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par Jean-François Jagielski

Octobre 1966

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Octobre 66 : L’U.R.S.S. annonce un important plan d’aide à Hanoï dans le domaine du personnel et du matériel militaire.

Après un voyage au Vietnam en octobre 1966, où McN a confirmation de l’inefficacité des bombardements pour stopper les infiltrations, il recommande à nouveau l’édification d’une ligne défensive bardée de détecteurs de présence (voir août ; Baulon, 2009, p. 441).

Dean Rusk, plus que jamais fidèle à la théorie des dominos, rappelle que défendre la liberté au Vietnam c’est préserver le Cambodge, le Laos, la Thaïlande, les Philippines, Taïwan, voire même le Japon.

McN lance le « projet 100 000 » (surnommé ironiquement MacNamara Folly’s par les journalistes). Il s’inscrit officiellement dans la volonté de Johnson à lutter contre la pauvreté (War on Poverty) et vise à recruter dans l’armée les classes sociales les plus défavorisées en abaissant les normes de recrutement au niveau des déficiences mentales ou physiques.

McN, « naïf croyant aux miracles technologiques » selon sa biographe Deborah Shapley, était persuadé que l’utilisation d’une formation à partir de vidéos allait augmenter le quotient intellectuel de ces recrues et leur permettre de sortir de leur environnement social défavorisé…

Dans les faits, c’est un moyen pour augmenter les effectifs. 354 000 hommes et femmes seront recrutés dans ce cadre et environ la moitié de ceux qui partent au Vietnam seront affectés dans des unités de combat. Au total, 5 478 d'entre eux y mourront, pour la plupart, en combattant. Westmoreland et le commandement militaire ont rapidement considéré le plan de McN comme un désastre. Incapables de s’adapter à l’environnement guerrier quand ils ne furent pas détruits psychologiquement, le taux de mortalité de cette catégorie de soldats était 3 fois supérieur à celui des autres G.I.’s. Les MacNamara Folly’s s’éteindront d’elles-mêmes mais pas avant le 31 décembre 1971.

Une étude largement diffusée montre qu’au niveau des bureaux de recrutement de l’armée américaine (draft-boards), seuls 1,6 % de ses membres appartiennent à la communauté noire (Christol in collectif, 1992, p. 90).


1er – 2 et 9 octobre 66 : La ville de Phuly, située à une soixantaine de kilomètres au sud d’Hanoi et reliée à la capitale par une voie ferrée, est fortement bombardée par l’aviation américaine. Selon Salisbury qui s’y rendra en décembre, « il ne restait plus que des décombres […] Des milliers de bombes dont beaucoup de 500 et 1 000 kilos, y étaient tombées. Aucune attaque n’avait été annoncée. La population de dix mille âmes, se trouvait réduite à une poignée de gens. » L’objectif militaire semble être la gare  et « quelques voies de garage » mais « la ville avait disparu avec elle. » (Salisbury, 1967, pp. 87-88)


7 octobre 66 : Le Comité des chefs d’état-major américain préconise l’appel de 688 000 réservistes, une solution qui a jusqu’alors toujours été repoussée par LBJ (Francini 2, 1988, p. 317).


10 octobre 66 : Venue à la Maison Blanche du ministre des Affaires étrangères Andreï Gromyko qui reproche aux Américains d’avoir fait des propositions tendant à la paix « très générales ». LBJ prend note de la remarque et essaiera de clarifier les choses lors de lors de la conférence de Manille (voir 23 – 25 octobre). Le président réaffirme l’intention des États-Unis  de quitter totalement le S-V si la situation se stabilise avec un retrait complet des N-V. (Johnson, 1972, p. 304).


14 octobre 66 : De Retour du Vietnam, McN produit un long mémorandum pour Johnson. Il est à nouveau très pessimiste quant à une issue au conflit : inefficacité des bombardements du N-V et donc de l’opération Rolling Thunder, y compris pour freiner les infiltrations ; « la pacification est très décevante » (on ne gagne ni les cœurs ni les esprits) ; absence de perspective pour la paix dans les 2 années à venir au vu de la détermination du Vietcong (Dossiers du Pentagone, 1971, p. 569-577 ; McNamara, 1996, p. 255-256 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 261-268). Il y a même dans ce mémorandum produit par le secrétaire à la Défense un véritable infléchissement de la politique américaine aux antipodes de la théorie des dominos, McN proposant « d’élaborer un plan réaliste prévoyant un rôle pour le Vietcong dans les négociations, dans la vie après-guerre, et dans le gouvernement de la Nation. » (Dossiers du Pentagone, 1971, p. 577).

Il écrit : « La sécurité n’existe nulle part, pas même derrière une ligne de Marines américains et, à Saigon comme dans les campagnes, que l’ennemi contrôle presque complètement la nuit. » Pour la première fois, il refuse d’obtempérer aux demandes en renforts de Westmoreland pour 1967 en limitant les forces américaines à 470 000 hommes, 25 000 de plus que prévu mais 100 000 de moins par rapport à ce que demandent les militaires. Il préconise une fois encore l’installation d’une barrière défensive pour limiter les infiltrations, la future MacNamara Line (voir août et novembre) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 549-551).

Les chefs d’état-major sous la présidence de Wheeler remettent un mémorandum à McN et LBJ. Ils pensent comme leur ministre que la guerre sera longue mais affirment que la situation « s’est substantiellement améliorée par rapport à l’année passée ». Ils manifestent fermement leur désaccord avec le secrétaire à la Défense lorsqu’il envisage de ralentir le rythme des bombardements de l’opération Rolling Thunder. Ils s’opposent à toute forme de négociation, estimant que « les décisions qui seront prises dans les 60 jours qui viennent seront décisives » pour l’issue du conflit. Elles doivent être fermes, en bombardant par exemple le sanctuaire Hanoi-Haïphong, préservé jusqu’alors (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 578-579 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 268-271). Entre eux et McN, le torchon est en train de brûler…

Record des missions aériennes sur le N-V avec 175 sorties en une seule journée.


