5 février 51 : Long message de Bao Daï au peuple vietnamien pour le Têt (De Lattre, 1988, p. 121). De Lattre le juge « trop long, mal rédigé et médiocrement pensé, il manque complètement de vigueur […] Aucune reconnaissance à l’égard des troupes et de leur chef qui, il y a trois semaines, ont sauvegardé la souveraineté même du Vietnam. » (De Lattre, 1988, p. 131). De Lattre poursuivra son réquisitoire dans un « schéma préparatoire à un entretien avec SM Bao Daï après son message du Têt ». Il y en aborde la question de la corruption du régime et de celui qui le dirige : « On s’étonne que le souverain continue à mener un train de vie supérieur à celui des chefs d’État européens, et qu’il se prête à des affaires douteuses comme les jeux. La France ne peut pas paraître couvrir cette pourriture […] En voilà assez. » (De Lattre, 1988, pp. 132-133 ; sur la corruption du chef de l’État vietnamien, voir également Bodard, 1997, pp. 514-517)
6 février 51 : Deux mots reviennent sans cesse dans la bouche de De Lattre : « vietnamisation et béton… » (Salan 2, 1971, p. 208). Il entame l’édification d’une ligne fortifiée, dite « ligne De Lattre », (2 200 ouvrages prévus, 800 seront réalisés fin 1951, accompagnés de 250 points d’appui, Toinet, 1998, p. 121 et 130). Cette ligne de défense doit être étagée en profondeur pour protéger le delta du Fleuve Rouge, ce qui permettrait à ses troupes de résister et de contre-attaquer (carte in Tertrais, 2004, p. 27). Salan n’est pas enthousiasmé par cette idée. De Lattre le convainc en lui disant que cette ligne ne « sera pas un système défensif inerte. » (Salan 2, 1971, p. 209) Pour autant, cette ligne défensive va immobiliser 82 470 hommes pour sa construction dont de nombreux militaires (Toinet, 1998, p. 121). Selon Giap, elle immobilise également 1 200 mortiers, 500 pièces d’artillerie de 37 et de 105 mm, 10 000 fusils et mitrailleuses. Il reconnaît dans ses mémoires qu’à cette époque, « nous disposions pas d’armes suffisamment puissantes pour démolir ces bunkers. » (Giap 2, 2004, p. 213). Selon les plans de De Lattre, ultérieurement devait être aussi édifié un système identique dans la région Tien Yen-Monkay (Gras, 1979, p. 389). L’aide financière des États-Unis est réclamée pour sa constitution. Un émissaire est envoyé. Elle ne pourra être honorée dans l’immédiat. Cette ligne fortifiée a, selon Fall, « l’étanchéité d’un tamis », faite trop rapidement sous la pression du commandant en chef. Elle n’empêchera ni les infiltrations ni l’existence d’une guérilla endémique, ni même la présence de grosses unités ou de troupes régionales vietminh en son sein, soit près de 30 000 hommes. Cette défense statique qui mobilise hommes et matériels s’avère rapidement assez inefficace. Ces postes discontinus sont sans cesse harcelés ou subissent des attaques nocturnes puissantes et rapides visant à les détruire (Fall, 2020, pp. 203-215). Dans les faits, les Français tiennent les villes, plus ou moins les routes, les abords du Fleuve Rouge. Mais le VM tient le reste, surtout la nuit.
7 février 51 : Albert Sarrault (ancien gouverneur général d’Indochine) doit rencontrer Bao Daï pour le stimuler pour le renforcement de l’armée vietnamienne. Il se rend à Dalat (Salan 2, 1971, p. 208).
8 février 51 : Première séance de travail de la « commission d’enquête chargée d’étudier les événements qui se sont déroulés dans la zone frontière du Nord-Est du Tonkin en septembre et octobre 1950, en vue de rechercher les responsabilités encourues » lors de l’affaire de la R.C. 4. Ses travaux avec leurs conclusions s’achèveront le 26 juin 1951.
9 cadres du P.C.I. représentant le Cambodge se réunissent avec Le Duc Tho et décident de créer le Parti Révolutionnaire du Peuple Khmer (P.R.P.K.).
10 février 51 : Salan passe provisoirement le commandement du Nord au général De Linarès et part pour Saigon pour étudier la situation générale, y compris celle du Cambodge (Salan 2, 1971, p. 209).
