Avril 75 : Au Cambodge, début d’un exode massif des populations. Selon Ponchaud, 35 000 personnes ont gagné la Thaïlande et ses sordides camps de réfugiés, 50 000 le Vietnam. 200 000 Vietnamiens qui résidaient au Cambodge vont regagner leur pays à partir du 15, la plupart sur le mode du volontariat suite à la victoire des N-V au S-V. A cela s’ajoute un nombre difficilement estimable de dissidents politiques des classes aisées (bourgeoisie, fonctionnaires, partisans de Sihanouk ou Lon Lol, etc.) qui n’entendent pas demeurer sous le joug de la future dictature communiste (Ponchaud, 2005, pp. 196-197).
1er avril 75 : Le Bureau politique d’Hanoi analyse la situation : « Dans ce contexte, le Bureau politique est arrivé à cette conclusion : stratégiquement, militairement et politiquement, nous avons des forces supérieures, l’ennemi est sur le point de s’effondrer. » (cité in Portes, 2016, p. 186)
Au Cambodge, chute de Neak Lunong, port fluvial sur le Mékong situé à 80 km au sud-est de Phnom Penh. La prise de cette ville stratégique par les troupes de Heng Samrin coupe la principale voie d’approvisionnement de la capitale cambodgienne.
Lon Lol entame un « voyage d’amitié » vers l’Indonésie et les États-Unis alors que la capitale cambodgienne est cernée. Chacun sait qu’il ne reviendra jamais. Les Américains l’enverront en Californie et lui attribueront la somme de 500 000 dollars pour aller mener un exil à Hawaï. Au préalable, il a reçu la somme d’un million de dollars de la Banque du Cambodge. Le président du Sénat, Saukham Koy est alors nommé chef de l’État par intérim. Kissinger est au final obligé de se rallier au compromis voulu par les Français et longtemps repoussé par lui, à savoir un retour de Sihanouk qui a des accointances avec les KR et est soutenu par la Chine.
Le vice-premier ministre et ministre de la Défense s-v, Tran Van Don, parti en tournée dans les pays africains non alignés fait escale à Paris. Selon ses dires, il est contacté par des représentants du premier ministre Jacques Chirac qui estiment que le S-V est perdu : « C’est fini pour le Sud-Vietnam. La seule chose qui vous reste à faire, c’est d’organiser l’évacuation de ceux qui ne veulent pas vivre sous un régime communiste. Les trois puissances [U.S.A., U.R.S.S., Chine] sont d’accord pour que les deux Vietnam s’unissent sous la houlette de Hanoi. » (Tran Van Don, 1985, pp. 344-345) La France entend alors jouer les médiateurs avec l’assentiment du N-V. Les N-V ont fixé un délai de 8 jours pour que les négociations s’amorcent. À son retour, le 5, Don rend compte de cette information à Thieu qui la rejette (Snepp, 1979, p. 251).
Date de clôture de la première amnistie des réfractaires américains (partielle, limitée et conditionnelle) décidée par Gerald Ford le 10 septembre 1974. Elle ne concerne que 19 % des bénéficiaires (Journoud, 2016, p. 79).
2 avril 75 : Radio Hanoi annonce la mise en place d’un gouvernement de transition à Da Nang. En réalité, c’est le pouvoir militaire qui gère la ville et procède d’entrée à des exécutions de fonctionnaires s-v.
Thieu, complètement déconnecté des réalités, ordonne au général Truong d’établir une tête de pont sur une île au large de la 1ère région militaire en vue de la reconquérir… (Snepp, 1979, p. 221)
Dans un rapport, Colby (directeur de la C.I.A.) estime désormais que « l’équilibre des forces au Sud-Vietnam penche nettement en faveur des communistes. Démoralisation et défaitisme accomplissent leur œuvre. » Selon un autre rapport écrit par Franck Snepp (analyste de la C.I.A. à Saigon), les S-V se battent désormais à 1 contre 3 ou 4 (Snepp, 1979, p. 222).
Nguyen Cao Ky rencontre le général Vien (chef d’état-major s-v) en vue de destituer Thieu. Vien demande un délai de réflexion de deux jours mais rencontre dans la journée le premier ministre Khiem. Il l’interroge pour savoir si les Américains sont derrière ce projet. Khiem répond négativement. Pour autant, Thieu devient soupçonneux à l’égard de son premier ministre et propose un remaniement gouvernemental alors que le pays est en pleine débâcle (Snepp, 1979, p. 232).
Polgar, directeur de la C.I.A. à Saigon, apprend que certains officiers vietnamiens envisagent de prendre les Américains en otages pour assurer leur propre sécurité au cas où les communistes prendraient la ville. Il en informe directement Washington, sans en avertir l’ambassadeur Martin. Un rapport est rédigé décrivant avec réalisme la situation chaotique d’un Thieu remis en question par des militaires favorables à de vraies négociations et désormais prêts à le renverser (Snepp, 1979, p. 232).
Les Américains mettent en place une opération humanitaire en faveur d’enfants orphelins qui est confiée à l’U.S.A.I.D. et chapeautée par le général Smith du Defense Attache Office. Ils entendent ainsi redorer leur blason terni. L’évacuation se déroule dans la précipitation et l’avion s’écrase peu après son décollage car une porte de l’appareil a été mal refermée. Il n’y aura que quelques survivants (Snepp, 1979, pp. 237-238).
Au Cambodge, l’aéroport de Pochentong proche de Phnom Penh est désormais bombardé chaque jour. Le pont aérien américain assurant le ravitaillement de la ville s’en trouve entravé.
3 avril 75 : Nouveau rapport alarmiste de Colby (directeur de la C.I.A.) : « Nous pensons que dans quelques mois, voire quelques semaines, Saigon va s’effondrer militairement ou bien qu’un nouveau gouvernement sera formé, qui acceptera un règlement aux conditions des communistes. » (cité in Snepp, 1979, p. 223).
Thieu procède malgré tout à un remaniement ministériel et accepte d’entrée la démission de Tran Thien Khiem. C’est le président de l’Assemblée nationale, Nguyen Ba Can, qui prend sa succession à la tête d’un gouvernement de « guerre et d’union nationale ». Tout le monde demeure indifférent à la chose, sauf l’ambassadeur américain Martin toujours plein d’espoir. Selon Snepp, « […] un des ministres les plus importants était depuis longtemps un agent de la C.I.A. » (Snepp, 1979, p. 232)
La 341e division n-v prend la localité de Chon Thanh située à 70 km au nord de Saigon, l’un des derniers avant-postes gouvernemental qui tenait encore (Snepp, 1979, p. 238).
L’ambassadeur Martin affirme à un journaliste que « Saigon n’est pas en danger ». Selon Snepp, « […] sa sérénité commençait à porter sur les nerfs de pas mal de Saïgonnais et d’Américains. » (Snepp, 1979, p. 238).
De passage à Rome, Kurt Waldheim convoque Aubrac. Le secrétaire général de l’O.N.U. se plaint de pressions américaines (Kissinger) pour que cessent des flux migratoires vers le Sud de populations civiles qui accompagnent la retraite des troupes de Thieu. Waldheim estime ne pouvoir intervenir car ce serait une immixtion dans le conflit en cours. Aubrac, qui sait que Waldheim n’a jamais soutenu les N-V, estime qu’il n’a pas suivi ses conseils : demander aux deux parties d’établir un cessez-le-feu et obtenir des Américains un changement de gouvernement à Saigon. Waldheim estime n’avoir pu rien faire car la conférence de Paris de février 1973 ne lui a confié aucune responsabilité, n’en ayant pas obtenu la présidence. Il refuse d’en appeler au cessez-le-feu mais demande à Aubrac de se rendre au plus vite à Hanoi. Il accepte et propose de fixer sa mission sous l’égide de l’aide humanitaire. Aubrac devient alors « représentant personnel » du secrétaire général de l’O.N.U. chargé de se rendre à Hanoi (Aubrac, 2000, pp. 397-399).
4 avril 75 : Colby (directeur de la C.I.A.) répond au rapport de Polgar, chef de l’antenne à Saigon (voir 2 avril) : la C.I.A. à Saigon ne doit rien faire pour provoquer la chute de Thieu. L’image de l’agence étant déjà bien assez ternie à l’étranger comme aux U.S.A. Colby s’engage à assurer l’intégrité de la personne de Thieu au cas où les choses évolueraient négativement. Thieu demeure donc pour la C.I.A. et les Américains l’homme à protéger (Snepp, 1979, pp. 234-235).
Au Cambodge, l’ambassadeur Dean annonce à son personnel que l’évacuation du pays par les Américains doit être prévue dans les 48 heures. Décision reportée car Kissinger entend jouer (tardivement…) la carte Sihanouk et celle de ses protecteurs chinois (voir 1er avril). Selon le Secrétaire d’État à la Sécurité nationale, la présence américaine à Phnom Penh doit jouer un « rôle stabilisateur » (Snepp, 1979, p. 239). L’ambassadeur des États-Unis à Pékin, George Bush, tente de rencontrer Sihanouk perçu comme une toute dernière chance. Celui-ci refuse toute idée de rencontre et fait savoir qu’il ne jouera pas les médiateurs.
Toujours au Cambodge, lors d’une réunion des dirigeants du P.C.K., Hou Yuon, Nay Sarann et Chhouk s’opposent aux projets de déportation des citadins et de suppression de la monnaie. Ce qui vaudra à Hou Youn d’être purgé dès le mois d’août.
Lors d’une réunion avec le général Tran Thien Khiem (premier ministre) et le Dr Vien (vice-premier ministre sans portefeuille), on évoque à nouveau la question du départ de Thieu. Sans vraiment révéler le fond de sa pensée, Vien suggère à Thieu de ne pas se représenter aux prochaines élections… Puis la discussion s’engage sur le sort de Khiem et de sa succession. Thieu arrête finalement son choix sur Nguyen Ba Can, président de l’assemblée nationale et personnage sans envergure, qui mettra 10 jours à constituer son gouvernement. Thieu annonce publiquement sa nomination le soir même, promet de reprendre « les provinces perdues » et refuse à nouveau toute idée de gouvernement de coalition avec le G.R.P. Une seule solution pour obtenir la paix : organiser des élections générales conformément aux accords de Paris… (Tood, 1987, pp. 237-238) Thieu, de plus en plus déconnecté des réalités, semble plus obsédé par les questions politiques que par la situation militaire catastrophique…
Aubrac, avec ses nouvelles attributions (voir 3 avril), se rend à la délégation parisienne du N-V et rencontre Vo Van Sung pour obtenir (sans trop d’illusions…) un visa pour Hanoi qu’il obtiendra cependant. Il partira le 16 avril (Aubrac, 2000, pp. 400-401).
5 avril 75 : De retour d’une tournée entamée au S-V le 28 mars, le général Weyand (commandant les forces américaines du Pacifique) rencontre Gerald Ford dans sa résidence de Palm Springs (Californie). Kissinger est présent. Le rapport amené par Weyand et son équipe, rédigé en partie par Snepp, « faisait état, selon ses propres mots, du déséquilibre presque grotesque des forces et même de la possibilité d’une défaite militaire de Saigon. » Il est clairement établi que la plupart des généraux s-v sont, selon les mots du général, « déshonorés […], démonstrativement incompétents ou pire. » (cité in Tood, 1987, p. 227) Un revers absolu est donc clairement envisagé dans ce rapport : « Le gouvernement de la République du Vietnam est au bord de la défaite totale. » (cité in Tood, 1987, p. 226).
Selon les analystes du Pentagone, deux options sont possibles pour les N-V : ou une victoire militaire ou la négociation d’un accord « boiteux ». Kissinger, comme le président, demeure partisan de l’attribution de crédits au S-V (722 millions de dollars) qui permettrait aux États-Unis de ne pas être totalement tenus pour responsables de la chute de leur allié. C’est aussi la position de Weyand dans son rapport où il détaille précisément les postes où doivent être attribuées ces sommes (Tood, 1987, p. 228). Le secrétaire à la Défense Schlesinger, qui ne partage pas ce point de vue, a été écarté du cercle présidentiel par Kissinger.
