Avril 61 : Le général McGarr, chef du M.A.A.G.à Saigon, estime que Diem ne contrôle que 40 % du S-V et que 85 % des forces s-v sont statiques, ne disposant pas de renseignements pour localiser et agir contre leur ennemi (Pericone, 2014, p. 19).
6 avril 61 : Suite au décès de son père, Sihanouk organise un référendum populaire au Cambodge et se fait réélire roi.
1er avril 61 : Khrouchtchev se dit prêt à prendre en considération les positions modérées des Britanniques très critiques à l’égard de la politique américaine au Laos (voir février) (Schlesinger, 1966, p. 306).
3 avril 61 : Les représentants des gouvernements s-v et américain signent un traité d’amitié et de coopération économique (Journoud, 2011, p. 94).
6 avril 61 : Un article au vitriol du Monde intitulé « Ngo Dinh Diem, fourrier du communisme », signé par Robert Guillain de retour dans la capitale du S-V après 3 ans d’absence, dénonce les graves dérives du régime diémiste : « […] Le gouvernement de Monsieur Diem est en train de se rendre de plus en plus odieux à son peuple par la dictature de type fasciste qu’il a instaurée et que cette désaffection populaire fait rapidement tourner en partie en faveur du Vietminh […] Une seule opposition subsiste en effet et c’est celle du Vietminh. M. Diem lui a déblayé le terrain de toute concurrence. Il recueille en héritage tous les mécontentements et toutes les haines qui n’ont pu s’employer ailleurs. Le voilà renforcé par les manœuvres de son adversaire […] A Hanoi on est content de Monsieur Diem. Il est devenu le meilleur fourrier du communisme. » (cité in Férier, 1993, p. 80 : Le Monde du 6 avril 1961)
7 avril 61 : Second article de Robert Guillain dans le journal Le Monde intitulé « La conquête communiste du Sud-Vietnam ». Le journaliste observe les progrès du VM en Cochinchine et épingle comme dans son article de la veille les déboires et dérives du régime diémiste ainsi que le rôle néfaste de l’armée s-v qui font le lit des communistes : « Nous en revenons toujours au même point : de plus en plus on peut dire que le Vietminh ne fait que la moitié du travail de subversion, c'est M. Diem qui fait l'autre. Il a fini par être un accélérateur du glissement qui entraine le Sud-Vietnam vers sa perte. » L’auteur ajoute : « Il est vain d'espérer encore, disent les Vietnamiens, que le régime se réforme lui-même. Non, la dernière chance, s'il y en a une, d'arrêter la descente au communisme est un changement spectaculaire des hommes et de la politique, autrement dit un nouveau coup d'État, réussi celui-là, qui chasserait M. Diem et mettrait à sa place un gouvernement nationaliste honnête, appuyé par le peuple. » (Le Monde du 7 avril 1961)
8 avril 61 : Kennedy rencontre le premier ministre britannique MacMillan à Kay West dans les Caraïbes. Selon Schlesinger, ce dernier « accepta à contrecœur de soutenir une intervention [américaine] limitée le long du Mékong si elle devenait nécessaire. » (Schlesinger, 1966, p. 306). Dans les faits, la Grande Bretagne n’entend aucunement intervenir aux côté des Américains.
9 avril 61 : Réélection de Diem à la présidence du S-V avec environ de 60 % des suffrages. Diem a fait campagne contre d’autres candidats, a participé à des débats et a accepté « la bataille électorale ». Les résultats électoraux paraissent pour une fois plus réalistes (ou moins arrangés…) qu’à l’habitude (Truong Vinh Le, 1989, pp. 64-65 ; Rignac, 2018, p. 189).
