Octobre 50 : Un sondage indique que 27 % des Français sont en faveur de la poursuite du conflit et 42 % pour un retrait. Pour les électeurs du seul M.R.P., un quart souhaite que la France sorte de la guerre ou en rapatriant des troupes ou en négociant avec le VM. 42 % d’entre eux sont en faveur de la poursuite du conflit, 25 % pour une sortie (Dalloz, 1996, p. 111).
Apparition des premiers maquis autonomes anti-vietminh en Haute Région tonkinoise sur la rive gauche du Fleuve Rouge, à l’est de Lao Kay (David, 2000, p. 45).
1er octobre 50 : Début de l'opération Tiznit. Elle a pour but le recueil de la colonne Charton qui quittera Cao Bang le 3.
Selon le plan prévu, la colonne Le Page composée de peut-être environ 2 500 hommes (?) doit progresser vers le nord, rejoindre Dong Khe pour rouvrir le passage vers Cao Bang (cartes in Bodard, 1997, p. 569 et Salan 2, 1971, p. 168). La colonne est composée des 1er et 11e Tabor marocains, d’un bataillon du 8e R.T.M. et du 1er B.E.P., son fer de lance. Mais les effectifs annoncés de ces unités sont sans aucun doute largement surestimés par les rapports officiels, voire même par les écrits postérieurs de Le Page comme ceux de Charton (Cadeau, 2022, pp. 224-232).
Pour arriver à ses fins, Le Page doit tenter de reconquérir Dong Khe au plus tard le 2 octobre au matin selon les ordres reçus et le tenir. Or la localité a été reprise par le VM qui s’est solidement retranché à l’intérieur mais aussi dans ses alentours. Ce n’est donc qu’après avoir repris Dong Khe que la colonne Charton pourra se mettre en route vers le sud.
Du côté de l’état-major français, on croit à tort que le VM va lâcher pied comme il l’avait fait lors de la première reconquête de Dong Khe (voir 25 - 27 mai). C’est une profonde erreur d’analyse car les motivations et les effectifs du VM sont bien plus importants que lors de la reprise du poste en mai. Ce que l’état-major sait mais s’efforce de nier (voir 23 - 24 septembre).
Le Page, de son côté, tergiverse lorsqu’il arrive devant Dong Khe. Le soir, il donne un ordre de repli au 1er B.E.P. qui avait au préalable attaqué à l’est de la localité. Les troupes du VM se replient sur la citadelle et ne sont pas poursuivies. De ce fait, les choses traînent. Dong Khe n’est donc pas repris immédiatement comme le prévoyaient les ordres de Constant. Le Page veut réattaquer le lendemain, à l’ouest, avec de meilleures conditions météorologiques, le parachutage d’une section d’artillerie dotée de deux pièces et l’appui de l’aviation. Longue perte de temps qui éclaire Giap sur les intentions françaises et lui permet de renforcer la défense du point stratégique que constitue Dong Khe (Giap 2, 2004, p. 48).
2 octobre 50 : Le groupement « Bayard » commandé par Le Page attaque à nouveau Dong Khe, cette fois par l’ouest. Des points importants de la R.C. 4 au sud de la ville ont été occupés la veille « pour faciliter ultérieurement le repli du détachement ». Il a donc fallu y laisser des hommes, ce qui affaiblit encore les effectifs de la colonne présente à Dong Khe. Ces postes tenus au sud de la ville ne tiendront pas face à la pression du VM et tomberont les uns après les autres, les 4 et 5.
Deux bataillons tentent un mouvement débordant sur les crêtes à l’ouest de la localité et s’emparent vers 13 heures du terrain d’aviation mais ne peuvent ensuite ni progresser ni prendre la citadelle. Dès le début d’après-midi, c’est un échec consommé. Qui plus est, les troupes de Le Page qui ont dû s’étendre pour attaquer sont menacées sur leurs flancs. Le plan initial, rejoindre la garnison de Cao Bang à Nam Nang (15 km au nord de Dong Khe), ne peut donc aboutir.
Et pourtant l’opération va être poursuivie mais avec un défaut notoire d’informations. Le Page a beaucoup de mal à utiliser ses moyens de communication en pleine jungle. Il manque, avant et depuis son départ, de renseignements sur les forces ennemies. Il manque aussi d’une certaine manière de lucidité, s’attendant plus à un combat de guérilla classique qu’à une puissante manœuvre du VM. A la décharge des exécutants, car eux-mêmes sont très mal renseignés par leur commandement (Bodard, 1997, pp. 572-574). Ce n’est qu’à ce moment précis de la bataille que Le Page apprend le but de sa mission : progresser d’une quinzaine de kilomètres au nord de Dong Khe pour aller y recueillir la colonne Charton venant de Cao Bang.