Le rapport de Weyand estime qu’une intervention militaire américaine est souhaitable pour assurer l’évacuation des ressortissants américains et des Vietnamiens qui les ont soutenus. Mais, s’appuyant sur les effets d’une potentielle aide financière, il ne préconise pas pour l’instant l’accélération d’un plan d’évacuation. Ce dernier n’est envisagé que si le Congrès bloque l’apport des crédits demandés. Un maigre et vain espoir subsiste toujours au sein de l’administration américaine (Snepp, 1979, pp. 242-244).
De retour de France, le très francophile vice-premier ministre et ministre de la Défense Tra van Don est relancé par téléphone par le bureau du premier ministre Jacques Chirac (voir 1er avril) qui lui rappelle qu’il ne reste que trois jours pour entamer des négociations avec les N-V. Il s’est heurté ce jour même à un refus de Thieu qui ne veut rien entendre et ne croit pas au lâchage des « trois grands » (U.S.A, U.R.S.S., Chine).
Pour Don, la seule carte de rechange est le général Minh qui a pris contact fin mars avec le président du G.R.P. et dont le frère est l’un des dirigeants du VM. Il a également pris contact avec les Français qui espèrent toujours en un éventuel accord de coalition avec le G.R.P., ce dernier bénéficiant depuis longtemps d’une reconnaissance et d’une représentation officielle à Paris (Snepp, 1979, p. 251). Les Français ne sont diplomatiquement pas inactifs. Ce jour même, ils transmettent aux Américains les exigences des N-V : le départ de Thieu et la rupture totale entre Saigon et les États-Unis.
6 avril 75 : William Colby, directeur de la C.I.A. toujours traumatisé par la chute de Diem en 1963, apporte à son tour son soutien à Thieu : « Si la C.I.A. était partie prenante dans la déstabilisation de Thieu, ce serait un désastre institutionnel et national [...] Si les choses se compliquaient, votre travail consisterait à donner des conseils. Quant à moi, ma recommandation serait qu’on fasse tout pour que Thieu et sa famille puissent s’échapper en toute sécurité. » (cité in Tood, 1987, pp. 237-238)
Élections législatives au N-V : 529 candidats pour 499 sièges. Les candidats appartiennent au Front de la patrie qui regroupe le parti communiste, le parti socialiste et le parti démocrate. Ces deux derniers étant censés représenter les classes moyennes et l’intelligentsia. Mais en réalité, c’est le principe du centralisme démocratique qui est appliqué avec prééminence absolue du P.C. (Tood, 1987, p. 249)
7 avril 75 : Le commandant en chef n-v Van Tien Dung qui a quitté Nha Trang sur ordre, établit son Q.G. à Loc Minh, une localité proche de Saigon. Il y est rejoint par le général Tran Van Tra et Pham Hung, membres influents du Politburo pour le Sud. Le Duc Tho les rejoint à son tour pour mettre au point les plans de l’attaque finale. L’offensive sur Saigon doit être lancée au plus tard la dernière semaine d’avril.
Seul l’ambassadeur américain Martin continue à croire que Saigon est défendable, d’où ses atermoiements pour lancer l’évacuation des personnels américains et s-v, persuadé que l’apport hypothétique des 722 millions de dollars américains vont permettre de recruter de nouvelles troupes s-v. Il est appuyé en cela par le rapport du général Weyand (voir 5 avril).
Le vice-premier ministre et ministre de la Défense, Tran Van Don, rencontre l’ancien premier ministre Khiem. Ce dernier lui conseille d’écarter définitivement Thieu (Snepp, 1979, p. 251).
Suite aux informations diplomatiques françaises transmises aux Américains le 5, Kissinger oppose une fin de non-recevoir au départ à court terme de Thieu (Snepp, 1979, p. 255). Les initiatives soviétiques n’auront d’ailleurs guère plus de succès. Selon Snepp, « Kissinger n’avait jamais parus aussi intransigeant, aussi intolérant dans les discussions. Rejetant toute apparence de courtoisie, il se montrait grossier envers Colby [directeur de la C.I.A.] et Schlesinger [secrétaire d’État à la Défense], ses deux plus sévères critiques. Il les accusa de multiplier les avertissements et de demander l’évacuation anticipée dans le seul but de « protéger leurs culs ». » (Snepp, 1979, p. 262)
Le Congrès américain siège à nouveau. Selon un sondage Louis Harris, 2 Américains sur 3 sont opposés à l’octroi d’une aide militaire au Cambodge ou au S-V, même si cela devait « épargner un bain de sang aux populations de ces pays. » Gerald Ford redemande 722 millions de dollars d’aide militaire et 250 millions d’aide pour les réfugiés du S-V. Il aborde également la délicate question de l’utilisation de la force armée pour évacuer les ressortissants américains et les Vietnamiens qui ont collaboré avec eux (Tood, 1987, pp. 271-274)
8 avril 75 : Forte dégradation de la situation militaire pour les S-V : une ville au sud de Bien Hoa est bombardée ; l’académie militaire de Thu Duc située à 8 km de Saigon est attaquée ; dans le nord du Delta, la route nationale 4 est coupée momentanément à 25 km de la capitale (Snepp, 1979, pp. 246-247).
Selon un scénario classique au S-V, un avion s-v en provenance de Tan Son Nhut attaque le palais présidentiel. Deux bombes de 250 livres sont larguées explosant dans le jardin du palais et tuant deux jardiniers. Deux autres bombes larguées n’exploseront pas. Thieu sort donc indemne de cette tentative d’attentat. On soupçonne Nguyen Cao Ky (ministre de l’Armée de l’Air) d’être à l’origine de cette action (Snepp, 1979, pp. 247-248 ; Tood, 1987, p. 267).
L’ambassadeur français à Hanoi est reçu par le premier ministre Pham Van Dong qui fait des offres économiques avantageuses à l’ancienne puissance colonisatrice, lui laissant même entendre qu’elle pourrait se substituer aux Américains, notamment au Sud où selon le programme politique du G.R.P., on « garantit la vie et les biens des étrangers ». (Tood, 1987, pp. 251-253)
Au Cambodge, il ne reste que 58 officiels américains à Phnom Penh et 35 diplomates étrangers dont la plupart s’apprête à partir. L’aéroport de la capitale subit des bombardements sans que son cœur vital soit pour l’instant touché (Snepp, 1979, p. 249).
9 avril 75 : Les tensions montent entre la C.I.A. et l’ambassade à Saigon. Polgar, chef de l’antenne locale, déplore devoir passer « un temps excessif à discuter de la validité de renseignements annonçant de mauvaises nouvelles et à débattre de la nécessité des décisions administratives que l’ambassade, pour une raison ou une autre, ne veut pas prendre. » Il ajoute : « Le chef de poste se rend parfaitement compte que l’Histoire avance selon des projections linéaires droites (sic). Cependant, nous nous dirigeons vers une débâcle de proportions historiques si les changements nécessaires ne sont pas réalisés à temps. » (cité in Tood, 1987, p. 265)
Gerald Ford reçoit les membres de la commission sénatoriale des Affaires étrangères. Les élus des deux partis demandent le départ définitif des Américains du S-V. Le président leur répond qu’un départ immédiat créerait un vent de panique. Il faut différer, ne serait-ce que de quelques jours. Le sort des vietnamiens passe visiblement au second plan. Ford les estime à un nombre variant entre 175 000 et 200 000. On discute du cas Martin. La plupart des sénateurs ont lu le rapport de la commission du Congrès (voir fin février) qui s’est rendue au Vietnam et ont pu constater l’aveuglement obstiné de l’ambassadeur (Tood, 1987, p. 281)
9 - 10 avril 75 : Les forces n-v attaquent Xuan Loc (60 km au nord-est de Saigon). Plus d’un millier de roquettes et d’obus sont déversés sur cette ville de 100 000 habitants. Un régiment réussit à y pénétrer et des combats au corps à corps s’y déroulent. L'A.R.V.N. contre-attaque avec 25 000 hommes, soit le tiers de ses effectifs encore disponibles mais tient, malgré un manque de renforts dont l’arrivée est gênée par l’exode de civils. L’aviation s-v intervient par des bombardements à haute altitude « laissant tomber, selon Snepp, ses bombes à tort et à travers. Une habitude. » Ils sont toutefois assez efficaces et ce d’autant plus que l’armée n-v éprouve pour la première fois des difficultés logistiques : manque de carburant et de munitions pour les chars T-54. À ce moment, les Américains estiment encore - à tort - que les N-V ne sont pas assez forts pour lancer une offensive sur Saigon la semaine suivante (Snepp, 1979, p. 263 ; Tood, 1987, pp. 268-270)
11 avril 75 : Télégramme de l’ambassadeur français à Saigon, Jean-Marie Mérillon, qui est désormais au cœur de négociations en vue d’une sortie de guerre : « […] La situation intérieure, apparemment bloquée par l’entêtement du président Thieu à poursuivre sa politique de résistance à outrance qui ne correspond plus à la réalité des faits ni à l’état moral des dirigeants civils et militaires, tous très traumatisés par le désastre et pessimistes sur la suite des événements […] L’attitude actuelle du Président serait consécutive à la visite du général Weyand dont les déclarations optimistes ont paru assez étonnantes dans la situation actuelle. Elle ne pourrait s’expliquer en effet que par la certitude d’un soutien américain important. » (cité in Toinet, 1998, p. 388)
Au Cambodge, l’ambassadeur américain Dean demande à nouveau à Kissinger d’évacuer le personnel de l’ambassade à Phnom Penh. Il essuie un refus car Kissinger attend les résultats d’une rencontre à Pékin entre un représentant du département d’État et un collaborateur de Sihanouk. Au final, le retour de Sihanouk sera rendu impossible dans l’immédiat du fait du bombardement de l’aéroport de Phnom Penh (Snepp, 1979, p. 266).
Sihanouk reçoit par le biais de l’ambassade de France une note secrète de la Maison Blanche affirmant que « seul le prince répond aux suffrages unanimes du peuple cambodgien. Le gouvernement des États-Unis est en train de préparer tout ce qu’il faut pour le transfert du leadership dans Phnom Penh, et cela ne pourra se faire qu’avec le prince et ses partisans […] Le gouvernement des États-Unis souhaite que ces questions soient résolues immédiatement […] et serait heureux de savoir dès que possible les propositions de Samdech Sihanouk. » Sihanouk répond à 0 h 30 déclarant qu’il lui est impossible d’accepter la proposition car les KR, majoritaires dans la résistance, sont partout victorieux. Il conseille au gouvernement américain de « se désengager dès maintenant de la prétendue « République khmère » en quittant la capitale et en cessant d’y envoyer armes et munitions. »
De Phnom Penh, le général Saukham qui assure l’intérim de Lon Lol, lance un appel en faveur d’un retour de Sihanouk. De Pékin, Ieng Sary, en tant qu’envoyé des maquis cambodgiens, exige des Chinois et de Sihanouk l’abandon de tout contact avec les Américains. Il se fait même menaçant à l’égard de ses hôtes : « Personne ne peut frustrer les masses populaires de leur victoire ; l’avenir des relations sino-khmères est en jeu. » Il promet à Sihanouk qu’il sera président à vie et lui intime de refuser les propositions américaines. Le lendemain, les Chinois révisent leur position et décident de soutenir Ieng Sary (Cambacérès, 2013, p. 198 ; Debré, 1976, pp. 208-210).
Gerald Ford réunit les leaders du Congrès pour évoquer avec eux la question des « échanges privés » entre Thieu et Nixon qui, selon l’actuel président, « ne diffèrent pas de ce qui a été dit publiquement. » (Tood, 1987, p. 274) Une affirmation présidentielle des plus discutables car les assurances que Nixon a données à Thieu sont toujours demeurées purement confidentielles.
La France reconnaît officiellement le G.R.U.N.K. qu’elle pense, à tort, toujours dirigé par Sihanouk (Meslin, 2020, p. 29).
12 avril 75 : Au Cambodge, le gouvernement est remplacé par un « comité suprême » de 7 personnes qui agiront jusqu’au 17. Il est présidé par le général Sak Sutsakhan et composé de 6 autres membres dont l’ancien premier ministre Lon Boret (Jennar, 1995, p. 168).
