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par Jean-François Jagielski

Avril 1945

Avril 45 : Les Japonais octroient l’indépendance aux trois monarques de la péninsule indochinoise : Bao Daï, Sihanouk et Sisavang Vong (voir 11 et 13 mars, 8 avril).

Selon De Folin, des documents américains montrent un léger infléchissement de la politique anticolonialiste américaine à l’égard de l’Indochine : la France redevient progressivement une puissance mondiale que les U.S.A. veulent considérer comme une amie (voir 8 mai) (De Folin, 1993, p. 70).


3 avril 45 : La colonne Le Page qui fait partie de la brigade Alessandri n’a pu rejoindre celle de Capponi, presqu’anéantie le 27 mars par les Japonais. Le reliquat de la brigade parvient à franchir à son tour la frontière chinoise à Louang Han où elle est partiellement désarmée (Toinet, 1998, p. 65). Au total, 5 700 hommes des forces françaises dont 3 500 autochtones passent en Chine sous le commandement des généraux Sabattier et Alessandri. Ils sont pris en charge par les Américains de l’O.S.S. dirigés par Paul E. Helliwel mais la seule solution trouvée est de les disséminer au sud de Kunming (Toinet, 1998, p. 67). Ils sont mal accueillis car considérés comme des soldats « pétainistes », la Chine ayant rompu ses relations diplomatiques avec Vichy le 30 juillet 1943. De plus, le sud du pays connaît des difficultés de ravitaillement et l’arrivée de ces nouvelles « bouches à nourrir » pose problème. La colonne est dispersée et doit reprendre la route sur 750 km de pistes. Malnutrition, dysenterie, paludisme et typhus font rapidement leur apparition dans ses rangs.


4 avril 45 : La capitale royale du Laos, Luang Prabang, est évacuée par les quelques troupes françaises qui s’y étaient réfugiées après avoir combattu sur la R.C. 13. Les Japonais l’occupent. Le roi, loyal envers la France, demeure en son palais (Toinet, 1998, p. 66).


5 avril 45 : Au Vietnam, formation du gouvernement Tran Tong Kim, approuvé par Massayuki Yokoyama (« conseiller suprême ») et les militaires japonais. Le futur président du Conseil est un ancien inspecteur des écoles primaires à la retraite. C’est aussi un intellectuel qui a mené des recherches historiques sur les liens entre le Vietnam, le Bouddhisme et le Confucianisme. Il a été soutenu par les Japonais. Depuis 1944, ceux-ci l’ont protégé de la Sûreté française en l’emmenant à Singapour puis à Bangkok (Cadeau, 2019, p. 108).


6 avril 45 : Des éléments du  9e R.I.C. (brigade Alessandri), appartenant au groupement de la Rivière Claire (colonel Seguin), arrivent à la frontière chinoise dans la région de Bao Lac (Sainteny, 1967, pp. 31-32).


7 avril 45 : Le général américain Wedemeyer (chef d’état-major de Tchang Kaï Check) fait savoir au général Blaizot (délégué militaire du Comité d’action pour l’Indochine) que le nord de l’Indochine fait partie de son commandement (Bodinier, 1987, p. 30). Une manière de faire connaître l’hostilité américaine au retour des Français en Indochine.


8 avril 45 : Au Laos, sous la pression japonaise, le très francophile roi Sisavang Vong a été obligé de céder le pouvoir à son premier ministre, le prince Phetsarath Rattanavongsa, anticolonialiste plutôt qu’antifrançais.

Proclamation de l’indépendance du Laos (dans le cadre de l’Union française). Elle se fait, comme au Cambodge, plus sous l’influence japonaise que française  au vu du cours des événements. Un résident japonais s’installe auprès de la cour de Luang Prabang, aux côtés du gouvernement et de l’administration qui continuent à fonctionner. La présence japonaise demeure toutefois assez lâche du fait de l’attachement de la population à la présence française. L’enseignement de la langue française se poursuit (Cadeau, 2019, pp. 113-114).