Le Page décide d’aller à la rencontre de Charton avec deux bataillons qui ont contourné Dong Khe par l’ouest. Deux autres sont restés au sud de la localité pour fixer l’ennemi. Or les troupes vietminh n’entendent pas rester sur la défensive. Le Page est donc obligé de morceler ses forces qui sont déjà faibles par rapport à celles du VM.
Dans le courant de l’après-midi est parachutée une section d’artillerie sur Na Pa (4 km au sud de Dong Khe) et l’aviation mitraille les colonnes vietminh à l’est de la R.C. 4. Pour autant, dans la nuit, les puissantes forces du VM prennent contact avec les lignes françaises qui sont sans cesse harcelées.
En France, lors d’une journée internationale de lutte organisée par le Congrès mondial des partisans de la paix, les militants communistes font signer un « bulletin de vote pour la paix » sur lequel figure la formule « Parce que j’ai honte de la guerre qui se fait au Vietnam, qui soulève la réprobation de tous les hommes de cœur et qui tue nos enfants […] JE VOTE POUR LA PAIX. » D’après L’Humanité du 9 décembre, 7 millions de Français auraient ce jour-là signé cet appel (Ruscio, 1985, p. 240).
3 octobre 50 : Le groupement Le Page atteint, après 10 heures de marche, la cote 765 à 5 km de Na Pa au sud de Dong Khe. Son projet de rejoindre Charton est sans cesse contrarié par de violentes attaques du VM qui entend isoler et détruire définitivement le groupement « Bayard ». Les pertes sont lourdes et les Français se sentent rapidement submergés sous les assauts répétés. Au soir, la situation est quasi-désespérée (Bodard, 1997, pp. 593-595). La colonne s’est fractionnée en 2 détachements : 2 bataillons sont demeurés au PC et 2 autres sont stationnés à Na Pa et Khau Luong. Le VM décide maintenir leur séparation pour les affaiblir plus encore. Il attaque successivement les 2 bataillons demeurés avec Lepage puis les 2 autres. Selon Giap, « le 11e Tabor et le 1er B.E.P. étaient pratiquement décimés après une journée entière de combat. Khau Long était presque submergé. » (Giap 2, 2004, pp. 52-53)
Départ à 5 h 30 de la colonne du lieutenant-colonel Charton de Cao Bang vers Dong Khe que 45 km séparent (opération Thérèse-nord ou Orage) avec peut-être autour de 2 000 combattants (?) et un reliquat d’environ 800 à 900 civils qui n’ont pu être évacués par le pont aérien du fait des conditions météorologiques (Cadeau, 2022, pp. 260-262). Les destructions dans la ville ont été retardées au maximum pour ne pas révéler l’imminence du départ. Pour autant, l’abandon de la ville est un secret de polichinelle (voir 12 mai 1951). Charton devait, selon les ordres de Charpentier, progresser le plus rapidement possible en s’allégeant. Opposé à l’évacuation de Cao Bang qu’il pense pouvoir défendre avec ses propres moyens, il refuse d’abandonner une partie du matériel lourd (canons, camions) et l’emporte, ce qui rend encore plus vulnérable sa colonne sur la R.C. 4 dès qu’il faut franchir un ouvrage d’art sur une route truffée de coupures et prise dans des défilés de calcaire recouverts de jungle et de cavités, avec des cols tenus par le VM. C’est la plus mauvaise décision qui pouvait être prise et elle l’est sur une initiative personnelle de Charton qui lui non plus n’a pas obtenu d’ordres clairs du fait du maintien du « secret » autour du sens des opérations communiqué aux exécutants. La progression est lente (15 km la première journée), car la colonne est freinée par la présence des civils, de 2 canons et 17 véhicules chargés d’emmener l’armement lourd, les munitions et les vivres. Les coupures de route effectuées par le VM (ponts) et la longueur de la colonne ne permettent aucune manœuvre. Le matériel lourd devenu plus qu’encombrant sera finalement abandonné et détruit, occasionnant une nouvelle perte de temps.
Au soir du 3, le colonel Constans inquiet de ce qui se passe à Dong Khe donne l’ordre à la colonne Le Page de quitter la R.C. 4 et de dévier par la piste Quang Liet pour aller vers Lung Phai mais ce message ne sera reçu que le lendemain du fait là encore des communications défaillantes.