Confronté à l’impossibilité d’un retour de Sihanouk aux affaires, Kissinger autorise finalement l’évacuation du personnel diplomatique sous le nom d’opération Eagle Pull (départ de l’aigle). Depuis le 7 avril, 375 marines du groupe d’intervention Alpha ont été mis en position d’alerte pour intervenir en trois heures afin d’être en mesure d’évacuer 800 personnes. Seront finalement évacués 82 Américains, 159 Cambodgiens et 39 personnes d’autres nationalités. Le gouvernement américain informe cette fois le Congrès de la nature de cette intervention militaire.
L’ancien premier ministre de Lon Lol, Sirak Matak, sollicité pour embarquer dans un hélicoptère américain, refuse de partir et sera exécuté le 19 par les KR après s’être réfugié à l’ambassade de France. Il avait au préalable écrit aux Américains : « J’avais placé toute ma confiance en vous. Maintenant, vous, superpuissance n° 1 du monde, prenez la fuite devant les Khmers rouges, abandonnant vos ex-admirateurs khmers à leur triste sort. Moi, Sirik Matak, je mérite de mourir, puni par les Khmers rouges. Vous m’offrez une place à bord de l’un de vos hélicoptères fuyant le Cambodge, veuillez sauver ma femme. Moi, j’attends dignement mes bourreaux. » Au moment du départ des derniers occupants, l’ambassade américaine subit les premiers bombardements (Snepp, 1979, pp. 266-267 ; Tood, 1987, pp. 265 et 274 ; Deron, 2009, p. 407).
Au Cambodge, fin du pont aérien américain et départ du dernier vol commercial à l’aéroport de Pochetong.
13 avril 75 : Les Français ayant échoué avec l’ambassadeur Martin au sujet du départ de Thieu prennent contact avec Polgar, dirigeant l’antenne de la C.I.A. à Saigon. Il faut persuader l’ambassadeur Martin de lâcher le président et que les S-V parviennent à former un nouveau gouvernement neutre. Polgar charge Snepp de rédiger un rapport disant que Thieu « n’a plus la bénédiction du ciel » et qu’il faut changer d’équipe gouvernementale. Un seul bémol, un nouveau gouvernement n’est pas assuré d’être soutenu ni par l’armée ni par les forces de l’ordre, ce qui risque d’ajouter encore de la confusion à la confusion (Snepp, 1979, pp. 270-271).
Au Cambodge, les F.A.P.L.N.K. s’emparent de l’aéroport de Pochentong.
14 avril 75 : Une conférence réunit le général Van Tien Dung (commandant en chef n-v) et son état-major à Loc Ninh. Dung a demandé au Politburo de retarder pour des raisons tactiques l’offensive finale qui aurait dû se produire entre le 15 et le 19 du fait de la résistance de la 18e division s-v à Xuan Loc et de problèmes liés à des questions logistiques internes (carburant pour les tanks). Sa demande est entendue par Le Duc Tho qui a fixé la victoire avant la date d’anniversaire d’HCM, le 19 mai, et avant l’arrivée de la saison des pluies (Snepp, 1979, p. 270).
Après la démission du premier ministre Tran Thien Khiem le 3, son successeur, Nguyen Ba Can, présente enfin son cabinet et, selon Tra Van Don, « un programme largement dépassé par les événements en cours. » La situation à Saigon est calme mais riche en rumeurs (atrocités commises par l’ennemi, références aux massacres de Hué de 1968, peur du déclenchement d’émeutes liées à un coup d’État) (Tran Van Don, 1985, p. 349 ; Snepp, 1979, pp. 278-279).
Le département d’État obtient des autorités gouvernementales américaines des concessions limitées au sujet des rapatriements vers les États-Unis : certains Vietnamiens entreront aux U.S.A. mais « sous serment ». En fait, un des seuls moyens pour obliger les Américains qui ont fondé une famille ou contracté un mariage au S-V à quitter le pays. La bureaucratie établit à Washington des critères pour leurs cas (Tood, 1987, p. 283).
Mi-avril 75 : Jusque-là, fidèle soutien de Thieu, l’ambassadeur Martin demeure persuadé que l’enclave de Saigon peut encore sortir de la délicate situation où la ville est plongée. Et ce, malgré les rapports ou les propos qui lui ont été soumis par la C.I.A. ou d’autres subordonnés que l’ambassadeur ne cesse de mettre en doute. Il nie ainsi la chute de la 1ère région militaire qui est pourtant réellement tombée. Mais, selon Snepp, malgré cet aveuglement durable, ses convictions sont en train de changer à ce moment précis (Snepp, 1979, pp. 229-230).
15 avril 75 : Après un ultime appel à la Commission des Crédits du Sénat qui va refuser l’accord d’une aide militaire, Kissinger affirme que les fonds promis accroîtraient la capacité du régime à négocier avec les communistes dans des conditions « plus conformes à l’autodétermination ». Simple manœuvre dilatoire lui permettant de faire porter le chapeau de l’effondrement du S-V au Congrès.
La ville de Xuan Loc située à l’est de Saigon est cernée après une résistance prolongée des troupes s-v. Les N-V la contourne pour progresser plus vite vers Saigon (Snepp, 1979, p. 270).
L’artillerie n-v bombarde le terrain d’aviation de Bien Hoa en utilisant pour la première fois des canons à longue portée (Snepp, 1979, p. 270).
L’ambassadeur Martin adresse un télégramme à Washington où il ne demande pas explicitement le départ de Thieu mais fait comprendre que ce dernier ne présente plus aucune utilité pour la politique américaine. Il affirme par ailleurs pouvoir évacuer 200 000 personnes par terre, air et mer. Or, à ce jour, seuls 1 500 Américains ont pu rejoindre les Philippines. Il omet de mentionner une situation militaire catastrophique et continue à réclamer une aide économique « comme si, selon Snepp, le pays avait de longues années de vie devant lui. » (Snepp, 1979, pp. 272-273) Martin demeure cependant optimiste et déclare : « Je ne crois pas que l’armée de la république du Vietnam va nécessairement plier. » (cité in Tood, 1987, p. 282)
Au Cambodge, avec la chute de Takhmau, le périmètre de défense de Phnom Penh s’effondre et le climat se dégrade fortement : « Ce jour-là, une atmosphère de panique générale règne à Phnom Penh : ballet incessant des hélicoptères militaires, sirènes des ambulances qui portent secours aux blessés. Ce matin même, des roquettes sont encore tombées sur plusieurs endroits de la ville, dont une à proximité de l’ambassade de France, faisant des morts et des blessés. Les magasins et épiceries sont fermés pour cause de pénurie ou parce que les commerçants ont déjà plié bagage, on voit des scènes de pillage dans tous les lieux désertés. » (cité in Affonso, 2005, pp. 36-37)
16 avril 75 : Thieu tente en vain de faire parvenir à l’étranger 16 tonnes d’or (200 millions de dollars) détournées des fonds américains et qui aurait dû servir à l’achat d’armement. Un des collaborateurs de l’ambassadeur Martin, mis au courant, alerte la presse. Les compagnies aériennes chargées de ce transport font marche arrière. Martin fait pression sur Thieu pour que cet or soit transporté vers la Federal Bank of New York, mais l’armée de l’air américaine et la banque refusent d’assurer les risques d’un tel transport au vu de l’actuelle situation militaire. Faute d’entente entre les Américains et les Vietnamiens, l’or demeurera finalement dans les caves de la Banque nationale sur ordre du président Huong et sera finalement récupéré par les N-V (Snepp, 1979, p. 296 ; Tood, 1987, pp. 340-341).
Kissinger câble à Martin de mauvaises nouvelles concernant l’aide financière demandée au Congrès : « Nous devons prévoir que nous finirons avec un vote négatif. » Il le flatte en le comparant à un « général en campagne » et lui demande par la même occasion comment il entend ramener le nombre de citoyens américains demeurant au S-V de 200 000 à 2 000 (Tood, 1987, p. 290). Sachant qu’il a lui-même retardé ces évacuations et s’est peu préoccupé du sort des S-V…
Martin – en train de sortir enfin de ses illusions – commence enfin à se préoccuper trop tardivement des évacuations et étudie avec un envoyé de l’amiral Gayler un plan d’évacuation de 200 000 personnes. S’enferrant dans ses erreurs, il n’est, là encore une fois à tort, pas très favorable à une solution maritime à partir du Cap Saint Jacques qui aurait pourtant permis d’évacuer par la suite beaucoup plus de monde (Tood, 1987, p. 291).
Au Cambodge, la radio clandestine kr lance un appel à la population : « Bien-aimés frères, sœurs, travailleurs, jeunes étudiants, enseignants et fonctionnaires, l’heure est venue ! Les forces armées de libération nationale du peuple khmer vous parlent, frères ! […] Il est temps de vous rebeller et de libérer Phnom Penh. » (cité in Biernan, 1998, p. 43).
16 avril – début mai 73 (probablement le 5 ou le 6) : Arrivée à Hanoi d’Aubrac, désormais « représentant personnel » de Kurt Waldheim (secrétaire général de l’O.N.U.), porteur d’une mission humanitaire. Il rencontre des représentants de l’U.N.I.C.E.F. et du H.C.R., les 2 institutions ayant toujours été présentes au N-V et donc appréciées. Il rencontrera également Nguyen Vo Tach (ministre des Affaires étrangères), Nguyen Van Tien (ambassadeur du G.R.P. à Hanoi) et Philippe Richer (ambassadeur de France au N-V).
Avec les ses interlocuteurs vietnamiens, il évoque les problèmes de reconstruction d’un pays dévasté par les bombardements et d’aide humanitaire urgente pour le Sud. Il évoque également la demande de Waldheim au sujet des pressions américaines (voir 3 avril) mais reçoit une réponse indifférente. Aubrac visite différents lieux culturels et quartiers détruits à Hanoi. Pour entrer en communication avec Waldheim, il n’utilise pas les moyens de l’ambassade française mais ceux de l’ambassade suédoise comme on le lui avait conseillé à l’O.N.U. Aubrac aurait dû rentrer le 22 ou 23 avril mais Waldheim lui demande de demeurer plus longtemps sur place. Le 22, il reçoit une communication de Waldheim qui s’inquiète du sort des réfugiés à l’ambassade de Phnom Penh. L’ambassadeur de France Richer annonce une légère amélioration de la situation.
A la veille de son départ (dont il ne mentionne pas la date, début mai) Aubrac a été reçu par Pham Van Dong. Ce dernier a demandé à ce que la R.D.V. et le G.R.P. puissent devenir membres à part entière de l’O.N.U. Il lui a également demandé de rencontrer McN (président de la Banque mondiale) afin que son pays puisse établir des relations normales avec la Banque et le F.M.I.
Aubrac rencontrera McN après son retour aux U.S.A. qui lui confiera : « Monsieur Aubrac, nous aurions dû mieux profiter des ouvertures que vous avez apportées en 1967. A l’époque, j’avais insisté en ce sens. Comme vous le savez, je n'ai pas été suivi et nous avons dû subir quelques années inutiles d’une guerre affreuse ». McN acquiesce à la demande de Pham Van Dong pour une prise de contact avec le Vietnam. Aubrac aborde de son propre chef avec lui la question du déminage qu’il connaît bien pour en avoir été l’un des responsables en France en 1945. Il demande aux Américains de livrer les plans des secteurs minés. McN lui répond ne plus avoir de responsabilités gouvernementales aux U.S.A. L’O.N.U. ne peut intervenir sans que cela se sache et provoque des remous mais McN aura des discussions à ce sujet avec Waldheim. On pense alors aux Français qui accepteront de prendre en charge cette mission. De son côté, Aubrac en informera les Vietnamiens (Aubrac, 2000, pp. 401-419).
