Mars 73 : La situation demeure difficile pour le Vietcong au S-V comme en témoigne un ouvrage qui sera interdit et disparaitra à Ho Chi Minh Ville peu après sa parution en 1982, tout comme son auteur, purgé et placé en résidence surveillée. C’est celui du général Tran Van Tra, formé chez les Chinois et les Russes et qui avait combattu les Français. Il s’était illustré lors de la bataille du Têt puis avait rejoint le Sud par la piste HCM. Il est rappelé à Hanoï en mars 1973 pour évoquer les graves difficultés que le Vietcong connaît au Sud. Il y déclare que les troupes « étaient épuisées, les unités en plein désarroi. Nous n’avons pu compenser nos pertes. Nous manquions d’hommes, de vivres, de munitions et nous avions beaucoup de mal à faire face à l’ennemi. »
Un certain désarroi habite les cadres locaux s-v qui sont assez passifs du fait de la prétendue application du « cessez-le-feu ». Les dirigeants d’Hanoï savent par leurs espions que Thieu prévoit dans les deux années à venir de s’emparer du plus de territoires possibles pour remporter les élections, ce qui lui permettrait de rejeter l’accord de Paris auquel il n'a d’ailleurs jamais véritablement souscrit. Les S-V sont conscients de l’affaiblissement de leur armée sans l’appui des B-52 américains et des cadres de l’armée américaine. Ils pensent aussi qu’il faudrait des années avant que les troupes du Sud soient aguerries, d’où une attitude de prudence attentiste leur permettant de préparer une solide logistique pour préparer une grande offensive qui n’aura jamais lieu.
Au Cambodge, Saloth Sar (futur Pol Pot) transfère son Q.G. de Kompong Tom à Kompong Chhnang (Centre) dans une zone plus proche de Phnom Penh (Deron, 2009, p. 263).
Au Cambodge, le régime de Lon Lol bat des records d’impopularité. L’accord de Paris n’a pas réussi à apporter plus qu’une accalmie de 4 jours dans les combats et une interruption d’une semaine dans les bombardements américains qui ont repris depuis avec une intensité inégalée. Une grève générale de 16 usines se déclenche à Phnom Penh. Elle sera suivie d’une grève des enseignants et des étudiants contre l’inflation et la corruption du régime. La capitale commence à connaître des problèmes de ravitaillement, notamment en carburant car les KR ont coupé la route de Battambang (Shawcross, 1979, p. 274).
1er mars 73 : Au cours d’un déjeuner de la presse diplomatique, Kurt Waldheim (secrétaire général de l’O.N.U.) reprend les propos qu’il a tenus à Mme Nguyen Thi Binh au sujet de la présence d’un bureau d’observateurs du G.R.P. à l’O.N.U. à New York (à l’image de celui du gouvernement de Saigon). Or le département d’État américain s’opposera à cette mesure en refusant l’obtention de visas (Aubrac, 2000, pp. 391-392).
3 mars 73 : L’ « acte de la Conférence internationale sur le Vietnam » de Paris est paraphé par 12 pays dont la France, l’U.R.S.S, les deux Vietnam, la Grande Bretagne, le Canada, les U.S.A. et la Chine (seules 4 démocraties réelles ont paraphé l’accord). Très inspiré des accords de Genève de 1954, mais encore plus mal conçu (voir mars), il préconise les solutions inabouties qui ont déjà échouées dans le passé (Férier, 1993, p. 117).
Mise en place de la Commission internationale de contrôle et de surveillance (C.I.C.S.) issue des accords de Paris. Elle est composée de deux commissions distinctes. La commission quadripartite gère l’application des dispositions générales. Elle est composée de la Hongrie, la Pologne (toutes deux communistes), l’Indonésie, le Canada (qui se retirera en mai au vu de son inefficacité et sera alors remplacé par l’Iran). Dans son fonctionnement, une violation de l’accord peut alors être constatée mais uniquement par une improbable unanimité des 4 membres… Si constatation de violation il y a, celle-ci est soumise aux deux parties concernées, le Nord et le Sud-Vietnam, et non à une autorité internationale comme cela avait été le cas après les accords de Genève de 1954. D’où une totale inefficacité…
On instaure également une commission bipartite, réunissant les « deux parties sud-vietnamiennes », qui détermine « les zones contrôlées » par chacune d'elles. L'accord – et c’est là sa faiblesse – maintient en effet sur le territoire de l’État sud-vietnamien deux administrations et deux armées distinctes (Isoart, 1996, p. 231).
