Début août 46 : Marius Moutet, ministre de tutelle de D’Argenlieu à la F.O.M., estime que ce dernier, après la convocation de la deuxième de Dalat (voir 1er août), a outrepassé ses droits et demande son rappel. Georges Bidault refuse cette demande de révocation (Ruscio, 1985, pp. 131-132).
Août 46 : Bien qu’en période de négociation tant à Fontainebleau qu’à Dalat, occupation des bâtiments publics par les troupes françaises et mise en place d’institutions fédérales sans consultation du gouvernement vietminh.
1er août 46 : Deuxième conférence « préparatoire » de Dalat, alors que celle de Fontainebleau est démarrée et toujours en cours. Celle de Dalat s’achèvera le 13 août, sans que D’Argenlieu modifie son déroulement face aux molles interventions du gouvernement français pour y mettre fin (voir 28, 29 juillet et 5 août).
Sont présents : le général Alessandri (président de toutes les délégations) ; pour la Cochinchine, le colonel Xuan (profrançais) ; pour le Laos, Tiao Savang ; pour le Cambodge, Tiou Long ; ainsi que des observateurs pour le Sud-Annam et les Plateaux montagnards. Il n’y a pas de représentants de l’actuel gouvernement du Vietnam puisqu’ils sont à Fontainebleau. Seule la République autonome de la Cochinchine, proclamée depuis le 1er juin et mise en place par D’Argenlieu, est représentée. En invitant le Laos et le Cambodge à cette conférence, la tactique de D’Argenlieu est claire : diviser pour mieux régner. Tactique rôdée mais qui va permettre à l’amiral d’isoler un Vietnam non représenté par des délégués de son gouvernement (voir 3 août).
Le 1er août, Pham Van Dong (président de la délégation vietnamienne en France) apprenant l’existence d’une deuxième conférence à Dalat, demande la suspension de celle de Fontainebleau (dans l’impasse) en remettant un mémorandum à Max André (président de la délégation française). Selon lui, « nous sommes dans l’alternative suivante : ou bien ce sont les autorités françaises en Cochinchine qui décident du sort de la Cochinchine, du Sud-Annam, des Hauts-Plateaux et du statut de la Fédération indochinoise. Dans ce cas, la convention du 6 mars devient sans objet, et notre conférence de Fontainebleau n’a plus raison d’être. Ou bien la Convention du 6 mars doit rester en application, auquel cas seule la conférence de Fontainebleau a qualité pour discuter de ces problèmes. Notre dignité, à nous, nous fait sortir de cette situation équivoque et, en conséquence, de suspendre nos travaux jusqu’à ce que cette équivoque soit dissipée. » Il y a donc suspension mais non rupture de la conférence. Chacun continue à discuter, mais en coulisse.
On discute donc en aparté mais, au Vietnam, la situation est toujours aussi conflictuelle. Nguyen Binh, chef militaire de la résistance vietminh en Cochinchine, a ordonné la reprise des actions contre les Français. De son côté, D’Argenlieu a fait reconquérir les hauts plateaux dans le centre du Vietnam et s’est rendu à Ban Methuot pour y recevoir le serment de fidélité des chefs montagnards. Cette attitude prouve à l’évidence au VM que la France entend renouer avec la domination coloniale passée. De plus, HCM est mis au courant des initiatives de D’Argenlieu par la radio, et non par la voie diplomatique comme il aurait dû l’être en tant que chef d’État.