4 octobre 50 : La colonne Charton n’a que faiblement progressé, une vingtaine de kilomètres sur les 45 à parcourir. Elle a perdu du temps à détruire son matériel lourd puis à chercher une piste Quang Liet qui n’existe plus car totalement envahie par la végétation. Malgré les injonctions pressantes de Constans, elle ne peut que s’enfoncer difficilement dans la forêt en suivant la rivière Nam Nang et ne progresse que de 7 km ce jour,
Les restes du groupement Le Page, épuisés, tentent de se regrouper et de rejoindre la piste sur laquelle se trouve la colonne Charton. D’un côté comme de l’autre, il s’avérera que cette piste n’existe désormais plus que sur les cartes. Ici aussi, on s’enfonce donc dans la jungle, à l’aveuglette. Le 1er B.E.P. ne parvient pas à les rejoindre et prend un autre itinéraire particulièrement difficile en direction de la cuvette de Coc Xa située à l’ouest de la R.C. 4 qui sera atteinte le lendemain (carte in Bodard, 1997, p. 590 ; Giap 2, 2004, p. 53).
5 octobre 50 : Le groupement Charton progresse de plus en plus lentement, 6 km ce jour. La colonne se traîne et s’étend désormais sur 5 km de long.
Nuit du 6 au 7 octobre 50 : La cuvette de Coc Xa où s’est réfugiée la colonne Le Page subit des bombardements et des tirs de mitrailleuses. Elle est cernée par une unité de la brigade 308. Un ravitaillement aérien est effectué mais tombe en grande partie dans les lignes ennemies. La position n’est plus tenable. On a prévu d’en sortir le lendemain et de rejoindre le point 477, une hauteur située à l’ouest de Coc Xa. C’est là que doit se faire la jonction avec la colonne Charton. Mais vers 17 heures, on apprend que le seul goulet qui permet de sortir de la cuvette, un point nommé « la source », a été lâché par une section du 8e R.T.M. et est désormais aux mains du VM. On compte le franchir le lendemain, grâce à un appui aérien mais on apprend dans la nuit qu’il n’aura pas lieu du fait du retour de mauvaises conditions météorologiques. Les ordres de Langson sont donc de franchir ce goulet de nuit pour réduire les pertes. Le Page se trouve à ce point précis et parvient difficilement à le traverser de nuit.
Jonction entre les débris des 2 colonnes vers le point 477 avec 3 jours de retard par rapport à ce qui avait été prévu. Charton, qui n’a pas voulu abandonner les civils, a en fait mis 4 jours pour parcourir 45 km entre Cao Bang et le point de rencontre (Gras, 1979, pp. 339-340 ; Stien, 1993, pp. 58-64).
6 octobre 50 : Le colonel Constans donne l’ordre de constituer un groupement de circonstance (le groupement Rose) pour « aider au décrochage » des restes des colonnes Le Page et Charton vers That Khe. Il est constitué de deux compagnies du 3e R.E.I. et de deux goums du 11e Tabor, soit environ 500 hommes (Cadeau, 2022, pp. 277-282).
7 octobre 50 : A 3 heures du matin, ce qui reste de la troupe, des légionnaires (1er B.E.P.) et des Marocains (1er Tabor) ont réussi à quitter la cuvette de Coc Xa pour le point 477. A 5 heures, le 1er B.E.P. lance une attaque dans l’obscurité et la brume. On en vient à un combat où il subit un feu rapproché violent. Le 1er B.E.P. perd quatre cinquièmes de ses effectifs en tués ou blessés. Ce ne sont que des éléments disloqués et pléthoriques de la colonne Le Page qui sont parvenus à rejoindre la colonne Charton.
En début d’après-midi, Le Page peut encore compter sur 560 hommes mais le 1er B.E.P. est réduit à 9 officiers et 121 légionnaires. Les débris de la colonne Charton sont également attaqués de toute part. Le Page demande à ce qu’on largue un bataillon de parachutistes à Ban Ca pour ouvrir le passage sur That Khe mais reçoit une réponse négative du fait des mauvaises conditions météorologiques. Constans ne peut qu’envoyer des messages incitant les commandants des colonnes à forcer vers le sud.
A 13 heures, Le Page rencontre Charton. Il renonce à prendre le commandement au vu de la situation catastrophique de son groupement. Les rescapés des deux colonnes sont cernés et essuient pour l’instant des tirs lointains peu efficaces. Mais l’étau vietminh peut se resserrer à tout instant.
A 16 heures, les goumiers du 3e Tabor, pris de panique, abandonnent leur position. C’est une débandade durant laquelle seuls 12 officiers et 475 hommes réussissent à s’échapper. Du 1er B.E.P., il ne reste désormais que 3 officiers et 21 légionnaires. Le lieutenant-colonel Charton, gravement blessé, est fait prisonnier. Le Page tente de fuir mais sera également capturé peu de temps après Charton (Gras, 1979, pp. 344-345).