17 avril 75 : Au Cambodge, Les Khmers rouges prennent Phnom Penh par le sud. Une demande de cessez-le-feu par un « comité de généraux » est rejetée. La radio clandestine des KR annonce : « Nous entrons dans Phnom Penh en conquérants. Nous exigeons que tous les officiers et les personnalités du régime fantoche de Phnom Penh se rendent en hissant le drapeau blanc. » (Snepp, 1979, p. 267) Tous les membres du gouvernement républicain sont rapidement exécutés ainsi que les membres du récent « Comité suprême », à l’exception de son président, le général Sak Sutsakhan qui a pu s’enfuir à bord d’un hélicoptère. Officiellement, Sihanouk demeure le chef de l’État et ce jusqu’au 2 avril 1976, date à laquelle il entendra se retirer. Les KR forment un gouvernement, théoriquement dirigé par Penn Nouth jusqu’au 14 avril 1976.
En fait, le pouvoir est immédiatement accaparé par les dirigeants kr : Pol Pot, premier ministre ; Ieng Sary, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères ; Son Sen, ministre de la Défense ; Khieu Samphan, chef de l’État. Cette structure gouvernementale demeure et demeurera toutefois longtemps secrète.
Après des moments d’euphorie dans la population liés à l’espoir de la fin du conflit démarre l’immense et catastrophique exode de la population de la capitale vers les campagnes dans les 48 heures qui suivent l’arrivée des KR. Ceux-ci, qui n’ont aucune solution pour nourrir les deux millions d’habitants de la capitale, vont prétexter le risque d’un bombardement américain pour provoquer un exode massif. Mais celui-ci, forcé, est le pur fruit de leur idéologie qui veut que les citadins soient par essence des êtres corrompus qu’il faut aller rééduquer à la campagne. L’exode démarre dans des conditions catastrophiques (Ponchaud, 2005, pp. 66-88). L’immense majorité des étrangers demeurant dans la capitale et une partie des cambodgiens compromis avec le régime (voir 19 avril) se réfugient dans l’ambassade de France. Elle demeure la seule et unique ambassade encore ouverte dans la capitale cambodgienne. Rapidement assiégée par les KR, ceux-ci lui refusent tout statut d’extraterritorialité tout en ne l’occupant pas.
Après avoir longtemps tergiversé, Kissinger fait parvenir à l’ambassadeur Martin un câble qui ne doit être vu que de lui. Il fait suite à une réunion des plus hautes instances gouvernementales américaines au sujet de ce qui se passe dans la capitale s-v : « Vous devez savoir […] que presque personne n’a soutenu l’idée d’évacuer des Vietnamiens ni d’employer les forces américaines pour protéger une évacuation. Chez les militaires, au département de la Défense et à la C.I.A., le principal sentiment est qu’il faut filer vite et maintenant. » (cité in Tood, 1987, p. 292)
Au S-V, l’ambassadeur français à Saigon Mérillon rencontre pour la première fois le général Minh. Il l’assure d’un appui de la France. Entretien chaleureux, en français, entre les deux hommes qui spéculent un peu rapidement sur l’avenir des relations entre la France et le Vietnam à l’aune des accords de Paris. L’arrivée des dirigeants communistes n-v changera radicalement la donne (Tood, 1987, p. 295).
18 avril 75 : Le Congrès américain rejette définitivement la demande financière émanant de Gerald Ford pour une aide militaire au S-V d’un montant de 722 millions de dollars. Une immense majorité de l’opinion américaine y est également opposée (voir 7 mars). La commission des Affaires internationales de la chambre des Représentants autorise Gerald Ford à se servir de manière limitée et prudente des forces armées pour évacuer les ressortissants américains et une petite partie des S-V compromis avec eux (Tood, 1987, p. 305).
L’ambassade américaine de Saigon réduit son personnel. Le consulat de Bien Hoa ne comprend plus que 8 fonctionnaires de la C.I.A. et 5 employés du Département d’État. Les incinérateurs de documents fonctionnent alors à plein régime (Snepp, 1979, p. 294).
Thieu reçoit de mauvaises nouvelles : le général Toan, commandant la 3e région militaire, lui dit que la guerre est perdue. Ses troupes ne pourront tenir plus de deux à trois jours. Thieu opère enfin une purge dans l’armée. Le général Pham Van Phu, plongé dans un état de plus en plus comateux, en fait enfin les frais.
Pour calmer les rumeurs de coup d’État, l’ambassadeur Martin rencontre le maréchal de l’Air Nguyen Cao Ky et lui fait miroiter que lui et ses partisans ont un rôle à prendre dans la partie qui se jouait actuellement, même s’il n’en pense pas un mot. La manœuvre réussit (Snepp, 1979, p. 295).
Kissinger rencontre l’ambassadeur soviétique Anatol Dobrynine. Il lui remet une note destinée à Brejnev : « […] Notre principal souci est que l’évacuation des Américains et des Vietnamiens importants se fasse en bon ordre. » Il faut éviter les heurts entre soldats américains et n-v. Kissinger demande à ce que l’aéroport de Tan Son Nhut ne soit pas affecté par les combats. Beaucoup de vœux pieux sachant que les N-V n’ont et ont toujours eu qu’une écoute distraite aux désirs diplomatiques des Soviétiques. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas été mis au courant des choix stratégiques n-v du moment (Tood, 1987, p. 294).
Kissinger demande à Martin de réduire la présence américaine à 1 100 personnes pour le 24 et précise : « C’est le nombre de personnes qui, selon nous, peuvent être évacuées dans une opération héliportée. » Il n’écarte pas l’hypothèse que le Congrès demande une évacuation immédiate. Ce qui a le don d’irriter l’ambassadeur toujours favorable à une évacuation lente et la plus apaisée possible (Tood, 1987, p. 299).
Le N-V commence à songer à sa politique de « rééducation » au Sud au moyen de la directive 218 du comité central. Ce rôle est mené par un comité spécial dirigé par Cao Dang Chiem qui prévoit la création d’attestations de rééducation (Guillemot, 2018, p. 216).
19 avril 75 : Rumeurs de coup d’État militaire au S-V. Le vice-premier ministre et ministre de la Défense, Tran Van Don, en fait les frais alors qu’il n’est, pour une fois, pas directement impliqué dans l’affaire. Il observe dans ses mémoires : « Thieu sentait de plus en plus le pouvoir lui échapper. » (Tran Van Don, 1985, pp. 358-359)
Nouveau télégramme de l’ambassadeur français à Saigon : « […] le G.R.P. est prêt à négocier. La condition était le départ du président Thieu et des Américains. Si un accord politique n’était pas bientôt réalisé, les forces communistes passeraient à l’attaque de Saigon. À Saigon, les étrangers se préparent à cette éventualité. Sociétés, ambassades étrangères ont déjà renvoyé la plupart des femmes et des enfants de leur personnel. L’ambassade des États-Unis a commencé depuis plusieurs jours à évacuer ses ressortissants (entre 6 et 7 000). Les départs ont lieu de nuit par avions militaires, qui apportent du matériel à l’aller, le plus discrètement possible pour ne pas alarmer la population vietnamienne. » (cité in Toinet, 1998, p. 389)
Le chef de la délégation du G.R.P. au sein de la commission bipartite issue des accords de Paris basée près de l’aéroport de Tan Son Nhut, le colonel Vo Dong Giang, donne une conférence de presse. Il développe les exigences habituelles de sa formation, le départ de tous les « conseillers américains déguisés en civils » mais y ajoute celui de Martin : « Il a l’apparence d’un diplomate américain, mais, en fait il dirige activement l’ensemble des domaines militaire, politique et économique. Il est responsable de tous les actes criminels commis par le régime de Thieu. » (cité in Snepp, 1979, p. 298)
Au Cambodge, début des massacres par les Khmers rouges du personnel civil et militaire ayant servi sous le régime de Lon Nol. Les personnalités cambodgiennes qui s’étaient réfugiées à l’ambassade de France dirigée par le vice-consul Jean Dyrac sont extraites et arrêtées par les KR qui, sous la menace d’entrer dans l’ambassade, font fi du statut d’extraterritorialité du lieu : Ung Bun Hor (ex-président de l’Assemblée nationale), Loeung Nal (ex-ministre de la Santé), la princesse Mon Manivong (deuxième épouse laotienne de Sihanouk), Khy Taing Lim (ministre des Finances) et surtout le premier ministre Sirik Matak sont extraits des locaux de l’ambassade (Ponchaud, 2005, p. 22-23). Ce dernier sera exécuté le lendemain à proximité de l’ambassade dans des conditions particulièrement atroces.
Les directives du Quai d’Orsay, envoyées avec l’aval de l’Élysée, avaient fait savoir par télégramme au consul Dyrac que la France n’était pas « en mesure d’assurer la protection qu’ils attendent ». Plus grave, il semble que ce soit le Quai d’Orsay qui ait fourni la liste de ces personnalités à Sihanouk qui l’a, à son tour, transmise aux KR. A cette époque, le Quai d’Orsay ignore que Sihanouk a été mis sur la touche et que c’est Pol Pot qui contrôle et dirige totalement les opérations.
Les KR bombardent la grande île vietnamienne de Phu Quoc puis l’occupent. Les S-V la reprendront avant la chute de Saïgon mais la zone maritime demeurera conflictuelle même après la défaite s-v, faute d’un accord entre le Cambodge et le Vietnam sur l’ensemble des îles réclamées par les deux pays. Même après la réunification du Vietnam (voir 10 – 25 mai et 6 juin), la zone des îles demeurera conflictuelle car les négociations n’aboutiront pas (Biernan, 1998, p. 125).
20 avril 75 : Da Nang tombe à son tour.
L’ambassadeur Martin rend visite à Thieu et lui dresse un tableau des plus alarmants : les forces s-v ne tiendront pas plus d’un mois voire moins encore. Il faut arriver à négocier avec les N-V, ne serait-ce que pour garder Saigon intacte et donner à l’armée s-v un répit. Minh pourrait servir d’improbable interlocuteur. Ce dernier a toujours été considéré par les N-V comme un « neutre » mais aussi celui dont on pourrait se débarrasser le plus facilement.
C’est aussi une manière de dire à Thieu qu’il doit quitter le pouvoir. A la question de Thieu, « Le Congrès américain reprendra-t-il l’aide au Sud-Vietnam si je démissionne ? » Martin répond : « Il y a quelques mois, peut-être. » Selon Tran Van Don, c’est ce qui va pousser Thieu à quitter le pouvoir (Tran Van Don, 1985, p. 359-360). La version de Snepp rapportant les propos de Martin est différente. Ce dernier fait clairement comprendre à son interlocuteur qu’« il proposait un marché qui venait trop tard. » Thieu est marqué par cette conversation d’une heure trente. Il va réfléchir. L’ambassadeur rend compte de sa visite à Washington et annonce le départ de Thieu sous peu (Snepp, 1979, pp. 302-304 ; Tood, 1987, pp. 310-311).
Thieu réunit le C.N.S. à 10 h 00. Il y annonce d’entrée son intention de démissionner. Sa déclaration est accueillie par un total silence. Il évoque les rumeurs de coup d’État et l’instabilité politique qui accompagne le débâcle militaire (voir 26 mars). Il faut aussi éviter que les U.S.A. ne suspendent l’aide militaire et économique qui, par ailleurs, est déjà suspendue… Il estime donc devoir quitter son poste (Tran Van Don, 1985, p. 360).
En tout début d’après-midi, c’est au tour de Mérillon d’aller rencontrer un Thieu abattu et qui, durant la plupart du temps de l’entretien, se tait. L’ambassadeur français observe chez son interlocuteur de temps à autre un « regard hagard ». Thieu qui a pris sa décision clôt la conversation par un « Advienne que pourra. » (Tood, 1987, p. 312).
L’ambassadeur de France Mérillon télégraphie au Quai d’Orsay : « […] Il règne au Sud-Vietnam un incroyable immobilisme politique et militaire. Les dirigeants SVN font preuve d’une inconscience et d’un irréalisme invraisemblables, même lorsqu’ils admettent en privé la gravité de la situation. Ils sont angoissés, tendus, mais ne font rien. Même attentisme dans le Haut-Commandement qui, décidément, ne connaît d’autre manière de combattre que la défensive. Comme Bazaine à Metz, il laisse ses troupes attendre sur leurs positions ou dans leurs casernements que l’ennemi attaque […] Seule décision de ces jours-ci, le gouvernement vient d’assigner à résidence cinq généraux : Le Quang Thi, Le Quang Tho, Pham Van Phu, Nguyen Duc Thieu et Phan Quoc Thuan, et plusieurs colonels chefs de province que le président Thieu rend responsables du désastre […] Les porte-avions « Midway » et « Okinawa » ont quitté Suby Bay (Philippines) et le « Handrock » (Singapour), pour rejoindre l’« Enterprise » et le « Coral Sea », déjà sur place avec quatre bâtiments amphibies qui ont participé au recueil des réfugiés. » (cité in Toinet, 1998, p. 389)
Au Cambodge, arrivée de l’état-major kr à Phnom Penh. Il s’installe dans une gare désaffectée qui devient son QG. Les Khmers rouges exigent à nouveau que les Cambodgiens réfugiés à l’ambassade de France leur soient livrés.