2 août 46 : D’Argenlieu produit sans sourciller un mémorandum intitulé « Incidences des conférences de Fontainebleau et de Dalat sur le devenir de l’Indochine française ». Il est adressé au président du Conseil (Bidault), à Moutet (F.O.M.), aux principaux ministres (Armées, Affaires étrangères, Finances), au général Juin et à Max André (président de la délégation française à Fontainebleau). Après avoir fait un éloge de son action en Cochinchine avec la mise en place d’une République autonome (voir 17 juillet), l’amiral suggère de « suspendre les négociations » de la conférence de Fontainebleau « jusqu’au jour où le peuple français consulté, la Constitution promulguée, les élections effectuées et le gouvernement constitué, la France, sortie du provisoire, aurait en main tous les éléments pour aboutir à une véritable conclusion de ce qui ne peut être actuellement qu’échanges de vues. » Il demande « à ce que rien de nature à engager l’avenir de la Fédération indochinoise ne soit décidé avant qu’il [lui] soit permis d’être entendu par le Comité interministériel dès la seconde moitié d’août. » (D’Argenlieu, 1985, pp. 443-446).
3 août 46 : Incidents de Bac Ninh (30 km au nord-est d’Hanoi) sur la route de Langson. Un convoi de la 2e D.B. comprenant une trentaine de voitures est fractionné par des obstacles végétaux puis attaqué. Il semble, selon des interceptions de messages entre Hanoi et HCM, que le comportement des troupes françaises de la colonne n’ait pas été irréprochable : elles auraient tiré sur la population, ce qui a entraîné une réaction de l’armée vietnamienne (Devillers, 1988, p. 206, note ; Fonde, 1971, p. 243). Côté français, selon Valluy, il y a eu 15 tués et une trentaine de blessés « que nous retrouverons avec des blessures horribles ». Les voitures ont été pillées. Le feu ne cesse qu’après l’arrivée de blindés « et de longues palabres avec le Président du Comité local » (Valluy 2, 1967, p. 206). Le nouveau commandant en chef se demande même « si la guet-apens de Bac Ninh […] n’a pas été l’objet d’un téléguidage plutôt que la réaction spontanée d’une population. » (Valluy 2, 1967, p. 213).
La mission de liaison franco-vietnamienne constituée du commandant Fonde et d’un délégué vietnamien, Phan My, a le plus grand mal à rétablir la situation, et ce d’autant plus que l’entente entre les deux hommes n’est pas parfaite quand il s’agit d’évacuer les blessés (Fonde, 1971, p. 244). Cette initiative locale du VM aura un important retentissement dans la presse française au moment même où l’on est en train de négocier à Fontainebleau. Le chef de la délégation vietnamienne, Pham Van Dong, en profite pour attaquer D’Argenlieu qui est jugé comme « néfaste » en Indochine. L’affaire s’envenime à coup de communiqués (Fonde, 1971, pp. 242-248 ; Sainteny, 1970, p. 112 ; Salan 1, 1970, p. 402 ; D’Argenlieu, 1985, pp. 310-312). En guise de représailles, les Français largueront deux bombes sur la citadelle Bac Ninh et occuperont la prison-caserne à l’entrée de la ville. Le gouvernement vietnamien s’engage à restituer les vivres, l’argent et le matériel disparu (Fonde, 1971, p. 247).
Lors de la seconde conférence de Dalat en cours, le colonel pro-français Xuan, représentant la Cochinchine, se prononce pour son indépendance (voir 4 août). Tiou Long pour le Cambodge et le prince Savang pour le Laos vont dans le même sens (D’Argenlieu, 1985, pp. 305-306). Les représentants de la Cochinchine, du Laos et du Cambodge adoptent cependant sans difficulté les principes d’une Fédération indochinoise chère à D’Argenlieu. Ils dénoncent la prétention de la R.D.V.N. nordiste de représenter toute l’Indochine, réprouvent les atrocités et troubles occasionnés par les Vietnamiens sur leurs territoires. Ils entendent s’appuyer sur la France « pour écarter les ambitions d’une minorité qui semblait aspirer à la domination par des méthodes dictatoriales. » La France demeure pour eux une puissance capable de les protéger d’une double menace, vietnamienne et siamoise. La Thaïlande (Siam) occupe en effet toujours leurs provinces occidentales dont elle s’était emparée en 1941 lorsqu’elle s’était alliée aux Japonais (traité de Tokyo, voir 11 mars et 9 mai 1941). Pour amadouer le Laos et le Cambodge, la France déclare souhaiter la restitution de ces territoires, pour aller au plus vite par des négociations directes, sans recours à un tribunal international. Ces négociations aboutiront au traité de Washington (voir 17 novembre) (Gras, 1979, pp. 131-132).
