment sur la date du référendum dont le VM estime qu’il ne pourra avoir lieu « sous l’occupation française » (De Folin, 1993, pp. 147-148 ; Francini 1, 1988, pp. 303-304).
Les questions d’autonomie économique ou d’entente militaire n’aboutissent pas plus (douanes, monnaies, introduction de dirigeants vietnamiens dans les entreprises).
Du point de vue militaire, il n’y a non plus aucun accord en vue : ni sur l’encadrement des forces armées vietnamiennes, ni sur l’unité du commandement franco-vietnamien, ni sur la répartition entre Français et Vietnamiens dans les forces futures de l’Union française, ni même sur les bases stratégiques à accorder aux Français et la durée de leur occupation.
Même la notion de « self-government », acceptée antérieurement par les Français (voir 18 février 1946), n’est pas clairement débattue et intégrée au concept d’Union française tel que l’avait défini De Gaulle en 1945.
La conférence n’aboutit à rien, sinon à montrer qu’il s’agit d’une impasse tant les avis des deux parties en présence divergent. À l’issue d’échanges houleux, Messmer parle « d’un climat de mésentente cordiale ». Toutefois, seul point positif pour le VM, il n’y a pas rupture avec les Français mais possibilité de gagner de temps. Car ce dialogue de sourds doit être poursuivi à Fontainebleau : HCM désire désormais négocier directement avec le gouvernement français, à Paris, sans la présence exclusive des administrateurs et des anciens dirigeants de la colonie qu’il déteste et dont il sait qu’ils ne lâcheront rien (Raymond, 2013, pp. 73-75).
18 avril 46 : Le ministre des Affaires étrangères, chef de la délégation vietnamienne présent à la première conférence de Dalat, Nguyen Tam, déclare devant la presse : « Nous ne sommes d’accord que sur un seul point, à savoir que nous ne sommes d’accord sur rien. » (cité in Francini 1, 1988, p. 304)
Sur place, les violences se poursuivent des deux côtés au Nord comme au Sud : les troupes françaises bombardent le village de Hau Giang (Cochinchine), causant la mort de 23 civils (Raymond, 2013, p. 73).
19 avril 46 : Le responsable militaire du Comité du Nam Bo, Nguyen Binh, lance en véritable électron libre ses troupes contre les Français dans une offensive générale sur tous les fronts. Ce qui plombe encore un peu plus la conférence en cours, là où les représentants vietnamiens avaient demandé, en termes fermes, l’arrêt des violences au Nam Bo le temps de la négociation (De Folin, 1993, p. 147).
20 avril 46 : D’Argenlieu dénonce à l’État-major général de la Défense nationale « ces innombrables actes de provocation, arrestations arbitraires, blessures volontaires, refus de circuler malgré accord, refus de cantonnement, menaces envers fournisseurs français […] Les vexations ne sont pas effet individu annamite mais bien résultat d’une politique du Gouvernement du Vietnam dont mauvaise foi s’affirme chaque jour. » (cité in Turpin, 2005, p. 237)
Le remplaçant de Giap (parti pour Dalat depuis le 17), Hoang Huu Nam (secrétaire d’État à l’Intérieur) signe avec le commandant Fonde un accord pour l’installation de 5 000 Français des forces de relève à Hanoi. Selon Fonde, « la pression va baisser à Haïphong. » (Fonde, 1971, p. 189)
21 avril 46 : Jour des « Pâques sanglantes » : un accrochage entre un camion chinois et un camion militaire français provoque une fusillade chinoise. 12 Français non armés sont tués, 20 autres blessés (De Folin, 1993, p. 164 ; Salan, 1, 1970, pp. 371-372). Des civils sont atteints par les tirs. La réaction française ne se fait pas attendre. Devillers évoque « une intervention immédiate et musclée des forces françaises » qui vise à impressionner les populations locales (Devillers, 1988, p. 180). Paris et Saïgon protestent contre cette manifestation de violence.
Bien que le général Juin soit allé à Chunking en avril (voir 15 - 25 avril) pour obtenir des ordres formels d’évacuation et espérer arrondir les angles avec les Chinois, selon Valluy, « […] des transactions de marchands de tapis persistèrent ». Les Chinois réclament l’envoi de 10 000 tonnes de riz à Shangaï, le graissage de patte des généraux chinois, Lou Han compris (Valluy 1, 1967, pp. 35-36).
Le nouveau secrétaire général du Cominindo, Labrouquère, adresse à D’Argenlieu un télégramme qui va dans le sens de celui déjà envoyé par Moutet (voir 14 avril) : La France ne doit pas faire œuvre de « propagande pour la promotion de l’autonomie cochinchinoise » (Devillers, 1988, p. 184).