21 avril 75 : La ville de Xuan Loc, défendue jusqu’alors par la 18e division s-v (général Dao), tombe définitivement. Les derniers éléments parviennent à s’exfiltrer dans une opération baptisée « opération surprise et diversion ». La division a perdu 30 % de ses effectifs et se regroupe avec son artillerie autour des bases aériennes de Long Binh et Bien Hoa. Les parachutistes qui ont eu moins de pertes se mettent en position sur la route 15 protégeant l’accès au cap Saint-Jacques (Tood, 1987, p. 316).
Pour faciliter l’opération en cours, on assiste à l’une des rares et seules utilisations par les S-V d’une bombe CBU-55 américaine dans le secteur de Xuan Loc. Elle vise un poste de commandement de la 341e division n-v. Cette bombe chargée de gaz tue principalement par suffocation 250 hommes en raréfiant l’air dans son périmètre d’explosion. Selon Snepp, cette attaque dénoncée par les N-V provoque une riposte sur l’aéroport de Bien Hoa dont les pistes d’atterrissage deviennent rapidement impraticables (Snepp, 1979, pp. 324-325). Trois exemplaires de ce type de bombes avaient été livrés le 16, une seule a servi car le pilote américain qui devait larguer les deux autres n’est jamais arrivé (Tood, 1987, pp. 316-317).
Thieu démissionne. Il organise une cérémonie au palais présidentiel à laquelle participent l’ancien premier ministre Khiem et son successeur officiel, le vice-président Tran Van Huong. À 19 h 40, il prend la parole à la télévision et à la radio pour un long discours improvisé, accablant les Américains et annonçant officiellement sa démission. Il termine son intervention par un : « Je démissionne. Je ne déserte pas. » (Tood, 1987, pp. 3123-315)
C’est le vice-président Tran Van Huong qui officiellement prend sa succession. Il prête serment immédiatement et prononce un rapide discours qui, quant à lui, se termine par un « Je partagerai le sort des soldats sur les champs de bataille ! » (cité in Tran Van Don, 1985, p. 362).
Au préalable, Thieu a fait savoir qu’il voulait que la passation de pouvoir se fasse « constitutionnellement ». Mais c’est en fait une transition de façade car sa succession sera rapidement prise par le général Minh (voir 28 avril). Elle est avalisée par le chef d’état-major Cao Van Vien et les Américains qui craignent toujours un coup d’État de Nguyen Cao Ky (Snepp, 1979, p. 305). Thieu demeurera à Saigon jusqu’au 25 dans une résidence dans laquelle, selon Snepp, « il ruminait une revanche et rêvait de reconquérir sa grandeur passée. » (Snepp, 1979, p. 334)
Dans une intervention télévisée, Gerald Ford met en place son argumentation justificative : les S-V ont battu en retraite parce que le Congrès n’a pas su voter une aide militaire suffisante. Mais il passe aussi rapidement à d’autres sujets : danger de la guerre au Moyen-Orient et risque d’un embargo pétrolier, la stabilisation du taux d’inflation et la reprise des ventes du commerce de détail aux U.S.A. Si l’on excepte la question de l’évacuation, la page du S-V est désormais définitivement tournée aux États-Unis (Tood, 1987, p. 318).
22 avril 75 : Le premier secrétaire à l’ambassade de France à Saigon, Pierre Brochand, se tient dans l’entourage du général Minh. Apprenant que Tran Van Don a des prétentions sur la présidence, il le rencontre et lui fait savoir que le seul interlocuteur accepté par les N-V sera le général Minh (Snepp, 1979, p. 334). Selon les mémoires du général n-v Van Vien Dung, les Français ont dépêché auprès de Thieu un conseiller, le général François Vanuxem que Thieu avait connu lors de la première guerre d’Indochine dans le rôle de conseiller militaire de l’armée s-v (Snepp, 1979, p. 334).
Le porte-parole du G.R.P. à Tan Son Nhut (commission militaire mixte bipartite issue des accords de Paris) fait savoir à des journalistes que le départ de Thieu ne change rien et que l’appel à un cessez-le-feu du vice-président Tran Huong n’est pas recevable. C’est une illusion à laquelle se raccroche la nouvelle équipe gouvernementale s-v ainsi que certains Américains : Polgar, dirigeant de la C.I.A. à Saigon, l’ambassadeur Martin et, dans une moindre mesure, Kissinger. Les N-V ont choisi l’option de la victoire militaire et non celle des négociations. Ce dernier faux espoir des Américains ne fait que retarder encore un peu plus l’évacuation de leurs ressortissants et de leurs alliés s-v (Snepp, 1979, p. 308).
De leur Q.G. de Loc Ninh, Le Duc Tho et Pham Hung (commandant le Bureau central pour le Sud-Vietnam, le C.O.S.V.N.) mettent au point le plan définitif de la chute de Saigon. Il s’agit de faire tomber les défenses extérieures le 27 puis de pénétrer le 29 dans la ville avec des unités blindées pour prendre le palais présidentiel, le Q.G. du commandement militaire, la direction de la Police générale et l’aéroport de Tan Son Nhut (Snepp, 1979, p. 310). Le Duc Tho câble au général Van Vien Dung (commandant en chef des forces n-v) : « Chaque jour compte […] Il faut déclencher à temps l’assaut dans toutes les directions. Tout retard risque d’entraîner des conséquences fâcheuses, tant sur le plan politique que sur le plan militaire. » Le premier secrétaire du Parti, qui n’a pas oublié les accords de Genève de 1954, craint l’élaboration d’une solution politique qui priverait encore une fois le N-V d’une victoire totale (Tood, 1987, p. 319).
Un balai aérien se met en place pour évacuer les ressortissants américains sans que les choses soient vraiment guidées par les hautes instances dirigeantes. Kissinger, qui traîne les pieds, demande au Congrès d’assouplir les textes législatifs sur l’immigration. 130 000 Indochinois pourront être accueillis et notamment 50 000 Vietnamiens appartenant à la catégorie « haut risque », c'est-à-dire ceux qui ont collaboré étroitement avec les Américains ou le gouvernement s-v. Cet assouplissement tardif des règles administratives n’empêchera pas l’émergence d’une situation chaotique (Snepp, 1979, p. 319).
23 avril 75 : Gerald Ford enterre une nouvelle fois (voir 21 avril) la guerre du Vietnam en déclarant à l’université de Tulane : « Aujourd’hui, les Américains peuvent retrouver un sentiment de fierté qu’ils éprouvaient avant le Vietnam. Mais ils ne le feront pas en livrant à nouveau une guerre qui est terminée. Ces événements, pour tragiques qu’ils soient, n’annoncent pas la fin du monde ni le leadership américain dans le monde. » Il est ovationné.
Divers complots se mettent en place pour tenter d’éliminer Thieu. Nguyen Cao Ky et Tran Van Don en sont les principaux et habituels instigateurs. Thomas Polgar, chef de la C.I.A. à Saigon, suggère d’accomplir la besogne mais ne sera pas suivi par William Colby, directeur de la C.I.A., toujours convaincu que la chute de Diem en 1963 avait été une erreur qu’il ne fallait pas reproduire ici.
Tran Van Don reçoit les généraux Vinh Loc (adjoint au chef d’état-major général), Nguyen Bao Tri (écoles militaires de l’état-major général), les colonels Nguyen Dui Loi, Vu Quang, Tran Ngoc Huyen qui évoquent avec lui la destitution du chef d’état-major général Cao Van Vien. On envisage plusieurs possibilités mais le temps, un soutien des Américains et la volonté manquent (Tran Van Don, 1985, pp. 365-366).
Le bouillant Nguyen Cao Ky se rend en hélicoptère au palais présidentiel pour rencontrer le président Tran Van Huong. Ce dernier lui rappelle qu’il faut négocier et que Mérillon (ambassadeur de France à Saigon) ainsi que beaucoup d’autres ne jurent que par le neutraliste général Minh. Nguyen Cao Ky n’entend pas baisser les bras et estime que l’armée s-v a encore des ressources et surtout besoin d’un leader énergique. Il propose à Tran Van Huong de le nommer chef d’état-major interarmes. Le président biaise et propose de le nommer conseiller militaire spécial du gouvernement. L’ambitieux Ky repart déçu (Tood, 1987, p. 326).
Kissinger, manquant de discernement en espérant une intervention soviétique qui n’aboutira pas, adresse un télégramme à l’ambassadeur Martin dans lequel il évoque toujours la possibilité de mise en place d’un gouvernement capable de négocier avec les N-V alors que ceux-ci ont fait le choix d’une victoire purement militaire : « Deux options sont possibles. Ou bien nous essayons de faire surnager le gouvernement Huong pendant un certain moment. Ou bien, comme le préconisent les Français, nous essayons de mettre sur pied un nouveau régime acceptable par les communistes. » (Snepp, 1979, p. 323 et pp. 325-326)
Minh rencontre le général Binh, chef de la police à Saigon. Ce dernier avait été épargné par Minh lors du coup d’État contre Diem en 1963. On envisage pour apaiser les communistes de relâcher des prisonniers politiques et Binh se rallie à celui qu’il pressent être le seul recours face à l’intransigeance n-v (Todd, 1978, pp. 328-329).
24 avril 75 : Rencontre entre Minh et le chef d’état-major Cao Van Vien à 10 h 00. Il est décidé que ce dernier demeure à son poste.
Minh rencontre secrètement à 13 h 00 le président Tran Van Huong. Le général refuse le poste de premier ministre et demande celui du chef de l’État. Huong, réticent à lâcher ses fonctions, lui répond que les choses doivent être faites en respectant la constitution, un point qui semble avoir été également très cher à l’ambassadeur Martin. À l’issue de l’entretien, Huong ne prend aucune décision (Todd, 1978, pp. 328-329). Pour autant, Minh songe à former un futur gouvernement censé rallier toutes les sensibilités politiques et religieuses du pays acceptables par le G.R.P. Il se réserve donc la présidence et les affaires militaires. Son vice-président serait le sénateur Huyen, un catholique modéré proche des nationalistes qui serait chargé de négocier avec l’adversaire (Todd, 1978, p. 329).
L’éphémère premier ministre Nguyen Ba Can qui avait succinctement remplacé Khiem offre la démission de son cabinet à 16 h 00.
Tran Van Don rencontre à 16 h 00 l’ambassadeur de France à Saigon Mérillon. Celui-ci lui confirme qu’Hanoi exige le général Minh pour négocier et refuse d’avoir à faire avec les proches de Thieu et de son gouvernement (Tran Van Don, 1985, pp. 368-369).
À 17 h 00, Minh réunit quelques journalistes et leur déclare qu’il a refusé le poste de premier ministre que lui offrait le président Huong.
Graham Martin autorise l’évacuation du personnel vietnamien de l’ambassade américaine. Un départ massif par le cap Saint-Jacques est prévu mais si, du fait de la chute de Saigon, l’afflux est trop important. Polgar (dirigeant l’antenne de la CIA à Saigon) demeure en contact avec le général Bui The Lan, commandant les marines s-v, qui a ordre de couper les ponts afin d’éviter un engorgement total du cap (Todd, 1978, p. 331).
Aux États-Unis, la polémique enfle entre Kissinger et le secrétaire d’État à la Défense Schlesinger. Ce dernier reproche par voie de presse au secrétaire d’État à la Sécurité nationale de ne pas avoir hâté l’évacuation des Américains de Saigon. Kissinger s’y résout enfin (Snepp, 1979, p. 315).
