Novembre 51 : Nguyen Van Tam de nationalité française depuis 1927, ancien chef de la Sûreté générale indochinoise puis ministre de l'Intérieur qui s’était signalé par la brutalité de ses méthodes répressives contre les communistes, est nommé gouverneur du Nord-Vietnam. Homme des Français, il deviendra président du Conseil le 25 juin 1952.
4 novembre 51 : De Lattre reçoit une lettre de François Valentin, son représentant à Paris (Cadeau, 2019, p. 618, note 60). Selon lui, Paris déplore un manque d’esprit offensif, ce qui agace De Lattre. Ce dernier échafaude de nouveaux plans d’attaques sur le delta du Fleuve Rouge vers Cho Ben puis Hoa Binh (76 km au sud-ouest d’Hanoi) pour le 10 novembre (Salan 2, 1971, pp. 262-263). Le gouvernement Pleven, attaqué par l’opposition, en manque de victoires, en préparation du budget pour 1952 et confronté à une opinion de plus en plus dubitative quant aux chances de réussite en Indochine, fait pression sur le commandant en chef.
La question budgétaire devient prégnante : 9,5 % des dépenses de 1951 ont été consacrées à l’Indochine (3 % du P.I.B. français). L’« année De Lattre » a coûté cher : 182 milliards en 1950 mais 322,3 milliards en 1951, soit une augmentation de plus de 40 %. Pleven a rendu hommage à l’action du commandant en chef mais a demandé à ce que les dépenses baissent en 1952 (Cadeau, 2019, pp. 384-385).
6 novembre 51 : Phase préparatoire de l’opération sur Hoa Binh. Déclanchement de l’opération Tulipe. De France, De Lattre approuve les plans d’attaque de Salan pour s’emparer de la trouée de Cho Ben, zone propice à l’infiltration des unités de la division 320 entre le Viet Bac et le Delta. De Lattre déclarera ultérieurement aux journalistes : « Cho Ben, c’était un poignard sur mon flanc gauche. » (Cadeau, 2019, pp. 289-290)
Ce projet de reconquête de la localité est jugé « hasardeuse » par lieutenant-colonel Nguyen Van Hin (conseiller militaire de Bao Daï, futur chef d’état-major des armées vietnamiennes qui sera nommé en mars 1952), lui-même prévenu par le lieutenant-colonel Fristche (conseiller militaire du chef de l’État vietnamien). Hin en réfère à Bao Daï qui manifeste sa désapprobation à De Lattre : « Cette opération ne relève pas de la tactique, mais de la stratégie. Je vous rappelle que je suis chef d’État souverain. Vous auriez dû me demander préalablement mon avis avant de tout déclencher […] » De Lattre convoque Hin pour le sermonner mais, au final, s’adoucit et le garde pour évoquer avec lui les « difficultés rencontrées pour mettre sur pied les divisions vietnamiennes, et [le] rôle qu’elles auraient à jouer très vite dans la lutte. » Him le trouve « très réceptif à [ses] arguments ». De Lattre lui promet « son soutien le plus ferme ». L’entretien se termine de la bouche de De Lattre même par un « au revoir mon fils » (Maigre, 1994, pp. 28-29)
10 novembre 51 : Fin de l’opération Tulipe. L’attaque tombe dans le vide, le VM s’étant une fois de plus évanoui.
14 novembre 51 : Opération Lotus. Elle implique des moyens exceptionnels : 16 bataillons, 8 groupes d’artillerie, 2 bataillons de génie, 2 escadrons de chars, une dinassaut et des moyens aériens. 3 bataillons de parachutistes sautent dans la cuvette de Hoa Binh. 2 GM progressent par la R.C. 6, visant le nord et le sud de Hoa Binh. La ville, facilement reprise par les parachutistes, a été antérieurement partiellement détruite par le VM, juste après l’occupation japonaise. Selon Vanuxem, « les ruines elles-mêmes avaient été détruites » (Vanuxem, 1977, p. 151).