22 avril 46 : Sainteny atterrit au Bourget pour pouvoir accueillir la délégation de parlementaires vietnamiens. Il est assailli par les journalistes puis rend compte de la situation aux autorités : « conférences au Comité de l’Indochine, Comité interministériel, Conseil de Gouvernement, etc […] Je conçois, ainsi que j’avais dû le faire dix mois plus tôt [voir 13 - 26 juillet 1945], combien il est difficile de saisir de Paris l’immense portée du problème. » C’est lors de l’un des conseils de gouvernement que Bidault (Affaires étrangères) charge Sainteny d’organiser le séjour d’HCM en France et qu’il est décidé que lui et le président vietnamien resteront « en dehors des négociations de Fontainebleau afin de pouvoir éventuellement en opérer le « raccrochage » si cela se révélait nécessaire. » (Sainteny, 1967, p. 201)
D’Argenlieu demande à Leclerc de faire exiger par Valluy l’intervention des troupes françaises dans le maintien de l’ordre car il estime qu’après les événements de la veille « la police vietnamienne vient de se montrer lourdement déficiente. » C’est le début d’une laborieuse collaboration (Devillers, 1988, p. 180).
23 avril 46 : D’Argenlieu dépêche à Paris une « mission cochinchinoise » dirigée par le préfet annamite Chan et le colonel Xuan. Elle se retrouve dans la capitale au même moment que la délégation de l’assemblée nationale vietnamienne « good will » (Devillers, 1988, p. 187).
25 avril 46 : Le général Juin qui revient d’une mission en Chine et dans le Sud-est asiatique arrive à Hanoi. Il rencontre HCM en présence de Leclerc. L’entretien est cordial. Par son intermédiaire, Leclerc adresse une lettre au gouvernement, avec copie à De Gaulle, pour demander sa relève. En réponse à sa première lettre, De Gaulle lui conseillera le 3 juin : « Tenez quelque temps encore… » et renouvellera cette même demande le 8 juin. Fort des acquis de son récent séjour en Chine, Juin fait pression sur Lou Han pour obtenir l’évacuation d’Hanoi et le retour définitif des troupes d’occupation vers la Chine (Devillers, 1988, p. 180).
Sainteny (chargé d’accompagner la délégation de parlementaires vietnamiens) se rend chez Maurice Thorez, communiste et vice-président du Conseil des ministres. Ce dernier approuve les contenus de l’accord du 6 mars mais confesse : « Nous ne voyons rien à y redire ; ils sont très satisfaisants et, si les Vietnamiens ne les respectent pas, nous saurons prendre les mesures nécessaires, faire parler le canon, s’il le faut. » (Sainteny, 1970, pp. 95-96). Sainteny prend le soin de préciser que Thorez ne parlait pas forcement du VM mais peut-être des nationalistes prochinois.
Malgré les accords du 6 mars, les Français refusent aux Vietnamiens la constitution d’une garde mixte pour l’accès à l’aéroport de Hanoi, Gia Lam. Un détachement vietnamien est envoyé. Il est bloqué par des barrières et des mitrailleuses en batterie. Au final, les Vietnamiens renoncent (Fonde, 1971, p. 216).
26 avril 46 : Des soldats français incendient un hameau près de Ninh Hoa (Annam) et font disparaître les stocks de riz des habitants (Raymond, 2013, p. 73).
Face aux tergiversations gouvernementales, D’Argenlieu envoie à Paris un mémorandum intitulé « Tournant politique en Indochine » adressé au ministre de la F.O.M. (Moutet) et à celui des Armées (Michelet). Une copie est également adressée à Leclerc et De Gaulle. L’amiral constate que « notre position au Tonkin et dans le Nord-Annam restera difficile » malgré les accords du 6 mars que l’auteur de ce texte apprécie toujours aussi peu. Il faut donc pour l’instant laisser le Tonkin et le Nord-Annam à l’écart et se concentrer sur le Sud. « Sur la Cochinchine, pèse la menace du référendum. » Et donc potentiellement celle de « la clause de l’union possible des trois Ky après référendum. » La Cochinchine devait devenir « un État autonome au sein de la Fédération indochinoise et de l’Union française » mais « depuis le 6 mars, cette clarté n’existe plus. » D’Argenlieu en conclut : « Nous sommes donc aujourd’hui tenu à ce processus. Il n’est pas sans aléas. » Il prône « l’autonomie de la Cochinchine [que] nous tenons solidement [et qui] sera l’une de nos meilleures cartes à l’heure des négociations de Paris […] » Le Tonkin et le Nord-Annam pourraient demeurer des États libres au sein de l’Union française puis seraient rattachés à la Fédération. L’amiral démontre ensuite que les revendications d’Hanoi n’ont aucun fondement : ni géographique, ni historique, ni économique. Il conclut son propos en écrivant : « Il n’appartient qu’au Gouvernement de la République de prendre ses responsabilités propres et de décider sans retard de sa politique dans un sens ou dans l’autre. C’est chose indispensable ici pour un travail efficace. » Aucune réponse gouvernementale à ce mémorandum ne lui parviendra jamais car la métropole est en pleine campagne électorale. Or Moutet est candidat à la députation… (D’Argenlieu, 1985, pp. 274-277 ; Devillers, 1988, pp. 185-187).
