Début février 73 : Kissinger se rend à Hanoi. Il promet d’aider à la reconstruction du pays par le biais d’une aide de 4,25 millions de dollars. Selon Snepp, « il ne fit qu’une brève allusion à la nécessité d’une approbation par le Congrès américain. Comme si le gouvernement, seul, pouvait se permettre de garantir l’octroi d’une telle manne. » (Snepp, 1979, p. 60, note 1) Au vu de l’évolution de la situation, le Congrès ne débloquera jamais aucun crédit en ce sens.
Février 73 : Le général américain Weyand se succède à lui-même. Il prend le commandement de l’armée du Pacifique et donc celui des dernières troupes et des 10 000 civils américains encore présents au S-V (bureaucratie et maintenance de l’aviation) (Toinet, 1998, p. 381).
Malgré la récente signature des accords de Paris, bombardements américains décuplés sur le Cambodge. Ils entraînent un vaste exode de population. Celle de Phnom Penh passe progressivement de 500 000 à 2 millions d’habitants.
1er février 73 : De Loc Ninh, arrivée dans un hélicoptère américain à Saigon (Camp Davis, voir 29 décembre 1972) du général n-v Tran Van Tra pour prendre la tête de la délégation du G.R.P. Il est le commandant de la zone B-2 (zone de guerre du delta du Mékong comprenant Saigon). Il est accueilli par le général Le Quang Hoa qui dirige la délégation n-v (Bui Tin, 1999, p. 113).
2 février 73 : Première réunion à Camp Davis des 4 délégations (n-v, G.R.P., s-v et américaine). On discute des procédures pour mettre en place les équipes d’inspection chargées de sillonner le S-V en vue de contrôler le cessez-le-feu et le retrait américain. Les discussions s’éternisent et doivent être prolongées le lendemain. A l’occasion du Têt et du 43e anniversaire de la fondation du P.C.V., on hisse le drapeau n-v. Ce qui provoque une profonde irritation côté s-v (Bui Tin, 1999, pp. 113-114).
Nixon nomme William J. Porter (ancien négociateur à Paris) au poste de sous-secrétaire d'État aux Affaires politiques. Il occupera ce poste du 2 février 1973 au 18 février 1974.
7 février 73 : Suite au refus américain de rencontrer Sihanouk (voir fin janvier), un communiqué commun du gouvernement n-v et du gouvernement de Sihanouk affirme que la lutte se poursuivra au Cambodge (Shawcross, 1979, p. 267).
8 février 73 : Le général américain John Vogt, commandant en chef de la 7e armée de l’Air, a transporté son Q.G. en Thaïlande depuis la signature des accords de Paris. Kissinger prend l’avion pour Bangkok où il convoque les ambassadeurs américains du S-V, du Laos et du Cambodge. Il leur explique la situation et leur fait part de ses projets. L’ambassadeur américain au Cambodge, Emory Swank, apprend que son ambassade va devenir le centre opérationnel des bombardements massifs qui vont affecter le pays. Ces préconisations vont à l’encontre de l’amendement Cooper-Church et l’ambassadeur est tenu de court-circuiter le secrétaire d’État William Roger qui ne saura jamais à quel point l’ambassade du Cambodge est impliquée dans la gestion des bombardements (Shawcross, 1979, p. 268).
9 février 73 : Les Américains reprennent des bombardements massifs sur le Cambodge pour une période qui va durer jusqu’au 15 août. Cette nouvelle campagne aérienne est d’une ampleur inégalée. Selon une déclaration ultérieure de Colby (directeur de la C.I.A.) sur le sens de ces bombardements, après la signature de l’accord de paix de Paris, « le Cambodge était la seule carte à jouer. » (Shawcross, 1979, pp. 267-268)
11 février 73 : Kissinger se rend à Hanoi en compagnie des deux délégations (Portes, 2016, p. 163). Les N-V veulent savoir quand ils recevront l’aide économique américaine prévue par les accords du 27 janvier. Kissinger, excédé, leur répond que cette aide dépendra de l’observance de l’accord de paix et leur reprochede ne pas tenir, pour l’instant, leurs engagements. Il aborde également la question du cessez-le-feu au Laos et au Cambodge qui, selon ses informations, n’est nullement respectée car Hanoi soutient ouvertement la rébellion des KR. Aux yeux de Nixon, la pacification de ces deux pays dépend le processus de paix entamé au S-V (Nixon, 1985, p. 189). Il oublie de préciser que le Cambodge subit actuellement de puissants bombardements américains qui continuent à écraser les positions des KR, faisant de nombreuses victimes chez les civils au cours des raids massifs de B-52.