14 novembre 51 - 25 février 52 : Attaque de Hoa Binh (sud–ouest d’Hanoi) et du secteur de la Rivière Noire par les troupes françaises avec un appui de l’armée vietnamienne (carte n° 15 in Teulières, 1979, p. 97 ; carte in Giap 2, 2004, p. 207). Le colonel Vanuxem (commandant le G.M. 3) estime que « Hoa Binh était un objectif au péril mesuré » (Vanuxem, 1977, p. 146) suite aux pressions politiques qu’avait reçu De Lattre (voir 4 novembre). Longée par la R.C. 6 qui relie Hanoi à Hoa Binh, la zone est tenue solidement depuis 1945 par l’A.P.V.N. On s’en prend ainsi à un axe vietminh partant du nord de l’Annam et qui sert à l’approvisionnement venant de la Chine. L’offensive vise également à protéger les fortifications du delta du Fleuve Rouge contre les infiltrations du VM. S’ensuit une longue bataille découpée en de multiples opérations : Tulipe, Lotus, Jasmin, Nénuphar. Les résultats seront là encore mitigés car ou les Français sont confrontés à une bataille d’usure ou l’ennemi s’esquive. Les pertes sont sévères des deux côtés : 1 100 morts pour le VM, 800 chez les Français. Au final, cette bataille n’aboutit pas. La position des Français trop avancée dans le dispositif ennemi devra être totalement abandonnée quelques mois plus tard (voir début janvier 1952 ; 22 février 1952) (Gras, 1979, pp. 424-427).
15 novembre 51 : Nouvelle opération de communication de De Lattre face aux journalistes : « Aujourd’hui, avec l’opération de Hoa Binh, nous avons provoqué de grandes difficultés pour l’adversaire. Nous l’avons contraint, par notre action, à s’engager […] La bataille de Hoa Binh aura un grand écho international […] J’ai saisi l’ennemi à la gorge. » (cité in Giap, 2004, p. 192 ; Salan 2, 1971, p. 264).
Réunion de l’état-major du VM qui accepte le défi lancé par De Lattre : « L’ennemi y était à peine arrivé et n’avait pas encore eu le temps de consolider ses défenses. Les montagnes et les forêts faciliteraient le mouvement de nos troupes, nous permettant de cerner et diviser les forces ennemies. D’ailleurs, la proximité du Viet Bac, et donc des bases des divisions régulières, favoriserait le ravitaillement et l’approche de nos troupes, nous permettant d’ouvrir rapidement le feu. » Seuls les conseillers chinois sont réticents, estimant que les pertes antérieures du VM ont été lourdes et que les Français pourront faire intervenir leur aviation et leur artillerie (Giap, 2004, p. 193). Mais ceux-ci sont arrivés à un but rarement atteint jusqu’alors : Le VM ne s’esquive pas et consent à mener la bataille.
16 novembre 51 : De Lattre se rend sur le terrain à Hoa Binh qui dispose d’un aéroport. Il conseille à ses troupes de se retrancher. Puis il se rend à Hanoi et confie à Salan qu’il doit partir se soigner en France. Il lui confie à nouveau le commandement par intérim (Salan 2, 1971, p. 265).
Il adresse une lettre à Letourneau. Évoquant Tran Van Huu (président du Conseil) et son gouvernement, il dénonce la corruption du régime : « Concentration entre les mains présidentielles de tous les portefeuilles à fonds spéciaux, mainmise sur le Sud-Vietnam par personne interposée, absence d’une politique financière véritable et ajournement d’un budget, méfiance à l’égard de toute représentation populaire et de tout organisme de contrôle, tendances rétrogrades en matière sociale, inertie dans le domaine de la propagande, incapacité totale à mettre sur pied une administration à peu près honnête et efficace […] » (cité in Cadeau, 2019, p. 370). On est aux antipodes de ce que pratique le VM. Le bilan de De Lattre pour engager le Vietnam dans une guerre jugée juste est un échec cuisant.
Le 64e régiment de la 320e division attaque en plein jour les Français à Tu Den (sud de Cho Ben). Une compagnie du 3e régiment étranger d’infanterie est décimée. Tout le bataillon capitule (Giap, 2004, p. 194).
Salan apprend par le chef de la Sûreté que Graham Greene « est considéré comme un agent de l’Intelligence Service ». Il est l’hôte du colonel Trevor, consul général de Grande Bretagne mal vu par De Lattre… Le malentendu est réglé par Salan qui l’invite à se rendre à Phat Diem (zone des Évêchés) pour y visiter les tours qui seront évoquées dans Un Américain tranquille (Salan 2, 1971, pp. 265-267).
