7 août 44 : Dans une note adressée à De Gaulle, le colonel Escarra fustige le Comité du Pacifique pour le manque de discipline des différents ministères par rapport à la politique indochinoise définie par le Comité. Il préconise la mise en place d’un Comité d’Indochine susceptible de se faire respecter par tous (voir 9 août) (Turpin, 2005, p. 49).
9 août 44 : De Gaulle crée un Comité d’action pour la libération de l’Indochine présidé par René Pleven (commissaire aux Finances) avec comme membres : Paul Giaccobi (membre de l'Assemblée consultative provisoire siégeant à Alger), Jean Chauvel (diplomate), Jacques Soustelle (dirigeant des services secrets de la France libre), le général Juin (chef d’état-major de la Défense nationale) et le gouverneur La Laurentie (De Folin, 1993, p. 34 ; D’Argenlieu, 1985, p. 35, note 1 indiquent la date du 1er août que nous ne retenons pas). Ce Comité voit juste le jour au moment où la libération de la métropole prend bonne tournure et où la question de celle de la reconquête de l’Indochine va prendre de l’ampleur (voir 5 septembre) (Turpin, 2005, p. 49).
14 août 44 : Le général Blaizot envisage l’envoi de deux corps expéditionnaires français correspondant aux deux zones de lutte contre les Japonais définies par les Alliés. Un dans le Pacifique et un dans le Sud-Est asiatique (reconquête de la Malaisie, du Siam, du sud de l’Indochine et du Cambodge avec 50 000 hommes). Un second agirait au Tonkin (40 000 hommes avec l’appui d’éléments indochinois). Ce dernier prendrait part à la lutte en Chine et à l’occupation du Japon (Bodinier, 1987, p. 22).
17 août 44 : Rapport de De Langlade de retour à Alger : « Les dures réalités ne nous laissent pas l’illusion de voir la libération de l’Indochine apportée par les seuls moyens français. » (cité in De Folin, 1993, p. 34). Propos qui démontrent les illusions gaullistes de l’instant quant à la libération du territoire (voir avril 1944).
19 août 44 : A Alger, De Langlade fait approuver par le Comité d’action pour l’Indochine (Pleven, La Laurentie, Soustelle, Chauvel, les généraux Juin et Blaizot) le général Mordant comme chef de la résistance pour l’Indochine au vu de la récente défection du général Aymé (voir 23 juillet). Mais Mordant ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut. Jusqu’alors aux ordres de Decoux, il n’a rallié la cause gaulliste que depuis 1943 et est jugé par beaucoup comme peu susceptible d’être à la hauteur de la tâche. Il a empêché De Langlade de rencontrer l’amiral pour lui transmette les mots du Général. C’est même lui qui serait en train de préparer le dossier d’épuration de Decoux. Mordant deviendra pourtant « délégué général du Comité d'action pour la libération de l'Indochine » (De Folin, 1993, p. 37). Deux organisations sont mises en place pour libérer l’Indochine : une Section de liaison en Extrême-Orient (S.L.F.E.O.) qui prend la relève de la M.M.F. à Chunking et qui sera rattachée début 1945 à la D.G.E.R. ; une délégation militaire commandée par le général Blaizot, appelée French Indo-China section est animée par le lieutenant-colonel de Crèvecœur, le commandant Milon et le lieutenant Paul Mus qui sont logés pour l’instant à Ceylan, au Q.G. de Mountbatten. Cette dernière, intégrée à la Force 136 anglaise, va constituer et disposer du C.L.I. composé du 5e R.I.C. chargé des interventions et coups de main en Indochine.
20 août 44 (24, selon Devillers, 1988, p. 46) : Ne recevant plus de messages de la métropole, Decoux s’estime investi de pouvoirs exceptionnels prévus par la loi du 18 février 1943. Il se déclare garant des intérêts de la France en Indochine et affirme qu’il maintiendra celle-ci dans l’allégeance de la mère-patrie (Franchini 1, 1988, p. 170). Il déclare aussi ce jour sa « volonté de maintenir, en toutes circonstances, l'état d'allégeance de la Fédération indochinoise à la France », ce qui équivaut de sa part à une reconnaissance implicite du Gouvernement provisoire de la République française (G.P.R.F.) (Raymond, 2013, p. 23 ; Valette, 1993, p. 165).
23 août 44 : Décision du Comité de libération qui fait du général Mordant son délégué général et le désigne comme chef de la résistance en Indochine (voir 3 septembre). Les raisons de son acceptation demeurent « vagues » : peut-être une mésentente avec Decoux qui lui avait retiré le commandement des forces aériennes et les fonctions d’inspecteur de la Garde indochinoise. Selon le général Sabattier (commandant de la division du Tonkin), il se trouve lancé dans une conspiration sans avoir aucune des qualités d’un conspirateur. Decoux ignore totalement cette « sorte de complot » et cette ignorance permet de maintenir une façade, avalisée par Paris, face aux Japonais (Franchini 1, 1988, p. 177).