A Saigon, on ne s’aperçoit pas tout de suite de l’échec cinglant que viennent de subir les 2 colonnes. Pignon (haut-commissaire) déclare ce jour même à un correspondant de l’A.F.P. que « les informations de source étrangère parlant d’une contre-offensive générale du Vietminh entre Langson et Dong Khe étaient absolument inexacts. » Il confirme que la jonction des 2 colonnes a eu lieu mais sans préciser dans quelles conditions, des conditions qu’il ignore peut-être à ce moment précis (Gras, 1979, p. 346).
Une menace de plus en plus précise – mais non alarmante sur le sort de Langson (voir 15 octobre) – se fait sentir sur la R.C. 4 au sud de That Khe du fait de la probable progression de la brigade vietminh 308 vers le sud. Constans a demandé le parachutage d’un bataillon aux abords de la ville mais seuls 280 hommes du 3e B.C.C.P. (bataillon colonial de commandos parachutistes) et une compagnie de légionnaires ont pu y être envoyés. Le tout représente 411 hommes.
En France, le général Juin, chargé de faire un rapport de situation par le gouvernement Pleven, se demande alors « […] si la France estime toujours l’énorme dépense d’argent et de vies humaines que nous supportons depuis cinq ans […] se trouve compensée par les avantages que lui procure le rattachement de l’Indochine à l’Union française. » Il estime que si le pays ne le pense plus, il reste deux solutions : ou traiter avec HCM (« un aveu d’impuissance » qui peut faire tache d’huile ailleurs) ou internationaliser le conflit en le portant devant l’O.N.U. Il conclut : « C’est à la France de choisir. » (Devillers, 1988, pp. 361-362).
8 octobre 50 : Parachutage d’éléments du 3e Bataillon colonial de commandos parachutistes (3e B.C.C.P., 268 hommes) pour tenter de mettre That Khe à l’abri et aider le groupement Rose à recueillir les débris des colonnes Le Page et Charton aux environs du pont de Bascou situé au nord de la localité. Ils récupèreront environ 400 rescapés, légionnaires et Marocains confondus. Le soir, menacé, tout le monde se replie sur That Khe où, sur ordre d’Alessandri, doit être largué un bataillon de parachutistes (3e groupement colonial de commandos parachutistes à un effectif réduit de 266 hommes, 3e G.C.C.P.) et 130 légionnaires, renforts non aguerris du 1er B.E.P., pour couvrir de nuit le repli des rescapés (Cadeau, 2022, pp. 279-280 ; Cadeau, 2019, pp. 321-322).
Nuit 8 au 9 octobre 50 : Pour contrer le repli en cours du reliquat des 2 colonnes, de la garnison de That Khe et des renforts qui les accompagnent, le VM fait sauter le pont de Ban Trai sur la rivière Song Ky Cong à 6 km au sud-est de la ville. Il s’empare des postes de la R.C. 4 vers Na Cham qui devaient aider au repli (Gras, 1979, pp. 348-349). Le peu de postes français prévus pour accompagner le repli qui tenaient encore la R.C. 4 au sud de That Khe doivent à leur tour se replier.
9 octobre 50 : L’ampleur de la catastrophe commence à être connue. Un représentant de l’état-major de Langson annonce à la presse que seules quelques unités formant l’avant-garde du groupement Le Page ont atteint That Khe et « qu’il n’en arriverait pas d’autres » (Gras, 1979, p. 346). Au total, les Français ont à ce moment précis perdu environ 4 000 hommes (Gras, 1979, p. 347).
Le 79e bataillon du 102e régiment vm enlève le poste de Ban Ne à 5 km au nord de That Khe.
10 octobre 50 : Arrivée vers 15 h 00, des rescapés qui se trouvaient au nord de That Khe. L’évacuation de la localité se fait à partir de 18 heures vers le sud (carte in Salan 2, 1971, p. 170). Elle comprend plusieurs milliers de personnes dont seulement 1 500 combattants, en avant et arrière-garde. Des stocks d’armes et de munitions ainsi que des documents d’état-major sont abandonnés. Du fait de la destruction récente du pont de la rivière Song Ky Cong (voir nuit du 8 - 9 octobre), son franchissement n'est possible qu’au moyen de 6 embarcations du génie. Or la rivière Song Sy Cong est en crue. Seuls quelques éléments peuvent la franchir au petit matin. Le groupement de parachutistes (3e B.C.C.P.), resté en arrière-garde sur la rive nord, ne la franchira quant à lui que tardivement par ses propres moyens et avec retard. Après ce franchissement, bloqué par l’ennemi, il ne peut traverser le défilé du Deo Cat, assailli de toutes parts. Traqué pendant 3 jours, ce groupement est finalement complètement anéanti le 12, 10 km à l'ouest de la R.C. 4.