17 novembre 51 : L’état-major vm donne l’ordre aux 308e et 312e divisions de faire mouvement vers Hoa Binh. La 316e division et les troupes régionales multiplient les actions de guérilla dans la moyenne région. La 304e division progresse vers la R.C. 6 avec pour objectif de la couper (Giap, 2004, pp. 194-195).
18 novembre 51 : La commission générale du Parti dans l’armée désigne Nguyen Chi Thanh (chef du département général de la politique) et Hoang Van Thai (chef d’état-major général) pour diriger les opérations. Mei Jiasheng, conseiller chinois, ne s’y rend pas, estimant qu’il aurait fallu mener de petites actions durant l’hiver. Il se rend à Pékin pour rendre compte de la décision du VM (Giap, 2004, p. 195).
19 novembre 51 : De Lattre, souffrant de plus en plus, quitte le Vietnam et rentre à Paris. C’est Salan qui est chargé de diriger les opérations.
20 novembre 51 : Le commandement général du VM donne l’ordre à la 312e division d’attaquer les positions françaises implantées sur la rivière du Day, de Hoa Binh à Trung Ha (Giap, 2004, p. 195).
23 novembre 51 : HCM réunit le bureau politique du Parti et approuve la bataille d’Hoa Binh. Giap est chargé de transmettre aux chefs militaires désignés le 18 les idées du bureau : « Je soulignai qu’il s’agissait d’une occasion très favorable pour nous d’anéantir les forces adverses et de rétablir la guérilla dans les zones occupées. » (Giap, 2004, pp. 195-196).
24 novembre 51 : Le comité central du Parti publie une directive sur « la tâche de déjouer l’offensive ennemie de Hoa Binh » : « Il s’agit d’une occasion très favorable pour anéantir les forces adverses. » Ce point de fixation doit permettre de mener des opérations ailleurs en menant des actions de guérilla. HCM écrit aux troupes régionales et aux milices de guérilla : « Auparavant nous devions leurrer l’ennemi pour qu’il sorte de ses bases et se battre contre nous. Aujourd’hui, de sa propre volonté, il sort pour s’engager. C’est là une bonne occasion pour nous. » (Giap, 2004, p. 196).
25 novembre 51 : Le VM crée la 3e interzone. Elle regroupe Haïphong, Kien An, Thai Binh, Hung Hien, Hai Duong, Hanoi, Ha Dong, Son Tay, Han Nam, Nal Dinh, Ninh Binh et Hoa Binh. Soit une zone de 16 000 km2, la plus riche et la plus peuplée au Nord. Le comité du Parti de la 3e interzone comprend Le Thanh Nghi, Do Muoi, Le Quang Hoa, Nguyen Van Tran en est le secrétaire. Du point de vue militaire, le général Hoang Sun en est le commandant en chef. Le Quang Hoa en est le commissaire politique. 6 régiments la défendent : 34e, 42e, 48e, 52e, 64e et 66e. Ces 2 derniers régiments ont des effectifs complets mais sont mal équipés et armés (Giap 2, 2004, pp. 139-140).
26 novembre 51 : La 304e division attaque la zone sud de Hoa Binh et coupe les transports français sur la R.C. 6.
Le 165e régiment (312e division) détruit le 3e bataillon thaï à Lai Dong (550 hors combat). Le régiment subit cependant d’importantes pertes (Giap 2, 2004, p. 197).
28 novembre 51 : Le VM attaque dans la nuit le poste de Doi Sim sur la route provinciale 21 au sud de Hoa Binh. Le poste tombe (Giap 2, 2004, p. 196).
De Lattre, pouvant à peine marcher, rencontre le Président de la République Vincent Auriol pour préparer le Haut-Conseil de l’Union française qui a lieu à Paris pour la première fois. Cette instance avait été créée en 1946 mais ne s’était jamais réunie avant ce jour. De Lattre participe également aux différentes conférences ministérielles, tout en suivant de près la bataille de Hoa Binh en cours.
30 novembre 51 : Giap arrive au P.C. avancé de Duong Luong (district de Cam Khe) au bord du fleuve Thao (Giap 2, 2004, p. 197).