Les sectes sud-vietnamiennes
BinhXuen : À la différence des autres sectes, il s’agit moins d’une organisation religieuse que mafieuse et criminelle apparue vers 1925 au sud de Saigon. Elle est issue des générations de pirates qui pillaient et rançonnaient les populations en bandes, sur les côtes de la région.
Durant l’occupation japonaise, les Binh Xuyen se présentent comme des nationalistes et coopèrent avec l’occupant.
Dès août 1945, leur chef, Le Duong se rapproche du VM lors de la constitution d’une armée nationale populaire sous la houlette de Tran Van Giau, commissaire à la guerre pour le Sud qui constitue en même temps le « Comité territorial du Nam Bo », issu du P.C.I. Mais cette armée est embryonnaire, mal armée, divisée entre nationalistes et communistes, donc bien incapable de faire face aux franco-britanniques. Giau fait feu de tout bois en acceptant dans ses rangs 1 200 hommes des Binh Xuyen et leurs chefs : Duong Ba Duong (Le Duong), Duong Van Ha, Muoi Tri et Bay Vien qui avaient tous eu des responsabilités dans les troubles au Sud depuis le 15 août. Les BinhXuyen demeurent cependant indépendants et même Nguyen Binh, devenu dirigeant du Comité du Nambo, ne parvient ni à les enrôler dans la cause marxiste ni à obtenir leur totale soumission.
Le Duong est tué en février 1946 dans un combat. Le Van Vien, dit Bay Vien, prend alors sa succession. Délaissant le VM, le nouveau chef des Binh Xuyen entre en contact avec les services français réinstallés au Sud et joue un double-jeu.
En 1948, Bay Vien parvient à échapper de justesse à un attentat organisé dans la Plaine des Joncs par Nguyen Binh devenu dirigeant du Comité du Nambo. Les Binh Xuen se rallient alors clairement à la lutte anti-vietminh. En échange, le gouvernement vietnamien avec la complicité tacite des Français leur laissent le contrôle du secteur de Cholon (jeux, prostitution, fumeries d’opium, raquette des 600 000 commerçants chinois). Les Binh Xuen deviennent clairement une force d’appoint contre le VM, lui livrant une guerre sans pitié.
À la tête d’une armée de 3 000 hommes constituée le 13 juin 1948, ralliée à Bao Daï et au principe de l’Union française, Bay Vien devient en 1954 le chef de la police de Saigon-Cholon avec le grade de général. Sa puissance devient telle qu’au printemps 1955, Diem se voit obligé de les combattre avec ses propres forces armées et s’en débarrasse, sans pour autant les faire disparaître totalement (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 143 ; Toinet, 1998, p. 466-467).
Caodaïstes : Secte religieuse créée dans les années 1920 par un fonctionnaire illuminé. Cao Daï désigne un être suprême, symbolisé par un œil dans un losange. Elle produit un culte hyper-syncrétique mêlant des éléments de christianisme, de confucianisme, de bouddhisme et de taoïsme mais également du spiritisme : Victor Hugo, Jeanne d’Arc voire Churchill font partie de son panthéon. La secte a un caractère éminemment millénariste espérant l’avènement d’« un roi juste et éclairé qui rétablirait l’âge d’or disparu ».
Elle est fortement implantée dans le secteur géographique de Tay Ninh proche de la frontière cambodgienne. Elle touche une population d’environ de 100 000 fidèles en 1936 pour atteindre 1,5 million de personnes en 1948. Calquant fidèlement la hiérarchie de la religion catholique, elle possède un pape, 3 archevêques, 72 évêques et 3 000 prêtres qui bénéficient tous du soutien et de la reconnaissance de l’administration coloniale française.
Pendant l’occupation japonaise, les Caodaïstes collaborent. Le 28 juin 1941, préoccupé par l’activité jugée trop pronippone de la secte, l’amiral Decoux envoie le pape Pham Cong Tac en exil à Madagascar. Les Caodaïstes sont alors dirigés par Tran Quang Vinh et enrôlés par la Kempetaï japonaise comme troupes auxiliaires moyennant d’importants subsides qui leur seront versés de 1941 à 1945. De Ce fait, ils participeront aux côtés des Japonais au coup de force du 9 mars contre les Français.
En août 1945, les Caodaïstes devenus profondément nationalistes intègrent le front unifié du Comité du Nambo au côté du VM. Mais dès septembre, pressentant l’hégémonie de ce dernier, ils se désolidarisent du mouvement manifestant désormais un anticommunisme qui laisse facilement les hommes de Massu se réinstaller dans leur fief. Le 30 août 1946, le pape Pham Cong Tac est finalement autorisé par les Français à revenir à Tay Ninh.
Dès janvier 1947, les unités caodaïstes (4500 hommes) signent une convention avec le général Boyer de la Tour et assurent aux côtés du C.E.F.E.O. une pacification anti-vietminh.
Dès février 1949 apparaissent cependant des velléités d’indépendance qui se manifestent par une volonté de contrôler l’ensemble de la zone caodaïste. Des désertions se produisent, certains groupes affirment leur neutralité ou négocient, comme en 1950, un protocole de non-agression avec le VM dans la région de Mytho.
En 1950, la secte se rallie à Bao Daï. En 1951, l’armée caodaïste compte alors moins de 7 000 hommes mais passera à 15 000 fusils en 1954. Elle est utilisée comme force supplétive par les Français et, une partie d’entre elle, adhère à la nouvelle armée vietnamienne dirigée par Bao Daï. Mais cet allié d’un jour demeure turbulent et peu fiable, nécessitant parfois des interventions musclées des autorités françaises.