12 avril 61 : Mémorandum de Rostow (conseiller présidentiel et adepte de la doctrine anti-insurrectionnelle) adressé à Kennedy qui met le président face à ses responsabilités. Les élections présidentielles étant achevées, il est désormais nécessaire d’agir. L’auteur préconise la désignation d’un délégué aux Affaires vietnamiennes à Washington, des discussions approfondies avec l’ambassadeur Nolting qui « doit avoir une vue claire de la priorité que vous accordez au problème vietnamien », une visite aux U.S.A. du ministre de la Défense s-v Thuan qui doit être « doué d’une certaine vigueur et d’une capacité opérationnelle », une visite du vice-président américain (LBJ) au Vietnam, un accroissement des effectifs du M.A.A.G. et des forces spéciales, l’envoi de fonds à Diem, l’élargissement et décentralisation du gouvernement vietnamien qui doit « surtout accroître son efficacité. » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 114-115)
17 - 20 avril 61 : Débarquement à Cuba d’opposants au régime castriste (Baie des Cochons) qui se solde par un fiasco militaire et politique. Dans l’administration américaine, les opposants à ce débarquement seront à peu près les mêmes qui s’opposeront à un engagement plus en avant au Vietnam (sénateur John William Fulbright ; Sous-Secrétaire d’État Chester Bowles) (Halberstam, 1974, p. 84).
Parlant de Kennedy, Schlesinger écrit pour cette période : « Mais il était décidé à éviter l’effondrement total. Je pense qu’avant la Baie des Cochons, il était prêt à entreprendre une action limitée au Laos et qu’il n’avait pas complètement rejeté ce projet. » Il en veut pour preuve la mise en alerte à Okinawa de 10 000 Marines (Schlesinger, 1966, p. 311).
20 avril 61 : Kennedy donne l’ordre de faire un point sur la situation au Vietnam. Selon McN, il s’agit d’évaluer l’effort communiste pour dominer le S-V. Kennedy recommande une série d’actions militaires, politiques et économiques officielles mais aussi secrètes (car contraires aux accords de Genève de 1954, notamment sur la question des effectifs en « conseillers » militaires) (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 116). Le président américain met en place une task force interministérielle dirigée par le sous-secrétaire d’État à la Défense, Roswell Gilpatric (Pericone, 2014, p. 19).
Au Laos, les forces américaines qui, jusque-là, opéraient en civil ont l’autorisation de porter leurs uniformes et d’accompagner les troupes laotiennes sous le titre officiel de Groupe consultatif d’Assistance militaire (émanation du M.A.A.G.) (Schlesinger, 1966, p. 308).
L’ex-vice-président républicain Nixon rencontre Kennedy à la Maison Blanche et lui demande un engagement de l’aviation au Laos. Le président lui répond : « Je ne pense pas que nous devions nous laisser entraîner au Laos, où nous risquons de combattre des millions de Chinois dans la jungle. » (Schlesinger, 1966, pp. 308-309)
Selon Nixon : « Quand je le vis à la Maison Blanche le 20, je lui promis un soutien bipartite pour toute action qu’il jugerait nécessaire pour empêcher la conquête communiste du Laos. Il répondit qu’il ne voyait pas ce que nous pouvions faire de plus au Laos, qui était à des milliers de kilomètres, alors que nous ne faisons rien à Cuba qui était à moins de 150 de nos côtes. Kennedy dit aussi à l’un de ses collaborateurs qu’une des leçons que lui avait apprise sa défaite à Cuba, c’était qu’au Sud-Est asiatique, les États-Unis devaient chercher une solution politique plutôt que militaire. » (Nixon, 1985, p. 66)
24 avril 61 : Britanniques et Soviétiques, co-présidents de la conférence de Genève, lancent un appel à un cessez-le-feu au Laos. Ils ont sans doute été convaincus par les propos du premier ministre indien Nehru qui a rencontré l’Américain Galbraith. Ce dernier l’a assuré que les Américains n’étaient pas prêts à s’engager plus au vu de la piètre tenue des troupes royales laotiennes (Schlesinger, 1966, p. 309).
25 avril 61 : Le gouvernement royal du Laos exprime son souhait de parvenir à un cessez-le-feu. Souvanna Phouma et Souvanouvong feront de même. Pour autant, sur le terrain, les forces du Pathet Lao intensifient les combats (Schlesinger, 1966, p. 309).