A Langson règne désormais un vent de panique. Selon les renseignements dont dispose le colonel Constans, entre 15 et 18 bataillons vietminh (dont la brigade 308) pourront dans un délai estimé à 4 ou 5 jours atteindre sinon la ville, du moins sa périphérie et occuper ses voies de communication. Constans en conclut hâtivement qu’il faut au plus vite évacuer la ville. Or cette appréciation est totalement erronée : le VM ne peut progresser aussi rapidement qu’il ne l’a fait car, autour de Langson, aucun préparatif logistique comparable aux précédents (Le Hong Phong II) n’a été anticipé par les services de l’arrière vietminh qui y avaient travaillé 3 mois durant. Le commandement français semblent même ignorer que les troupes du VM ne se peuvent se déplacer que lentement parce qu’étant à pied… De plus, les opérations au nord de That Khe ne sont pas terminées et le VM y a quand même subi des pertes non négligeables. Langson est défendable car possédant 6 bataillons, des chars et de l’artillerie. Des renforts peuvent y venir (Gras, 1979, pp. 349-351). Le plan d’évacuation se fait à la hâte, parcouru par un vent de panique. Les dépôts ne sont même pas détruits et ne le seront que très partiellement, par l’aviation.
Le colonel Gambiez reçoit l’ordre d’abandonner Thaï Nguyen, non pour se porter trop tardivement au secours de la R.C. 4 mais pour aller défendre Hanoi et le Delta que l’on juge désormais menacés de toutes parts (Gras, 1979, p. 334). Au sujet de cette ville, Bodard constate : « Thaï Nguyen aura été française une dizaine de jours et plus jamais, jusqu’à la fin de la guerre, les Français n’y retourneront ; plus que jamais ce sera la « capitale d’Ho Chi Minh », le lieu saint des Vietminh, tout à côté d’Hanoï, son concurrent. » (Bodard, 1997, pp. 629-631)
Installation du M.A.A.G. à Saigon. Trois généraux américains s’y succèderont : Brink, Trapnell puis O’Daniel. 21 officiers en font partie au départ, renforcés par 128 membres à partir du 20 novembre. Trois sections sont organisées : Air, Terre et Mer. O’Daniel dépend de l’amiral Radford, commandant en chef pour le Pacifique. A partir de 1953, la structure sera renforcée par 12 officiers attachés militaires auprès de l’ambassade (Toinet, 1998, p. 150). Sa mission est en théorie purement administrative et technique (contrôle des demandes de crédits et de matériels) mais, dans les faits, elle interviendra rapidement dans l’organisation et l’instruction de l’armée vietnamienne, au grand dam des Français (voir 8 juin 1954) qui reprocheront aux Américains de ne voir les choses en Indochine qu’au prisme de ce qui se passe en Corée (Ély, 1964, pp. 270-271).
12 octobre 50 : Pleven (président du Conseil) décide d’envoyer au Tonkin les unités destinées à la relève pour l’année 1951 : 7 bataillons d’infanterie, 2 groupes d’artillerie, 1 régiment de cavalerie blindée, 1 groupe d’avions de bombardement et des quantités importantes de canons et de véhicules blindés (Gras, 1979, p. 354).
12 - 18 octobre 50 : Évacuation discrète de Langson par les Français (carte in Salan 2, 1971, p. 173).
Selon Bodard qui a recueilli des témoignages sur place, « on m’explique que cela s’est fait au moyen de gigantesques convois – on a progressivement renvoyé l’intendance, le génie, les archives, les gros camions. On a expédié ensuite les Tabor et les Marocains. Et puis, subrepticement, dans la nuit du 17 au 18 octobre, c’est la garnison elle-même qui s’en est allée. » (Bodard, 1997, p. 617)
13 octobre 50 : Évacuation par les français de Na Sam (Giap 2, 2004, p. 64).
14 octobre 50 : Venue à Langson du général Alessandri, commandant la Zone opérationnelle du Tonkin (Z.O.T.). Il valide le plan d’évacuation de la ville. De retour à Hanoï, il voit Carpentier qui le valide également provisoirement. On poursuit donc les opérations d’évacuation. Alessandri, discrédité, est sur le point de quitter son commandement qui revient au général Boyer de la Tour (voir 24 octobre) (Boyer de la Tour, 1962, p. 180).
Le Cambodge est partie prenante à la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide signée le 9 décembre 1948.
Le journal du R.P.F. Le Rassemblement titre « L’Indochine en péril : le régime des partis responsables du massacre de Cao Bang » et s’en prend violemment au gouvernement Pleven (Turpin, 2000, p. 26, note 11).
15 octobre 50 : La brigade vietminh 308 est toujours entre Dong Khe et That Khe. Plus au sud, le T.D. 174 est dans le secteur de Lung Vaï. Na Cham n’a pas été dépassé. D’un point de vue strictement militaire, rien ne justifie le vent de panique qui se propage à Langson car la ville n’est entourée que par quelques unités régionales (Gras, 1979, p. 349).
