Mai 61 : Le Monde diplomatique écrit : « Les progrès du Vietminh au Sud-Vietnam, masqués par la censure de Saigon, sont de plus en plus alarmants, pour le régime anticommuniste de M. Diem, et celui-ci y contribue indirectement par l’instauration d’un véritable fascisme qui se fait de plus en plus détester par son peuple. »
1er mai 61 : Baisse d’intensité de la crise au Laos (voir 26 avril), même si des infiltrations de forces vm se produisent aux frontières nord-ouest du S-V. Les Américains renoncent donc à y pénétrer en force. Les différentes parties négocient un cessez-le-feu sous le contrôle de la fragile C.I.C. (voir 11 mai) (Schlesinger, 1966, p. 311).
3 mai 61 : Elbridge Durbrow quitte ses fonctions d’ambassadeur. Il sera remplacé par Frederick Nolting le 10 mai.
4 mai 61 : Au Cambodge, dans le village d'Anlong-Romiet, Sihanouk lance une campagne pour le développement communautaire des villages.
Avant le départ de LBJ pour le Vietnam (date inconnue) : Kennedy rencontre le sénateur démocrate Fullbright (Arkensas, président de la commission des Relations extérieures). Il évoque la possibilité de devoir envoyer des troupes américaines au Vietnam (on ne parle alors que de « conseillers »). Fullbright rend la teneur de cette conversation publique. Un article du New York Times évoque alors « la possibilité d’une intervention militaire directe pour contrecarrer le danger communiste au Sud-Vietnam et en Thaïlande […] si elle s’avérait nécessaire et si les nations bénéficiaires le souhaitaient. » (cité in Johnson, 1972, p. 77)
5 mai 61 : Lors d'une conférence de presse Kennedy se dit préoccupé par le « barrage » auquel le gouvernement du Sud-Vietnam est confronté face au Vietminh. Il précise que l'introduction de troupes américaines et d'autres formes d'aide sont à l'étude.
8 mai 61 : Rapport confidentiel d’un groupe de travail (département d’État, C.I.A., Défense, I.C.A., U.S.I.A., cabinet présidentiel) au niveau des secrétaires-adjoints dirigés par Ros Gilpatric qui préconise une augmentation du personnel américain qu’il faut faire passer des 685 autorisés par les accords de Genève à un nombre nettement supérieur. Kennedy réduit ces préconisations à l’envoi de 100 conseillers supplémentaires et 400 hommes des forces spéciales pour entraîner l’armée s-v aux techniques de la contre-insurrection. L’annexe 6 prévoit la menée d’« actions secrètes » au N-V et au Laos (McNamara, 1996, p. 50 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 147-148 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 116-120).
9 mai 61 : Départ du vice-président Johnson pour Saigon (voir 23 mai). LBJ doit y rencontrer Diem (voir 12 mai).
10 mai 61 : L’ambassadeur à Saigon Frederick Nolting présente ses lettres d’accréditation et demeurera en poste jusqu’au 15 août 1963. Il succède à Elbridge Dubrow. Il se rend au Palais de l’Indépendance et présente ses lettres de créance à Diem juste à la veille de l’arrivée du vice-président Johnson à Saigon prévue pour le 12 (Nolting, 1988, p. 19). Il est nettement plus favorable à Diem que son prédécesseur. Le président s-v avait accusé Dubrow d’avoir soutenu le coup d’État du 10 novembre 1960. Nolting deviendra un allié fidèle du régime diémiste. Sa nomination a été soutenue par Lansdale et Colby (C.I.A.).
Mémorandum du Comité des chefs d’état-major sur l’engagement des U.S.A. adressé à McN : « […] les chefs d’état-major recommandent que la décision soit prise immédiatement de déployer les forces des États-Unis qu’il faudra au Sud-Vietnam. » Les « faucons » entrent en action, négligeant le fait que la plupart des dirigeants d’Indochine, y compris Diem, sont pour l’instant opposés à une intervention directe des U.S.A. (voir 23 mai) (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 153).
