Début novembre 49 : Boyer de la Tour est reçu par Pleven (ministre de la Défense). Il lui réitère son credo : on ne peut qu’adopter une attitude défensive au Tonkin en se cantonnant au seul delta du Fleuve Rouge. Le général refuse dans un premier temps d’aller y prendre un commandement. Il prévoit « un désastre encore plus grand ». Puis il rencontre le lendemain le Juin (chef d’état-major des Armées) auquel il donne les mêmes arguments. Le général évoque le départ de Carpentier et parvient cependant à le convaincre de repartir. Au final, Boyer accepte (Boyer de la Tour, 1962, pp. 171-172).
Novembre 49 : Les armées nationalistes chinoises sont écrasées dans la région de Nanning et de Liou Tcheou par les armées communistes de Lin Piao. Seul le 5e corps nationaliste du général Huang Chieh échappe au désastre et se replie avec 40 000 hommes, non plus vers la mer (voir 5 novembre) mais vers la frontière tonkinoise.
1er novembre 49 : Le colonel Constant prend le commandement de la zone frontière du Nord-Est et du 3e régiment étranger d’infanterie. A ce titre, il est chargé du désarmement des armées nationalistes chinoises dans lesquelles se trouvent également des Vietnamiens. Ces opérations se déroulent sans incidents majeurs et se termineront fin janvier 1950. Elles concernent 34 000 hommes (Cadeau, 2022, p. 119).
3 novembre 49 : Le général Boyer de la Tour repart pour l’Indochine. Il est accueilli à Saïgon par le président Tran Van Huu, le haut-commissaire Pignon et le général Chanson. Il est désigné pour prendre la place d’Allessandri au Nord dans une situation difficile : le VM forme une véritable armée (régiments et divisions) désormais bien équipée. Il déplore que l’on ait trop étendu l’occupation avec aussi peu de troupes et de réserves (Boyer de la Tour, 1962, pp. 172-173).
4 novembre 49 : Mobilisation générale pour tout Vietnamien (homme ou femme) âgé de 18 à 45 ans (Marangé, 2012, p. 184). Elle ne concerne pour l’instant que les zones occupées par le VM (voir janvier 1957). Il n’y a pas à proprement dit de « contingents ». Le recrutement commence localement au niveau du village (Du-kich). Si la recrue est jugée physiquement apte et politiquement désirable, elle est affectée dans une unité régionale. Au sein des unités régionales sont recrutées, après de sévères examens, une élite qui peut rejoindre les Chu-luc (« Forces principales »). Ce mode de sélection donne toute sa valeur à ces unités déjà aguerries qui ont, de plus, subi une sévère sélection. Cette dernière fait de l’infanterie v-m endivisionnée l’une des meilleures au monde (Fall, 1960, pp. 190-191).
A l’Assemblée nationale, le député communiste Alain Signor revient sur les exactions commises par le C.E.F.E.O. Il évoque, entre autres, une affaire de viol et de crimes perpétrés 2 ans plus tôt et pour lesquelles le tribunal militaire d’Hanoi a prononcé le 11 janvier la condamnation à mort de 3 soldats (« bretons » précise le texte). Il reviendra sur ces faits le 22 janvier 1950 (Cadeau, 2019, p. 260).
5 novembre 49 : Conseil de guerre des armées nationalistes chinoises à Kweilin. On décide de battre en retraite vers le port de Pakhoï et d’embarquer pour l’île de Haïnan. Il n’est pas question, du moins pour l’instant, d’entrer au Vietnam. Mais la gravité des circonstances fait que la situation sera amenée à évoluer.