De Gaulle enjoint au général Sabattier, nouveau délégué général et commandant des forces françaises (en remplacement du général Mordant retenu par les Japonais), de conserver coûte que coûte une portion, aussi faible soit-elle, de territoire indochinois afin d’y asseoir l’autorité du gouvernement de Paris et d’y constituer une base d’action militaire et politique. Sabattier ne peut répondre à la volonté gaullienne car il est au Laos, avec les débris de son armée qui ne peut y conserver la souveraineté française que sur une portion de territoire très limitée. Il est, de plus, aux prises avec les Japonais qui s’emparent de Lai Chau. Il déclarera ultérieurement : « Je recevais des directives, des instructions mais pratiquement aucune aide […] on ne monte pas des opérations de guérillas avec des fantômes. » (Francini 1, 1988, pp. 215-216).

La délégation des Indochinois de France composée essentiellement d’intellectuels favorables à l’indépendance manifeste publiquement, dans une résolution, son hostilité à la déclaration du G.P.R.F. du 24 mars : « La déclaration du 25 mars annonce le rétablissement d’un régime d’autorité absolument inacceptable et contraire aux intérêts les plus authentiques de la France […] Le programme du Gouvernement français a provoqué dans tous les milieux indochinois de France la déception la plus profonde. Son application soulèverait l’hostilité de la population indochinoise et l’éloignerait définitivement du système français. » (cité in Turpin, 2005, p. 109)


12 avril 45 : Mort de Roosevelt. Elle marque l’atténuation d’une attitude anticolonialiste et totalement hostile au retour des Français en Indochine. Peu avant sa mort, le président avait progressivement lâché l’idée d’une gouvernance internationale pour l’Indochine. Harry Truman, son vice-président, lui succède. Il n’est, dans un premier temps, pas très favorable au retour des Français en Indochine. Il affirme le jour de la mort de son prédécesseur : « J’ai toujours été opposé au colonialisme ; quel que soit le prétexte invoqué pour le justifier à un stade quelconque de son évolution, il est odieux aux Américains sous toutes ses formes. » (cité in Cadeau, 2019, p. 121) Il pense qu’il est nécessaire d’imposer des mesures dans les colonies et à les faire évoluer progressivement vers l’indépendance. Il sait aussi la France faible du fait de sa dépendance militaire et financière à l’égard des Alliés (Francini 1, 1988, p. 221).

Toutefois, il abandonnera par la suite l’idée d’enlever l’Indochine aux Français mais reste favorable à une gouvernance internationale (en fait, une tutelle sino-américaine approuvée par la France) mais son attitude évoluera là encore à partir du moment où l’U.R.S.S. et le communisme deviendront les principaux adversaires des U.S.A. sur la scène internationale. Il sait qu’il va donc devoir changer la donne en Indochine.

Selon Halberstam, avec la mort de Roosevelt « disparaissait tout espoir d’une politique ouvertement déclarée d’anticolonialisme au Vietnam. Il était le seul protagoniste important sincèrement attaché à l’idée d’empêcher le retour des Français […] En fait, la mort de Roosevelt fut un signal pour les Européanistes du Département d’État que la route était dégagée, et puisque le seul personnage qui aurait pu être un ennemi réel se trouvait écarté, ils s’empressèrent de présenter à Truman une politique du fait accompli en Indochine. Dans l’espace d’une semaine, les Européanistes du Département d’État agirent : ils préparèrent sans rien dire un rapport sur l’Indochine disant que la politique américaine était de soutenir la position française et d’agir par l’intermédiaire des Français dans cette région. » (Halberstam, 1974, p. 103) Toujours selon le même, « la France était affaiblie, son orgueil blessé. La politique américaine en Indochine allait commencer, enracinée non pas tant dans l’anticommunisme – cela était secondaire – que dans l’indifférence. » (Halberstam, 1974, p. 104)

Les Français demeurent cependant persuadés que les Américains veulent les évincer de l’Indochine : ils mettent, à tort, dans le même sac Roosevelt, Patti et tous les Américains. Or le général Donovan, patron du major Patti et dirigeant de l’O.S.S. à Washington, pense déjà à cette époque qu’il faut maintenir les empires coloniaux européens comme contrepoids au péril soviétique.


