Mars 76 : Lors des élections législatives au Vietnam, seul un petit nombre de représentants du G.R.P. figurent sur les listes qui ont été au préalable soigneusement préparées par le parti. Les N-V ont progressivement gommé la représentativité politique et les aspirations de l’ex-F.N.L. Il n’est absolument plus question de neutralisme. Le Vietnam devient, du Nord au Sud, un véritable pays communiste monolithique.
8 mars 76 : Duch Kang Khek Leu prend officiellement la direction de S 21. Le centre d’internement existe à Phnom Penh depuis juin 1975. Il est situé dans une ancienne chapelle, la chapelle Béthléem, puis à Takhmau, dans les faubourgs de la capitale. Son principal dirigeant appartient au Santebal, une police politique chargée des arrestations, de la détention des prisonniers et des interrogatoires. Duch a déjà « œuvré » comme dirigeant du camp de détention M-13 et ce, dès le 20 juillet 1970. Il occupera ses fonctions d’interrogateur-tortionnaire jusqu’au 6 janvier 1979. Il relève de deux autorités : le Comité permanent du parti et l’état-major des forces armées et de la sécurité dirigé par Son Sen. Il occupera dès avril les locaux du lycée de Tuol Sleng.
10 mars 76 : Sihanouk remet sa lettre de démission du poste de chef de l’État à Chhorn Hay, officiellement pour raisons de santé. Toujours officiellement, il souhaite quitter son poste le 20 mai et pouvoir ainsi se rendre en Chine pour s’y faire soigner. Pol Pot réunit le comité permanent qui tente de le faire revenir sur sa décision par crainte des réactions chinoises et nord-coréennes. Khieu Samphan (vice-premier ministre), Penn Nouth (premier ministre) et, par trois fois, une délégation sont envoyés pour faire changer le prince d’avis. En vain.
Lors d’un rassemblement officiel de deuil qui a lieu à Phnom Penh suite à la mort de Zhou Enlaï, Pol Pot déclare que le KD se conforme à « une ligne politique marxiste-léniniste » (Deron, 2009, p. 193).
20 mars 76 : Le KD s’habille d’attributs démocratiques en organisant des élections. Ce sera d’ailleurs la seule et unique fois où les choses se produiront sous le KD. « Élection » d'une « assemblée des représentants du peuple du Kampuchéa » de 250 membres dont 150 représentent les paysans, 50 les travailleurs et 50 l'armée. Saloth Sar est « élu » comme simple représentant des travailleurs des plantations d'hévéas. En fait, les pseudo-électeurs déposent dans une urne un bulletin portant le nom du candidat choisi par l’Angkar. Toute candidature doit recevoir l’agrément du « Comité des élections » fondé lors du 2e congrès du P.C.K. des 25-27 avril 1975 (Jennar, 1995, p. 132 ; Sihanouk, 1979, p. 261).
30 mars 76 : Un document signé du comité central intitulé « cadre de procédure pour la mise en place de notre pouvoir révolutionnaire » émanant du P.C.K. autorise non seulement l’élimination des anciens collaborateurs du régime de Lon Lol mais également la mise en place des purges internes au sein du parti (« règles pour écraser [les gens] à l’intérieur et à l’extérieur des rangs »). Duch considèrera lors de son procès cette décision comme « un tournant » dans le processus d’élimination des opposants, notamment celui des cadres jugés importants par le régime (voir 20 et 25 septembre). Dans les villages les comités permanents de zone et de la région autonome « doivent décider » de qui doit être « écrasé ». De son côté, le Centre se donne le pouvoir d’« écraser » le personnel « proche de [ses] bureaux ». Le système des purges est donc officialisé par cette directive (Deron, 2009, p. 49 ; Biernan, 1998, pp. 382-383).
Pol Pot trouve une échappatoire pour ne pas se rendre à une rencontre proposée par les Vietnamiens. Dans un procès-verbal de réunion, on lit : « Le camarade secrétaire n’a pas besoin de se déplacer. Dans l’intérêt de la solidarité, on peut confier ce soin au présidium de l’État ou au président de l’Assemblée. » (cité in Biernan, 1998, p. 131)
31 mars 76 : Dans une intervention prononcée lors de la première réunion du cabinet du KD, Pol Pot s’en prend violemment au voisin vietnamien : « Le Vietnam est un dragon noir qui crache son venin ! » Il reconnaît se heurter à des « difficultés » économiques qui lui interdisent d’avoir, pour l’instant, « la force d’attaquer l’Asie du Sud-Est ». Il se lance alors dans des métaphores de son cru : « S’il a [le KD] une puissance de cent chevaux, dix lui suffisent pour attaquer. Mais il a du pain sur la planche au Laos, il doit mobiliser trois chevaux pour aider le Laos. De sorte qu’il ne lui en reste que sept à reporter sur l’Asie du Sud-Est […] Le Vietnam, s’il nous agresse, échouera […] Il avance à une allure moyenne d’un an ; la nôtre de trois. Si nous accélérons, nous le distançons. » Le KD part donc à la table de négociation (sur la question litigieuse des frontières entre les deux pays) sans la moindre intention de négocier (Biernan, 1998, p. 131-132).