Du Cambodge, Ieng Sary (Affaires étrangères) se rend en Chine pour obtenir d’urgence une aide en produits de première nécessité (riz, pétrole, médicaments, etc.) et évoquer la question du renforcement de l’armée du K.D. Dans l’avion qui l’emmène est présent Shen Chia, directeur adjoint du département des relations internationales du Comité central du P.C.C. Sary obtiendra entière satisfaction à ses demandes (Richer, 2009, p. 68). Il atterrit à Pékin le 24 à bord d’un Boeing 707 chinois. Selon Suong Sikoeun, un proche de Sary au ministère des Affaires étrangères, « il est évident qu’à partir de 1971, quand il abandonna ses fonctions de secrétaire de la région Nord-Est pour devenir l’envoyé spécial de la résistance intérieure auprès du prince Norodom Sihanouk à Phnom Penh, Ieng Sary a été marginalisé alors que le Comité permanent du Comité central du P.C.K. prenait [en son absence] des décisions capitales relatives à l’évacuation des villes, à la non-utilisation de la monnaie ou à l’instauration des communes populaires de grande taille. » (Sikoeun, 2013, p. 258) Ces décisions au sein du groupe de dirigeants kr n’avait pas été prise à l’unanimité (voir 4 avril).
Arrivés incognito et sans que l’on sache comment, Pol Pot et ses principaux lieutenants s’installent à Phnom Penh (Deron, 2009, p. 263).
25 avril 75 : Rencontre entre Tran Van Don et Thieu qui a désormais quitté ses fonctions. Ce dernier est au courant de l’intention du président Tran Van Huong de nommer Nguyen Ngoc Huy au poste de premier ministre. Thieu, qui entend conserver un rôle politique, considère que c’est une erreur. Il appelle Huong pour lui faire part de son point de vue et propose Tran Van Don. Il offre à l’intéressé l’occasion de venir en parler avec lui de vive-voix. Selon Don, Thieu déplore de ne l’avoir pas nommé à ce poste plus tôt. Don estime que « c’est un peu tard » et lui conseille de partir au plus vite car il estime que son arrestation est imminente et pourrait être identique à celle de Diem en 1963 (Tran Van Don, 1985, pp. 371-372).
La délégation du G.R.P. basée à Camp Davis sait qu’il n’y aura pas de négociations et que l’aéroport de Saigon va subir des bombardements. Le général Hoang Anh Tuan fait savoir à Hanoi que sa délégation est prête au sacrifice et que les artilleurs n-v ne doivent pas tenir compte de sa présence aux abords de l’aéroport. On se prépare cependant en se retranchant, en creusant des abris et tranchées. Dans ses mémoires, le général Van Tien Dung (commandant en chef n-v) écrit cependant : « Dans l’élaboration de notre plan de tir contre la base de Tan Son Nhut, nous [avons] insisté à plusieurs reprises auprès des responsables pour qu’ils se souviennent de la présence de notre délégation afin d’éviter les pertes. » La délégation du G.R.P. est en effet faiblement défendue, à la merci d’un coup de main des forces s-v (Todd, 1978, p. 338).
Vers midi, la délégation du G.R.P. annonce officiellement par la voix du colonel Vo Dong Giang qu’il n’y aura pas de cessez-le-feu. Il énumère 9 conditions que les Américains doivent remplir : entre autres, le départ de tous les membres de la C.I.A., le retrait de leurs navires des eaux territoriales, le départ de 200 avions prêts à intervenir à partir des porte-avions basés au large du S-V. Il n’y aura aucune négociation : l’actuel et éphémère gouvernement s-v n’est pas reconnu puisque le G.R.P. a demandé, mais sans l’obtenir, la formation d’une nouvelle administration en faveur de la paix, l’indépendance, la démocratie et la concorde nationale (Todd, 1978, p. 342 et p. 442, note 3).
Le président Tran Van Huong a un entretien avec l’ambassadeur Martin. Il se plaint de l’attitude de Thieu qui ne cesse de lui prodiguer des conseils et l’empêche de négocier. Il devient urgent pour tout le monde de se débarrasser au plus vite d’un personnage devenu plus qu’encombrant. Martin fait venir de Bangkok un avion qui est toujours à sa disposition. Le général Timmes propose à Thieu de partir. Celui-ci, se sentant de plus en plus menacé, accepte finalement.
À 20 h 00, Thieu et Tran Thiem Kiem (son ancien premier ministre) quittent le Vietnam pour la Thaïlande via Taipei (Formose, aujourd’hui Taïwan) avec l’aide de la C.I.A. Snepp sert de chauffeur à Thieu jusqu’à l’aéroport de Tan Son Nhut (Snepp, 1979, pp. 335-338). Ce qui n’empêche pas Thieu de qualifier l’abandon des U.S.A. d’« acte inhumain accompli par un allié inhumain ». L’ex-président devra cependant attendre les élections présidentielles américaines pour rejoindre les États-Unis où sa fille y accomplissait des études (Snepp, 1979, p. 453). Il n’obtiendra une carte de résident américain qu’en 1985 et vivra dans l’intervalle à Londres (Todd, 1978, p. 413).
L’ambassadeur Martin reçoit tardivement des instructions de la bureaucratie de Washington l’autorisant à rapatrier 25 000 Vietnamiens aux U.S.A. (Tood, 1987, p. 284).
25 – 27 avril 75 : Au Cambodge, création d’un « comité d’élections » durant le deuxième congrès national du P.C.K. nommé également « congrès national spécial » selon Radio Phnom Penh.
Y assistent « cent vingt-cinq représentants des organisations du peuple », 112 délégués militaires, « vingt représentants du clergé bouddhiste », 54 représentants du Front national unis et du gouvernement royal, ainsi que les principaux dirigeants : Pol Pot, Ieng Sary et Khieu Samphan (Biernan, 1998, p. 68)
Le congrès définit le statut des potentiels élus (quasiment tous des militaires) et des électeurs : « ont droit de vote tout homme et toute femme âgés de plus de 18 ans qui n'ont pas commis de crime depuis le 17 avril 1975, quelle que soit leur classe sociale précédente, leurs idées politiques ou religieuses, que leur libération date d'avant ou d'après le 17 avril. » Dans les faits, selon Ponchaud, « dans certains villages, seuls les combattants [voteront] ; dans d'autres, les travailleurs [cesseront] leur tâche pendant quelques instants pour aller déposer dans une urne un bulletin portant le nom d'un unique candidat parfaitement inconnu des électeurs... » (Ponchaud, 1977, p. 144)
Le 27, Khieu Samphan (vice-premier ministre et ministre de la Défense) rend publique les résolutions « adoptées à l’unanimité » : « le grand vainqueur est le peuple », le pays sera « un Cambodge indépendant, pacifique, neutre, souverain, non-aligné, possédant son intégrité territoriale ». Sihanouk est « une grand patriote de haut rang » qui assume le poste de « chef de l’État » (cité in Biernan, 1998, pp. 68-69) Ce congrès confirme donc (en théorie…) Sihanouk comme chef de l’État et Penn Nouth comme premier ministre du G.R.U.N.K. et président du bureau politique du F.U.N.K. (Sihanouk, 1979, p. 260).
26 avril 75 : Les généraux Vien et Tran Van Don pressent le président Tran Van Huong de démissionner, ce qu’il accepte de faire vers midi et accomplira véritablement le 27. Pour autant, atteint d’un accès de fièvre légaliste, Huong convoque le parlement. Après avoir rencontré Minh, il soumet à l’assemblée deux propositions : ou remettre le pouvoir au général Minh ou qu’on lui laisse le soin de désigner un premier ministre chargé de négocier. Ce premier ministre serait le général Tran Van Don qui réunit immédiatement son entourage et réfléchit à un texte pour négocier.
À 16 h 00, l’ambassadeur français Mérillon téléphone au général Tra Van Don et l’informe que si ce n’est pas Minh qui est nommé, les N-V attaqueront dès cette nuit et entreront dans Saigon. L’ambassadeur américain Martin confirme les dires de son homologue français. Le général Tran Van Don jette donc définitivement l’éponge. Tran Van Huong, informé par Don des exigences n-v, envisage de démissionner le lendemain. Selon Don, Minh lui confie : « Encore une fois, tu as bien travaillé pour le pays ! » (Tran Van Don, 1985, pp. 373-375).
27 avril 75 : Le président Tran Van Huong réunit jusqu’à 12 h 00 chez lui, « pour réaliser un scénario parlementaire et constitutionnel », Tran Van Lam (président du Sénat), Tran Van Ut (président de la Chambre des députés), Tran Van Linh (président de la Cour suprême), Nguyen Ba Can (premier ministre), Nguyen Van Hao et Tran Van Don (vice-premiers ministres), le général Cao Van Vien (chef d’état-major général). Il leur demande comment il peut légalement transférer ses fonctions à une personnalité non prévue par la Constitution qu’il ne nomme pas mais dont chacun sait qu’il s’agit du général Minh. La conclusion de cette consultation est que seule l’Assemblée peut en décider. Le général Cao Van Vien lui demande de le destituer car il estime ne pouvoir servir sous les ordres de Minh. Huong accepte cette proposition (Tran Van Don, 1985, p. 375).
À 15 h 00, Tran Van Don apprend par Mérillon (ambassadeur de France à Saigon) que si Minh n’apparaissait pas rapidement comme négociateur, les N-V rompraient la trêve et attaqueraient dès 18 h 00, en pilonnant Saigon avec leur artillerie lourde. Il est donc urgent de réunir les parlementaires.
Tra Van Lam (président du Sénat) entend convoquer au plus tard à 19 h 00 une session spéciale du Parlement. Nguyen Ba Canh (premier ministre démissionnaire) fait diffuser la convocation du Parlement par la radio et la télévision afin d’atteindre le plus rapidement possible un quorum.
À 18 h 00, Tran Van Don fait un point sur la situation militaire avec Cao Van Vien (chef d’état-major général), Tho (chef du 3e Bureau), Minh (toujours pour l’instant gouverneur militaire de Saigon) et le chef du 2e Bureau, Nguyen Van Hao (vice-Premier ministre).
À 18 h 45, Tran Van Don se rend au Sénat où sont présents pour l’instant 100 des 200 parlementaires élus. À 19 h 30, le quorum est atteint avec 138 élus. Le général Tran Van Don prend alors la parole et dresse un tableau particulièrement sombre de la situation militaire ignorée de certains parlementaires : 4 corps d’armées (16 divisions) n-v encerclent Saigon, tous dotés d’artillerie lourde et de blindés et il n’y a plus, côté s-v, de réserves générales. Nguyen Van Hao veut dresser un point sur la situation économique mais est interrompu par le sénateur Ton That Dinh qui estime qu’il y a d’autres priorités du moment… L’autre, imperturbable, poursuit cependant dans cette voie…
Don se rend chez le président Tran Van Huong où il apprend que 136 députés sur 138 ont donné les pouvoirs à Minh. Ce dernier, ne suivant pas les conseils de Don sur l’urgence de la situation, n’entend cependant se faire investir que le lendemain. Minh quitte d’ailleurs son interlocuteur sur une boutade : « On a le temps […] plus on sera nombreux en enfer, plus gais on y sera ! » Selon Don, « la nouvelle du retour de Minh au pouvoir reçut un accueil mitigé à Saigon et dans le Delta. » L’administration se désintègre progressivement. Il en est de même au sein de l’armée avec la démission du chef d’état-major général Cao Van Vien. C’est le général Doan Van Kuyen qui sera chargé de l’expédition des affaires courantes (Tran Van Don, 1985, pp. 375-379).
Le sous-secrétaire à la Défense Eric Von Marbod se rend à la base aérienne de Bien Hoa pour récupérer ou faire détruire l’immense matériel technologique haut de gamme entreposé par les Américains. Le temps manque. De retour à Saigon, il demande aux S-V si des frappes aériennes de destruction pouvaient être accomplies sur les entrepôts. Il lui est répondu par Nguyen Cao Ky que l’efficacité de la D.C.A. n-v l’interdit désormais. Ses tentatives ultérieures échoueront. Marbod revoit Ky le soir. Ce dernier, toujours aussi fougueux, pense que l’armée s-v peut encore tenir quelques mois en se regroupant dans le Delta. A la question d’une éventuelle aide américaine, Marbold répond négativement et conseille à Ky d’évacuer sa famille sans tarder (Todd, 1987, p. 346 et 349).