11 mai 61 : Kennedy approuve la directive National Security Action Memorandum 52 (NSAM-52) qui stipule que les objectifs américains sont « d’empêcher la domination communiste au Sud-Vietnam » (Pericone, 2014, p. 19). Il donne l’ordre d’envoyer 400 militaires appartenant aux forces spéciales américaines (bérets verts) et 400 autres conseillers pour former les troupes s-v aux actions de commando et former une unité d’élite s-v, les Rangers. Leur but est de déclencher des opérations de sabotage (« opérations secrètes ») au nord du 17e parallèle et d’assurer une surveillance des voies d’infiltration. Aucune publicité n’est bien sûr donnée à cet engagement. Le président valide également l’ordre de déclencher une guerre clandestine au N-V dirigée par des agents sud-vietnamiens instruits par la C.I.A. (Rignac, 2018, p. 189 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 110).
Mémorandum de McGeorge Bundy (Sécurité nationale) résumant les décisions militaires du C.N.S. du 29 avril. Elles sont approuvées par Kennedy. LBJ (vice-président) se rendra au Vietnam en vue de promouvoir la popularité de Diem. Le nouvel ambassadeur américain à Saigon, Nolting, est autorisé à ouvrir des négociations en vue d’un accord bilatéral avec le S-V « mais il ne devra pas s’engager trop en avant que le Président ne lui ait donné le feu vert. » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 121-122).
Au Laos, La C.I.C. qui a été dépêchée sur place annonce « une cessation générale et indiscutable des hostilités » (Schlesinger, 1966, p. 311). Dans les faits, chacun tente de renforcer ses positions en menant de petites attaques qui visent à renforcer les positions de chaque camp sur des points stratégiques précis. Le pro-américain Phoumi Nosavan demeure l’homme fort d’un gouvernement de coalition tripartite (voir 12 mai) qui a bien du mal à se mettre en place à coup d’accords laborieux (voir 22 juin, 8 octobre et 19 janvier 1962).
12 mai 61 : Arrivée du vice-président Johnson à Saigon pour une visite de 4 jours à Saigon. Il est accompagné de membres de la famille de Kennedy. Aucun personnage de cette envergure n’est venu au Vietnam depuis 1957, c’est donc de la part de Kennedy un signe clair que cette visite dit être un soutien au S-V (Nolting, 1988, p. 20). Le vice-président le réaffirme haut et fort : « Nous tenons aux côtés du Sud-Vietnam. » Il rencontre une première fois Diem (voir 23 mai). Selon les mémoires de Johnson, l’entretien est cordial. Le vice-président remet à Diem une lettre de Kennedy. Le président vietnamien lui répondra point par point. Selon le dossier du Pentagone, Diem ne paraît pas intéressé pour l’instant par un traité de défense bilatéral entre le S-V et les U.S.A., sauf en cas d’attaque directe des N-V (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 121). Il changera d’avis par la suite (voir 29 septembre). Un accord américano-vietnamien portant sur 8 points est signé en vue du renforcement de l’aide économique et militaire américaine (Chaffard, 1969, p. 369). Un communiqué final soulignant un accord est rendu publique.
Pour autant, Diem ne fait pas très bonne impression au vice-président. A des journalistes qui évoquent les problèmes du S-V, LBJ leur confie en off : « Ouais, mais bon sang, c’est le seul pion que nous ayons là-bas. » (voir 23 mai) (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 172). LBJ écrira même au président : Diem « est un personnage complexe en proie à de nombreux problèmes. Il a d’admirables qualités mais il est loin du peuple, il est entouré par des gens moins admirables que lui… » (cité in Halberstam, 1974, p. 161 et 163).
16 mai 61 : A l’initiative de Sihanouk et sous sa présidence, début des négociations sur l’avenir du Laos qui s’éterniseront dans le cadre d’une conférence internationale dite des Quatorze nations qui siège également, comme celle de 1954, à Genève. Les négociations n’aboutiront que le 23 juillet 1962 (voir cette date). On y retrouve les pays qui avaient participé à la conférence de Genève, ceux qui font partie de la C.I.C. (Inde, Canada, Pologne) et 2 voisins du Laos, la Birmanie et la Thaïlande (pays participants et composition in Chaffard, 1969, p. 262, note 1).
Cette négociation est provoquée par une situation de guerre civile (voir 23 mars) entre 3 factions qui s’entredéchirent et occupent différentes portions du pays : les communistes (Pathtet Lao, soutenu par le prince Souphanouvong), les neutralistes (prince Souvanna Phouma) et la faction du prince Boun Oum (droite laotienne pro-américaine).