Ayant reçu le feu vert d’Alessandri, Constans déclenche les mesures de repli des postes environnants. Il reçoit cependant un contre-ordre de Carpentier. Un Conseil de défense en présence du haut-commissaire Pignon décide de surseoir aux opérations jusqu’à l’arrivée du général Juin (missionné par le gouvernement Pleven) et de Jean Letourneau, ministre des États associés. Ces visites sont prévues pour le 17 au soir (voir 17 octobre). En attendant, les unités non repliées doivent reprendre leurs positions de combat. Mais le repli est déjà en cours depuis la veille. Constans, Alessandri, les états-majors de secteur et Carpentier demeurent tous persuadés qu’il est nécessaire.
Lettre de Bernard De Lattre de Tassigny à ses parents qui témoigne du trouble des exécutants face aux errements actuels du commandement. S’adressant à son père, il lui écrit : « […] nous acceptons tout ce qui fait l’inconfort de notre vie mais nous avons besoin de savoir pourquoi nous sommes là et d’être commandés autrement qu’à la petite semaine. » (citée in De Lattre, 1988, p. 47 ; voir également 29 mai 1951) Le fils du général parle en connaissance de cause, il est présent au moment de l’évacuation de Langson (voir 17 octobre) (Bodard, 1997, p. 686).
A l’Assemblée nationale, le socialiste Guy Mollet, défend l’engagement français dans le conflit indochinois (voir 19 octobre) : « C’est tout le Sud-Est asiatique que menace aujourd’hui le bolchevisme et le Vietnam est l’un des verrous les plus importants. » (cité in Ruscio, 1985, p. 213)
17 octobre 50 : La décision d’abandonner définitivement de Langson est prise par Carpentier dans l’après-midi. Poursuite du repli des postes sur la ville. Pris d’un remord, Alessandri télégraphie à Langson d’y « laisser un détachement léger » pour effectuer des destructions. 1 300 tonnes de munitions sont abandonnées à l’ennemi (8 000 obus, 4 000 fusils, des vivres et de l’habillement en quantité). Les tentatives ultérieures de bombardement aérien ne parviendront jamais à tout détruire car les dépôts sont protégés. Les estimations optimistes des états-majors mentionneront par la suite la destruction par l’aviation tout au plus de 25 à 40 % des stocks délaissés (Gras, 1979, pp. 352-353). Les Français abandonnent également Dong Dang (Giap 2, 2004, p. 64).
Arrivée à Saigon de Letourneau accompagné de son conseiller militaire et inspecteur des forces d’Outre-Mer, le général Valluy, et du général Juin (chef d’état-major des Forces armées et chargé de mission par le président du Conseil). Mis devant un fait accompli, ils apprennent dès leur arrivée l’évacuation précipitée de Langson qui devient « le symbole de la panique militaire ». Ils la désapprouvent. On évoque même alors dans certains milieux militaires ultrapessimistes l’évacuation d’Hanoi. Les trois hommes se rendent au Tonkin et donnent des ordres « pour que le delta soit solidement tenu et que l’on en termine avec cette atmosphère de panique. » Ils préconisent la formation de groupes mobiles et, dès leur retour à Paris, apportent des modifications dans le commandement militaire en Indochine avec le départ programmé d’Alessandri qui va désormais tenir le rôle de bouc-émissaire du récent fiasco (Salan 2, 1971, pp. 175-176).
18 octobre 50 : Départ de la garnison de Langson à 4 heures du matin. Aucune réaction du VM n’est observable. On abandonne également le poste de Lang Giai (Giap 2, 2004, p. 65).
Politiquement, les choses ne se présentent pas mieux. Le président du Conseil vietnamien, Tran Van Huu, poussé par les partis nationalistes (Daï Viet, Caodaïstes soutenus par les États-Unis), attaque dans une interview accordée au Journal d’Extrême Orient la manière dont la France applique les accords du 8 mars 1949. Il se plaint de « l’attitude impossible » de la délégation française à la conférence de Pau (voir 29 juin) qui n’a pas tenu sa promesse d’envoyer un équipe politique responsable mais seulement des fonctionnaires fidèles au colonialisme, et qui n’ont fait qu’attiser au final les rivalités entre le Vietnam, le Laos et le Cambodge (Gras, 1979, p. 357).
