Janvier 45 : Les effectifs japonais en Indochine atteignent plus de 60 000 hommes, ce qui nettement supérieur aux forces franco-indochinoises. Pour autant, les autorités françaises ne s’en inquiètent pas (Devillers, 1952, p. 120). Une nouvelle division japonaise arrive au Tonkin. Les effectifs en Cochinchine sont également discrètement renforcés.
Roosevelt considère qu’il faut retirer l’Indochine des mains des Français pour la confier à une administration internationale. La responsabilité de cette tutelle incomberait en partie aux U.S.A. Les Américains, comme les Français de métropole, ignorent tout à fait le nationalisme vietnamien et le profond désir d’indépendance de ce peuple.
Les Japonais informent les Français qu’une division du Kouang Si va venir occuper des points de passage au Tonkin (Cao Bang, Ha Giang, Laïchau) « doublant » à chaque fois les garnisons françaises. Derrière ce prétexte, il s’agit en fait de pouvoir neutraliser le cas échéant ces unités (Cadeau, 2019, p. 90).
1er janvier 45 : Roosevelt adresse une note au secrétaire d’État Edward Stettinius : « Je refuse de m’engager à prendre une décision pour l’Indochine. C’est une question à régler après la guerre. De même, je ne veux pas être impliqué dans quelque effort militaire que ce soit pour libérer l’Indochine du Japon […] Agir maintenant serait prématuré. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 53). Il précise : « Vous pouvez dire à lord Halifax que je l’ai fait savoir clairement à Churchill. » (cité in De Folin, 1993, p. 65)
Un discours de Decoux devant le Conseil fédéral d’Indochine faisant allusion à la renaissance de l’armée française cause « une certaine émotion dans les milieux japonais ». Le G.P.R.F. le rappelle à l’ordre : « Nous vous prescrivons une certaine prudence dans l’avenir. Et votre rôle, tel que le Gouvernement vous l’a défini, est de servir de couverture à la Résistance et d’inspirer confiance aux Japonais. » (cité in Turpin, 2005, p. 61)
5 janvier 45 : Manille tombe aux mains des Américains et servira de base d’attaque pour le sud de l’Indochine.
Les Japonais s’attendent à un débarquement en Cochinchine. Ils ont fait revenir depuis décembre 1944 (voir 20 décembre) deux divisions de Chine et une de Birmanie. Le Q.G. japonais (général Tsuchihschi) est désormais établi à Saigon. Les maigres troupes françaises sont donc encore moins en capacité de résister (Franchini 1, 1988, p. 182).
5 et 9 janvier 45 : Les membres du Comité d’action pour la libération de l’Indochine ignorent les intentions des Américains. La constitution du corps expéditionnaire français a pris de gros retards « au point, comme le précise le comité, que nous risquons le ridicule ». Ce même comité ajoute : « Il est dangereux de se lancer dans une entreprise aussi obscure. » (De Folin, 1993, p. 54)
6 janvier 45 : Suite à une attaque aérienne américaine, une quarantaine de navires japonais sont coulés dans la rivière de Saigon (Franchini 1, 1988, p. 183). Un croiseur français, le Lamotte-Piquet, est touché. Selon Francini, « le 6 janvier 1945, une flotte d’une centaine de navires, rassemblés par les Japonais pour transporter des troupes et marchandises à destination des Philippines où Marc Arthur avait repris pied, s’apprêtait à quitter Saigon, et serpentait déjà dans les méandres de la rivière vers le cap Saint Jacques quand les escadrilles alliées, avec une précision diabolique, l’attaquèrent en piqué, cela dura toute la journée. Elle fut coulée sur place. » L’aéroport et la D.C.A. de Ton Sun Nhut ont été préalablement neutralisés (Francini, 2015, p. 144).
10 janvier 45 : Une organisation clandestine dépendant de la Kempeitaï appelée Yasu Butai entreprend de repérer les cibles, d’évaluer le dispositif militaire français, de recruter des espions et de mener des opérations de propagande en vue du coup de force du 9 mars. Celui-ci est pensé et planifié comme devant être général, capable de toucher d’un seul coup toute l’Indochine (Zeller, 2021, p. 60).