Côté américain, Kennedy charge Averell Harriman (ambassadeur extraordinaire itinérant) d’entamer les négociations. Les pourparlers vont se heurter à l’intransigeance n-v. Selon Nixon, « Ho fit tout pour gagner du temps, parce qu’il sentait que les États-Unis abandonneraient le Laos, même sans accord. » (Nixon, 1985, p. 66)
La tenue de cette conférence envenime encore plus les relations sino-soviétiques : les Russes prônent un apaisement et une solution de neutralisation permanente ; après un revirement, les Chinois refusent cette solution car ils n’entendent pas que les Américains la garantissent à eux-seuls (Marangé, 2012, p. 298).
23 mai 61 : Le vice-président Johnson, de retour du Vietnam, adresse un mémorandum à Kennedy qui reprend les arguments de la théorie des dominos. Il est optimiste : on peut « créer une structure solide, capable de résister victorieusement à l’assaut des communistes. » Toutefois, le Vietnam et la Thaïlande « sont les lieux de troubles immédiats et les plus importants. » Selon lui, « il n’y a pas d’alternative au leadership des États-Unis en Asie du Sud-est. » L’O.T.A.S.E. ne jouera jamais qu’un rôle mineur, du fait de « la méfiance des Asiatiques » à l’égard des Français et des Britanniques. Dans l’immédiat, les gouvernants d’Indochine ne veulent pas d’intervention directe des U.S.A., « sinon pour des missions d’entraînement ». LBJ confie à Kennedy : « Notre mission a empêché que la confiance qu’on nous porte ne continuât à décliner. Elle ne nous a pas, à mon avis, fait regagner la confiance que nous avions perdue […] Si ces hommes que j’ai vus avaient été des banquiers, j’aurais su, sans avoir besoin de leur demander, qu’ils n’accepteraient pas de me faire longtemps crédit. » Selon LBJ, si les U.S.A. se replient sur eux-mêmes, « en agissant ainsi nous prouverions au monde que nous ne respectons pas nos traités et que nous ne soutenons pas nos amis. » Et d’ajouter : « Je suis d’avis que nous fassions très vite un grand effort pour aider ces pays à se défendre. » Il observe qu’en Asie du Sud-Est, le communisme est moins l’ennemi que « la faim, l’ignorance, le dénuement et la maladie », c’est donc là une situation prioritaire à traiter. Au S-V, Diem et surtout son entourage, « loin[s] du peuple », demeurent un problème mais il n’y a pour le moment d’autre alternative que de le soutenir (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 155-158 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 122-125 ; Schlesinger, 1966, pp. 489-490 ; Johnson, 1972, pp. 76-77). Au sortir de son voyage en Asie, le vice-président n’est guère plus enthousiaste que le président à s’engager réellement au S-V. Mais il estime qu’il n’y a, dans l’immédiat, aucune autre alternative.
Le VC qui dispose désormais de 12 000 hommes lance avec des soutiens n-v une vaste opération sur Hué. Les infiltrations de N-V par la piste HCM se mettent en place progressivement (Pericone, 2014, pp. 47-48).
26 mai 61 : L’U.R.S.S. et la R.D.V.N. concluent un nouvel accord de coopération scientifique (échange de savants, d’étudiants et d’experts) (Marangé, 2012, p. 297, note 16).
Arrêt de la Cour internationale de Justice qui se déclare compétente pour régler le différend entre le Cambodge et la Thaïlande à propos de la région du temple de Preah Vihear.
31 mai 61 : Visite de Kennedy à Paris. Après l’avoir dit à Eisenhower, De Gaulle confie au nouveau président américain que l’Asie du Sud-Est n’est pas un bon terrain de combat pour l’Occident. Il faut y développer une politique de neutralité, ce à quoi aspirent d’ailleurs les Soviétiques. Kennedy lui répond que le prestige des U.S.A. est engagé et revient sur la désormais traditionnelle théorie des dominos. Il compare la situation en Indochine à celle de Berlin. De Gaulle lui conseille de « ne pas s’engager à fond » car, selon lui, les pays de ces contrées « ne sont pas des réalités, ce sont des nébuleuses, des organismes invertébrés ». Il affirme que « la seule possibilité favorable est la neutralité. L’influence à conserver là-bas doit être, non pas militaire, mais culturelle, économique, technique, comme celle dont dispose la France […] » (Journoud, 2011, pp. 94-96).