Bidault, pourtant averti de l’existence de la deuxième conférence de Dalat (voir 4 juillet), ne désavoue pas D’Argenlieu. Il lui adresse un télégramme alambiqué : « Pour permettre la reprise des travaux à Fontainebleau, il est nécessaire d’éclaircir la situation. Il sera indiqué que la conférence de Dalat est préparatoire et que vous procédez ainsi à de larges consultations sur le problème de la Fédération, ce qui n’est pas contraire aux accords du 6 mars. » Le président du Conseil demande donc à D’Argenlieu d’ « abréger le plus possible » cette conférence qualifiée de « préparatoire » mais qui a lieu en même temps que celle qu’elle est censée préparer… Selon Bidault, les décisions et propositions faites à Dalat n’auront qu’un caractère « consultatif ». Il en informe la délégation vietnamienne pour faire repartir les négociations à Fontainebleau (D’Argenlieu, 1985, p. 307 ; Devillers, 1988, p. 202). L’amiral, persuadé d’être dans son droit et le respect du sens de sa mission, a suggéré quant à lui la suspension pure et simple de la conférence française (voir 2 août)… (D’Argenlieu, 1985, p. 445). Un parfait dialogue de sourds est en place.
D’Argenlieu reçoit à dîner Philippe Devillers (membre du 5e Bureau, service de presse de l’armée) qui l’interroge sur l’utilité de la seconde conférence de Dalat en cours et celle de Fontainebleau. L’amiral justifie Dalat à plusieurs titres. Le Laos et le Cambodge n’ont pas encore pu étudier la question fédérale. Il a pu observer, lors de son séjour à Paris, l’état d’impréparation de la conférence de Fontainebleau du fait des changements de politique intérieure en cours, inutile donc d’y amener de nouvelles délégations. La déclaration gaulliste du 24 mars 1945 est dépassée sur certains points mais les principes qui ont été énoncés demeurent pour lui invariables. HCM est, aux yeux de D’Argenlieu qui l’a rencontré en baie d’Along, moins un chef d’État qu’un chef de parti, qui plus est, marxiste. Il n'est donc pas représentatif de toute la population indochinoise. En Cochinchine, seule la formation d’un gouvernement provisoire et l’élection d’une assemblée représentative de toutes les tendances politiques sont souhaitables. En terminant l’entretien, D’Argenlieu ajoute : « Je suis ici pour maintenir les positions de la France et je les maintiendrai, en attendant que le général De Gaulle revienne au pouvoir et puisse prendre les décisions qui conviendront. » (Devillers, 2010, pp. 125-129)
Leclerc qui a quitté définitivement l’Indochine depuis le 19 juillet, écrit à son successeur le général Valluy. Il a établi un compte-rendu de la situation en Indochine pour le gouvernement. Il faut tenir ferme sur les accords du 6 mars et n’admettre aucune ingérence du VM en Cochinchine où la situation est en voie de stabilisation. Une fois, cette dernière acquise, on pourra organiser un référendum (Toinet, 1998, p. 79). Suite à la rupture des négociations à Fontainebleau (voir 1er août), HCM cherchera à le rencontrer mais sans y parvenir. Leclerc préfère se rendre à Colombey-les-deux-Églises pour y voir De Gaulle (Pedroncini, 1992, p. 398).