27 - 30 avril 75 : Offensive sur Saigon, qui se finira par la chute de la ville le 30 à midi. Minh annonce une reddition sans condition du gouvernement du Sud-Vietnam.
28 avril 75 : Le président Tran Van Huong quitte le pouvoir et le cède au général Minh. Dans la matinée, ce dernier cherche à constituer son gouvernement. Peu de candidats lui conviennent. Il décide de ne faire son choix qu’après avoir prêté serment. Son conseiller, le général français Vanuxem dépêché par l’ambassade, l’exhorte cependant toujours à poursuivre le combat. Puis Minh rencontre le général américain Timmes qui lui propose l’asile. Il refuse (Snepp, 1979, pp. 355-356).
Martin rencontre l’envoyé du Pentagone, le sous-secrétaire d’État à la défense Erich Von Marbod, chargé de rapatrier le matériel militaire américain avant qu’il ne soit saisi par les N-V. Martin lui demande toujours « de ne rien faire qui puisse diminuer la capacité de résistance de l’armée sud-vietnamienne » car l’ambassadeur demeure persuadé que cette éventualité pourra peser dans les négociations à venir. Toujours plein d’illusions, il demeure persuadé que les N-V vont respecter une des clauses de l’accord de Paris, à savoir la démilitarisation du S-V… Invité à déjeuner chez l’ambassadeur, Marbod observe que ce dernier n’a fait aucun préparatif de départ ni même programmé l’évacuation de son épouse. Pour Martin, le maintien de sa présence a « une influence sécurisante » sur les Vietnamiens… Ne respectant pas les consignes de l’ambassadeur, l’envoyé de Pentagone tente de faire évacuer le matériel sensible de Bien Hoa sans beaucoup succès car il est trop tard (voir 27 avril) (Snepp, 1979, pp. 356-357).
Vers 17 heures a lieu la passation de pouvoir entre Tran Van Huong et Minh dans la salle de réception du palais présidentiel qui réunit 200 personnalités (généraux, parlementaires, opposants). Minh, toujours plein d’illusions, prononce une brève allocution de 20 minutes. Il demande un cessez-le-feu, la tenue d’une conférence de paix dans le cadre des accords de Paris, en appelle à la réconciliation… Il prononce quelques mots, là encore plein d’égarements, pour soutenir le moral de l’armée : « Lorsque viendra l’ordre de cessez-le-feu, votre mission consistera à exécuter strictement cet ordre, dans l’esprit des accords de Paris, et à maintenir le calme dans vos régions. » (Snepp, 1979, pp. 358-359) Il oublie un peu vite que les N-V ne veulent pas de cessez-le-feu mais une reddition sans conditions. Minh nomme Vu Van Mau au poste de premier ministre. Kissinger l’a toujours pourtant considéré comme « le plus incompétent et le plus apathique de tous les personnages importants de Saigon. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 088) L’armée est représentée par les généraux Doan Van Khuyen (chef d’état-major) et Tran Van Minh (armée de l’air). L’avocat Nguyen Van Huyen est nommé vice-président, chargé des négociations avec le G.R.P. Tran Van Don, ayant fait partie de l’équipe de Thieu, renonce à toute future responsabilité gouvernementale. Toutefois, il occupera ses fonctions à la Défense jusqu’au 29, date à laquelle il donnera sa démission au premier ministre Vu Van Mau (Tran Van Don, 1985, pp. 379-382 ; Todd, 1987, pp. 354-355). Peu après, Radio Libération commente cette passation de pouvoir en infligeant une douche froide à tous ceux – et il n’en manque pas… – qui ont encore des illusions quant à l’attitude des N-V : Minh n’est pas reconnu et « les combats cesseront que lorsque les troupes de Saigon auront déposé les armes et que tous les navires américains auront quitté les eaux sud-vietnamiennes. Nos deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait un cessez-le-feu. » (Todd, 1987, pp. 355-356)
À 18 h 00, les N-V opèrent une attaque aérienne sur Saigon et son aéroport. Elle sera la seule et unique lors de la bataille de Saigon. Selon Snepp, elle n’a rien à voir avec la récente passation de pouvoir car elle avait été programmée longtemps à l’avance. Les avions utilisés, 5 A-37, ont été pris à l’armée s-v et ont décollé de la base de Phan Rang située sur le littoral. L’attaque a été bien menée car dirigée par un officier déserteur qui connaît le secteur. 6 bombes détruisent de nombreux appareils s-v et endommagent les installations de l’aéroport mais sans réellement altérer le fonctionnement des pistes. Selon un rapport, « aucun appareil de l’armée de l’Air américaine n’est touché » mais un climat de panique s’installe à l’ambassade américaine. (Snepp, 1979, pp. 359-360).
La nouvelle de ce bombardement préoccupe Ford et Kissinger qui ont, tardivement, plus que des doutes sur l’habituel optimisme de Martin. Ce dernier assure pourtant que les évacuations par avions sont toujours possibles. Peu de monde à Washington croit encore en la possibilité de négociations : Schlesinger n’y croit pas, Kissinger est sceptique. Seul Colby pense que Saigon peut encore tenir deux à trois jours (Snepp, 1979, p. 366).
Comme pour mieux détruire les dernières illusions des S-V et des Américains, à Paris, le représentant du G.R.P. Phan Van Ba et l’ambassadeur n-v Vo Van Sung, reçus au Quai d’Orsay, font savoir aux journalistes à leur sortie qu’ils ne reconnaissent ni Minh ni son gouvernement, que les États-Unis doivent se retirer et se désolidariser de l’action de ce dernier dans le strict respect des accords de Paris (Snepp, 1979, pp. 364-365 ; Todd, 1987, p. 357).
Des brèches apparaissent dans la ceinture défensive de Saigon. Elles sont rapidement colmatées. Pour autant, une atmosphère de panique règne dans la ville : les coupures d’électricité se multiplient et on observe de nombreux abandons d’effets militaires jonchant les rues accomplis par une armée s-v en totale déroute.
Le chef d’état-major de Thieu, le général Cao Van Vien, s’enfuit dans un avion américain pour Bangkok d’où il rejoindra les U.S.A. (Toinet, 1998, p. 421).
Nuit du 28 au 29 avril 75 : Attaque n-v de l’aéroport de Saigon à la roquette et par des tirs d’artillerie. Il est désormais difficilement utilisable pour les évacuations par gros porteurs comme l’espérait initialement l’ambassadeur Martin. Les bombardements touchent également à Saigon les locaux de l’état-major général. Ces attaques se prolongeront jusqu’à la chute définitive de Saigon, le 30 (Snepp, 1979, p. 370). Les instances de la commission internationale de contrôle (polonaises, hongroises et américaines) proches de l’aéroport sont également affectées par ces bombardements. Seuls les locaux du G.R.P. ont été récemment dotés au préalable d’abris anti-bombardement (Snepp, 1979, p. 373).
29 avril 75 : Selon Snepp, le commandant en chef Van Tien Dung reçoit des instructions du Politburo d’Hanoi lui donnant l’ordre de resserrer l’étau sur Saigon mais sans avoir reçu pour autant l’ordre d’interrompre le pont aérien d’évacuation mis en place par les Américains. Dung fait part de ses réserves mais doit s’incliner devant la volonté de Le Duan et des dirigeants qui voient là un moyen de réduire les risques d’une intervention aérienne américaine (Snepp, 1979, pp. 372-373).
Kissinger met enfin laborieusement au point avec l’ambassadeur Martin l’opération Frequent Wind qui vise à organiser le départ des derniers Américains et des S-V les plus compromis (plan de Saigon et des principaux bâtiments administratifs et militaires in Todd, 1987, p. 55). La coordination de cette évacuation n’est pas parfaite. Loin s’en faut. Martin, défenseur acharné du S-V, s’est longtemps bercé d’illusions et a beaucoup trop tardé. Il faut alors prioriser dans l’urgence en privilégiant l’évacuation des « hauts risques ». L’aéroport de Than Son Nhut, menacé par les tirs de roquettes et, depuis le 28, par des raids aériens n-v, ne peut plus accueillir qu’à très brève échéance le pont aérien par gros porteurs C-130. Seuls les hélicoptères pourront désormais assurer les navettes vers les porte-avions et les porte-hélicoptères de la 7e Flotte qui croisent au large de Saigon. Au total et par divers moyens, 7 800 Américains et 45 000 S-V vont être évacués. Grâce à l’opération héliportée, on évacuera 1 000 Américains et 6 000 S-V par le biais de 70 appareils en moins de 24 heures mais non sans éviter les mouvements de panique (Burns Sigler, 1992, p. 134 ; Snepp, 1979, p. 366).
Télégramme de l’ambassadeur de France décrivant la situation dans la capitale s-v : « Saigon est depuis hier une ville assiégée. L’ambiance a changé d’un seul coup après le bombardement de la nuit dernière avec le couvre-feu et le départ précipité des Américains. Elle évolue de manière inquiétante. L’évacuation des 940 Américains qui restaient à Saigon ce matin et de nombreux Vietnamiens se poursuit à un rythme rapide dans un véritable carrousel d’hélicoptères. Elle provoque une psychose de fuite qui accélère la décomposition du pays […] l’EM, les officiers supérieurs sont partis, partent ou ont disparu […] On ne trouve plus un responsable dans les bureaux, les téléphones ne répondent plus […] Le couvre-feu a bloqué toutes les activités de la ville ; il n’a empêché ni la circulation de reprendre ni le pillage des établissements américains abandonnés. À New Port, une foule dense est en train de piller le port. » (cité in Toinet, 1998, pp. 389-390)
À 19 h 30, heure de Washington, 7 h 00, heure de Saigon, Ford réunit un C.N.S. à la Maison Blanche. Sont présents Kissinger, Schlesinger (Défense), Colby (C.I.A.) et George Browne (président du comité des chefs d’état-major). Kissinger temporise à nouveau, il n’y a pas, selon lui, urgence à lancer un pont aérien d’hélicoptères puisque l’aéroport de Tan Son Nhut est toujours opérationnel. Les avis divergent sur les moyens, on décide finalement d’envoyer des Philippines 7 C-130 vers l’aéroport à titre d’essai. On décide également du sort de l’ambassade américaine : Hanoi n’en veut absolument plus même si Martin espère toujours maintenir une présence américaine à Saigon… Ford propose alors un compromis bancal et risqué : le personnel sera réduit à un strict minimum de 150 personnes. Le reste du personnel ainsi que celui de la mission militaire doivent être évacué dans la journée (Snepp, 1979, pp. 377-378 ; Todd, 1987, p. 361).
D’Honolulu, l’amiral Gayler considère que la situation est grave et ne partage pas « les points de vue euphoriques de M. Polgar [dirigeant l’antenne de la C.I.A. à Saigon]. » Il recommande prudemment à Martin d’évacuer l’ambassade au plus vite. Il veut aussi évacuer tous les généraux américains avant qu’ils ne tombent dans les mains des communistes, et notamment le général Homer Smith, placé sous ses ordres, qui assure les évacuations à Camp Davis. Martin approuve également ce départ (Todd, 1987, pp. 361-362).
À 7 h 30, Martin organise une réunion à l’ambassade. Malgré les observations alarmantes de Polgar et des gens qui sont allés aux abords de l’aéroport et ont décrit une situation de plus en plus tendue des évacuations, Martin élude encore quant à l’utilisation des seuls hélicoptères. Il veut se rendre sur place mais reçoit un coup de fil de Kissinger qui l’informe des décisions irréalistes du C.N.S. On n’aborde pas la question de l’évacuation des « hauts risques » dont le sort est abandonné à l’atterrissage hasardeux des C-130 en provenance des Philippines ou de péniches que l’on n’a pas utilisées jusqu’alors (Snepp, 1979, pp. 378-379). Au final, Martin abandonne temporairement son ambassade et prend la route de Tan Son Nhut (Snepp, 1979, p. 380 ; Todd, 1987, pp. 363-364).