24 août 44 : Réunion au Foreign Office à laquelle participent Anthony Eden (Affaires étrangères) et René Massigli (commissaire aux Affaires étrangères). La Grande Bretagne soutient le projet de participation de la France dans la lutte contre le Japon. La France obtient l’appui du général Mac Ready, chef d’état-major du général John Dill, chef de la représentation militaire britannique au C.C.S. (Turpin, 2005, p. 71).
25 août 44 : Les Joints Chiefs of Staff (commandement américano-anglais dirigé par le général Marshall) envoient à Roosevelt une note dans laquelle ils se déclarent favorables à la participation militaire de la France dans la région (voir 28 août). Mais, dans les faits, Roosevelt et son administration ne feront rien pour que les choses aillent dans ce sens (De Folin, 1993, p. 64).
26 août 44 : Lord Halifax, ambassadeur britannique aux U.S.A., remet un mémorandum demandant l’accord du gouvernement américain pour l’établissement aux Indes de la M.M.F. et du C.L.I. Roosevelt refuse de s’engager avant une rencontre avec Churchill à Québec qui doit avoir lieu en septembre (voir 12 - 16 septembre). Une rencontre qui, dans les faits, n’éclaircira rien (Isoart, 1982, p. 26).
27 août 44 : De Langlade est à Paris. Il rencontre De Gaulle et l’informe qu’il n’a pu, en juillet, rencontrer Decoux. De Gaulle lui demande de réessayer, ce qui prouve, selon De Folin, qu’« il n’a pas encore perdu espoir de « récupérer » Decoux. » (De Folin, 1993, p. 47)
28 août 44 : Réponse de Roosevelt aux Joints Chiefs of Staff (voir 25 août) : « Je crois que, pour le moment, nous ne devons rien faire en ce qui concerne les groupes de résistance, ou autres opérations en Indochine. Vous m’en reparlerez plus tard. » (cité in De Folin, 1993, p. 64)
29 août 44 : Le général De Gaulle fait publier une déclaration affirmant que, la France « étant en guerre avec le Japon, le sort de l'Union indochinoise serait réglé par les armes ». Il est attaché à l’idée d’un combat de libération à l’image de celui qui se déroule en France, voulant que « les troupes françaises se battent » contre les Japonais « en dépit de ce que leur situation aurait de désespéré... car le sang versé sur le sol de l'Indochine nous serait un titre imposant » pour confirmer les droits de la France en Indochine. C’est donc l’armée française qui doit libérer le territoire indochinois comme elle est en train de le faire en métropole. De Folin note à juste titre : « Cette assimilation provoquera sur le plan militaire comme sur le plan civil, de graves erreurs. » De Gaulle ne veut rien demander aux Alliés mais ne possède pas les moyens logistiques pour un débarquement que les Américains entendent toujours ignorer. Leur seul but étant la conquête du Japon. Decoux, plus pragmatique, connaît la faiblesse militaire de l’Indochine et se contente de vouloir « atteindre sans dommage la fin du conflit » (De Folin, 1993, pp. 34-35).
31 août 44 : Henri Cosme (ambassadeur de France à Tokyo), Rolland de Margerie (chargé d’affaires à Pékin) et Decoux envoient un message clandestin qu’ils ont signé ensemble au nouveau gouvernement à Paris dans lequel ils déclarent : « La France veut que son Empire ne soit divisé, ni neutralisé. L’Empire est un élément essentiel à l’avenir et nécessaire à la nation ». Les signataires de ce « message à trois » considèrent que l’Indochine est et demeure une possession française. Ils déconseillent pour l’instant tout geste d’hostilité envers les Japonais pour ne pas compromettre un équilibre fragile. Aucune réponse de De Gaulle qui a choisi le général Mordant pour être son représentant en Indochine (Franchini 1, 1988, pp. 170-171 ; Toinet, 1998, pp. 55-56 ; Devillers, 1988, pp. 46-47 ; Turpin, 2005, p. 43).
De Gaulle attache une importance particulière à la reconquête de l’Indochine : Selon Raymond, « […] il devait d'une part faire face à la suspicion de Roosevelt quant aux intentions françaises sur l'Indochine et à la déconsidération que pouvaient avoir les Américains sur le gouvernement provisoire à la Libération. Il souhaitait, pour une question de symbole, que les Français d'Indochine aient aussi leur part du martyr ; si la métropole s'était sacrifiée en résistance face à la Gestapo, elle aurait quelques difficultés à accepter que l'Indochine restât passive devant la Kempetaï. » (Raymond, 2013, p. 24) C’est ce que rappelle une déclaration du G.P.R.F. : « […] Le sort de l’Union indochinoise sera réglé conformément aux vœux de toutes les populations de l’Union de toutes les populations de l’Union entre le gouvernement de la République et le Gouvernement japonais et le sera par les armes. La France, en guerre contre la Japon depuis le 8 décembre 1941 est déjà aux prises avec lui sur les mers, entend poursuivre la lutte aux côtés des Alliés avec toutes ses forces disponibles : non seulement jusqu’à la disparition de son territoire mais jusqu’à l’écrasement total de ses ennemis, en Asie comme en Europe. » (cité in Turpin, 2005, p. 44)