18 octobre 66 : Au Cambodge, les députés du Sangkum élisent le général Lon Lol, ancien ministre de la Défense depuis 10 ans et commandant des F.A.R.K., au poste de premier ministre. Cette nomination ne convient pas à Sihanouk qui évoquera le 26 la formation d’un « contre-gouvernement ». Le chef de l’État doit aussi faire face à une assemblée nationale de plus en plus hostile sur sa gauche. Un processus politique d’opposition entre Sihanouk et Lon Lol est enclenché. Il aboutira au coup de force du 18 mars 1970 (Cambacérès, 2013, pp. 112-113).


22 octobre 66 : Le parlement cambodgien accorde l’investiture au gouvernement Lon Lol à une écrasante majorité : 73 députés sur 82 lui donnent leurs suffrages, avec 4 abstentions et un nul. Les progressistes du Sangkum, évincés du gouvernement, laissent entendre qu’ils sont prêts à passer à l’action directe (Tong, 1972, p. 146). Sihanouk annonce la création d’un « contre-gouvernement » qu’il anime en tant que président du Sangkum. Selon lui, il s’agit d’« une opposition officieuse et sérieuse face au gouvernement ». (Sihanouk, 1979, p. 243)


23 - 25 octobre 66 : Conférence des puissances alliées à Manille dans le cadre de l’O.T.A.S.E. Y sont représentés les nations impliquées dans le conflit vietnamien : les U.S.A., le S-V, l’Australie, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud, la Thaïlande et les Philippines. Thieu et Ky sont présents. La France quant à elle est désormais en retrait de l’organisation. Le Vietcong n’est même pas mentionné dans les débats.

On y élabore la « formule de Manille » qui stipule que « les forces alliées seraient retirées après que l’autre partie retirerait aussi ses troupes dans le Nord, cesserait d’infiltrer le Sud et permettrait ainsi de diminuer l’intensité du conflit. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 220). Un communiqué s-v demande aux pays impliqués dans le conflit de se retirer une fois la paix rétablie.

Dans un troisième document, les U.S.A. affirment : « Nous ne menaçons ni la souveraineté ni l’intégrité territoriale de nos voisins, quelle que soit leur idéologie, et demandons simplement que l’on fasse de même à notre égard. » Les Américains annoncent un retrait du S-V dans les 6 mois si le N-V stoppe les infiltrations (Johnson, 1972, pp. 303-305).

McN et LBJ sont peu enthousiastes face aux nouvelles exigences des militaires américains : demandes croissantes d’effectifs, d’opérations au Laos et Cambodge, d’opérations aériennes près de la frontière chinoise. Le dossier du Pentagone mentionne que les relations entre LBJ et Westmoreland « restent un mystère » à Manille. A la veille des élections au Congrès, on prévoit même pour la première fois un très hypothétique repli des forces alliées : le communiqué final publié le 25 évoque en effet un retrait « six mois au plus après que l’ennemi aurait évacué ses forces et mis fin à ses infiltrations ».

Au cours de la conférence, McN ne laisse absolument rien transparaître de ses doutes (voir 14 octobre) et s’appuie dans ses déclarations publiques sur les propos de prisonniers censées montrer que le moral de l’ennemi est atteint (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 553-554). Selon Clifford, sous-secrétaire à la Défense, le sommet est un bon exercice de relations publiques mais « n’avait pas été l’occasion d’un examen franc et objectif des difficultés d’ordre politique et militaire auxquelles étaient confrontés les alliés. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 220). Un communiqué est publié à l’issue de la conférence (cité in Johnson, 1972, p. 714).


25 octobre 66 : Au Cambodge, vingt-deuxième gouvernement du Sangkum : gouvernement Lon Nol qui demeurera en place jusqu’au 30 avril 1967 (Jennar, 1995, p. 160).


26 octobre 66 : Au Cambodge, création d'un « contre-gouvernement » par Sihanouk. Il veut, dans un premier temps, exiger le renvoi du gouvernement Lon Lol et la dissolution de l’assemblée nationale mais, au final, Sihanouk y renoncera. Au terme de la constitution de 1947, la dissolution ne peut être prononcée dans les 18 premiers mois d’une législature. La gauche du Sangkum utilise alors les procédés classiques propres à la tactique communiste : agitations, subversion au moyen de manifestations « spontanées » (voir 7 novembre) (Tong, 1972, pp. 147-148).

A la suite de la conférence de l’O.T.A.S.E., LBJ se rend secrètement au Vietnam, dans une zone de guerre, sur la base de Cam Ranh pour rendre visite aux soldats et aux blessés. Il se dit à ce moment « physiquement fatigué et moralement épuisé » (Johnson, 1972, pp. 439-440).


28 octobre 66 : Après la conférence de Manille qui acte la poursuite du conflit, De Gaulle dénonce dans une conférence de presse l’absurdité des bombardements « d’un petit peuple par un très grand. » Il met à nouveau en garde les États-Unis contre « une guerre qui, en se prolongeant, ne fera que leur apporter des charges et des inconvénients croissants sans aucune compensation, fût-elle d’ordre idéologique. » Cette intervention provoque une violente campagne de presse antifrançaise Outre-Atlantique. Pour certains, il est question de collaboration avec « l’Antéchrist communiste » (Journoud, 2011, p. 240 ; De Quirielle, 1992, p. 192).

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