4 août 46 : Nouvelle lettre de Leclerc à Valluy. Son auteur développe sur le mécontentement du gouvernement au sujet de la deuxième conférence de Dalat. La république du Vietnam est absente, ce qui mine un peu plus celle de Fontainebleau. Bien qu’organisateur d’un Dalat 2, D’Argenlieu ne sera pas immédiatement et nettement désavoué par le gouvernement. Évoquant Fontainebleau, Leclerc précise que les représentants du Vietnam « commencent un peu à agacer les gars [les militaires français] par leurs prétentions et leur vanité. » (cité in Toinet, 1998, pp. 79-80)
Au cours d’un cocktail, le colonel Nguyen Van Xuan, chef de la délégation cochinchinoise à Dalat, déclare que rien ne s’opposerait à la réunion des trois Ky « si le gouvernement de Hanoi était moins orienté à gauche. » (Devillers, 1988, p. 203)
5 août 46 : D’Argenlieu, mollement pressé par le gouvernement de mettre un terme à la seconde conférence de Dalat (voir 3 août), adresse au comité interministériel de l’Indochine un message : la conférence se terminera les 10 ou 11 août « dans une atmosphère excellente de compréhension et de cordialité réciproques » ; on ne doit en aucun cas bousculer ses membres « sous prétexte de plaire au Vietnam. » (D’Argenlieu, 1985, p. 309)
Lecture au sein du Cominindo d’un rapport de Pignon (conseiller politique de l’Argenlieu) sur « la prise de pouvoir en Indochine par le parti vietminh ». Ce dernier a pris le pouvoir par un coup de force et n’a donc aucune légitimité. Il a établi un régime totalitaire contraire aux aspirations démocratiques de la population cochinchinoise et aux intérêts de la France. Aucun dialogue ne peut être établi avec une telle instance. Pignon, D’Argenlieu et d’autres encore pensent ouvertement à « un gouvernement de substitution » (Devillers, 1988, p. 205).
7 août 46 : L’incident de Bac Ninh (voir 3 août) a toujours un fort retentissement dans la presse française alors que l’on négocie toujours aussi laborieusement à Fontainebleau. Là où les médias s’enflamment, le gouvernement français essaie de temporiser puisque l’incident a pu se régler localement et que la responsabilité des troupes françaises n’étaient que partiellement engagées (Devillers, 1988, p. 206).
Au Cambodge, un groupe issarak de 300 hommes, conduits par Dap Chhuon, un ancien sergent khmer de l'armée thaïlandaise, Norodom Chantaraingsey, un prince rebelle et Son Ngoc Minh occupent Siem Reap et les temples d'Angkor pendant 6 jours. 7 officiers français sont tués à cette occasion.
8 août 46 : Un décret nomme officiellement Pierre Messmer au poste de secrétaire général du Comité interministériel d’Indochine en remplacement d’André Labrouquère (Devillers, 1988, p. 212, note 1).
9 août 46 : D’Argenlieu adresse à un Valluy déjà convaincu un télégramme dans lequel il dénonce l’« exécrable attaque » de Bac Ninh. Il exprime « son indignation réfléchie car l’attentat fut prémédité froidement […] à l’heure où une délégation vietnamienne demande à Paris que confiance lui soit faite » et ajoute qu’« il est odieux que ces troupes dites régulières se livrent à de tels crimes. » (cité in Devillers, 1988, p. 206). L’affaire tombe à point pour conforter les thèses de l’amiral et du général…
Max André, chef de la délégation française à Fontainebleau, fait savoir à son tour que la deuxième conférence de Dalat ne doit pas constituer un obstacle à la reprise des négociations. Il est d’une certaine manière plus ou moins entendu. HCM, dont le départ était prévu pour le 14, demeure finalement en France (Devillers, 1988, p. 206).
Le journaliste René Dussart revient dans Les lettres françaises sur son témoignage concernant des actes de torture déjà évoqués dans L’Humanité (voir 21 décembre 1945). Il affirme avoir assisté dans un village de la Plaine des Joncs au pillage systématique, à la torture et à l’exécution d’un prisonnier vietminh, ainsi qu’au viol d’une fillette de 14 ans (Ruscio, 1985, p. 368). Les effets de la « sale guerre » commencent à s’ébruiter.