En juin 1951 et jusqu’en 1952 apparaît une dissidence dirigée par le général Thrinh Minh The qui, avec environ 2 000 hommes, dirige probablement le 31 juillet 1951 l’attentat de Sadec contre le général français Chanson qui avait été chargé de la pacification dans le Sud. Ses motivations demeurent obscures : crainte d’une mise au pas du commandement français ? Influence de l’O.S.S. américaine ? (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 188-189 ; Toinet, 1998, p. 467-468)
Hoa Hao : Secte qui apparaît en 1939 dans une localité du nom de la secte située dans le delta du Mékong. Elle est créée par le maître Huynh Phu So, un « bonze fou » réputé pour ses prophéties et ses guérisons miraculeuses qui propose un bouddhisme teinté de nationalisme populiste. Son discours démagogique et simpliste trouve écho parmi les populations pauvres de Cochinchine et s’étend comme une traînée de poudre dans les provinces de Long Xuen, Chaudoc, Cantho, Sadec, Vinh Long avec des ramifications vers Bentre et Mytho.
Elle compte de 60 000 à 100 000 adhérents en 1940, un nombre qui sera multiplié par 5 en 15 ans. Son gourou prêche le partage des terres, l’égalité pour tous et le soulèvement contre les Français mais avec, dans un premier temps, des interdictions religieuses strictes : ne pas tuer, voler, injurier.
Huynh Phu So est arrêté par l’administration coloniale en 1940 et enfermé dans un asile psychiatrique puis mis en résidence surveillée jusqu’en mai 1941 d’où il est libéré par les Japonais qui le ramène à Saigon. Ses milices armées de vieux fusils, de hallebardes et de piques sont hostiles aux Français, ce qui arrange l’occupant nippon.
En août 1945, la secte rejoint comme les Caodaïstes le front national unifié dont fait partie le VM. Leur union est toutefois brève. Tran Van Giau fait massacrer des éléments hoahao. Pour autant, le « bonze fou », après son départ, entre comme commissaire dans le comité du VM du Nambo dirigé par Nguyen Binh. Mais les bandes haohoa pratiquent avant tout une guerre de pirates qui entre irrémédiablement en conflit avec l’idéologie du VM. Le 8 octobre 45, à Cantho, 15 000 Hoa Hao s’en prennent au VM. Des combats, massacres et représailles ont lieu dans les jours qui suivent. La secte entre alors en dissidence contre le VM sans pour autant se rallier à la France. Binh attire Huynh Phu So dans un guet-apens et le fera exécuter le 17 mars 1947 après un jugement des plus sommaires. Son corps est dépecé et inhumé en trois parties.
Le 18 mai, 2 000 Hoa Hao conduits par le général Tran Van Soaï se rallient aux Français qui leur fournissent armes et argent et leur confie le secteur du Caïvo-Chaudoc. La région est soumise à des taxes sur le riz. Tran Van Soaï refuse à ses troupes (25 000 hommes et 40 000 miliciens d’autodéfense) de rejoindre l’armée vietnamienne. Considérant cette région comme son fief, il s’oppose à tout retour du VM, des forces caodaïstes ou gouvernementales. Il faut là encore attendre le printemps 1955 pour que Diem s’en débarrasse manu militari (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 491 et 501 ; Toinet, 1998, p.469-470).
Unités mobiles de défense des Chrétientés (U.M.D.C.) : Milices chrétiennes. Formée avec le soutien du général Pierre Boyer de la Tour, le lieutenant Jean Leroy crée en août 1947 une milice mobile parmi les catholiques vietnamiens et d'autres groupes religieux situés au Sud dans la province de Bentré. Cette création se place dans le contexte d’une rupture violente entre les forces sudistes de la République démocratique du Vietnam d’une part et les Caodaïstes et Hoa Hao d’autre part.
Financée par l'armée française, cette milice non conventionnelle faite de supplétifs a rapidement compté 3 000 membres. Elle est constituée officiellement le 1er septembre 1948. Sa mission principale est de protéger les communautés religieuses locales hostiles aux forces sudistes de la R.D.V.N. Elle épaule également les commandants de secteur français dans diverses missions : patrouilles, opérations locales, embuscades.
Cependant, Jean Leroy utilise sa milice pour se constituer une sorte de fief personnel. Participant à une véritable œuvre de pacification, on y trouve aussi un accompagnement économique et social. Leroy s’occupe d’économie et améliore le quotidien des populations locales dans le domaine de la pêche, de l’entretien des rizières, du creusement de canaux, de l’exploitation des cocotiers. Parallèlement, il crée des crèches, des hôpitaux et de nombreuses écoles. En 1949, 10 brigades sont constituées.
Cette milice poursuit son existence jusqu’en décembre 1952. A ce moment, les U.M.D.C. se composent de 67 unités. 12 sont rattachées à l’armée française et 55 à l’armée vietnamienne. Après la mort de De Lattre, du fait des progrès du gouvernement vietnamien, certains de ses membres voient d’un mauvais œil l’indépendance militaire et la popularité de cet officier français qui est envoyé par sa hiérarchie à Paris en stage à l’École de Guerre. Les U.M.D.C. redeviennent alors de simples unités supplétives de l’armée vietnamienne intégrées dans le 17e bataillon. Elles seront finalement dissoutes le 1er mai 1953.