Août 67 : Les désaccords entre McN et LBJ se poursuivent et s’accentuent. Là où le secrétaire à la Défense fait des propositions de désescalades, le président demande d’intensifier la guerre aérienne et ce, malgré son durable manque d’efficacité (voir 14 octobre 1966) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 545-546). Selon Clifford, « le président aimait toujours énormément MacNamara et avait beaucoup de respect pour lui, mais il commençait à ne plus avoir confiance en lui car il paraissait si tourmenté, et puis il s’inquiétait de plus en plus des rapports qui existaient entre son secrétaire à la Défense et Robert Kennedy. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, pp. 225-226) L’affaire s’ébruite.
LBJ charge le F.B.I. sous la coupe d’Edgard Hoover de discréditer les participants au mouvement anti-guerre, et notamment les membres du S.D.S., les accusant d’être procommunistes. Ces enquêtes seront au final décevantes. Le président se tourne alors vers la C.I.A. qui monte l’opération Chaos. Elle permet d’obtenir des renseignements sur 200 000 opposants et 1 000 organisations. Là encore, les résultats seront décevants. Ce qui n’empêche pas LBJ de procéder à une forme de désinformation caractérisée pour discréditer le mouvement contestataire de l’Americans with Disabilities Act (A.D.A., association de vétérans handicapés) (Portes, 2008, p. 165).
3 août 67 : Lors d’une conférence de presse, LBJ annonce le déploiement de 45 à 50 000 hommes, ce qui porte le nombre d’Américains présents au Vietnam à 525 000 (Johnson, 1972, p. 319).
5 août 67 : Au Cambodge, Sihanouk offre sa démission pour laisser le pouvoir aux KR qui refusent cette offre. Sihanouk déclare : « Je suis complètement écœuré par la dénationalisation de ces gens-là et par leur manque de courage moral et civique. » (Sihanouk, 1979, p. 245).
8 août 67 : McN et Rusk transmettent le contenu de leurs échanges avec Kissinger lors d’un dîner avec Johnson. Rusk et Johnson l’autorisent à rédiger des instructions à Kissinger (McNamara, 1996, p. 287).
Fondation de l’Association des nations de l'Asie du Sud-est (A.S.E.A.N. ou A.N.A.S.E.). C’est une organisation politique, économique et culturelle regroupant 10 pays d'Asie du Sud-est. Elle est fondée à Bangkok (Thaïlande) par 5 pays dans le contexte de la guerre froide pour faire barrage aux mouvements communistes, développer la croissance et le développement et assurer la stabilité dans la région. L'A.S.E.A.N. est fondée autour de 5 États, principalement de l'Asie du Sud-Est maritime : Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour et Thaïlande.
Le Brunei les rejoindra 6 jours après avoir acquis son indépendance du Royaume-Uni, le 8 janvier 1984. Le Vietnam y entrera en 1995, suivi du Laos et de la Birmanie le 23 juillet 1997 et du Cambodge le 30 avril 1999. C’est l’invasion vietnamienne du Cambodge en 1979 qui lui donnera un rôle international bien plus important que ses promoteurs l’avaient envisagé à sa fondation.
9 août 67 : McN transmet à Kissinger une note : « Les États-Unis sont prêts à arrêter les bombardements si cela débouche rapidement sur des discussions fructueuses […] » (citée in McNamara, 1996, pp. 287-288). Ces discussions pourront prendre une dimension publique ou privée.
11 août 67 : Johnson approuve la note de McN du 9. Kissinger regagne Paris pour la transmettre (McNamara, 1996, p. 288).
Attaque aérienne sur Hanoi visant le pont de Long Bien (ex-pont Paul Doumer) qui est endommagé sur plus de 30 mètres, mais non détruit. Cette offensive aérienne sur cet objectif précis, mais pourtant crucial pour les liaisons n-v, est tardive (voir les critiques sur ce point d’un journaliste américain présent au N-V fin 1966 - début 1967 in Salisbury, 1967, pp. 199-200). Ayant pu largement anticiper cette attaque, les N-V mettent en place immédiatement un système de bac puis un pont de bateaux pour pouvoir continuer à franchir le Fleuve Rouge (De Quirielle, 1992, p. 118).
13 – 14 août 67 : Raids aériens sur la gare de Langson. Ce sont les premiers bombardements très proches de la frontière chinoise. Ils visent à couper les lignes d’approvisionnement du VM en provenance de Chine (De Quirielle, 1992, p. 121).