10 et 12 août 46 : Le Cominindo se réunit pour examiner la situation en Indochine. Il rejette les conclusions du mémorandum de D’Argenlieu du 2 août. On élabore un aide-mémoire en 12 points et un projet de déclaration commune qui seront approuvés en conseil des ministres le 14. On évoque un « accord limité, mais qui marquerait cependant une nouvelle et importante étape […] » Faute de mieux, on se contente donc de peu. Ces documents seront transmis le 19 à HCM et la délégation vietnamienne répondra le 20 par un contre-projet (Devillers, 1988, pp. 206-207). Trois objectifs principaux ressortent des conclusions de l’aide-mémoire français : « 1) Sauvegarder les intérêts français, économiques, culturels et militaires au Vietnam. 2) Assurer au Vietnam son indépendance dans le cadre de l’Union française. 3) Résoudre la question de la Cochinchine en fixant la date du référendum, ainsi que les modalités de constitution et de travail d’une commission mixte de référendum. » (Devillers, 1988, p. 211)
13 août 46 : Fin de la seconde conférence de Dalat. Les parties en présence se mettent d’accord sur les points suivants : l’existence d’une capitale fédérale, Dalat ; d’une langue officielle dans la Fédération, le Français ; la constitution d’une assemblée des États où chacun d’entre eux aurait 10 représentants, y compris la France ; d’une monnaie fédérale, la piastre. Du point de vue militaire, chaque État possèdera une armée nationale qui affirmera sa souveraineté propre, assurera sa sécurité intérieure et participera au sein de l’armée de l’Union française à la défense de la Fédération indochinoise. L’armée française les instruira et leur apportera une aide matérielle (armement, équipement). Ce dernier point excluant le gouvernement de la République du Vietnam en place, non représenté à cette conférence, et donc son armée qui devient implicitement une force militaire ennemie que les armées nationales et celles de la Fédération se devront de combattre. Les troupes de l’Union française seront entretenues par elle-même et auront un droit de libre circulation sur les territoires des États. L’armée de l’Union pourra établir des bases terrestres, aériennes et navales suite à des ententes entre ses forces et celles des États. Les troupes de l’Union comprendront des troupes métropolitaines et des troupes mixtes de recrutement français et autochtone. Ces troupes mixtes stationnées dans un des États de la Fédération ne comprendront pas d’éléments étrangers à cet État. En cas de nécessité, les États fédérés placeront les armées nationales sous le commandement du commandant en chef du C.E.F.E.O. Une motion spéciale prévoit le rattachement des populations montagnardes du S-V au sein des forces de l’Union (D’Argenlieu, 1985, p. 306 ; Bodinier, 1987, pp. 269-271).
Hoang Huu Nam (secrétaire d’État à l’Intérieur) est nommé par le gouvernement vietnamien envoyé spécial à la Commission militaire. C’est lui qui deviendra le délégué spécial de la Défense nationale auprès de Valluy et commandant des forces de relève après la signature du modus vivendi du 15 septembre.
14 août 46 : La conférence de Fontainebleau bloque à nouveau, cette fois sur la date du référendum pour la Cochinchine. Pham Van Dong exige un engagement préalable de la France à véritablement tenir cette consultation (De Folin, 1993, p. 152).
17 août 46 : Suite au départ de Leclerc d’Indochine le 19 juillet, le général de brigade Morlière prend les fonctions de commandant en chef des troupes d’Indochine du Nord et de commissaire de la République par intérim du Tonkin (en remplacement du colonel Crépin qui assurait jusqu’alors l’intérim) (Pedroncini, 1992, p. 398).
19 août 46 : Mouvement insurrectionnel du Vietminh à Hanoï.