L’instance quadripartite s’avère être rapidement une coquille vide qui ne contrôle ni ne vérifie rien dès que l’un des belligérants viole le sens de l’accord de Paris. Les 7 équipes régionales qui devaient aller enquêter sur le terrain n’ont jamais vraiment été constituées et se rendent, la plupart du temps, incomplètes, là où un fait délictueux doit être constaté. Selon Todd, « donnant des cocktails et des dîners, jouant au tennis, se baignant dans la piscine du Cercle sportif, les officiers de la C.I.C.S. semblent faire de la figuration juridique. »
La commission bipartite est quant à elle installée à Camp Davis, nom donné en mémoire du premier soldat américain tombé lors du conflit au Vietnam. L’endroit est situé aux abords de l’aéroport de Tan Son Nhut où se trouve installée la délégation du G.R.P. dans un véritable camp retranché qui fait face à la délégation s-v. Aucun consensus n’est possible entre ces deux parties antagonistes (Todt, 1987, pp. 62-67).
4 mars 73 : Libération d’un premier groupe de pilotes américains de la prison Hoa Lo (le « Hilton Hanoi »). Selon Bui Tin qui est revenu de Saigon alors qu’il appartenait au groupe de négociateurs de Camp Davis pour l’événement, « j’étais persuadé – je l’ai dit publiquement alors – et je continue de croire que nous avons libéré absolument tous les Américains que nous détenions à cette époque. Le Duan et Le Duc Tho avaient donné des ordres tout à fait formels à ce sujet parce qu’ils tenaient beaucoup à ce que l’autre partie nous rende aussi rendement que possible et sans marchandage tous nos partisans qu’ils détenaient de leur côté. » (Bui Tin, 1999, p. 115)
6 mars 73 : Selon les accords du 27 janvier, le gouvernement s-v et le G.R.P. devraient organiser des élections dans les 120 jours suite à un accord préliminaire entre les deux parties. Une conférence a lieu à La Celle-Saint-Cloud dans cette perspective. Les N-V font blocage en refusant de s’engager dans un processus d’élections générales qui aurait dû fixer rapidement un calendrier. Selon Nguyen Phu Duc, il n’est même pas certain qu’Hanoi veuille un S-V autonome sous l’autorité du G.R.P. (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 372-373). Ce dernier est militairement affaibli et doit faire face depuis longtemps à l’hégémonie toute puissante du P.C. n-v.
7 mars 73 : Les rapports de la C.I.A. montrent que l’activité sur la piste HCM est très importante, preuve que les accords ne sont qu’une semi-trêve avant la reprise des combats. Les N-V renforcent les forces du Vietcong dans la région du Bec de Canard. Les Américains songent à réagir mais ne le feront pas car le pouvoir exécutif sait que le Congrès bloquera ses initiatives (Portes, 2016, p. 168).
7 mars – 15 août 73 : Lon Lol a demandé une intervention américaine « pour forcer l’autre partie à négocier ». Selon Ponchaud, 40 000 tonnes de bombes sont déversées chaque mois sur le Cambodge, causant la mort, selon des sources communistes, de 200 000 personnes (Ponchaud, 2005, p. 186).
10 mars 73 : Départ des troupes sud-coréennes du S-V. Le Royal Thai Voluntee Force quitte définitivement le territoire (Burns Sigler, 1992, p. 133).
15 mars 73 : Nixon réitère ses menaces d’une nouvelle intervention des U.S.A. au Vietnam si la trêve n’est pas respectée. C’est en fait une simple rodomontade car le Congrès a déjà entrepris de désengager totalement les U.S.A. du conflit.
17 mars 73 : Au Cambodge, Lon Lol échappe à une tentative d’attentat avec le bombardement aérien du palais de Chamcar Mon effectué par So Potra, un gendre de Sihanouk. L’ex-pilote se réfugiera en Chine après avoir tué 43 personnes de l’entourage du président et leurs familles mais sans atteindre sa cible principale.
Lon Lol décrète alors l’état de siège de la capitale. Les journaux sont suspendus. Le régime devient de plus en plus dictatorial et corrompu. Il demande la reprise des bombardements américains pour reprendre l’approvisionnement en carburant nécessaire à la vie de la capitale (Cambacérès, 2013, p. 181).