26 avril 61 : Du fait de l’intensification des combats au Laos, réunion d’un C.N.S. que Schlessinger qualifie de « session longue et confuse ». Rostow la qualifie quant à lui de « la pire des réunions de la Maison Blanche à laquelle il ait assisté pendant toute la présidence de Kennedy. »
McGeorge Bundy (secrétaire à la Sécurité nationale) et la commission du Laos préconisent l’envoi de troupes en nombre limité. Certains chefs d’état-major et sous-secrétaires à la Défense, eux-mêmes divisés et échaudés par l’affaire de la Baie des Cochons, redemandent comme ils l’avaient déjà fait auparavant une intervention massive. Mais d’autres pas. Johnson est obligé de leur demander de formuler leurs positions par écrit pour y voir un peu plus clair… Mais la clarté ne vient pas…
Kennedy observe que les plans des militaires sont confus, inachevés mais mènent tous à une puissante escalade. Le général Lenitzer prévoira même dans d’autres C.N.S. de l’emploi de l’arme nucléaire sur Hanoi et Pékin (Schlesinger, 1966, pp. 309-310 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 116-117).
27 avril 61 : Pour faire face à cette situation difficile, Kennedy a institué une mission de Roswell Gilpatric (adjoint de McN) qui produit un rapport rapidement dépassé par ce qui se passe actuellement au Laos. Il demande dans un premier temps des renforts en conseillers (100 hommes des Forces spéciales à Saigon), en matériels et en fonds pour équiper l’armée s-v et la renforcer de deux divisions (40 000 hommes) en échange de réformes au sein du régime diémiste (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 116-118).
28 avril 61 : Par crainte d’une neutralisation du Laos qui renforcerait les forces communistes et font craindre une attaque sur le S-V, Kennedy préconise par le Laos annex l’envoi de 1 600 instructeurs pour former les 2 divisions s-v préconisées par Gilpatric (voir 26 et 27 avril) et l’envoi d’un contingent de 400 hommes des Forces spéciales pour formation à la lutte anti-insurrectionnelle. En tout, il faut atteindre la présence de 3 600 Américains, y compris ceux qui sont déjà présents sur place, là où les accords de Genève n’en prévoyaient 685 au plus (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 117).
29 avril 61 : Réunions prolongées à la Maison Blanche (C.N.S.) en vue de transporter une brigade de combat de 5 000 hommes comprenant des éléments aériens en Thaïlande du nord-est et une autre à Danang, sur la côte vietnamienne, en vue d’en faire une force d’intervention au Laos. Parallèlement, Kennedy met sur pied une force de guerre à Okinawa au Japon. C’est donc le début d’une covert war (guerre secrète) au Laos qui est ici préconisée.
Toutefois l’administration Kennedy tente de freiner son aide au S-V en restreignant au maximum l’apport de « conseillers » : de 400 hommes des forces spéciales, Kennedy en réduit finalement le nombre à 100, espérant ainsi ne pas mettre trop un doigt dans l’engrenage s-v (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 117). Il tergiverse.
Fin avril : Kennedy prévoit d’envoyer le vice-président Johnson en tournée asiatique mais ce dernier rechigne à devoir se rendre au Vietnam. Il faut donc que le président insiste. LBJ doit durant sa tournée rencontrer Tchang Kaï Check à Formose (Taïwan), Diem au S-V et Sarit en Thaïlande afin de les rassurer sur les engagements américains dans le Sud-Est asiatique. Le vice-président fera également escale en Inde pour rencontrer Nehru.
Johnson pense que le communisme peut et doit être endigué au Vietnam : « Il faut s’engager dans la bataille contre le communisme dans le Sud-Est asiatique avec force et détermination afin d’obtenir le succès là-bas. » Le Vietnam peut être sauvé « si nous agissons vite et à bon escient. Il nous faut une coordination de nos buts sur le plan diplomatique comme sur le plan militaire. Le plus important, c’est une gestion bien américaine, imaginative et créatrice, de notre programme d’aide militaire. » (cité in Halberstam, 1974, p. 164)
LBJ annonce une aide américaine pour porter les effectifs de l’armée s-v de 150 000 à 260 000 hommes, ce qui suppose l’arrivée de conseillers militaires américains au Vietnam. Une aide qui n’enchante pas forcément le nationaliste Diem. Il s’en confie au président de l’assemblée nationale : « Le Gouvernement américain aurait voulu envoyer des troupes chez nous, créer une base navale à Cam Ranh et une base aérienne à Danang. Je ne suis pas d’accord. » Il lui faut cependant accepter « devant un cas de force majeure. » (Truong Vinh Le, 1989, pp. 66-67).