Les troupes françaises occupent Ventiane (Laos).
26 avril - 16 mai 46 : Arrivée à Paris de la délégation vietnamienne « good will » dirigée par Pham Van Dong. Sa venue avait été décidée lors de la rencontre HCM-D’Argenlieu en baie d’Along (voir 24 mars). Elle sera reçue à l’Assemblée nationale et par les autorités françaises (Sainteny, 1967, p. 201). Quant à Pham Van Dong, il restera à Paris pour diriger la délégation vietnamienne lors de la conférence de Fontainebleau (voir 6 juillet – 10 septembre). Son attitude, d’abord détendue au moment de cette arrivée, évoluera nettement dans un autre sens lors de la tenue de la conférence.
27 avril 46 : Leclerc envoie des directives aux chefs de corps du C.E.F.E.O. : il ne faut reconquérir « que ce qui [est] nécessaire, mais rien de plus » au vu de l’étendue du pays. Clairvoyant, il ajoute : « Il ne s’agit plus de s’imposer par la force à des masses qui désirent évolution et nouveauté. » (cité in Chaffard, 1969, p. 78)
28 avril 46 : A Haïphong, un poste chinois tire sur des civils français. Une patrouille franco-vietnamienne s’interpose. Ces tensions sont visiblement entretenues par des éléments du V.N.Q.D.D. Une violente échauffourée impliquant des chars du R.I.C.M. et des marsouins du 23e R.I.C. a lieu. Après 4 heures de combat, les Français reprennent le dessus (Fonde, 1971, p 199).
30 avril 46 : Le général Juin (chef de l’état-major français) qui a rejoint depuis le 25 la première conférence de Dalat conseille à Salan, au vu du peu de progrès dans les débats, de maintenir « les positions du 6 mars », ajoutant, avec son habituel optimisme, « le restant se résoudra à Paris. » (Salan 1, 1970, p. 373).
Dans un rapport, Leclerc observe une « amélioration lente ». Il envisage deux lignes d’action au Tonkin. En cas d’échec des négociations avec les Vietnamiens et les Chinois, « il sera vraisemblablement nécessaire d’étendre notre action dans le Delta sans toutefois nous lancer dans une œuvre de pacification complète : tenir les ports, Hanoi, protéger certains massifs peuplés de minorités favorables et voir venir […] Si au contraire, comme il est permis de l’espérer, les Chinois partent et les Annamites signent, alors il s’agira de les aider à rétablir l’ordre dans leur propre pays (moyenne et haute région) mais ceci semble moins urgent. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 254)
Fin avril 46 : Après un voyage de 15 jours, Sihanouk arrive en France. Il est accueilli à Toulon par Gaston Deffere, secrétaire d’État à l’Information. Un train de nuit emmène le roi du Cambodge à Paris. Là, il est reçu par le président du Conseil Félix Gouin. On évoque le coup de force japonais, la première « indépendance », le retour des Français et la signature du modus vivendi. Sihanouk rappelle son souhait de récupérer les provinces cambodgiennes annexées par la Thaïlande en 1941. Il prolonge ensuite son séjour en France, pratique l’équitation et la vie militaire à l’école de cavalerie de Saumur. Il y obtient le grade de lieutenant. Tout est accompli ici pour en faire un bon petit soldat au service de la France… Il profite également de son séjour pour aller rendre visite au général De Gaulle reclus à Colombey-les-deux-Églises depuis son retrait de la vie politique. De cette visite naîtra une véritable relation amicale entre les deux hommes. Le roi passe le reste de son temps en mondanités. Il rentrera au Cambodge début juillet après s’être fait mieux connaître et apprécié en France (Cambacérès, 2013, pp. 57-61).