Sirik Matak, l’ancien premier ministre de Lon Lol ayant participé au coup de force qui a renversé Sihanouk en 1970, est arrêté pour avoir osé critiquer le régime. Il avait déclaré au New York Times que le régime n’était pas viable et que Sihanouk l’emporterait sans peine s’il y avait des élections libres (Shawcross, 1979, p. 275).
19 mars 73 : Début des rencontres de La Celle-Saint-Cloud entre les deux parties sud-vietnamiennes (voir 6 mars) qui n’aboutiront à rien.
23 mars 73 : Sihanouk est dans la massif Phnom Koulen (au nord-est d’Angor) avec son épouse, Hu Nirn, Hou Youn, Khieu Samphan, Son San et Saloth Sar. Les KR ont organisé ce grand rassemblement pour fêter le troisième anniversaire du F.U.N.K. mais la méfiance règne des deux côtés.
25 mars 73 : Aubrac apprend que Waldheim (secrétaire général de l’O.N.U.) a ordonné la destruction des comptes rendus des récentes conversations parisiennes rédigés par lui-même. Brian Uquhart (vice-secrétaire général) s’est opposé à cette mesure et a menacé de donner sa démission. Il fait dire à Aubrac de conserver des copies de ces écrits. Aubrac devient alors une simple « facteur » qui transmet aux Américains les protestations vietnamiennes contre les violations de l’accord de Paris par les Américains ou le gouvernement de Saigon. Selon lui, « hormis le dégagement des troupes terrestres des États-Unis, rien ne fonctionnait comme prévu ». (Aubrac, 2000, pp. 393-394)
28 mars 73 : Les statistiques de désertions sont les suivantes pour l’armée américaine entre le 4 août 1964 (résolution du Tonkin) et le 28 mars 1973, date du retrait total des Américains :
15 000 insoumis dont 8 700 reconnus ; 50 000 (?) déserteurs (mais ce chiffre n’est pas fiable car on a compté dans cette catégorie d’autres motifs de fautes que la seule désertion) (Toinet, 1998, p. 401).
29 mars 73 : Départ des dernières troupes américaines de Saigon et dissolution du M.A.C.V. Il ne reste que le bureau de l'attaché militaire américain dans la ville. Selon Bui Tin qui a été désigné pour assister à leur embarquement, « le sergent-major Max Bielke, de l’Oregon, fut le dernier à monter à bord de l’avion. Je lui serrai la main au pied de la passerelle et lui offris une image en bambou tressé du lac Hoam Kiem à Hanoi. Je lui souhaitais bonne chance, d’heureuses retrouvailles avec sa famille et j’exprimai également l’espoir qu’il reviendrait au Vietnam, mais cette fois en tant que touriste. Il parut comprendre, me remercia et sourit. » (Bui Tin, 1999, p. 116)
Jusqu’ici, 3 000 000 d’Américains ont servi au Vietnam, 47 253 d’entre eux y sont morts au combat, 10 449 y sont décédés pour d’autres raisons, 153 000 sur un total de 303 602 blessés sont considérés comme ayant subi des blessures graves, 1 340 sont considérés comme M.I.A. et 4 865 hélicoptères ont été détruits. 8 millions de tonnes de bombes ont été déversées (quatre fois plus que durant la SGM). Les forces s-v ont perdu 223 748 hommes, celles du Nord 924 000. Les pertes civiles sont estimées à 415 000 morts dues aux combats et 935 000 pour des raisons diverses (Burns Sigler, 1992, pp. 133-134).
Nixon déclare : « Les dirigeants nord-vietnamiens ne doivent avoir aucun doute sur les conséquences d'une violation des accords. » Mais, le même jour, les derniers soldats américains ont quitté le Sud car Hanoï a achevé de libérer derniers prisonniers...
31 mars 73 : La délégation n-v de Camp Davis à Saigon rentre à Hanoi. Elle se rend au ministère de la Défense pour faire son rapport à Giap (Bui Tin, 1999, pp. 116-117).
Fin mars 73 : Le secrétaire d’État adjoint aux affaires asiatiques, William Sullivan, est auditionné par le Sénat sur la situation au Cambodge. Lorsqu’on l’interroge sur ce qui s’y passe, il répond avec une certaine désinvolture : « Voilà une question intéressante ; j’ai mis quelques avocats là-dessus. Quant à moi, je dirai qu’il s’agit là de la réélection du président. » (Shawcross, 1979, p. 274).