14 août 67 : Après plusieurs réunions, les Américains établissent un compromis : les bombardements se limiteront au 20e parallèle et un renfort de 48 000 hommes (sans plafond définitif) est accordé. Les états-majors réagissent mal à ces choix. S’ensuit une détérioration des relations avec McNamara désormais influencé par les plus modérés des conseillers de l’administration. Les tensions entre le J.O.C.S. et McNamara seront désormais de plus en plus affirmées.
17 août 67 : Kissinger et Chester Cooper (diplomate, a participé à la Conférence de Genève, adjoint d’Harriman) ont plusieurs réunions avec Aubrac et Marcovitch. Mais Cooper se demande comment les Américains peuvent convaincre les N-V qu’ils sont intéressés par les négociations alors que leurs bombardements sont de plus en plus violents (McNamara, 1996, p. 288).
Déclaration de Zhou Enlaï au ministre des Affaires étrangères du Cambodge, Norodom Phuissara : « Nous devons être prêts à tout moment à faire face à la guerre en Indochine. Il faut encore renforcer nos préparatifs en prévision du temps de guerre. » (cité in Tong, 1972, p. 106) Sihanouk la fera publier dans la revue Le Sangkum. Les relations entre le Cambodge et la Chine se sont dégradées durant la période de la Révolution culturelle car les Chinois tentent d’exporter au Cambodge leurs concepts maoïstes. Ce qui fait réagir Sihanouk qui dénonce « une action idéologique incompatible avec les droits que peuvent avoir les étrangers vivant dans un pays souverain, et qui n’est pas le leur ». On évoque même alors un rappel mutuel d’ambassadeurs (Tong, 1972, pp. 110-112).
Aubrac et Marcovitch demandent à Mai Van Bo (délégation n-v à Paris) des visas pour apporter au Vietnam la réponse américaine : les États-Unis sont prêts à diminuer les bombardements (tonnage, aires d’attaque, nombre de missions) mais il n’est pas question de les interrompre totalement (Aubrac, 2000, pp. 342-343).
18 août 67 : Aubrac et Marcovitch ont un rendez-vous avec Kissinger. Est présent à ce rendez-vous Chester L. Cooper (département d’État, mandaté par Harriman) qui est là pour donner du poids aux propos de Kissinger mais aussi pour exprimer des craintes au sujet d’un renforcement de l’artillerie n-v au nord du 17e parallèle du fait de l’éventuelle cessation des bombardements américains. Kissinger a des conversations téléphoniques avec McN. Ce dernier annonce qu’une zone de 10 miles de rayon sera ménagée autour d’Hanoi à partir du 24 si les émissaires français sont présents à Hanoi. Pour Aubrac, « c’est à ce moment que les démarches contradictoires de ce gouvernement américain nous apparurent sous un jour inquiétant : on nous confiait des messages qui semblaient teintés de bonne volonté alors qu’on chargeait simultanément l’aviation de livrer des bombes tout autour de leurs destinataires ! » (Aubrac, 2000, p. 344).
19 août 67 : Johnson accepte d’établir une trêve dans les bombardements dans un rayon de 16 km autour d’Hanoi du 24 août au 4 septembre pour préserver la vie d’Aubrac et Marcovitch lors de leur futur voyage à Hanoi et montrer ainsi que Kissinger est bien devenu l’interlocuteur privilégié des U.S.A. (McNamara, 1996, p. 288).
20 - 22 août 67 : Les Américains prononcent des attaques aériennes intensives sur le N-V, juste avant la pause annoncée (McNamara, 1996, p. 288).
20 - 29 août 67 : Le Congrès organise une série de hearings (commissions d’enquête à huis clos) visant, selon McN, à faire pression sur la Maison Blanche en vue de lever les restrictions sur les bombardements. Johnson considère ces auditions, toujours selon le même, « comme un désastre politique » (McNamara, 1996, p. 275). L’opinion publique et le Congrès continuent à soutenir l’administration dans son objectif de maintenir un S-V libre mais rechignent au niveau des moyens mis en œuvre, du fait de restrictions budgétaires.