Longue lettre de Moutet (F.O.M.) à D’Argenlieu. Il rappelle les engagements qui ont été pris par les deux parties le 6 mars, même si de nombreuses violations de cet accord ont pu être observées jusqu’alors. Il lui rappelle un point que D’Argenlieu, fidèle à la pensée gaulliste, a toujours contré depuis sa prise de fonction : « […] avec la modification du rapport de force, nous pourrions rétablir pleinement et simplement la souveraineté française dans sa totalité sur l’Indochine, mais nous avons choisi une autre voie, et j’estime qu’il est de notre intérêt national et international d’y persister […] » (cité in Devillers, 1988, pp. 208-210). Autre point de désaccords avec l’amiral, il écarte d’entrée, à l’exception de la Cochinchine, « la substitution d’un autre gouvernement » à celui d’HCM qui est « le seul représentant une autorité qui, pour limitée qu’elle soit, n’en existe pas moins. » Il doute que la conférence de Fontainebleau puisse aboutir « à un accord total » et ajoute « il faut nous contenter de résultats plus modestes mais qui marquent une progression nette et sérieuse dans le développement des accords du 6 mars. » L’heure est donc à « une atmosphère d’apaisement » (D’Argenlieu, 1985, pp. 286-287). Et Moutet d’ajouter : « Si désaccord il y a entre nous, il n’existe pas sur le fond, mais dans la forme. » Sur le fond, Moutet réaffirme son refus d’un référendum tant que le « terrorisme » n’aura pas pris fin. Sur la forme, il ajoute : « Je pense que le mieux, c’est évidemment d’arriver à rétablir les autorités locales et à faire approuver le gouvernement de Cochinchine par la population cochinchinoise elle-même, c’est pourquoi je ne suis pas pressé de fixer une date au référendum, bien au contraire […] Il y aura beaucoup à faire pour obtenir un référendum à l’autonomie. Je crois qu’il faut donner des instructions précises pour que la propagande soit faite par d’authentiques Cochinchinois, que des groupes se forment dans chaque localité, secrètement au début, et avec ce but d’autonomie. Mais il faut aussi un programme, et ce programme doit être à base de réformes sociales et agraires. » (cité in Ruscio, 1985, p. 132)
A Fontainebleau, deux déclarations doivent être lues par les deux délégations et les travaux doivent reprendre « sur les bases d’un aide-mémoire qui fixerait à peu près nos positions. » Il demeure « deux pierres d’achoppement » : le mot « indépendance » et la date du référendum en Cochinchine. Celui-ci est conditionné pour les Français et Moutet au retour à un climat apaisé. Cela prendra du temps si l’on veut respecter les formes (approbation par le gouvernement provisoire de Cochinchine) et le ministre de la F.O.M. s’est dit « peu pressé de fixer une date […], bien au contraire ». Il doit revoir HCM. Il sait déjà que ce dernier voudra « une commission mixte de contrôle ».
Dans une autre lettre, à la même date, adressée à D’Argenlieu, Moutet considère que « la conférence de Dalat dans les conditions où elle a été décidée a été pour nous une surprise et nous avons tout de suite vu les conséquences politiques qu’elle aurait ici […] » (déclaration mensongère, voir 4 juillet). Les réactions dans la presse ont été violentes et la suspension de Fontainebleau par les délégués vietnamiens n’a été qu’un « prétexte » à rupture… Avec une bonne part de mauvaise foi, il ajoute : « Il n’est pas douteux que toutes ces conséquences auraient pu être prévenues si, avant la réunion de la conférence [Dalat 2], vous nous aviez très exactement informé de vos intentions et si nous avions pu arrêter en commun les conditions et la date de cette conférence. Ni le président ni moi n’avons souvenir que vous nous l’ayez présentée comme une éventualité proche […] » L’amiral, peu dupe de cette manœuvre, a ajouté en note à sa réponse : « Un télégramme a été envoyé de Paris à Saigon avant mon départ (pour l’organisation de la conférence). » (D’Argenlieu, 1985, pp. 312-313) Ce qu’il a en effet accompli, et d’ailleurs à deux reprises, les 4 et 30 juillet, sans recevoir la moindre protestation du gouvernement français quant à la proposition de tenue de cette conférence et de sa date.