13 avril 45 : Télégramme de De Gaulle au général Sabattier (nouveau délégué général et commandant des forces françaises) : « Le Gouvernement tient d’une façon expresse à ce qu’une portion si faible soit-elle du territoire indochinois reste entre nos mains. Il y voit un moyen d’asseoir l’autorité du représentant du Gouvernement de Paris. Il compte d’autre part que ce territoire d’Indochine libérée constituera un point de départ pour l’action politique sur le reste de l’Indochine. » (cité in Turpin, 2005, p. 91) Il s’agit d’économiser au maximum les forces françaises en pratiquant la guérilla à partir de zones sanctuaires. Belle illusion de la métropole qui croit encore que les troupes françaises peuvent tenir face aux Japonais.

Au lendemain de la mort de Roosevelt, le secrétaire d’État Stettinius, maintenu à son poste, produit pour Truman un mémorandum sur la situation en Indochine. Ce dernier marque un changement dans les orientations de la politique étrangère américaine menée jusqu’ici : « […] il faut que ce gouvernement fasse tous les efforts pour aider la France, moralement aussi bien que matériellement, à rétablir sa puissance et son influence […] En ce qui concerne l’Indochine, [les membres du gouvernement provisoire français et les Français] ont montré indûment des soupçons sur le but et la motivation des Américains. Il apparaît qu’il est dans l’intérêt des États-Unis de prendre en considération, comme il se doit, ce facteur psychologique dans l’esprit des Français, et de traiter la France à tous les égards dans la perspective et influence potentielles plutôt que sur la base de sa force actuelle. » (cité in Nguyen Phu Duc, 1996, p. 34) Cette nouvelle orientation des U.S.A. sera ultérieurement confirmée par une note du département d’État à toutes ses missions diplomatiques puis par Truman lui-même (voir 3 mai) : « Les États-Unis n’envisagent pas de s’opposer au rétablissement du contrôle français sur l’Indochine et aucune déclaration officielle du gouvernement américain n’a jamais remis en question, même indirectement, la souveraineté française en Indochine. » (cité in Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 38-39).

Au Cambodge, sous la contrainte japonaise, Sihanouk glorifie « l'Empire du Soleil Levant, libérateur des peuples d'Asie ».


15 avril 45 : Un message de De Gaulle à l’occasion du Têt adressé « au noble, intelligent et fidèle peuple annamite » proclame la volonté de la France de faire « du développement politique, économique, social et culturel de l’Union indochinoise l’un des buts principaux de son activité. » La France « qui est et demeure son propre mandataire » entend poursuivre son œuvre. Il souligne qu’elle a beaucoup appris de ses propres souffrances pour mieux comprendre les aspirations des peuples annamites (Isoart, 1982, p. 40).


17 avril 45 : Bao Daï charge Tran Trong Kim (nationaliste pro-japonais soustrait aux Français en 1943) de former un gouvernement de patriotes non hostiles à la France (après le refus prudent de Ngo Dinh Diem d’assumer la fonction de président du Conseil). Le premier gouvernement vietnamien a réussi à obtenir des Japonais le transfert de la plupart des services français. Un gouvernement de 11 membres est constitué avec des hommes peu marqués politiquement et appartenant à l’intelligentsia vietnamienne. Ce gouvernement, peu préparé à la tâche, est dépourvu de ministre de la Guerre. Il est épaulé par le japonais Massayuki Yokoyama qui a le titre de « conseiller suprême » de ce gouvernement mais n’aura ni le temps ni les moyens de mettre en place le moindre programme.

Toutefois, la situation devient encore en plus trouble. En effet, Bao Daï a fait proclamer Phan Ke Toai, jusque-là simple délégué impérial à Hanoi, vice-roi du Tonkin. Ce dernier s’efforce de gouverner mais manifeste des sentiments violemment antifrançais. Du point de vue du nouveau gouvernement vietnamien entièrement appuyé par les Japonais, la dissolution du gouvernement général français devra être effective en juillet (De Folin, 1993, p. 77 ; Devillers, 1952, p. 126 ; Zeller, 2021, pp. 143-144).