McN considère ces auditions comme « l’un des épisodes les plus traumatisants de [sa] vie » puisqu’il doit « expliquer les limites inhérentes à tout bombardement », c’est-à-dire en fait leur très relative efficacité sur le N-V. Les auditionnés (hauts dirigeants militaires de toutes armes) défendent quant à eux l’utilité des bombardements continus et dénoncent les failles de la « doctrine du gradualisme » et les lenteurs et atermoiements de l’administration à mettre en place les opérations.
21 août 67 : Le N-V refuse les demandes de visa d’Aubrac et Markovitch, prétextant que les bombardements rendaient trop dangereuse leur visite dans la capitale. Et McN de conclure : « Une fois de plus, nous avions misérablement échoué à coordonner nos offensives diplomatique et militaire. » (McNamara, 1996, p. 288). Il confiera devant témoins en 1975 à Aubrac « qu’il avait été partisan de donner une suite positive aux ouvertures des Vietnamiens que nous avions rapportées d’Hanoi et d’arrêter les bombardements ». (Aubrac, 2000, p. 345) C’est aussi le premier échec de Kissinger qui tente de reprendre à son compte les négociations mais essuiera aussi un refus pour pouvoir rencontrer à Paris Mai Van Bo, délégué général du gouvernement n-v, à Paris (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 159).
Seconde attaque à Hanoi du pont Long Bien (ex-pont Paul Doumer), de la centrale électrique proche et des banlieues nord et nord-est. Ces bombardements entrainent des bavures : destruction dans le centre-ville d’un dispensaire voisin de la cathédrale (De Quirielle, 1992, p. 121).
22 août 67 : 5 raids aériens sur Hanoi. Selon De Quirielle, « la journée fut particulièrement meurtrière. Un chapelet de bombes tombé dans la rue d’Hué, l’un des quartiers les plus peuplés, fit des centaines de victimes et de blessés. » (De Quirielle, 1992, p. 121).
24 août – 4 septembre 67 : Face à l’échec des négociations en cours, le bombardement de la zone autour de Hanoi est à nouveau autorisé (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 567). LBJ prétend le contraire dans ses mémoires. Il parle d’une interruption de deux mois à partir du 24 pour faciliter les négociations avec les Français (Johnson, 1972, p. 447). Dans les faits, il n’a jamais acquiescé à la demande des N-V des cesser totalement les bombardements en vue de négocier.
25 août 67 : Marcovitch et Aubrac jettent l’éponge. Ils transmettent à Paris à Mai Van Bo la position américaine et la notification d’interruption des bombardements autour de Hanoi. Les N-V mettront plus de 2 semaines à répondre. Cette réponse sera sèche : « Le gouvernement de la République démocratique du Vietnam rejette catégoriquement les propositions américaines ». Hanoi exige plus que jamais la cessation des bombardements, le retrait américain et la reconnaissance du F.N.L. et de son programme. Une proposition de rencontre sans intermédiaire entre Kissinger et Mai Van Bo est à nouveau rejetée au prétexte d’une « menace » de reprise des bombardements sur Hanoi. Tout en affirmant vouloir « laisser la porte ouverte », Kissinger sait qu’il n’a aucune marge de manœuvre. Selon Johnson, des « échanges se poursuivent, par l’intermédiaire des Français, jusqu’après le début d’octobre ». Mais le canal Pugwash sera définitivement rompu le 17 octobre (Johnson, 1972, p. 325).
Nuit du 25 au 26 août 67 : Kissinger demande par téléphone à Aubrac de lui communiquer les textes précis remis par les 2 Français à Mai Van Bo. Bien que téléphonant régulièrement au représentant du N-V à Paris, l’émissaire américain n’a reçu aucune réponse d’Hanoi (Aubrac, 2000, pp. 345-346)
29 août 67 : Johnson reçoit une évaluation des effets des bombardements sur le N-V : depuis mars, 10 000 sorties ont été effectuées, soit une augmentation de 55 % par rapport à la même période en 1966. Selon McN, malgré l’intensification des bombardements, « le trafic militaire et économique [n-v] passe toujours. » (McNamara, 1996, pp. 281-282).
31 août 67 : Mai Van Bo informe Aubrac qu’il a reçu une réponse négative d’Hanoi au message du 22 août. Les N-V, n’ayant constaté aucun arrêt des bombardements, estiment que les Américains jouent double-jeu. La venue des 2 émissaires français à Hanoi n’a donc plus sa raison d’être (Aubrac, 2000, p. 345).