11 février 51 : Bao Daï adresse à De Lattre un télégramme dans lequel il l’informe d’un projet de changement de ministre de la Défense (De Lattre, 1988, p. 140). Nguyen Huu Tri serait remplacé par le docteur Pham Huy Dan. Mais il y a toujours blocage entre le président du Conseil sudiste Tran Van Huu qui déteste le nordiste Tri. De Lattre, amer, observe : « La conclusion à tirer des difficultés actuelles est l’inaptitude foncière des Vietnamiens à faire taire les particularismes égoïstes au bénéfice d’un idéal désintéressé. » (De Lattre, 1988, pp. 140-141)
11 - 19 février 51 : Deuxième congrès du VM au Viet Bac (à Vinh Quang) qui marque la fin du P.C.I. Y participent 158 délégués titulaires et 58 suppléants. Après la défaite de Vinh Yen, HCM estime que la situation est dans une phase transitoire avant un projet de contre-offensive générale. Il met en place « un parti officiel adapté à la situation intérieure et internationale », le Viet Nam Dang Lao Dong (ou Lao Dong, « parti des Travailleurs ») qui adopte le marxisme-léninisme comme doctrine et le régime du centralisme démocratique comme forme de gouvernement. Le Lao Dong sera donc désormais le parti communiste officiel du Vietnam. Le congrès désigne un président, HCM, et le secrétaire du comité central est Truong Chinh (deuxième personnage du régime de tendance prochinoise) (Gras, 19179, p. 386 ; Giap 2, 2004, pp. 86-89).
Le 14 février, Giap présente son rapport militaire. Il préconise une action combinée guerre de mouvement (au nord) et guérilla (au sud) avant de passer à une offensive générale. Concernant les relations entre les 3 peuples indochinois, une résolution précise que « l’Indochine représentait un théâtre de guerre unique, ce qui demandait une bonne coordination entre les trois pays dans un même combat. Le Vietnam devait prêter une assistance active à la révolution cambodgienne et laotienne dans le développement des forces armées et la mise en place d’une base arrière dans chaque pays. » (Giap 2, 2004, pp. 90-93)
Au Cambodge, annonce est faite de la prochaine constitution du Parti Révolutionnaire du Peuple Khmer (P.R.P.K.), ancêtre du P.C.K. La date du premier congrès du P.R.P.K. est l’objet de controverses historiographiques (19 février ? 28 juin ? 30 septembre ?).
14 février 51 : L’ancien président du Conseil, Paul Ramadier, a un entretien avec Vincent Auriol. Il se montre très critique à l’égard de Jean Letourneau (ministre de Relations avec les États associés) : il n’a aucune politique indochinoise, c’est un affairiste. Il est, selon Auriol, « un entrepreneur qui a beaucoup d’affaires coloniales ». Et il est, toujours selon le même, « le bras droit des congrégations. » (Turpin, 2000, p. 32 ; Auriol 5, 2003, p. 66)
15 février 51 : Déclaration de De Lattre au sujet de son projet de ligne de fortification du delta du Tonkin : « L’idée directrice est de créer, sur le front nord du delta, une ligne fortifiée d’une telle valeur défensive que son attaque par un adversaire dépourvu de moyens très puissants ne soit pas pensable. Le but poursuivi est de mettre le dispositif du Tonkin à l’abri de l’attaque de la Chine communiste disposant d’une grosse supériorité quantitative d’effectifs car c’est là qu’est le péril […] Le temps presse. Il faut donc que les travaux de fortification […] soient entrepris sans tarder et poussés avec la plus grande rapidité. Il ne peut donc s’agir de quelque chose de parfait mais d’un système suffisamment résistant pour faire échec aux moyens actuels de l’adversaire chinois. » Les travaux de fortification ont commencé dès la fin de l’année 1950 dans un triple but : organiser le réduit défensif de Haïphong, mettre en défense la proche périphérie de Hanoï et les principaux points sensibles de la R.C. 5. A cette date, une centaine d’ouvrages sont construits et armés (Cadeau, 2019, pp. 372-373).
20 février 51 : Demande de renforts et de matériel de De Lattre : 12 bataillons, 5 groupes d’artillerie, 3 groupes d’aviation de chasse, de bombardement et de transport de troupes, 2 nouveaux terrains d’aviation, 2 porte-avions et 2 dinassauts. Letourneau (États associés) est obligé de mettre en jeu sa démission pour que soit accordée une petite partie des demandes du commandant en chef (Gras, 19179, p. 390). De Lattre doit différer son départ pour Paris, le temps de gérer les crises dont sont affectés les gouvernements vietnamien et français (voir 10 mars).
A Cat Bay (province de Binh Thuan), au moins 178 villageois sont morts ce jour-là (peut-être plus) et une centaine de maisons ont été détruites par les Français.
28 février 51 : Crise gouvernementale française. Démission du gouvernement Pleven.