Une note du ministère des Affaires étrangères chinois donne un accord de principe pour un retour au Laos des troupes françaises stationnées (ou plutôt internées…) en Chine. Mais cet accord sera contrarié le 3 novembre par l’influence du commandant en chef, le général Ho Ying Chi (Pedroncini, 1992, p. 167).


18 avril 45 : Un télégramme de De Gaulle à Sabattier l’informe de la probable future division de l’Indochine qui n’a pas été tranchée entre Américains et Britanniques. Il conseille au délégué général et commandant des forces françaises en Indochine de ménager les deux parties : l’américain Wedmeyer d’un côté et l’anglais Mountbatten de l’autre (Turpin, 2005, p. 96).


20 avril 45 : Ce qui reste de l’armée régulière française d’Indochine est regroupé en territoire chinois et rattaché pour les Alliés au « théâtre Chine ». Le général Sabattier qui la commande  est nommé chef de la Mission militaire française de Chunking (M.M.F.), elle-même placée sous l’autorité de Tchang Kaï Check. Mais comme le mentionnait déjà une « directive générale » datant de 1943, les Français du S.R. avaient vite compris que les Chinois voyaient en eux moins des alliés que de simples auxiliaires (Valette, 1993, pp. 230-231).

Les activités clandestines françaises sont gérées par la Direction Générale des Études et Recherches (D.G.E.R.) commandée depuis Londres par le colonel Passy et qui couvre l’ensemble de l’Extrême-Orient depuis Calcutta. Elle relève directement de De Gaulle et ne dépend pas de l’armée (d’où un certain flou au niveau décisionnel). Une antenne nommée Mission 5 (M-5) est installée en Chine à Kunming. Elle est dirigée par Jean Sainteny. (Francini 1, 1988, p. 219). Selon son dirigeant, composée d’une trentaine d’officiers, son rôle est des plus modeste : « L’état-major de la Mission militaire française de Kunming s’efforçait de recueillir tous les renseignements possibles sur la situation de l’Indochine, principalement du Tonkin, du Nord-Annam et du Laos. Pour y parvenir, il avait disposé sur la frontière sino-tonkinoise un certain nombre de commandos légers, composés d’hommes ayant une connaissance approfondie de la région et des autochtones. » (carte de leur implantation in Sainteny, 1953, pp. 16-17) Elle tente de renseigner les Alliés en lutte contre les forces japonaises et sur le sort des Français demeurés en Indochine. Elle intervient pour obtenir des parachutages visant à aider ses unités qui sont sur le terrain. Elle est en liaison avec les services américains, chinois, britanniques présents sur place (voir mars). C’est par leur biais que Sainteny recevra en juillet un message du Vietminh en 5 points (voir 25 juillet) indiquant au gouvernement provisoire ses amendements (Sainteny, 1970, pp. 64-65).


21 avril 45 : Le général Wedemeyer (chef d’état-major du général Tchang Kaï Chek et commandant des forces des États-Unis en Chine) fait savoir au général Sabattier (nouveau délégué général et commandant des forces françaises) qu’il ne peut lui fournir un appui stratégique mais tout au plus un appui tactique (23 missions de bombardement à venir, parachutage de vivres, de vêtements et d’armes) (De Folin, 1993, p. 69).


25 avril 45 : Malgré un discours antifrançais et des discours haineux, un certain nombre de hauts fonctionnaires nippons estiment les réalisations françaises et l’ordre établi par l’administration coloniale. L’ambassadeur Masayuki Yokoyama déclare ainsi : « Nous ne devons pas confondre un système politique avec les qualités inhérentes aux Français. Il y en a beaucoup parmi eux qui ont œuvré pour le bien de l’humanité. »  (cité in Cadeau, 2019, p. 111)

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