8 novembre 49 : Sihanouk a demandé à la France d’obtenir, comme l’ont obtenu le Vietnam et le Laos, les mêmes avantages que ceux des accords Auriol-Bao Daï au Vietnam du 9 mars (contenant le mot « indépendance »). Un traité est donc signé à Paris entre la France et le Cambodge allant dans ce sens et sera ratifié 29 janvier 1950 (De Folin, 1993, pp. 201-202). Il abroge les traités de protectorat du 11 août 1863 et la convention du 17 juin 1884. Plus généreux que le modus vivendi du 7 janvier 1946 accordé au Vietnam, le texte donne au pays les premières prérogatives d’une souveraineté internationale. Si les représentations diplomatiques doivent être décidées conjointement, des ambassades seront ouvertes aux États-Unis, en Grande Bretagne, en Turquie, au Canada et en Italie. Avant l’indépendance totale de 1953, 35 États établiront des relations diplomatiques avec le Cambodge. Le pays ouvrira des ambassades dans certains d’entre eux. Toutefois l’emprise de la France demeure importante en matière de police, de justice et de commandement militaire. Les douanes et le Trésor dépendent toujours de la Fédération indochinoise. Ce qui incitera Sihanouk à lancer « la croisade royale pour l’indépendance ». Le traité spécifie que le Cambodge ne renonce pas à ce qui sera au cœur d’un très long contentieux avec le Vietnam, ses droits sur la Cochinchine (Cambacérès, 2013, p. 79 ; Tong, 1972, pp. 45-46).
9 novembre 49 : Un groupe d’étudiants nationalistes cambodgiens réunis par Norodom Sihanouk à l’hôtel Crillon à Paris lui reproche violemment d’avoir signé la veille le traité franco-cambodgien (Richer, 2009, p. 19).
14 novembre 49 : Suite à sa décision et à son revirement du 12 septembre, Carpentier laisse toute initiative à Alessandri (commandant des forces du Tonkin). Il lui demande de garder la frontière entre le Tonkin et la Chine : « Notre détermination de tenir de Cao Bang à Langson, ainsi qu’à Lao Kaï, quelle que soit l’ampleur de la menace, doit être évidente aux yeux des Chinois comme à ceux des rebelles et des Vietnamiens. »
Une action de pacification doit être également menée dans la zone des Évêchés. Alessandri disposant de forces suffisantes pense pouvoir ainsi contrôler le delta du Fleuve Rouge morceau par morceau (Gras, 1979, p. 295).
17 novembre 49 : Les dockers du port de La Pallice adoptent une résolution très dure pour bloquer le fret en direction de l’Indochine. Ils seront suivis par les ports du Havre, de Dunkerque et de Marseille (Ruscio, 1985, p. 242).
18 novembre – 5 décembre 49 : Avec l’opération Archipel, les Français replient les postes au nord de That Khe. Cao Bang est désormais totalement isolée et ne peut plus compter que sur sa garnison ravitaillée par un pont aérien. La ville constitue un « stock de précaution » d’un mois (Cadeau, 2022, p. 116). Ce nouveau repli, ajouté à ceux du printemps et de l’été, porte le nombre de postes évacués à plus d’une cinquantaine. Il ne reste que 15 postes encore défendus au nord de Langson dont Dong Khe et Cao Bang. La défense de la R.C. 4 pourtant voulue et réclamée par Carpentier depuis le 12 septembre se réduit comme une peau de chagrin.
22 novembre 49 : Les régimes du bloc communiste ont à cette date tous reconnu diplomatiquement le nouveau gouvernement chinois, à l’exception notable du VM (voir 1er octobre) (Gras, 1979, p. 286).
25 novembre 49 : Boyer de la Tour préconise au Tonkin la mobilité des troupes et leur concentration pour opérer la constitution de groupes mobiles (qui seront repris et largement utilisés par De Lattre). Ils sont créés pour faire face à toutes les éventuelles attaques ennemies (Boyer de la Tour, 1962, pp. 174-176).