Après un Conseil de défense de l’Indochine, le général Juin s’entretient avec Carpentier et pense avoir obtenu de lui « une autre détermination ». Il sera par la suite encore plus explicite. Dans une voiture qui le ramènera à l’aéroport de Rabat, il déclarera : « J’ai secoué Charpentier, je lui ai dit qu’il n’aurait jamais dû lâcher Langson et que s’il ne l’avait pas repris dans les six prochains mois […] je le laissais tomber. » (cité in Turpin, 2000, p. 33, note 47) Pour autant, il continuera à le couvrir, notamment dans son rapport remis au gouvernement après sa mission (voir 27 octobre).
Le bilan côté français est lourd : sur les 3 900 hommes de la colonne Le Page, un peu plus de 1 000 hommes ont rejoint Langson avant son évacuation ; des 3 500 hommes de la colonne Charton, 363 rejoignent ; des parachutistes du 3e G.C.C.P. (voir 8 octobre) demeurent 14 rescapés. Sur un total de 7 400 combattants engagés du 30 septembre au 18 octobre, 6 000 ont disparu (Cadeau, 2019, p. 325).
19 octobre 50 : Pleven (président du Conseil) demande un grand débat sur l’Indochine qui devient un concert de récriminations sur la politique qui y a été menée jusque-là. Le député de l’Eure et futur président du Conseil, Pierre Mendès France (Parti radical, député de l’Eure), en est l’un des protagonistes et s’oppose pour la première fois à cette guerre. Il déplore une « conception globale de notre action en Indochine qui est fausse car elle repose à la fois sur un effort militaire qui est insuffisant pour assurer une solution de force, et sur une politique qui est impuissante à nous assurer l'adhésion des populations. » Il considère que « cela ne peut continuer ainsi. » L’option militaire étant défaillante, il préconise la négociation car il estime toujours que la priorité doit être donnée à la défense européenne : « […] La vérité est que nous n’avons pas les moyens matériels d’imposer une solution militaire que nous avons poursuivie vainement quand elle était pourtant plus facile à obtenir […] La négociation est la seule solution possible, une négociation avec Ho Chi Minh sur des bases qui pourront être acceptées par lui et qui garantissent nos intérêts culturels et économiques. » (cité in Devillers, 2010, p. 294) Ce n’est pas l’avis de Pleven (président du Conseil) qui préfère toujours, malgré la débâcle en cours, une solution militaire. Il a envoyé Juin, Letourneau et Valluy à Hanoï pour y tenir un conseil de défense (voir 17 octobre) (Gras, 1979, pp. 355-356). Les Socialistes soutiennent toujours l’engagement dans le conflit. Pour Daniel Meyer, président du groupe à l’Assemblée nationale : « Le conflit est déjà international. Ce n’est pas un conflit intérieur à l’Indochine, qui oppose un des peuples de l’Union française à la France ; c’est un conflit international opposant tous les hommes qui entendent demeurer libres à tous ceux qui veulent les réduire en esclavage. » Il ajoute que le VM n’est plus désormais qu’une « succursale du Kominform, c'est-à-dire l’Internationale communiste. » (cité in Ruscio, 1985, pp. 212-213)
20 octobre 50 : Jean Letourneau (États associés), vient à Phu Lang Thuong (non loin d’Hanoï, sur la R.C. 1), lieu de rassemblement des rescapés de la R.C. 4. Il est accompagné du général Juin (chef d’état-major des Forces armées missionné par le gouvernement Pleven) et du haut-commissaire Pignon. Le fiasco de la R.C. 4 a un important retentissement tant en France que dans le monde. Selon Fall, « c’est là, à ce moment précis que la France perdit la guerre d’Indochine. » (Fall, 1967, p. 134) Cet échec aura également un immense retentissement au sein du C.E.F.E.O. qui accuse ses dirigeants de « lâcheté », d’errements et qui ne comprend pas qu’on ait pu laisser autant de matériel aux mains de l’ennemi. Le colonel Constans reçoit des menaces, certains officiers de la légion voulant « lui faire la peau » (Bodard, 1997, pp. 619-629).
Une note d’information politique du secrétariat du M.R.P. souligne « l’émotion profonde » ressentie en France (Turpin, 2000, p. 26, note 10).
Les Français abandonnent les postes de Loc Binh et Dinh Lap qui défendaient la région côtière de Tien Yen (Giap 2, 2004, p. 66).
Retour de Bao Daï au Vietnam. Le chef de l’État avait quitté le Vietnam pour la France depuis le 20 juin.
Henri Martin, militant communiste à l'arsenal de Toulon arrêté en mars, est condamné à cinq ans de réclusion pour propagande antimilitariste.