13 janvier 45 : De Langlade est de retour à Paris. Malgré ses récentes incartades, il s’est expliqué avec De Gaulle qui, au final, le couvrira et lui donnera de nombreuses promotions : gouverneur des colonies, chevalier de la Légion d’Honneur, futur secrétaire du Comité d’action pour la libération de l’Indochine puis conseiller pour l’Indochine. Puis De Langlade se présente devant le Comité d’action pour la libération de l’Indochine : il s’explique sur la situation qu’il a trouvée dans la péninsule et justifie les modifications qu’il a dû mettre en œuvre. Couvert par De Gaulle, il ne sera plus jamais inquiété (De Folin, 1993, pp. 50-51).
17 janvier 45 : Les militaires japonais craignant un débarquement allié en Indochine suite à la perte des Philippines en décembre acceptent de mener un coup de force qui avait été différé jusque-là. La décision définitive sera prise le 1er février (Isoart, 1982, p. 42).
19 janvier 45 : La 3e flotte américaine renseignée par la Résistance bombarde à nouveau avec succès les secteurs de Qui Nhon, du cap Saint-Jacques, des baies de Cam Rhan et de Tourane (Da Nang) visant des navires japonais (Zeller, 2021, pp. 65-66).
21 janvier 45 : Lors d’une inspection de 3 semaines en Indochine, le général Tsuhihaschi écrit dans un rapport qu’en cas d’attaque américaine, les Français ne respecteront pas le traité franco-japonais d’assistance signé en décembre 1941. L’Indochine est donc une menace potentielle pour les forces japonaises et il envisage une action militaire pour écarter tout danger (voir 1er février et 9 mars) (Cadeau, 2019, p. 90).
25 janvier 45 : Un télégramme de Paris indique à Mordant que tout acte de résistance aux Japonais ne peut venir que de Paris car il est possible que les Américains débarquent en faisant une opération localisée. Si cela devait se produire, Decoux doit prononcer la neutralité des troupes françaises (Isoart, 1982, p. 43).
26 janvier 45 : Une directive du G.P.R.F. signée de De Gaulle portant sur la défense de l’Indochine reconnaît que l’engagement des Alliés n’est pas envisageable avant la mi-mai. Elle insiste surtout sur la nécessité « de durer », en évitant un écrasement des faibles forces françaises par les Japonais. On préconise leur repli dans des zones sûres d’où elles pourraient pratiquer des actions de guérilla au Tonkin. Il s’agit avant tout d’assurer une présence française, sans plus. Selon cette directive, « la libération de l’Indochine doit nécessairement s’intégrer dans la Plan d’opération des Alliés pour le théâtre Pacifique et tenir compte à la fois de l’organisation des commandements ainsi que de leurs possibilités d’action. » Certaines zones difficiles d’accès doivent être conservées pour y pratiquer la guérilla. Le repli des forces françaises sur la Chine ne doit être « envisagé qu’à la dernière extrémité, sur l’ordre du gouvernement ». Mordant est désigné comme celui qui peut le déclencher mais en attendant l’appui des Alliés dont on ignore pour l’instant les intentions réelles au sujet d’un éventuel débarquement en Indochine (Turpin, 2005, pp. 53-54 et p. 65 ; Isoart, 1982, pp. 42-43). En dépit de ces instructions, rien de tout cela ne se réalisera comme prévu, la résistance sera liquidée en quelques heures le 9 mars.
31 janvier 45 : Malgré la pénurie totale de moyens, le Comité de défense nationale du gouvernement provisoire décide d’envoyer le C.L.I. pour la mi-février ainsi que la brigade de Madagascar qui passerait de une à deux divisions. Le général Blaizot est chargé de négocier auprès de Mountbatten l’équipement et le transport de ces unités. Or les Britanniques souffrent eux-mêmes d’une pénurie de transport. Rien ne pourra être fait pour les Français avant le 1er mai et les choses vont continuer à traîner au-delà de cette date (Bodinier, 1987, p. 22).
Fin janvier 45 : Les autorités françaises notifient leur refus de laisser passer de nouvelles troupes japonaises (voir janvier) et d’assurer leur ravitaillement à leurs frais. Mais à ce moment, déjà 5 000 hommes ont franchi la frontière chinoise malgré les protestations françaises (Cadeau, 2019, p. 90).