25 novembre - fin janvier 50 : Attaque du VM (opération Le Loi) dans la région de Sam Noa-Hoa Binh et le pays muong. Giap lui a fixé 3 objectifs : anéantir une partie des forces ennemies ; détruire leurs positions derrière la IIIe interzone ; élargir le couloir de communication entre la IIIe interzone et le Viet Bac. De nombreux postes français tombent (Giap 1, 2003, pp. 286-287). Les Français ne peuvent engager que de faibles effectifs au vu de la situation à l’Est, sur la frontière chinoise. Leurs troupes ont été préventivement bloquées dans le delta tonkinois. Seuls quelques bataillons de parachutistes sont envoyés au compte-gouttes. La faiblesse de cette défense est palpable. Le VM dégage un couloir d’une cinquantaine de kilomètres de Yen Bay à Phu No Quan. Du fait de la perte de nombreux postes, le pays thaï est à nouveau isolé du Delta (Bodin, 2009, p. 140).
Mao répond au simple télégramme d’HCM du 16 octobre qui le félicitait pour la création du gouvernement chinois. Sa réponse est assez sèche, mentionnant simplement que « la Chine et le Vietnam se trouvaient en première ligne sur le front de la lutte contre l’impérialisme ». (Gras, 1979, p. 286)
28 novembre 49 : Le général Alessandri est nommé commissaire par intérim de la République du Nord-Vietnam, poste qu’il occupera jusqu’au 2 décembre 1950 (Bodinier, 1987, p. 108). On crée pour lui une « zone opérationnelle du Tonkin » (Z.O.T.) comportant de l’infanterie et des forces navales et aériennes. Carpentier, à l’inverse de son prédécesseur, Blaizot, adopte désormais les plans d’Alessandri : maintien de Cao Bang et occupation totale du Delta. Décision ambitieuse qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’exécutif français (Auriol 4, 2003, p. 481).
Une réunion du Comité de Défense nationale évoque donc à nouveau la question de l’évacuation de la région de Cao Bang. Georges Bidault (président du Conseil) et Jean Letourneau (ministre de la F.O.M.) sont d’avis « de laisser au Haut-Commissaire toute latitude pour évacuer ou conserver Cao Bang ». Le président de la République, Vincent Auriol, insiste pour que l’évacuation se fasse rapidement et non sous la pression de l’ennemi comme l’avait préconisé le rapport Revers. Pleven (ministre de la Défense) se montre plus nuancé, voire contradictoire : la position de Cao Bang lui paraît « aventurée » mais il faut absolument limiter les « infiltrations adverses ». Au final, le Comité, contrairement à ce qu’il avait arrêté le 29 juillet, décide « que les instructions précédentes concernant l’évacuation de Cao Bang et l’occupation de Thai Nguyen sont à maintenir en principe, en raison de la situation aventurée de Cao Bang et la nécessité de couvrir Hanoi, que toute latitude lui [Pignon, haut-commissaire] est donnée pour fixer les dates et les modalités d’évacuation ». A son habitude, Paris se décharge au profit des acteurs locaux (Pignon, Carpentier, Alessandri) qui ne sont pas forcément d’accord sur ce qu’il y a lieu de faire… Le civil conservant le pas sur le militaire comme le veulent les textes qui régissent les relations entre le Haut-commissaire et ses subordonnés (Gras, 1979, p. 323 ; Turpin, 2000, p. 26 et p. 31).
29 novembre 49 : Zhou Enlaï, ministre des Affaires étrangères de la Chine communiste, lance un avertissement : « […] Je déclare solennellement au gouvernement français et aux gouvernements limitrophes de la Chine que l’anéantissement total des forces armées du Guomindang reste la politique inébranlable de notre gouvernement. Quel que soit l’endroit où se réfugieraient les troupes battues des réactionnaires Guomindang, le gouvernement populaire de la République chinoise se réserve le droit de tenir compte des faits ; les gouvernements quels qu’ils soient qui tolèreraient les forces réactionnaires Guomindang sur leur territoire porteront nécessairement la responsabilité de cet état de chose avec toutes les conséquences qui en résulteraient. » (Cadeau, 2019, p. 601, note 30) Un réponse française sera adressée au gouvernement communiste le 10 décembre.