Le journal du R.P.F. Le Rassemblement continue à s’en prendre au gouvernement Pleven. Le journaliste Manuel Bridier écrit : « La Troisième Force est entièrement responsable du désastre de Cao Bang. Jules Ferry était tombé pour moins que cela ». (cité in Turpin, 2000, p. 26, note 13)
21 octobre 50 : Dans une lettre adressée à son père, Bernard De Lattre de Tassigny (lieutenant au 1er régiment de Chasseurs à cheval) lui confie : « Sans vouloir – et pouvoir – faire de critiques, je crois que nous sommes commandés par des cons. » (voir 26 novembre) (cité in Cadeau, 2019, p. 343)
22 octobre 50 : L’ambassadeur à Saigon Donald R. Health présente ses lettres d’accréditation et demeurera en poste jusqu’au 25 juin 1952.
Sous la poussée des nationalistes, le conseil des ministres vietnamien réuni à Dalat établit un projet d’armée nationale autonome devant comporter 30 bataillons pour la fin 1950 et 50 en 1951. Un modeste projet, peu en phase avec les souhaits français (voir 27 octobre).
23 octobre 50 : Les Français évacuent An Chau. On prépare l’évacuation de Monkay sur la côte. Du 13 au 23, ils se sont repliés sur environ 100 km sur la ligne Dong Dang, Langson, Dinh Lap, An Chau jusque Tien Yen où a été installé le P.C. de la zone frontière Nord-Est (Giap 2, 2004, p. 66).
24 octobre 50 : Déclaration de Carpentier à Hanoï. Il en vient à justifier la perte de Langson : « Avant That Khe, nous avons subi un revers, un échec. L’ennemi a eu l’initiative à ce moment-là et l’a utilisée. Mais Langson a été autre chose, nous n’avons pas subi l’ennemi et c’est nous qui avons pris l’initiative du décrochage. Cela peut faire sourire en France. On peut estimer, peut-être, qu’un morceau de bravoure s’imposait, qu’il fallait se battre dans Langson. Le haut-commissaire et moi ne l’avons pas voulu, parce que nous avons jugé qu’il fallait, à un certain moment, jeter du lest pour mieux se reprendre. Oui, nous pourrions être aujourd’hui encore à Langson, je ne le cache pas. Mais demain ?... On ne manquera pas de nous faire des reproches. Nous nous y attendons d’ailleurs. Mais si c’était à refaire aujourd’hui, je recommencerais. » (cité in Gras, 1979, p. 353).
Le général Juin couvrira Carpentier et montrera, selon le général Gras, « une étrange mansuétude dans les conclusions de son enquête sur les responsabilités de commandement […] » Alessandri qui a demandé à rentrer en France est remercié et remplacé par le général Boyer De Latour. Il sert de fusible. La passation aura lieu le 2 décembre.
Au total, selon Gras, dans l’affaire de la R.C. 4, le C.E.F.E.O. aurait perdu 4 800 morts et disparus, soit 2 % de son effectif. 13 canons, 112 mortiers, 160 mitrailleuses, 380 fusils-mitrailleurs, 8 222 fusils et 1 209 fusils-mitrailleurs. Mais le désastre est avant tout moral (voir 20 octobre) (Gras, 1979, pp. 353-354).
Dans Le Populaire, le socialiste Ramadier qualifie HCM de « communiste stalinien […] inspiré par Moscou » voire de « pantin dont on tire les ficelles » (Ruscio, 1985, p. 213)
27 octobre 50 : Juin, rentré de Hanoï où il a été missionné par le gouvernement, expose dans un rapport son point de vue. Il estime que le VM n’est pas prêt à mener une contre-offensive générale pour une raison d’équilibre des forces. La situation au Tonkin est la clé du problème indochinois et il faut absolument y tenir. Il faut mettre fin à « l’immense dispersion des moyens militaires en Indochine » et réunir un nombre suffisant d’unités de manœuvre, les futurs groupes mobiles. Une « armée vietnamienne » disposant de 11 bataillons formés doit s’occuper de la pacification pendant que les Français assureront une guerre offensive de mouvement. Il faut donc encore plus « vietnamiser » le conflit. Bao Daï veut quant à lui une armée nationale autonome distincte de l’armée française, agissant sur un pied d’égalité (Gras, 1979, p. 356). Une nouvelle source de malentendu.
Dans ce rapport, Juin continue à couvrir Charpentier quitte à désigner des boucs émissaires parmi les seconds couteaux : Alessandri (commandant la Z.O.T. qui était opposé à l’évacuation de Cao Bang), son adjoint, le général Marchand, et le colonel Constans. Ils seront tous trois relevés de leur commandement et renvoyés en métropole (Cadeau, 2019, p. 326). Les conclusions de Juin sur les responsabilités des acteurs seront reprises à l’identique dans le rapport de la commission d’enquête instituée après le désastre de la R.C. 4 (voir 26 juin 1951).
31 octobre 50 : En Corée, entrée en guerre des troupes chinoises (Deron, 2009, p. 145).