12 février 73 : Début de la libération des premiers prisonniers américains (« Hilton d’Hanoï » et autres lieux de détention). Beaucoup ont été accusés de « crimes contre l’Humanité » et ont subi une détention sévère. Certains ont subi la torture en refusant de dénoncer leur engagement à la radio. Pour l’opinion américaine, le retour des prisonniers marque la fin de la guerre. Il en est de même pour la presse américaine qui ferme alors de nombreux bureaux au S-V.
Selon Nixon, les Américains modèreront leurs actions durant les deux premiers mois après la signature des accords de Paris pour ne pas contrarier ces libérations. Ce qu’il regrettera et considèrera dans ses mémoires comme « une très grave erreur » (Nixon, 1985, p. 192).
21 février 73 : Signature à Vientiane d’un cessez-le-feu au Laos que personne ne respectera. Les N-V n’y retirent pas leurs troupes et font fonctionner intensivement la piste HCM qui, désormais, n’est plus bombardée.
22 février 73 : Sihanouk quitte Pékin dans le plus grand secret pour se rendre en avion à Hanoi. Pham Van Dong et Giap ont suivi les préparatifs de ce voyage qui doit ramener le prince au Cambodge pour un séjour limité dans le temps (Cambacérès, 2013, p. 182).
26 – 27 février 73 : Troisième conférence sur l’Indochine avec présence de l’O.N.U., à Paris, à l’ancien hôtel Majestic, avenue Kléber. Elle se tient après celles de Genève de 1954 (Indochine) et 1962 (Laos). Sont représentés : les U.S.A., le N-V, le S-V et le G.R.P. Sont également présent 8 pays censés valider les accords du 27 janvier : 4 appartenant au bloc socialiste : U.R.S.S., Chine, Hongrie, Pologne ; 4 autres à gouvernement libéral : Canada, Grande-Bretagne, Indonésie et France. Selon Aubrac, le secrétaire général de l’O.N.U., Kurt Waldheim, « était invité, mais il n’avait certes pas le pouvoir de « garantir » les accords. Il était une sorte de témoin de moralité. » (Aubrac, 2000, p. 390) Waldheim n’en prend pas la présidence qui échoit au Canada et à la Pologne.
La première journée, brève, puisque s’étendant de 10 h 00 à 12 h 30, est dirigée par Mitchel Sharp, ministre des Affaires étrangères canadien. Il propose que les membres de la commission internationale de contrôle et de surveillance puissent saisir le Secrétaire général de l’O.N.U. de toute violation de l’accord du 27 janvier, et que celui-ci ait la possibilité, en cas de nécessité, de convoquer de nouveau la conférence. Il annonce que son pays quitterait la commission, dont il fait partie avec l’Indonésie, la Hongrie et la Pologne, le 30 avril au plus tard si une autorité internationale n’est pas établie pour recevoir les plaintes relatives aux violations du cessez-le-feu. Les représentants de la Chine, du Nord-Vietnam et du Gouvernement révolutionnaire provisoire du Sud Vietnam (G.R.P.) ne manifestent guère de sympathie pour cette proposition.