20 août 46 : A Fontainebleau, la délégation vietnamienne a pris en compte les propositions françaises issues des réunions des 10 et 12 août. Elle propose un contre-projet qui marque la recherche d’un compromis mais qui exclut totalement l’abandon de l’idée d’indépendance. On parle alors de l’exemple des dominions britanniques. Les Vietnamiens entendent également obtenir une date à fixer pour la tenue du référendum sur la Cochinchine (sur les intentions françaises, voir 19 août) (Devillers, 1988, p. 210). Le contre-projet vietnamien comporte 14 articles. Les deux premiers indiquent : « 1) Le Gouvernement français reconnaît la République du Vietnam comme un État libre dont l’indépendance sera proclamée dans un délai de trois ans à partir de la date de signature du présent accord. 2) La République démocratique du Vietnam participera aux institutions de la Fédération indochinoise dans des conditions qui seront déterminées d’un commun accord entre la France, le Vietnam et les autres membres de la Fédération. La Fédération gèrera et coordonnera des intérêts communs à caractère économique, financier ou technique […] » (cité in Devillers, 1988, pp. 211-212)
21 août 46 : Pierre Messmer, nouveau secrétaire du Cominindo, transmet à Bidault (président du Conseil) le contre-projet vietnamien. Il estime que les positions demeurent éloignées et qu’il faut mettre HCM devant ses responsabilités (Devillers, 1988, p. 212).
22 août 46 : Un rapport de Max André (chef de la délégation française à Fontainebleau) adressé à Bidault préconise la fermeté face au contre-projet vietnamien. Menaçant, il avait déclaré à son homologue Pham Van Dong : « Soyez raisonnable… Si vous ne l’êtes pas, sachez que nous pouvons vous balayer en deux jours. » (Devillers, 1988, p. 212)
23 août 46 : Bidault envoie Pignon auprès d’HCM pour lui exposer le point de vue officieux des Français. A son retour, le conseiller politique de D’Argenlieu ne peut donner « aucune indication précise sur les intentions de son interlocuteur. » (Devillers, 1988, p. 213)
24 août 46 : D’Argenlieu se plaint de l’« habileté manœuvrière d’Ho Chi Minh, qui compromet le rétablissement par la France opéré au Vietnam […] Subtilement, habilement, sournoisement, le président Hô a usé du mot « indépendance » et aujourd’hui, dans les journaux parisiens, on parle couramment de l’indépendance accordée par nous le 6 mars. » (cité in De Folin, 1993, p. 151) L’amiral demande à ce que le gouvernement prenne les dispositions pour un retour rapide du président de la R.D.V.N. au Vietnam. Il ne sera pas entendu. Le dialogue de sourds se poursuit entre l’amiral et son autorité de tutelle.
26 août 46 : HCM poursuit son œuvre de communication et donne à la presse sa définition d’un « État libre » : « N’est-ce pas admettre implicitement l’indépendance du Vietnam ? Car peut-on concevoir une État libre qui ne serait pas indépendant ? » (cité in De Folin, 1993, p. 152)
27 août 46 : Conséquence de la deuxième conférence de Dalat, signature d’une convention militaire franco-laotienne dans le cadre de la Fédération indochinoise : « […] l’Union française peut faire stationner et circuler sur le territoire laotien les forces terrestres, maritimes et aériennes qu’elle estime nécessaire […] ». Sont mises sur pied des « unités mixtes franco-laotiennes entrant dans la composition des troupes de l’Union française » sous commandement français. Par cette convention, l’armée française cherche à se renforcer : « En tant qu’État autonome, le Laos dispose d’une Garde nationale qui peut être appelée à participer, sur demande du commandement militaire français, aux opérations de guerre. » Cette convention militaire sera annexée au modus vivendi à venir (voir 28 août) (Bodinier, 1987, pp. 271-273).