À 8 heures, Tran Van Don se rend dans les locaux de l’état-major s-v qui sont bombardés. Le nouveau chef d’état-major général s-v, Doan Van Khuyen, est exténué. Son rapport est très sombre : des saboteurs n-v tiennent encore les bouts de piste de l’aéroport et empêchent tout décollage ou atterrissage ; la ceinture de défense tient encore mais les N-V sont à Hoc Mon et Cu Chi, à 10 km de Tan Son Nhut ; le couvre-feu est maintenu du fait du tir de roquettes incessant.
À 8 h 15, on décide de l’évacuation par hélicoptères des Américains de la mission militaire de Camp Davis, proche de l’aéroport. Les Vietnamiens en attente d’évacuation y sont abandonnés à leur sort (Snepp, 1979, pp. 381-382).
À 9 h 00, Martin arrive à la mission militaire de Tan Son Nhut (camp Davis) qui dépend de l’ambassade. Il est accueilli par le général Smith et le colonel Luong, chef du service de renseignement s-v, qui répondent à ses questions. La situation militaire est désespérée car l’armée s-v s’effondre partout. Il n’y a plus de troupes pour défendre l’aéroport. Pour autant, Martin entend respecter la décision du C.N.S. de continuer à évacuer par gros porteurs. Il a une altercation avec le sous-secrétaire à la Défense Von Marbod, excédé lorsque Martin lui demande d’évacuer sa propre épouse par gros porteur. Une explosion proche du bunker le ramène enfin à une certaine forme de réalité au moment de son départ. Et ce d’autant plus que l’état des pistes désormais jonchées de débris interdit aux avions en provenance des Philippines d’atterrir (Snepp, 1979, pp. 385-386).
À 9 h 15, Tran Van Don téléphone à Minh au sujet de la nomination d’un nouveau chef d’état-major général. Minh ne veut pas d’un adjoint politique mais d’un « vrai technicien ». Il décide de provoquer une réunion des généraux en vue pour ce poste.
Nguyen Cao Ky a poursuivi un temps la direction des combats à la tête de son avion mais il renonce à 9 h 30 estimant que « tout est fini ». Au final, il s’est rallié bon an mal an à Minh. Parti de l’état-major interarmes proche de Tan Son Nhut, il rejoint dans le courant de la journée à bord de son hélicoptère personnel la 7e Flotte américaine en compagnie de l’ancien commandant de la première région militaire le général Ngo Quang Truong.
Vers 11 h 00, les grilles de l’ambassade américaine sont cadenassées pour faire face au flot de réfugiés chez qui la tension monte.
À Washington, Schlesinger (ministre de la Défense) parvient enfin à convaincre l’un des adjoints de Kissinger, Brent Scowcroft, d’avoir recours uniquement aux hélicoptères pour opérer les évacuations. À 10 h 30, le général Smith contacte l’amiral Gayler, commandant la flotte américaine à Honolulu, pour passer à l’ « option IV », c'est-à-dire celle de l’évacuation uniquement par hélicoptères. Or Gerald Ford, noyé par les informations contradictoires, tergiverse toujours et décide de consulter Martin. Ce dernier, joint par Kissinger, se résout enfin à n’avoir recours qu’aux hélicoptères à 22 h 45, heure de Washington. Le déclenchement de l’opération Frequent Wind n’est ordonné par le président américain qu’à 22 h 51 à Washington, 10 h 51 à Saigon.
À 11 h 30, Polgar ne croit plus en une solution politique. Minh lui a demandé l’évacuation de 5 membres de sa famille (mais non de son épouse) par le biais du général Smith du Defense Attache Office. Après avoir laissé traîner une réunion, il les emmènera à 14 h 00 à l’aéroport de Tan Son Nhut.
À 12 h 30 décolle une première vague de 36 hélicoptères lourds basés sur l’USS Handcock, un des navires de la Task Force 76 commandée par l’amiral Donald Withmire (35 gros navires et une noria de vedettes, chasseurs de mines et jonques armées). Le balai d’hélicoptères qui se divise pour aller déposer les marines assurant le service d’ordre est protégé par des hélicoptères Cobra et des chasseurs Phantom en provenance de Thaïlande. Le temps d’acheminement est de l’ordre de 40 minutes car les bateaux ont dû stationner au-delà des eaux territoriales du S-V. L’organisation des vagues d’appareils est difficile à mettre en œuvre et prend du retard. Des ordres de protection de réfugiés multiplient les points de rassemblements dans la ville et près de l’aéroport, à Camp Davis. À Saigon, les toits plats des immeubles sont utilisés comme aires d’embarquement souvent assaillies par la foule paniquée de ceux qui veulent partir.
Les N-V font à nouveau savoir par l’ambassadeur de France Mérillon que toute négociation ne pourra être entamée sans le départ de tous les Américains et de leurs services de Saigon.
À 16 h 30, Mérillon se rend chez Minh pour lui faire part de la réponse négative des N-V pour négocier un cessez-le-feu. Le général s’est finalement fait rouler dans la farine en espérant négocier une trêve. Ses rêves de compromis politique et de gouvernement de « coalition, d’union et concorde nationale » s’envolent, tout comme ceux des ambassadeurs Mérillon et Martin (Tran Van Don, 1985, pp. 384-390 ; Snepp, 1979, p. 382).
Vers 17 h 00, il demeure 1 300 personnes à évacuer dont 840 marines de l’unité de sécurité commandés par le général Carey. Snepp a intercepté un message. Les N-V ont annoncé vouloir bombarder le palais présidentiel à 18 h 00. Il est proche de l’ambassade américaine.
À 17 h 15, il reste toujours environ 1 300 personnes à évacuer à Tan Son Nhut. À l’ambassade américaine, la situation demeure floue. Martin annonce la présence de 1 500 à 2 000 personnes… En fait, leur nombre ne cesse de fluctuer à la hausse.
À 19 h 15, la nuit est tombée et l’électricité est coupée à l’aéroport. Le général Smith décide du départ définitif des occupants de Camp Davis.
Minh convoque l’amiral Chung Tan Cang pour lui demander de conserver intactes les navires de la marine s-v. C’est le début de l’évacuation des réfugiés vers les bateaux par les unités de la marine s-v. Envisagée trop tardivement, les évacuations par bateaux ont été relativement faibles alors qu’elles auraient permis d’emmener beaucoup de monde : 8 navires ont embarqué pas moins de 29 783 réfugiés, principalement au cap Saint-Jacques et sur les îles. Les évacuations aériennes par hélicoptères n’ont sauvé quant à elles que 5 600 personnes (Todd, 1987, p. 386).
Nuit du 29 au 30 avril 75 : Minh et son épouse demeurent au palais présidentiel à attendre les vainqueurs.
Les évacuations se poursuivent toute la nuit à l’ambassade américaine. Selon les ordres présidentiels, elles doivent s’achever à 3 h 45, heure de Saigon. Schlesinger (Défense) insiste pour que priorité soit désormais donnée aux seuls Américains. L’amiral Gayler fait parvenir à Martin un message annonçant l’envoi des 9 derniers hélicoptères et précise que, sur ordre présidentiel, l’ambassadeur devra monter dans le dernier. Il embarque à 4 h 42 (Snepp, 1979, p. 438 ; Todd, 1987, pp. 381-382). Tous les étrangers présents dans l’ambassade (environ 420 personnes) n’ont pu être évacués. À Washington, à 17 h 00, 5 h 00 heure de Saigon, Kissinger annonce l’évacuation de tout le personnel de l’ambassade et donc un plein succès. Or 11 marines y sont demeurés pour assurer les toutes dernières destructions. Ils bloquent de force les accès à la plateforme d’envol. Ordre est donné de les évacuer au plus vite. Cette évacuation a lieu à 7 h 53, heure de Saigon. Le sergent-chef Valdez est le dernier soldat américain à quitter le sol du Vietnam (Snepp, 1979, pp. 439-440). Arrivé à bord du navire amiral, le Blue Ridge, Martin déclare aux journalistes : « Si nous avions tenus nos engagements, comme un État digne de ce nom, tout ceci ne serait pas arrivé. » Ce qui lui vaudra un câble de Kissinger l’appelant à plus de retenue (Todd, 1987, pp. 384-385).
30 avril 75 : À 5 h 30, la 205e brigade blindée n-v traverse le pont de Newport et pénètre dans Saigon. 5 objectifs prioritaires sont visés : le Palais présidentiel, l’aéroport de Tan Son Nhut, l’état-major, le poste de commandement de la 3e région militaire et le siège de la police nationale (Bui Tin, 1999, p. 125).
Vers midi, Minh et son équipe gouvernementale accueillent les officiers n-v. À l’espoir d’une passation de pouvoir en douceur, il leur aurait été répondu : « Vaincu et perdant, vous n’avez plus rien à transmettre. Rendez-vous purement et simplement ! » Selon Bui Tin, c’est lui qui, présent au palais et ayant le grade de colonel est le seul habilité à recevoir la reddition de Minh enregistrée sur un magnétophone d’un journaliste allemand du Spiegel alors présent. Il calme le jeu en dialoguant avec Minh puis rédige dans le bureau présidentiel un article qui paraitra le 2 mai dans le quotidien de l’armée dans lequel il est rédacteur (Bui Tin, 1999, pp. 126-127). À 12 h 15, le drapeau du F.N.L. est hissé sur le palais présidentiel.
Un télégramme de l’ambassadeur de France décrit l’arrivée des communistes : « Les NVN sont entrés à Saigon le 30 à midi, aussitôt après l’ordre du général Duong Van Minh de déposer les armes. Ils n’ont rencontré aucune résistance, les militaires du SVN ont tous disparu comme par enchantement, abandonnant chars et véhicules dans la rue. Les NVN venaient de Bien Hoa et appartenaient à des unités blindées. Tous les véhicules arboraient le drapeau du F.N.L. Ils ont gagné le palais Doc Lap au milieu d’une curiosité plutôt indifférente. Les unités NVN se sont livrées à d’extraordinaires simulacres de combat qui ont empli la ville de fusillades et de coups de canon. J’ai assisté personnellement à l’un d’entre eux, qui a duré plus d’une heure, avec une unité du régiment 235. Tous les soldats que j’ai vus étaient des tonkinois. Il apparaît très manifestement que les NVN ont voulu qu’il soit dit que Saigon a été pris d’assaut au milieu d’un soulèvement populaire […] A 17 heures, le calme était revenu. Des colonnes de chars et d’infanterie sur camion stationnent dans les rues […] L’ambassade de France a pu éviter d’être envahie. On ne signale aucune perte dans la colonie française. » (cité in Toinet, 1998, p. 390)
Au total, les 29 et 30 avril, la force de sauvetage composée de 70 hélicoptères a opéré 630 sorties en 18 heures. 1 373 Américains et 5 595 S-V ont pu rejoindre les bateaux de la 7e Flotte. À l’ambassade américaine ont été évacuées 2 100 personnes dont 978 Américains (Snepp, 1979, p. 441).
20 000 réfugiés débarqués des bateaux s’entassent depuis début avril sur les îles de Guam et Wake dans le Pacifique. À la fin du mois, seuls 1 200 d’entre eux ont été évacués sur la base aérienne de Travis en Californie (Snepp, 1979, p. 308). Selon Snepp, Martin se targuera devant la commission du Congrès d’avoir fait évacuer 22 294 Vietnamiens. Le chiffre n’est pas inexact mais il faut le relativiser en le ramenant aux 90 000 personnes employées par l’ambassade accompagnées de leurs familles (Snepp, 1979, p. 444).
Au Cambodge, à l’ambassade de France de Phnom Penh, 25 camions prennent en charge les 500 derniers occupants pour les emmener vers la frontière thaïlandaise au point de passage de Poipet. Cette évacuation se fera en deux convois, le deuxième partant le 6 mai. Le voyage a une durée de trois jours et demi (Ponchaud, 2005, pp. 47-51 ; Meslin, 2020, pp. 75-87).
31 avril 75 : Les KR profitent de l’affaiblissement du S-V pour lancer une attaque à la frontière vietnamienne qui cause de lourdes pertes en vies et en biens (Biernan, 1998, p. 125).