Selon Le Monde du 27 février 1973, « la conférence internationale de Paris sur le Vietnam s'est ouverte, lundi 26 février, au centre des conférences internationales de l'avenue Kléber, sous la protection d'importantes forces de police. Les treize participants ont décidé de désigner comme présidents le ministre du Canada et celui de la Pologne. M. Mitchell Sharp, ministre des affaires extérieures canadien, a présidé la première séance ; la seconde sera dirigée par M. Stefan Olszowski, ministre polonais des affaires étrangères. Cette seconde séance ne devait avoir lieu que mardi matin. Américains et Nord-Vietnamiens ayant proposé d'ajourner les travaux, à 12 h. 30 lundi, pour mettre au point le projet de déclaration commune. Selon le porte-parole de la R.D.V., la conférence devrait se terminer vendredi. Parlant en premier, le ministre canadien a proposé que les plaintes soumises par les quatre membres de la C.I.C.S. [voir 3 mars] soient transmises au secrétaire général de l'Organisation des Nations unies. M. Waldheim pourrait d'autre part, selon cette proposition, convoquer à nouveau la conférence sur demande de la C.I.C.S., des commissions militaires mixtes quadripartite et bipartite, de cinq des douze pays membres de la conférence, ou encore après avoir déterminé à la demande de n'importe quel membre de la conférence que les deux tiers de ses membres (à l'exception du secrétaire général de l'O.N.U.) se prononcent en ce sens. La conférence a ensuite entendu M. Chi Peng-fei, ministre chinois des affaires étrangères, prononcer une allocution de ton très modéré. Puis, M. Maurice Schumann, Mme Binh au nom du G.R.P. et M. Rogers, au nom des États-Unis. Mme Binh a notamment exclu la création d'un organisme permanent à l'issue de la conférence. Le porte-parole de Hanoï a confirmé cette position. »
La conférence se soldera par la signature d’un texte le 3 mars.
27 février 73 : Un vol entre Hanoi et Dong Hoi amène à destination le convoi qui doit emmener Sihanouk et son épouse au Cambodge. Ce convoi fait de jeeps et de camions russes, défendu par plus de 100 gardes vietnamiens, traverse une partie du N-V, du Laos et du Cambodge par la piste HCM (voir mars-avril) (Cambacérès, 2013, p. 183). Celle-ci n’est en effet plus bombardée depuis les accords de Paris.
27 février - 6 avril 73 : Au Cambodge, le régime de Lon Nol dévisse. Les grèves se succèdent. Le président déclare à nouveau l’état de siège.
Quittant son exil chinois et empruntant la piste HCM avec son épouse et Ieng Sary, Sihanouk se rend dans les zones dites « libérées » par les KR pour une durée de trois semaines. Cette invitation a en fait été initiée sous la double pression contrainte de Pékin et Hanoi. Sihanouk confie dans ses mémoires qu’il avait essuyé jusque-là plusieurs refus polis de la part des KR pour se rendre au Cambodge (Sihanouk, 1986, p. 13).
Le voyage est serein sur la partie nord-vietnamienne et laotienne de la piste HCM puisqu’elle n’est plus en théorie bombardée par les Américains. Il n’en est pas de même sur sa partie cambodgienne mais Son Sen (ministre de la Défense kr) a veillé à maximiser les conditions de sécurité : on se déplace de nuit et, le jour, on demeure à l’abri des frondaisons. Le couple princier est accueilli à la frontière lao-cambodgienne par Hu Nim, Hou Yuon, Khieu Samphan, les « trois fantômes » censés avoir été exécutés par la police sihanoukiste en 1967. Sont également présents Son Sen, Khieu Pommary et Saloth Sar. Ce dernier demeure volontairement en retrait. On le présente à Sihanouk comme un général important et non comme le n° 1 de l’Angkar.
Les étapes du voyage et la scène des retrouvailles sont largement filmées, photographiées puis seront montées et retouchées par une équipe chinoise, avec embrassades, sourires et accolades à n’en plus finir… On visite deux temples, Banteay et Angkor Vat, ainsi que des coopératives agricoles et des travaux d’irrigation pour mieux alimenter la propagande autour de cette vaste fausse réconciliation d’anciens ennemis. Les KR constatent que, malgré les efforts du P.C.K., la popularité de Sihanouk est toujours bien présente auprès des paysans, même si aucun contact direct n’est établi entre le prince et la population lors de ce périple.
Lors des meetings, le public a bien sûr été soigneusement « trié » par les KR. Sihanouk mesure rapidement leur méfiance profonde tant à l’égard des Vietnamiens que de lui-même. Khieu Samphan lui fait état de soupçons : les Vietnamiens prépareraient un gouvernement totalement inféodé à leur cause. Son Sen se plaint quant à lui du détournement des armes envoyées par la Chine lors de leur transit par le Vietnam et dénonce le comportement de ses troupes (vols et viols) (Richer, 2009, p. 40 et 61 ; Chandler, 1993, pp. 163-166 ; Cambacérès, 2013, pp. 182-185 ; Locard, 1996, pp. 19-21).