Déclaration de De Gaulle : « Unie aux territoires d’Outre-mer qu’elle a ouvert à la civilisation, la France est une grande puissance. Sans ces territoires, elle risquerait de ne l’être plus. » (cité in Bodin, 1996, p. 24)
L’Humanité publie un appel à l’indépendance du Vietnam (dans le cadre de l’Union française) signé par Justin Godart, Frédéric Joliot-Curie, Paul Éluard, Loys Masson, Jean Cassou, Andrée Violis, Henri Lévy-Bruhl, le colonel Bernard, Jean-Richard Bloch, Lucien Midol, le colonel Roy, Édith Thomas, Léopold Senghor (Ruscio, 1985, pp. 118-119).
28 août 46 : Pignon adresse une note à J. Boissier (conseiller de Bidault pour l’Indochine). Face à la situation de blocage, il suggère à HCM d’en arriver à la conclusion d’accords limités sur des points précis et urgents. Bidault adhère à cette idée. Les Vietnamiens acquiesceront à leur tour le 31 (Devillers, 1988, p. 213).
Au Laos, le roi Sisavang Vong, rétabli sur son trône (voir 10 octobre et 4 novembre 1945), confie le gouvernement au prince héritier Savang et signe avec la France un modus vivendi à Ventiane qui autorise le retour d’un commissaire de la République française. C’est la restauration d’une nouvelle forme de protectorat français voulue par D’Argenlieu. Tous les territoires laotiens sont réunifiés dans un royaume du Laos qui devient un des États autonomes issu de la déclaration du 24 mars 1945 (De Folin, 1993, p. 130). L’opposition à ce processus n’a pas pour autant disparu : les chefs du Lao Issara communiste se sont réfugiés en Thaïlande où ils forment un gouvernement en exil dirigé par le vice-roi Petsarath.
29 août 46 : L’un des chefs français chargé de la reddition des Japonais au Laos, le commandant Imfeld, est reçu à Luang Prabang par le prince Savang et nommé commissaire de la République (Gras, 1979, p. 81).
29 août – 1er septembre 46 : Lors du 38e congrès de la S.F.I.O., une résolution spécifie : « Le Parti socialiste veut libérer les peuples coloniaux de toutes les formes d’oppression, capitaliste, impérialiste ou raciale. » (cité in Le Couriard, 1984, p. 334) C’est une position de principe voire une forme de phraséologie : la politique menée par les socialistes lorsqu’ils seront aux affaires et auront à gérer le conflit indochinois démontrera tout le contraire de ce qui est écrit ici.
30 août 46 : Au Laos, le roi Sisavang Vong remet au nouveau commissaire de la République Imfeld une déclaration affirmant que l’occupation japonaise n’a rien changé au protectorat français (Gras, 1979, p. 81).
À son retour de Chine, à Dalat, le général Juin (chef d’état-major de l’armée française) confie à Salan au sujet du Vietnam : « Votre pays ne m’intéresse pas, je n’y comprends rien, le Maroc, c’est plus clair. » (Salan 2, 1971, p. 176)
Retour de son exil de Madagascar (voir 28 juin 1941) du pape caodaïste Pham Cong Tac qui est autorisé à revenir dans son fief de Tay Ninh.
Fin août 46 : En remplacement du Comité de résistance du Sud-Vietnam qui manque d’organisation, HCM met en place un « Comité exécutif du Nam Bo ». Il est présidé par Pham Van Bach. Quant à Nguyen Binh, il est nommé commissaire aux affaires militaires pour le Sud (voir 13 octobre) (Gras, 1979, p. 136).